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Chapitre I : Etude Bibliographique

IV. Etude de mécanismes réactionnels par spectrométrie de masse

La spectrométrie de masse est une technique qui ne cesse d’évoluer et qui trouve des applications dans des domaines scientifiques de plus en plus variés (physique, chimie, biologie, médecine …). En effet, elle a été au départ développée par des physiciens pour étudier la constitution de la matière (électrons, isotopes,…). Elle a été plus tard utilisée par des chimistes pour l’analyse de mélanges complexes et pour obtenir des informations structurales de molécules organiques pures. Elle est également devenue indispensable en tant que détecteur pour la chromatographie en phase gazeuse et la chromatographie liquide. Les énorme progrès réalisés en spectrométrie de masse depuis de nombreuses années permettent aujourd’hui l’analyse de quasiment tous types de composés chimiques allant de petites molécules organiques jusqu’aux plus grandes molécules biologiques.

La spectrométrie de masse en tandem ou MS/MS est une avancée majeure dans le domaine. Différents appareillages peuvent être utilisés pour réaliser ce type d’analyse. Le principe est d’isoler un ion en particulier (ou une gamme d’ions) dans un analyseur et de le soumettre à un processus afin de pouvoir l’étudier. Les deux principaux processus sont CID (Dissociation

Induite par Collision) et CAR (Réaction Activée par Collision) : Processus CID (Dissociation Induite par Collision)

Dans le processus CID, l’ion isolé est mis en contact avec un gaz neutre et entre donc en collision avec ce dernier. La collision inélastique entraine le transfert de l’énergie cinétique des ions en énergie interne. L’ion entre donc dans un état excité. L’augmentation du chauffage vibrationnel engendré par l’excitation entraine la fragmentation de l’ion et la formation « d’ions fils ». Dans ce cas, la fragmentation est appelé décomposition unimoléculaire. Ce type d’expérience nécessite l’utilisation d’au moins deux analyseurs en série. Un premier de type quadripolaire ou piège d’ions par exemple qui permet de sélectionner un ion et un deuxième qui permet d’analyser les « ions fils » formés par collision avec le gaz neutre.

40 Processus CAR (Réaction Activée par Collision)

Ce processus est moins fréquemment mis en œuvre que le précédent, étant donné qu’en général la spectrométrie de masse est utilisée pour l’analyse de mélange ou la détermination de structure. Le processus CAR permet d’étudier la réactivité des ions en phase gaz avec un autre gaz. Dans ce cas, trois analyseurs de masse en série doivent être utilisés. En général ce sont trois analyseurs de type quadripôlaires qui sont utilisés et l’appareil est appelé TQ (triple quadripôlaire). Dans ce cas un ion est sélectionné dans le premier analyseur et ensuite introduit dans le deuxième analyseur contenant un gaz réactif à une pression adéquate. Les ions adduits formés peuvent ensuite être analysés dans le troisième analyseur de masse.

Le développement des techniques de type CID et CAR permet aujourd’hui l’étude poussée de réactions chimiques et l’observation d’intermédiaires réactionnels ioniques parfois complexe, souvent impossible en phase condensée. Ainsi, les mécanismes de nombreuses réactions de chimie organique ou de catalyse par des complexes organométalliques ont pu être confirmés par l’observation d’intermédiaires réactionnels. Le livre édité par Santos en 2010 « Reactive intermediates » recense une grande partie de ces études. Ici, nous nous intéresserons uniquement à l’étude des réactions d’oligomérisation et de polymérisation de l’éthylène par des complexes organométalliques. La première étude mécanistique de polymérisation d’oléfines par spectrométrie de masse a été réalisée par P.Chen et al. en 1998.[83] Ils se sont intéressés au système [Zr(Cp)2(Cl)2] activé au MAO développé par Kaminsky et al.[84] L’objectif de cet étude était de montrer que l’espèce active était bien l’espèce [Cp2Zr-CH3]+.Pour ce faire ils ont synthétisé cette espèce par traitement du complexe [Zr(Cp)2(Me)2] par un équivalent de diméthylanilinium tetrakis(pentafluorophenyl)borate. La solution de ce complexe dans un mélange CH2Cl2/acétonitrile est analysée par spectrométrie tandem avec une source ESI. Ce système étant très sensible à l’air, de nombreux signaux correspondants a des dimères pontés par des atomes d’oxygène sont observés mais l’ion majoritaire est tout de même [1+ACN]+(ACN = acétonitrile, Figure 29). En imposant des conditions de désolvatation en source plus sévères (augmentation du tube lense), l’ion [1]+ peut être observé majoritairement. Lorsque cet ion est soumis à un processus CID, la perte du méthyl est observée. Aussi, lorsque l’ion [1]+ est soumis à un processus CAR avec comme gaz réactif le butène-1, les espèces observées résultent de l’insertion de butène-1 dans la liaison Zr-CH3. Cela a donc permis de montrer que l’espèce active était bien 1 (Figure 29). Ainsi il a été montré que la réaction qui se déroule en phase liquide peut être reproduite en phase gaz dans la cellule de collision du spectromètre de masse. Une étude cinétique a cependant permis de montrer qu’il y avait une grande différence d’activité entre la phase gaz et liquide puisque la constante cinétique de second ordre en phase liquide est de l’ordre de 103 M-1 et en phase gaz de 108-109 M-1. Ceci s’explique principalement par le fait qu’en phase gaz aucun contre-ion ne « bloque » le site métallique.

