• Aucun résultat trouvé

L’ ETUDE DES TERRITOIRES DU QUOTIDIEN : DANS LA CONTINUITE DES EXPERIENCES MENEES TOUT AU LONG DU XX EME SIECLE D ’ ETUDE PAR LE LOCAL

T ABLEAU 12 L E PREMIER THÈME DU PROGRAMME DE S IXIÈME , BO SPÉCIAL N °6, 28 AOÛT

B. L’ ETUDE DES TERRITOIRES DU QUOTIDIEN : DANS LA CONTINUITE DES EXPERIENCES MENEES TOUT AU LONG DU XX EME SIECLE D ’ ETUDE PAR LE LOCAL

Par rapport à l’étude du local telle qu’elle avait été enseignée jusque-là, ce qui change dans l’étude du territoire de proximité c’est l’échelle à laquelle ce local est envisagé : il ne s’agit plus, comme dans le programme de 1925 par exemple, d’étudier les départements, ou plus seulement, comme dans les programmes de 1995 et 2002, d’étudier les régions. Il s’agit d’étudier ce que le programme appelle les « territoires du quotidien » sans que ceux-ci soient d’ailleurs clairement définis. Qu’est-ce qu’un territoire « du quotidien » en effet ? Qu’est-ce que la « proximité » ? Où est « mon espace proche » ? Cela signifie-t-il que c’est un territoire connu des élèves ? Mais alors quel territoire les élèves ont en commun, en dehors de leur établissement scolaire ? La notion de territoires du quotidien, appelés également territoires du quotidien, désigne donc un territoire introuvable, soit un territoire connu par chaque élève mais pas le même pour tous, soit un territoire à proximité de l’établissement scolaire, le même pour tous mais pas connu de tous. En Première, le programme tranche : il s’agit d’étudier un « un aménagement choisi dans un territoire proche du lycée » (BO spécial n°9, 2010).

Si on s’accorde pour définir le territoire de proximité comme étant le territoire situé à proximité de l’établissement scolaire (et donc pas forcément connu de tous les élèves), alors

l’étude des territoires du quotidien favorise la sortie sur le terrain90, en annulant un de ses

principaux obstacles, la distance : nul besoin en effet d’affréter un bus, ou de prévoir une demi-journée ou une journée entière pour faire une sortie à proximité de l’établissement scolaire. La sortie de terrain fait ainsi l’objet d’une forte recommandation des programmes, que ce soit en Première (« le professeur peut avoir recours à d’autres supports de travail, sortie de terrain, rencontre d’acteurs, analyse des sources et documents locaux » (Documents d’accompagnement au programme91) ou en Sixième (« il est souhaitable de conduire cette étude par une sortie sur le terrain » (BO spécial n°6, 28 août 2008). Pour autant, la terminologie de la sortie de terrain est floue, puisqu’il est question indifféremment de « sortie de terrain » (en Première), de sortie « sur le terrain » (en Sixième), ou de rencontre avec des acteurs (en Première). La diversité de ses mises en œuvre possibles n’est pas non plus évoquée, qu’il s’agisse de la démarche, sortie avant le cours, selon une méthode hypothético-déductive ou après le cours, selon une méthode inductive, ou de la nature de la sortie, visite libre, visite sensible ou visite guidée.

Autre implicite encore, l’étude des territoires du quotidien assimilée à un apprentissage par le concret : ainsi, en Première, les documents d’accompagnement proposés par Eduscol invitent à aborder « les évolutions du territoire français aux échelles locale et régionale à travers des éléments concrets, proches du quotidien des élèves92 [c’est moi qui souligne]. [Cette étude] est ainsi susceptible de susciter la curiosité des élèves et d’être plus aisément compréhensible par eux »93.

