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6. Pompe biologique du carbone et thorium 234 125

6.1.1 D´ efinition

6.2 M´ethodes fond´ees sur le thorium . . . 135 6.2.1 Estimations des flux de carbone . . . 135 6.2.1.1 Mod`ele `a un r´eservoir et export . . . 135 6.2.1.2 Mod`eles `a plusieurs r´eservoirs et dynamique particulaire . 139 6.2.2 Estimations des coefficients de partage . . . 143 6.2.2.1 D´efinition . . . 143 6.2.2.2 Mesures en laboratoire . . . 146 6.2.2.3 Mesures in-situ . . . 147 6.2.3 La mod´elisation inverse 3D du234Th `a l’´echelle mondiale : pour quoi

Le thorium est un ´el´ement non-conservatif : il participe `a certaines r´eactions chimiques de l’oc´ean. Du fait de sa tr`es faible solubilit´e dans l’eau de mer, il est adsorb´e par les particules et export´e vers le fond lorsque ces derni`eres coulent, r´eduisant d’autant sa concentration. Sa distribution spatiale et temporelle contient donc une information sur la dynamique des particules. Quatre isotopes de thorium sont utilis´es en oc´eanographie : le

234Th, le232Th, le230Th et le228Th. Ils sont suppos´es r´eagir tous de la mˆeme mani`ere avec les particules mais diff`erent par leur demi-vie et par leurs sources. Le 234Th pr´esente un int´erˆet particulier car sa source, la d´esint´egration de l’uranium 238, est tr`es bien connue, et sa demi-vie, 24,1 jours, est comparable au temps de r´esidence du thorium dans la couche de surface. Il constitue donc un proxy id´eal d’un processus important pour le climat et

bon nombre de cycles biog´eochimiques : la pompe biologique du carbone.

Dans ce chapitre, nous expliquerons le concept de pompe biologique du carbone et la raison pour laquelle elle est souvent estim´ee `a partir du 234Th. Les interactions entre le thorium et les particules ainsi que la mani`ere dont elles sont utilis´ees pour contraindre la dynamique des particules en g´en´eral et la pompe biologique du carbone en particulier seront d´etaill´ees. Ceci permettra de replacer le mod`ele inverse de234Th construit au cours de cette th`ese dans son contexte et d’expliquer son int´erˆet.

6.1 La pompe biologique du carbone (PBC)

6.1.1 D´efinition

Le cycle du carbone joue un rˆole tr`es important pour les organismes vivants, qui

en consomment, et pour le climat, qui est en partie d´etermin´e par la concentration

de l’atmosph`ere en dioxyde de carbone (CO2) (Stocker et al., 2013). La concentra-tion de l’atmosph`ere en CO2 est contrˆol´ee par les ´echanges de carbone avec les autres r´eservoirs, comme le sol, le sous-sol (notamment les roches carbonat´ees et les hydrocar-bures), la biomasse et l’oc´ean (Fig 6.1). L’oc´ean contient de 40 `a 50 fois plus de carbone que l’atmosph`ere, essentiellement sous forme de dioxyde de carbone dissout, d’ions hy-drog´enocarbonate et d’ions carbonate, trois esp`eces chimiques collectivement appel´ees

carbone inorganique dissout  ou DIC  (Dissolved Inorganic Carbon). Une petite

modification de la concentration de l’oc´ean en DIC peut donc modifier tr`es fortement la concentration de l’atmosph`ere en (CO2). On estime ainsi que l’oc´ean a pu absorber un quart du CO2 ´emis par les activit´es humaines depuis le d´ebut de l’`ere industrielle (Orr et al., 2001). Il suffit de quelques ann´ees pour que la concentration de DIC dans l’oc´ean de surface et la concentration de (CO2) dans l’atmosph`ere s’´equilibrent. Mais c’est de loin l’oc´ean profond qui a les plus grandes capacit´es de stockage du fait de son tr`es grand volume. La concentration en DIC y est plus ´elev´ee qu’en surface. On appelle pompes du carbone les processus qui contrˆolent ce surplus. Les pompes du carbone pi`egent des milliers de gigatonnes de carbone (GtC) `a l’´ecart de l’oc´ean de surface, de la biosph`ere

terrestre et de l’atmosph`ere, soit plus que la quantit´e de carbone de l’atmosph`ere. Elles jouent donc un rˆole essentiel dans le cycle du carbone.

