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6. Pompe biologique du carbone et thorium 234 125

6.1.2 Quelques m´ ethodes d’estimation

Il existe plusieurs m´ethodes pour estimer l’intensit´e de la pompe biologique du carbone, localement ou `a l’´echelle mondiale. La plus simple consiste `a mesurer directement le flux descendant de particules au moyen d’un pi`ege `a particules. Cette m´ethode est couramment employ´ee pour estimer le flux vertical de carbone `a plus de 1000 m de profondeur (Scholten et al.,2001;Honjo et al.,2008). Cependant, elle est difficile `a appliquer pr`es de la surface car elle y souffre de trois biais importants (Lampitt et al.,2008). Le premier biais est de nature hydrodynamique : les pi`eges `a particules perturbent le courant autour d’eux. Dans l’oc´ean de surface, cette perturbation peut ˆetre plus importante que la vitesse de chute des particules. Le deuxi`eme biais est de nature biologique : le zooplancton est attir´e par les pi`eges `a particules et peut modifier leur contenu en s’y alimentant ou en les contaminant par des carcasses, des excr´ements et des mues. Enfin, les particules pi´eg´ees aux faibles profondeurs subissent une dissolution substantielle. Outre ces biais, les mesures directes sont localis´ees dans le temps et dans l’espace. Or la pompe biologique est tr`es variable, ce qui rend difficile toute estimation de sa moyenne globale `a partir de mesures locales.

Figure 6.3: (a) Efficacit´e d’export d’apr`es le mod`ele de Henson et al. (2011). Les cercles repr´esentent les mesures de 234Th utilis´ees. (b) Moyenne annuelle d’export de car-bone d’apr`es le mˆeme mod`ele (en gC m−2a−1).

L’export de carbone en-dessous de la couche euphotique a bien plus souvent ´et´e estim´e par des m´ethodes indirectes, fond´ees sur des bilans de traceurs chimiques dissouts, car celles-ci pr´esentent de nombreux avantages. En particulier, les traceurs contiennent une information moyenn´ee sur un certain intervalle de temps et d’espace, accessible en une unique mesure ponctuelle. Les m´ethodes indirectes les plus courantes sont fond´ees sur le cycle de l’azote et l’activit´e du 234Th.

Le cycle de l’azote a souvent ´et´e utilis´e car il permet de faire la distinction entre deux types de production primaire : la production nouvelle et la production r´eg´en´er´ee (Dugdale and Goering, 1967). Le phytoplancton assimile des nutriments pour produire sa mati`ere organique. Lorsque la mati`ere organique est d´egrad´ee, les nutriments sont reconstitu´es et peuvent entrer dans un nouveau cycle en ´etant `a nouveau consomm´es. On appelle production r´eg´en´er´ee la production primaire `a partir de nutriments re-cycl´es directement dans la couche euphotique o`u vit le phytoplancton, et production

nouvellecelle qui utilise des nutriments d’une autre origine, comme l’oc´ean profond, l’at-mosph`ere ou les continents. L’azote est un nutriment qui pr´esente la particularit´e d’ˆetre assimilable sous plusieurs formes chimiques d’origines diff´erentes (Fig 6.4). Dans l’oc´ean

de surface, le recyclage de l’azote produit de l’ammonium et des mol´ecules organiques

simples sources d’azote, comme l’ur´ee et les acides amin´es. Ces nutriments alimentent la production r´eg´en´er´ee. En-dessous de la couche euphotique, la mati`ere organique est remin´eralis´ee en ammonium, puis cet ammonium est oxyd´e en nitrate par un processus appel´e nitrification avant de remonter en surface. D’autres sources d’azote existent, comme les nitrates des eaux souterraines ou la fixation du diazote de l’atmosph`ere par certains organismes. La fixation est aujourd’hui estim´ee `a 140 TgN par an (Voss et al.,

