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Etudes montrant un effet lexical précoce 

Chapitre 3 : Spécificités de l’orthographe du français

3. Facteurs psycholinguistiques impliqués dans le développement de l’orthographe française

3.2. Etudes sur les effets lexicaux et sous-lexicaux

3.2.3. Etudes montrant un effet lexical précoce 

Dans la première expérience de Martinet et al. (2004), 36 enfants en CP-janvier et 73 en- fants en CP-juin ont fait une dictée de 26 mots en janvier et 36 mots en juin. Les mots étaient contrôlés strictement sur la fréquence (calculée sur leur propre livre de lecture) et la régulari- té, sans voisins phonologiques, de façon à ce que l’orthographe correcte puisse être attribuée à un traitement lexical. Un effet de fréquence significatif est alors mesurable au CP-janvier, soit au quatrième mois d’apprentissage. Une étude des phonèmes-clés révèle, de plus, une interac- tion entre fréquence et régularité : les graphèmes irréguliers sont mieux orthographiés dans les mots fréquents que dans les mots rares.

Dans la deuxième expérience, 36 enfants au CP-janvier et 31 enfants au CP-juin ont écrit des PM de trois types : PM avec voisins phonologiques (/diro/ voisin phonologique de sirop), PM contrôles, avec les mêmes phonèmes-cibles mais sans voisin lexical (/liko/), et PM dis- tracteurs. Un effet d’analogie significatif est alors mesuré chez les élèves de CP-janvier, sug- gérant que ces élèves utilisent très tôt des « traces orthographiques » pour écrire de nouveaux mots. Toutefois la diminution de l’utilisation des graphies-clés en juin indique une utilisation de liens P-G concurrents, extraits des mots rencontrés entre janvier et juin.

Ces deux résultats indiquent un effet facilitateur de la fréquence lexicale pour l’écriture de  mots et un effet facilitateur de l’analogie pour l’écriture de PM. Ceci suggère que les élèves manifestent des connaissances lexicales précoces, dès le quatrième mois d’enseignement, qui  se consolident avec l’exposition à l’écrit, avec une interaction des connaissances implicites et explicites  qui  s’enrichissent  mutuellement.  Cet  effet  précoce  de  l’analogie  a  été  étudié  plus 

précisément par Bosse et al. (2003) entre le CP et le CE1. En effet, selon Goswami (1988a) ou Nation et Hulme (1998), l’analogie est une stratégie non délibérée, qui peut intervenir pré- cocement dans le développement orthographique.

Bosse et al. (2003, expériences 2 et 3) ont ainsi montré, au moyen d’une dictée de PM di- syllabiques, voisins de mots français à consonance phonographique irrégulière (tabac), qu’un  effet d’analogie était observé au CP et au CE1. Contrairement à d’autres études, aucun mot indice  n’était  fourni,  ni  oralement comme dans celle de Campbell (1985), ni visuellement comme dans celle de Goswami (1988a). De plus tous les enfants connaissaient les mots- source. Les élèves avaient en effet reçu au préalable un apprentissage de ces mots présentés parmi d’autres mots, mais sans que leur attention ait été particulièrement attirée sur eux. Le niveau de connaissance des mots-cibles était vérifié par une dictée contrôle à la fin des épreuves. Il s’agirait bien d’analogies lexicales, et non d’un traitement sublexical basé sur les  habiletés alphabétiques, car les mots étaient choisis en fonction de leur graphie finale peu fré- quente et  l’effet était obtenu en comparant  la graphie  finale de PM  voisins contrôles parta- geant la même finale (/a/ dans /toba/, voisin de tabac) avec des PM sans voisin (/jiba/,). De plus les enfants de CP aux meilleures connaissances lexicales produisaient autant d’analogie  que les élèves de CE1, suggérant que l’écriture par analogie dépend avant tout de la disponibi- lité du mot de référence dans le lexique orthographique.

Selon Pacton (2008), les résultats de ces deux études (Bosse et al., 2003 ; Martinet et al., 2004)  révèlent  que  des  effets  de  fréquence  et  d’analogie  sont  observés  au  tout  début  de  l’acquisition du français, beaucoup plus tôt que ne le postulaient les modèles traditionnels de l’acquisition  de  l’orthographe  et  certaines  études  antérieures,  que  ce  soit  pour  les  effets de fréquence (Alegria & Mousty, 1996) ou d’analogies (Campbell, 1985). Ces effets d’analogie  sont conformes à ceux de Goswami (1999c) pour l’anglais et témoignent pour Rocher (2005) que  la  procédure  d’analogie  est  utilisée  précocement  et  pourrait  relever  au  tout  début  de  l’apprentissage  d’un  processus  de  stockage  et  de  catégorisation  des  unités  ortho- phonologiques fréquentes à partir desquelles se construit le code alphabétique (Ecalle & Ma- gnan, 2000, cités par Rocher, 2005).