Figure 6.1: Sch´ema du cycle du carbone (Stocker et al., 2013). Les perturbations de flux dues aux activit´es humaines sont en rouge.

On distingue deux pompes du carbone. L’une d’elle est contrˆol´ee uniquement par des processus physiques, tandis que l’autre a pour origine l’activit´e des microorganismes ma-rins. Le CO2, comme tous les gaz, est plus soluble dans l’eau froide que dans l’eau chaude. En particulier, les eaux de l’Atlantique Nord et de l’oc´ean Austral sont plus riches en CO2 que la moyenne des eaux de surface. Or ce sont ces eaux froides qui plongent et remplissent l’oc´ean profond, ce qui contribue `a la pr´esence de plus fortes concentrations en DIC en profondeur qu’en surface. Ce processus, appel´e pompe par solubilit´e, expliquerait en-viron 30 `a 40% du gradient vertical de DIC (Toggweiler et al., 2003; Schmittner et al.,

2007). Les 60 `a 70% restants seraient dus `a lapompe biologique du carbone (PBC). La PBC, ´etudi´ee depuis la fin des ann´ees 1970 (Eppley and Peterson, 1979), est le flux de carbone de la surface vers l’oc´ean profond dˆu `a l’activit´e biologique. On estime que

ce flux est compos´e de particules d´etritiques (Volk and Hoffert, 1985), mais aussi, pour environ 20%, de carbone organique dissout (Hansell and Carlson, 1998), et pour 10 `a 50% de la migration verticale d’organismes qui se nourrissent en surface mais excr`etent en profondeur (Bianchi et al., 2013). La PBC exporte en profondeur la mati`ere orga-nique produite dans les eaux superficielles par tous les ˆetres vivants : c’est la pompe des tissus mous, la plus importante. Elle exporte aussi des particules de carbone inorganique (surtout du carbonate de calcium) produites par certains organismes marins comme les coccolithophores et les foraminif`eres : c’est la pompe des carbonates. La PBC se d´eroule conceptuellement en trois ´etapes (Fig 6.2).

La premi`ere ´etape consiste `a transf´erer des atomes de carbone du DIC vers des esp`eces chimiques organiques : c’est laproduction primaire(PP). On distingue deux formes de PP : la production primaire brute ou GPP (Gross Primary Production) est la quantit´e to-tale de mati`ere organique produite, tandis que la production primaire nette ou NPP (Net Primary Production) est ´egale `a la GPP moins la respiration par les producteurs primaires. La NPP est fondamentale pour les ´ecosyst`emes marins car elle peut ˆetre consomm´ee par des producteurs secondaires pour fabriquer leur propre mati`ere organique. Les principaux producteurs primaires sont les v´eg´etaux, qui produisent leur mati`ere organique et du di-oxyg`ene par photosynth`ese, `a partir d’eau et de dioxyde de carbone, en utilisant l’´energie lumineuse. Dans l’oc´ean, la photosynth`ese est essentiellement l’œuvre du phytoplancton (algues unicellulaires) et ne peut avoir lieu que dans la couche dite euphotique o`u la lumi`ere du Soleil p´en`etre en assez grande quantit´e. Une partie des particules carbonat´ees est aussi produite dans cette couche. L’´epaisseur de la couche euphotique d´epend de la transparence du milieu. Elle est souvent de l’ordre de 100 m dans l’oc´ean ouvert. Depuis les ann´ees 1950, on sait estimer la production primaire locale en fournissant du carbone 14 au phytoplancton et en mesurant son assimilation par photosynth`ese (Steemann Niel-sen, 1952). Aujourd’hui, des mod`eles utilisant les donn´ees satellitaires ou un mod`ele de circulation g´en´erale sont utilis´es pour extrapoler les mesures locales et produisent des estimations de la NPP annuelle mondiale de l’oc´ean de l’ordre de 40 et 70 gigatonnes de carbone (GtC) (Carr et al., 2006), soit le mˆeme ordre de grandeur que la NPP par la v´eg´etation terrestre (Field et al., 1998).