Cette dimension concrète donnée à l’étude est renforcée encore par la manière dont elle doit être menée, tout au moins en Première : c’est en effet sous la forme d’une étude de cas que doivent être abordés « les territoires du quotidien ». Or l’étude de cas, introduite en 2002 et généralisée en 2008 en collège et en 2010 en lycée a pour objectif de permettre aux élèves de « recourir à l’observation et l’analyse de situations particulières pour aller vers des perspectives plus larges. La démarche invite à un parcours intellectuel qui articule le particulier

90 Sans que l’articulation de l’un et l’autre, tant sur le plan épistémologique que dans sa mise en œuvre, ne soit

éclaircie

91

http://cache.media.eduscol.education.fr/file/HG_series_ES_et_L_mise_a_jour_1ere/58/6/11_RESS_Geo_1ere_ ESL_ApprochesTerritoiresQuotidienVF_458586.pdf , consulté le 15 septembre 2015

92 C'est nous qui soulignons.

au général »94. Cela renvoie plus généralement à une pratique apparue dans les années 1920

à la Harvard Business School (Heath 2002) et « qui avait pour objectif former de futurs managers qui soient opérationnels dès la fin de leur étude. En effet, les étudiants diplômés avaient une bonne culture théorique mais n’étaient pas capables de mobiliser ce qu’ils avaient appris pour agir et de prendre des décisions dans un contexte d’incertitude. Leur formation n’était pas adaptée au marché du travail. La démarche d’étude de cas a alors été développée pour confronter les étudiants à des situations réelles, en prise avec leur futur métier. Cette démarche pédagogique s’est ensuite généralisée dans les écoles de commerces et est très courante en droit et en médecine ».95 Sa généralisation dans l’enseignement de la géographie peut donc s’interpréter à son tour comme une volonté d’introduire un enseignement plus en prise avec le « réel », le « concret ».

Ainsi, étudier les territoires de proximité, ou du quotidien, ou encore « mon espace proche », ce serait étudier un territoire à proximité de l’établissement scolaire (et donc pas forcément connu de tous) et y mener, comme support de l’étude, une sortie de terrain ou « enquête de terrain » ou « rencontre avec les acteurs de terrain », afin de permettre aux élèves une approche plus concrète de la géographie, articulant géographie spontanée et géographie raisonnée.

Définie de cette manière, et au-delà du flou sémantique dont elle fait l’objet, l’étude des territoires du quotidien s’apparente alors davantage à une étude par le local en étroite association avec la sortie sur le terrain qu’à une étude du local. N’importe quel « paysage ordinaire du quotidien »96 peut alors faire l’objet de l’étude, de l’aménagement d’un rond-

point à l’entrée de la ville97 à des aménagements plus emblématiques comme ceux des

anciens terrains Renault à Boulogne-Billancourt que j’ai choisi. Dans tous les cas, les élèves, apprentis-géographes, ont pour mission de rendre intelligible cet espace, ses acteurs, ses enjeux, ses dynamiques.

94MEN, L’étude de cas en géographie, Ressources pour faire la classe en collège, Histoire-géographie-éducation civique, Démarches et capacités, géographie 5ème- Site Eduscol

95 A ce sujet, voir l’analyse proposée par Caroline Leininger, in « Enseigner la géographie autrement : l’étude de

cas », Hamard, Heitz, Gaujal, Leininger, non publié.

96 Pour reprendre une expression de Christine Vergnolle Mainar (2011).

97 Comme le propose par exemple Christine Vergnolle Mainar (2011) avec l’étude du rond-point de Saint Lizier

en classe de Sixième, Regards disciplinaires sur les paysages ordinaires : un enjeu pour enrichir le lien des élèves

au territoire qu’ils habitent, http://www.revue-ere.uqam.ca/categories/PDF/volume10/14-v10- Mainar_Calvet_Eychenne_et_al.pdf