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Figure 29 Etude de la polymérisation d’oléfines par Cp2ZrMe2/MAO

Une étude plus complète a été réalisée par Santos et Metzger sur le même système en 2006.[85] En utilisant un système de microréacteur en T, ils ont pu étudier le processus d’activation in

operando. En effet, ils ont réussi à observer majoritairement l’espèce active [Cp2ZrMe]+ en faisant réagir le complexe [Zr(Cp)2(Cl)2] avec du MAO puis en « quenchant » le mélange avec de l’acétonitrile juste avant l’entrée en source grâce au microréacteur. Ils ont ensuite fait réagir cette espèce avec de l’éthylène dans un processus de réaction activée par collision (CAR) et les ions correspondants à l’insertion de 1, 2, 3 et 4 molécules d’éthylène sont observés. Dans une deuxième expérience, en injectant le mélange complexe + activateur dans une voie, et de l’éthylène dissout dans du toluène dans l’autre voie, la polymérisation démarre en sortie du microréacteur. Le milieu réactionnel est « quenché » par l’ACN dans un deuxième microréacteur situé juste après le premier (Figure 30 (a)). De cette manière une large gamme d’espèce [Zr-alkyl]+ sont observées. Afin de montrer leur activité, les auteurs ont fait réagir avec de l’éthylène les espèces avec [Zr-propyl]+ et [Zr-hentetracontanyl]+ en processus CAR. Effectivement à partir de l’espèce [Zr-propyl]+ ils ont observé [Zr-pentyl]+, [Zr-heptyl]+, [Zr-nonyl]+ et [Zr-undecyl]+ et à partir de [Zr-hentetracontanyl]+ ils ont également observé l’insertion de 1, 2 et 3 molécules d’éthylène supplémentaires (Figure 30(b))

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Figure 30 (a) Système de deux microréacteurs en série (b) Etude de l'activité des expèces [Zr-propyl] et [Zr-

hentetracontanyl] en processus CAR

Une étude similaire à celle décrite précédemment a été réalisée par les mêmes auteurs en 2008[86] sur le complexe de polymérisation de Brookhart [Pd(diimine)] également activé au MAO.[87] Avec le même système de microréacteur, ils ont pu montrer l’activité des espèces alkyles de différentes longueurs de chaine. Dans l’étude précédente, la polymérisation n’avait pas lieu en présence d’acétonitrile. Ici ce n’est pas le cas donc le solvant utilisé est DCM/ACN (9/1). Ainsi les différentes espèces actives sont formées et peuvent être analysées en spectrométrie de masse. Par activation du complexe de base dans le microréacteur, l’espèce active [Pd-CH3]+ a été observée sous forme d’adduit avec ACN et s’est montrée active en CAR avec de l’éthylène. De plus, en ajoutant de l’éthylène grâce au microréacteur de la même manière que dans l’étude précédente, les espèces [Pd-alkyl]+ avec des chaines alkyles de différentes longueurs ont été observées. Ces espèces se sont également montrées actives vis-à-vis de l’éthylène puisque à partir des espèces [Pd-H]+ [Pd-Methyl]+ [Pd-Propyl]+et [Pd-Pentyl]+, les espèces correspondantes à l’insertion d’1, 2 ou 3 molécules d’éthylène ont été observées en processus CAR.

Dans les études présentées sur la caractérisation des espèces actives de polymérisation de l’éthylène, l’activation des complexes de zirconium et de palladium ont été réalisées soit en schlenk soit grâce à un microréacteur relié directement à la source ESI du spectromètre de masse. Plus récemment, une nouvelle technique a été mise au point par Zare et al. ou l’activation du précurseur de [Zr(Cp)2(Cl)2]par le MAO est réalisée dans le coin d’une plaque en verre de microscope (Figure 31)[88].