La deuxi`eme ´etape de la PBC est l’export du carbone organique et des carbonates sous la couche euphotique. Les ´ecosyst`emes marins produisent en permanence des particules (cellules mortes, agr´egats, pelotes f´ecales ...) qui, plus denses que l’eau, coulent. Leur vitesse de chute est d’autant plus rapide qu’elles sont de grande taille, conform´ement `a la loi de Stokes. Ainsi, d’apr`es McCave (1975), les particules sph´eriques de 350 µm de diam`etre coulent d’environ 100 m par jour, tandis que celles de 3 µm de diam`etre coulent plutˆot de 10 cm par jour, soit 1000 fois moins vite. Cette d´ependance est tr`es forte mais n’explique pas enti`erement la vitesse de chute. Cette derni`ere d´epend aussi de la forme des particules et de leur nature chimique : ainsi une particule riche en min´eraux de ballast comme le carbonate de calcium ou la silice coulera plus vite qu’une particule compos´ee uniquement de mati`ere organique. En cons´equence, la majorit´e de l’export se fait sous forme de particules de grandes taille ou riches en min´eraux, tandis que les petites particules doivent former des agr´egats pour pouvoir couler. La majorit´e de la mati`ere organique ne coule pas assez vite pour atteindre la profondeur de 100 m et est remin´eralis´ee pr`es de la surface : le zooplancton et les bact´eries la consomment et reconstituent ainsi des esp`eces min´erales, dont le dioxyde de carbone. Cette mati`ere reste donc dans la couche euphotique

et peut entrer dans un nouveau cycle. La mati`ere organique export´ee sous la couche

euphotique est elle aussi remin´eralis´ee mais elle n’est pas disponible imm´ediatement pour un autre cycle. La quantit´e de carbone export´ee `a l’´echelle mondiale est connue avec une

pr´ecision assez faible. Elle est estim´ee selon les ´etudes entre 5 GtC (Henson et al., 2011) et 12 GtC (Laws et al., 2000) par an, soit entre 10% et 25% de la production primaire

marine. On dit que l’ efficacit´e  de la PBC est comprise entre 10% et 25%. Cette

proportion est g´en´eralement plus ´elev´ee aux hautes qu’aux basses latitudes (Fig 6.3). La troisi`eme et derni`ere ´etape de la PBC est le stockage du carbone en profondeur. Plus la remin´eralisation et la dissolution des particules sont lentes, plus le carbone atteint des profondeurs importantes et plus il est pi´eg´e pendant une longue dur´ee avant que la circulation ne lui permette de remonter vers les eaux superficielles. Dans certains bassins, il est possible de pi´eger le carbone jusqu’`a 1500 ans s’il atteint le fond (DeVries and Primeau, 2011), mais la dur´ee moyenne de stockage du carbone d’origine biologique sous la couche euphotique est plutˆot de l’ordre de quelques centaines d’ann´ees (DeVries et al.,

2012). Plus le carbone est pi´eg´e pour une longue dur´ee, `a flux ´egal, plus le gradient vertical cr´e´e par la PBC est grand et plus la quantit´e de carbone pi´eg´ee sera importante `a l’´etat stationnaire.

Comme le phytoplancton n’est pas limit´e par le DIC, relativement abondant dans l’eau de mer, on consid`ere g´en´eralement que l’augmentation de la concentration atmosph´erique en CO2 depuis le d´ebut de l’`ere industrielle a eu peu d’impact sur la PBC jusqu’`a pr´esent et que seule la pompe par solubilit´e a ´et´e affect´ee. `A l’avenir cependant, le r´echauffement climatique pourrait perturber la PBC, par exemple en stratifiant davantage les oc´eans et en acc´el´erant la consommation de carbone organique par respiration (Wohlers et al.,

2009).