Pourtant, là encore, ce n’est pas nouveau, et l’étude par le local a marqué la géographie scolaire du XXème siècle. Les pédagogues s'appuient sur Jean-Jacques Rousseau, qui prônait dans l'Emile un enseignement s'appuyant sur l'expérience : « Je me souviens d'avoir vu quelque part une géographie qui commençait ainsi : Qu'est-ce que le monde ? C'est un globe de carton ». Cela conduit le narrateur à s'égarer volontairement dans la forêt, pour apprendre à Emile à s'orienter (Rousseau, 1762 in Chevalier, 2007, p.2). Dès 1882, terrain et géographie locale sont associés : « Les points cardinaux, non appris par cœur, mais trouvés sur le terrain. Exercices d'observation : les saisons, les phénomènes atmosphériques, l'horizon, les accidents du sol [...] La géographie locale (maison, rue, hameau, commune, canton) » (programmes enseignement primaire, 1882, in Chevalier, 2007, p.3). Par la suite cette pratique de terrain à proximité de l’établissement scolaire prend la forme de « classes-promenades », dont Célestin Freinet a été le principal promoteur, à partir de 1923, avant d’être mise au programme de l’école élémentaire (programmes des 23 – 28 mars 1938, cours supérieur, Première année), qui recommande « les observations en classes-promenades sur la production végétale, la production animale, les industries de la ferme » au cours desquelles « la conversation est orientée vers l'analyse du paysage. Leçon de géographie, de botanique, d'agriculture ? Non certes ; mais un appel à l'observation directe où la formule, trouvée parfois, d'autres fois suggérée, vient à son heure et comme d'elle-même - la formule qui sera reprise plus tard en classe - sous une forme plus méthodique ». Cette innovation institutionnelle s’accompagne alors de l’édition de cahiers de classes-promenades. En 1969 et jusqu’en 1985, l’introduction des disciplines d’éveil dans le primaire, en remplacement de l’histoire-géographie, des sciences de l’observation, de la musique et du dessin témoigne à nouveau de l’intérêt qu’attache l’institution au développement de l’observation et de l’expérimentation dans les classes élémentaires, dont déjà, en 1945, les Instructions officielles critiquaient « les médiocres résultats depuis 1887» en raison de « sa forme savante, abstraite, encombré de termes techniques, dont les élèves ne comprennent pas le sens » (BO n° 3, 10 janvier 1946, p. 93-94).

Ainsi, l’étude par le local a toujours été présente dans la géographie scolaire, promue par une avant-garde de pédagogues issus des courants de l’éducation nouvelle, ou par l’institution elle-même. Ce qui change en 2008 et en 2010, c’est moins la nature de l’étude que la place qui lui est accordée : de périphérique jusque-là et réservée aux classes du

primaire, l’institution entend lui donner une place plus centrale, en l’introduisant non seulement dans les classes de primaire (le programme prévoit en effet que les élèves étudient « les réalités géographiques locales » (BO Hors-Série n°3, 19 juin 2008) (que ce soient les paysages de village, ville ou de quartier, ou l’eau dans la commune) mais aussi en collège et en lycée. Autre argument qui montre l’importance que lui accorde désormais l’institution scolaire, le fait que dans les trois cas l’étude inaugure l’année scolaire, voire le cycle en primaire et au collège.

De plus, si l’introduction de ces questions est perçue comme une rupture par les enseignants appelées à les mettre en œuvre, c’est parce que l’étude par le local avait disparu des programmes depuis 1985, si ce n’est dans l’enseignement professionnel. En 1985 en effet, c’est la fin des disciplines d’éveil et de cette géographie de "plein vent" (Chevalier, 2007), qui plaçait l'éducation par les sens et l'apprentissage par l'expérience au premier plan. A celle-ci se substitue une pédagogie qui place le document au cœur de l'étude. Celle-ci semble alors plus à même d'enseigner aux élèves une géographie complexe, faite de réseaux et d'emboitements d'échelle, loin de la géographie-tableau qui dominait jusqu'alors, et favorisée par de nouveaux moyens technologiques permettant d'introduire dans la classe des documents plus variés, et même d'envisager l'étude de Systèmes d'Information Géographique (SIG). En 1995, l'introduction de l'étude du paysage dans les programmes, via des reproductions photographiques, s'inscrit dans cette logique.

Finalement, pour conclure ce paragraphe, on observe que l’introduction de l’étude des territoires du quotidien, comme de « mon espace proche », à la fin des années 2000, renoue avec une tradition de la géographie scolaire de développer un apprentissage de la géographie par le local. Dans la continuité de cette tradition, elle en renouvelle cependant les pratiques, et les étend aux niveaux collège et lycée, ce qui peut s’interpréter comme une volonté de favoriser une articulation entre la géographie spontanée et la géographie raisonnée. Les modalités de la sortie de terrain, dont on comprend implicitement qu’elle est la condition de la réalisation de cet objectif, restent cependant floues, et peuvent faire l’objet de multiples interprétations.

C. L’

ETUDE DES TERRITOIRES DU QUOTIDIEN

:

LES AMBIGUÏTES DE L

INSTITUTION

Outline

Documents relatifs