2013), ce qui correspond environ `a 0,9 GtC par an (en supposant un rapport C:N de 122:16 pour la production r´eg´en´er´ee). Souvent, la production nouvelle a ´et´e reli´ee exclusivement aux nitrates ´emanant de l’oc´ean profond et les autres sources ont ´et´e n´eglig´ees. Dans ce cas, `a l’´etat stationnaire et dans une r´egion assez grande pour n´egliger le transport lat´eral, chaque atome d’azote qui remonte des profondeurs sous forme d’ion nitrate doit ˆ

etre compens´e par la chute d’un atome d’azote sous la couche euphotique. Si le rapport C:N des particules est connu, il est alors possible de d´eduire le flux d’export de carbone de la consommation d’ions nitrate dans la couche euphotique. En utilisant un isotope lourd d’azote, l’azote 15, pour calculer la vitesse d’absorption des diff´erentes formes d’azote (Neess et al., 1962; Dugdale and Goering, 1967), on peut estimer la production export´ee (Eppley and Peterson, 1979;Wilkerson et al., 1987; Sanders et al., 2005). En s’appuyant sur des dizaines d’´etudes de ce type et en extrapolant `a l’aide de donn´ees satellitaires,

Laws et al. (2000) ont estim´e que l’export de carbone organique ´etait de 12 GtC par an. Mais on sait aujourd’hui que cette m´ethode souffre d’un biais tr`es important : la nitrifica-tion n’a pas seulement lieu en-dessous de la couche euphotique. La moiti´e des ions nitrate seraient mˆeme produits dans l’oc´ean de surface (Yool et al., 2007). Ce biais conduit `a une surestimation de la pompe biologique, car une partie de la production r´eg´en´er´ee est identifi´ee `a tort comme nouvelle.

Le234Th fournit une approche alternative qui permet d’´eviter ce biais. L’existence d’un d´eficit de234Th compar´e `a l’238U dans les couches sup´erieures de l’oc´ean est connue depuis 1967 (Bhat et al.,1969). Ce d´eficit signifie que la d´esint´egration radioactive du234Th ne compense pas sa production : il existe donc un autre puits. Le thorium, insoluble dans l’eau, est adsorb´e par les particules, nombreuses dans la couche euphotique, et s´edimente avec elles. Il est donc tr`es li´e `a la PBC. On peut estimer le flux d’export de carbone `a une profondeur z `a partir du d´eficit de234Th de la surface jusqu’`a z et du rapport C:234Th des particules, comme nous le montrerons par le calcul dans la section suivante. L’´ecart entre le flux de carbone d´eduit du d´eficit et celui collect´e par les pi`eges `a particules permet mˆeme de d´eterminer l’efficacit´e de ces derniers et le facteur de correction `a leur appliquer.

Matsumoto (1975) a mesur´e que l’activit´e m´ediane en234Th dans les 200 premiers m`etres du Pacifique Nord ´etait ´egale `a 80% de l’activit´e de l’238U et en a d´eduit que le temps de

Figure 6.4: Sch´ema du cycle de l’azote dans l’oc´ean de surface (Eppley and Peterson,1979)

r´esidence moyen du234Th vis-`a-vis du lessivage par les particules (scavenging) ´etait de 0,38 ans. Cela rend ce traceur particuli`erement adapt´e pour ´etudier l’export de carbone dans cette partie de l’oc´ean. En revanche, le 234Th semble contenir peu d’information sur l’oc´ean profond, o`u les particules sont bien plus rares, le temps de r´esidence du thorium plus ´elev´e, et l’activit´e en234Th plus proche de l’´equilibre s´eculaire. En utilisant la m´ethode du 234Th, Henson et al. (2011) a calcul´e que le flux d’export de carbone `a 100 m de profondeur ´etait de 5 GtC par an. La dynamique des particules ne se limite pas au seul flux d’export de carbone `a la base de la couche euphotique. Comme nous le verrons, le

234Th permet de calculer le flux d’export `a n’importe quelle profondeur et certains taux de la dynamique particulaire. Mais cette m´ethode a ses propres limites. Elle ne prend pas en compte l’export sous forme de carbone organique dissout. Elle n´ecessite de d´eterminer le rapport C:234Th des particules, ce qui, comme nous le verrons dans la section suivante, est une tˆache difficile. Elle partage par ailleurs deux d´efauts avec les autres m´ethodes indirectes : elle tend `a n´egliger (i) les variations dans le temps des flux ´etudi´es et (ii) l’effet du transport par advection et diffusion.

D’autres m´ethodes indirectes existent, mais elles sont plus rares. Il est par exemple possible de calculer le flux d’export de carbone `a partir du taux d’utilisation de l’oxyg`ene en-dessous de la couche euphotique, si la vitesse de ventilation de la masse d’eau ´etudi´ee est connue (Jenkins, 1982).