En résumé de ce chapitre, même s’il est admis aujourd’hui que très tôt, les enfants sont  sensibles à des aspects purement orthographiques du français (Sprenger-Charolles & Colé, 2003), la difficulté et la lenteur de la mise en place d’une orthographe correcte confirme que  le français  est  loin  d’être  une  « écriture idéale » (Jaffré, 2003), dont la faible transparence constitue un  handicap  majeur à  la  maîtrise de  l’orthographe (Mousty &  Alegria, 1999). Ce- pendant, les études expérimentales présentées concernent majoritairement les aspects lexicaux

Chapitre 3 : Spécificités de l’orthographe du français

de  l’acquisition, et  les études qui concernent  les  facteurs sous-lexicaux ont examiné le plus souvent le rôle de l’inconsistance au niveau phonographémique, c'est-à-dire la régularité des transcriptions. De fait, plusieurs travaux et théories récents (Ziegler & Goswami, 2005, 2006), semblent indiquer que, pour les langues opaques, la consistance des transcriptions est plus stable à un niveau sous-lexical plus large que les relations phonographémiques, notamment au niveau de la rime.

Le chapitre suivant aborde  les  moyens  disponibles  pour  mesurer  la  consistance  d’une  langue  et  les  répercussions  de  son  inconsistance  sur  l’acquisition  de  l’orthographe.  L’évaluation de la consistance repose essentiellement sur les bases lexicales, établies à partir de corpus de mots, propres à chaque langue. Ce chapitre a pour objet de rapporter plus spéci- fiquement le rôle du voisinage et de la consistance sur la rime pour l’acquisition du français.

C hapitre 4

Voisinages phonologique et orthographique : Consistance

Le  chapitre  3  a  rappelé  qu’en  français,  à  cause  de  la  faible  transparence  des  relations  pho- nèmes-graphèmes,  l’apprentissage  de  l’orthographe  est  beaucoup  plus  lent  que  celui de la lecture et que le choix de la bonne transcription phonographémique est difficile pour le no- vice.  C’est pour  lever  cette  ambigüité  que  l’élève  va  devoir  se  fier  à  d’autres  niveaux  d’organisation,  comme  la  morphologie  (Pacton,  2008),  et/ou  à  des  unités de transcription phono-orthographique plus larges, plus régulières (Jaffré, 2003 ; Jaffré & Fayol, 2006), no- tamment la rime (Brissiaud, 2006 ; Peereman et al, 2004 ; Rieben et al., 1997). Le chapitre 3 a ainsi rapporté deux études expérimentales mettant en évidence que les enfants sont capables très tôt, dès le début de l’apprentissage (CP-janvier), de transposer la finale d’un mot irrégu- lier comme « sirop » à un mot inconnu, un pseudomot comme /diro/, écrit « dirop » (Martinet et al., 2004). Autrement dit, ils écrivent le nouveau mot (/diro/) en se basant sur le voisinage avec un mot connu (sirop) ; une condition essentielle est alors que les enfants aient déjà ren- contré le mot source, que celui-ci fasse partie de leur vocabulaire écrit.

1. Voisinage phonologique ou orthographique ?

Au sens large, le voisinage correspond aux mots partageant une unité commune. Les observa- tions sur le voisinage sont souvent contradictoires, rapportant des effets facilitateurs ou inhibi- teurs. Ces différences pourraient être liées à la nature phonologique ou orthographique du voisinage (Ziegler & Perry, 1998), avec une possible interaction entre les deux (Grainger, 2008 ; Grainger, Muneaux, Farioli, & Ziegler, 2005 ; Ziegler & Muneaux, 2007), au choix des tâches et/ou de la population (adultes, enfants) de la mesure (Ferrand, 2001, 2007 ; Grainger, 2008), et à la taille des unités (Perry, 2003 ; Perry, Ziegler, & Coltheart, 2002b).

Peereman et Content (1997, 1999a) ont introduit la notion de voisinage phonographique pour les mots qui sont à la fois voisins phonologiques (P+) et voisins orthographiques (O+). Selon Ziegler, Muneaux et Grainger (2003a), seuls les voisins phonographiques (P+O+) sont toujours activateurs, en particulier, le voisinage portant sur une unité phonologique saillante comme la rime. Ceci est illustré par la figure 4-1, ci-après, pour les voisins du mot FORT.