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Figure 31 (a) Montage réalisé avec une plaque en verre de microscope (b) Suivi de la réaction de polymérisation de

l’éthylène par Cp2ZrCl2/MAO

Au même titre que les montages précédents, ce système a permis d’observer l’espèce active [Zr-CH3]+ sous forme d’adduit avec de l’acétonitrileou du THF. Le principal avantage de cette technique est qu’elle permet d’avoir des temps morts très faibles puisque les espèces actives formées ne séjournent pas dans un capillaire (comme c’est le cas avec un microréacteur) mais sont directement analysées en masse. Cependant elle présente deux inconvénients, le premier est le mélange des différents réactifs. En effet, les auteurs n’ont pas montré que le mélange était bien homogène sur la plaque de verre. De plus un inconvénient identifié par les auteurs est l’évaporation du solvant sur la plaque de verre qui crée des gradients de concentration et donc qui ne permet pas d’avoir un signal stable.

Pour finir sur l’étude de la polymérisation de l’éthylène par spectrométrie de masse, Chen et al. ont mis au point en 1999 une méthode permettant d’évaluer des catalyseurs de type [Pd(diimine)] par spectrométrie de masse afin de voir celui qui permettrait de faire les chaines de polymère les plus longues.[89] Ainsi, ils ont mélangé 8 complexes [Pd(diimineR)] avec des substituants R différents en présence d’activateur (AgOTf) et d’éthylène pendant 1h dans le DMSO. Après « quench » avec de l’acétonitrile, le mélange est analysé en ESI-MS. Une large gamme d’ions est observée et les ions correspondants aux espèces [DiimineR-Pd-alkyl] de m/z supérieur à 1000 puis 2200 sont sélectionnés. En fragmentant ces ions par CID, différents ions [DiimineR-Pd-H] sont obtenus pour les m/z supérieurs à 1000 (Figure 32 (a)). En revanche pour les m/z supérieurs à 2200, une seule espèce [Diimine-Pd-H] est observée (Figure 32(b)). Ainsi, ils ont pu montrer quelle diimine permettait de faire les chaines de polyéthylène les plus longues.

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Figure 32 (a) Spectre des ions filles après CID sur les ions de m/z >1000 (b) Spectre des ions filles après CID sur les ions de

m/z >2200

Une revue publiée en 2003 par P.Chen recense les exemples de screening de catalyseurs par spectrométrie de masse pour des réactions variées.[90] De plus J.N.H. Reek et al. ont publié en 2010 un article dans Nature dans lequel ils ont également évalué différentes phosphines pour l’alkylation allylique au palladium.[91] Dans cette étude, ils partent du principe que l’intermédiaire le moins stable sera le plus actif en catalyse. Cette étude est très intéressante puisque les résultats des tests catalytiques sont en accord avec les résultats obtenus en spectrométrie de masse.

Ainsi plusieurs études ont été réalisées sur la réaction de polymérisation de l’éthylène. Dans ces exemples l’espèce d’intérêt était un complexe contenant une liaison alkyl ou métal-hydrure et l’insertion d’éthylène dans cette liaison était étudiée. Dans la réaction d’oligomérisation de l’éthylène par mécanisme de polymérisation dégénérée, l’espèce active supposée étant identique, une étude mécanistique par spectrométrie masse similaire a été réalisée par Santos et al.[92] en 2015. Cette étude concerne un complexe de NiII allyl cationique présentant de l’activité en oligomérisation par activation avec B(C6F5)3. L’espèce active [Ni-H]+ a été observée. Cependant en ajoutant de l’éthylène sur le mélange complexe + activateur grâce à un microréacteur, aucune espèce de type [Ni-alkyl]+ n’a été observée. Les auteurs émettent l’hypothèse que la courte durée de vie de ces espèces ne permet pas de les observer. Une étude par CAR avec de l’éthylène comme gaz réactif pourrait certainement permettre de les observer.

Pour résumer, les espèces actives de réaction de polymérisation de l’éthylène avec des complexes organométalliques au zirconium et au palladium ont pu être générées par différents

(a) (b)

45 systèmes tels qu’un microréacteur ou une simple plaque en verre de microscope. Elles ont pu être observées en ESI-MS et leur activité catalytique a pu être montrée en réalisant des processus CAR en présence d’éthylène. Un système d’oligomérisation de l’éthylène au nickel a également été étudié par spectrométrie de masse et l’espèce active [Ni-H]+ a pu être observée. Contrairement aux résultats obtenus avec les réactions de polymérisation, les espèces [Ni-ethyl]+ ou [Ni-butyl]+ n’ont cependant pas pu être observées.

Pour conclure sur cette partie, la spectrométrie de masse est une technique qui a longtemps été dédiée à la caractérisation d’espèces chimiques. Depuis plusieurs années, des développements ont été effectués et il est aujourd’hui possible d’élucider des mécanismes réactionnels. Ainsi la spectrométrie de masse s’inscrit totalement dans ce projet de part ces deux aspects. En effet, elle va pouvoir nous permettre de caractériser des complexes de nickel par HRMS grâce à l’analyseur de masse FTICR mais également d’étudier des mécanismes réactionnels suivant différentes approches : en analysant un milieu réactionnel ex situ mais également en analyse in

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