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Chapitre I l'embryon préimplantatoire

III- 2-4) Etat transcriptionnel et régulation

Les ARNr représentent environ 80% de la quantité totale d’ARN dans une cellule mais les besoins cellulaires diffèrent en fonction de l'état et du type cellulaire (cellule indifférenciée / différenciée). Ceci implique une régulation importante de la synthèse des ARN ribosomiques. Deux niveaux de régulation ont été décrits (Grummt 2003; Grummt 2007; Grummt 2010). A court terme, il y a modulation du taux transcriptionnel de chaque locus d'ADNr impliquant des modifications réversibles des facteurs de la machinerie transcriptionnelle. Le deuxième niveau correspond à la régulation à plus long terme et passe par la modulation du nombre de séquences ribosomiques actives (Lawrence et al. 2004; Grummt 2007; McStay and Grummt 2008; McKeown and Shaw 2009; Bártová et al. 2010; Grummt and Längst 2013). Il a en effet été démontré par la technique de photo-pontage au psoralen que les séquences actives présentent une structure de type euchromatique et qu'à l'inverse, les séquences inactives sont plutôt de type hétérochromatique. Il a été suggéré que la moitié des séquences ribosomiques seraient ainsi constitutivement inactives alors que l'activité transcriptionnelle de l'autre moitié serait régulée par des facteurs externes et pourrait passer par 3 états transcriptionnels différents: l'état inactif, actif ou en pause (Conconi et al. 1989; Toussaint et al. 2005; Sanij et al. 2008; Sanij and Hannan 2009b). Il a aussi été suggéré que certaines séquences ribosomiques pourraient être transcriptionnellement "compétentes" en raison de la persistance de la structure euchromatique des gènes ribosomiques au cours de la mitose et ce malgré l’arrêt de la transcription. Je détaillerai ci-dessous uniquement les 3 états: inactif, actif ou en pause.

ADNr inactif

Les séquences ribosomiques inactives présentent une structure chromatinienne condensée caractérisée par la présence de marques épigénétiques répressives (hypoacétylation de H4, méthylation de H3K9 et H4K20 ou encore méthylation des îlots CpG notamment celui en position -133 par rapport au site d'initiation de la transcription) (Zhou et al. 2002; Santoro and Grummt 2005). La répression épigénétique des ADNr est mise en place par le complexe NoRC (nucleolar remodeling complex) (Strohner et al. 2001; Santoro et al. 2002; Strohner et al. 2004; Zhou and Grummt 2005; Anosova et al. 2015). Ce complexe appartient à la famille des complexes de remodelage ATP-dépendant. Il est composé d’une sous-unité ATPase (SNF2H, sucrose non fermenting 2 homolog) et d’une large sous-unité TIP5 (TTF-I interacting protein 5). Ces sous-unités sont impliquées dans différents mécanismes épigénétiques (figure III-15) (Schultz et al. 2001; McStay and Grummt 2008).

86 NoRC est recruté par TTF-I dans la région promotrice des ADNr au niveau du site de terminaison T0, avec le complexe corépresseur SIN3 (contenant des enzymes histones désacétylases) ainsi que des DNMTs (Zhou et al. 2002; Santoro et al. 2002). D’autres protéines sont également impliquées dans la régulation épigénétique des gènes ribosomiques. C’est le cas du variant d’histone macroH2A (Cong et al. 2014) dont la présence au niveau du promoteur des gènes ribosomiques empêche le recrutement de l’ARN pol I et du facteur de transcription UBF. En résumé, le remodelage de la chromatine et la répression épigénétique mise en place bloque la fixation d’UBF et l’assemblage du complexe de pré-initiation de la transcription (Santoro and Grummt 2001; Santoro et al. 2002; Santoro and Grummt 2005; Li et al. 2006).

Figure III-15: Modèle du mécanisme d’inhibition des gènes ribosomiques. (a) NoRC est recruté sur le promoteur des ADNr par TTF-I, fixé au promoteur proximal T0. (b) Ensuite NoRC interagit avec le complexe de corépression Sin 3 (entraînant la désacétylation des histones H3 et H4) et avec les histones méthyltransferases (HMTs) qui méthylent H3K9, H3K20, et H3K27. (c) Ces modifications d’histones caractéristiques de l’hétérochromatine seraient reconnues comme signal pour l’ATPase SNF2H qui décalle le nucléosome associé au promoteur de 25 nucléotides (nt) plus en aval. Cette position est défavorable à la formation du complexe de préinitiation de la transcription. (d) Sous l’action de SNF2H, le dinucléotide CpG en position –133 se retrouve accessible à la méthylation par les ADN méthyltransférases (DNMTs. La méthylation du CpG en position -133 empêche la fixation d’UBF et l’assemblage du complexe de préinitiation de la transcription. Source: McStay and Grummt 2008.

87 ADNr actif

Contrairement aux séquences inactives, les séquences ribosomiques actives présentent une chromatine décondensée, « ouverte », facilitant ainsi l’accès à la machinerie transcriptionnelle. Le promoteur de ces séquences est caractérisé par la présence d’acétylation sur les histones H3 et H4, de la présence d'H3K4me3 et de l'absence de méthylation au niveau des îlots CpG (Santoro et al. 2002; Zhou et al. 2002; Lawrence et al. 2004; Santoro and Grummt 2005; Earley et al. 2006).

Le complexe CSB (Cockayne syndrome protein B) est impliqué dans la formation de cette structure décondensée de la chromatine. CSB est membre de la famille des complexes de remodelage de la chromatine ATP-dépendants « SWI/SNF2 » qui altèrent les interactions entre l’ADN et les histones modifiant ainsi l'organisation de la chromatine (Lake and Fan 2013). CSB serait recruté au niveau du promoteur des ADNr actifs par TTF-I. CSB, en tant que complexe de remodelage associé à la machinerie transcriptionnelle ARN pol I, favoriserait l’établissement de la structure euchromatique au niveau des promoteurs des gènes ribosomiques actifs (Bradsher et al. 2002; Yuan et al. 2007; Xie et al. 2012) (Figure III-16).

Un autre mécanisme impliquant une histone déméthylase PHF8 (PHD finger protein 8) a aussi été décrit (Zhu et al. 2010; Feng et al. 2010). PHF8, appartenant à la famille de déméthylases JmjC, pourrait favoriser la déméthylation de H3K9me1 et H3K9me2 ce qui favoriserait "l'ouverture" de la chromatine et l’activation de la transcription.

Enfin, la présence du facteur de transcription UBF et de la nucléoline sur les séquences ribosomiques actives contribuerait aussi au maintien d’une structure euchromatique permissive à la transcription (figure III-17) (Sanij and Hannan 2009a; Cong et al. 2012). Des

Figure III-16: Colocalisation de CSB et de l’ARN pol I dans le nucléole. Images d’immunofluorescence montrant la co-localisation de l’ARN pol I avec CSB dans les nucléoles des cellules NIH 3T3. Image en contraste de phase à gauche. Modifiée à partir de Yuan et al. 2007.

88 données récentes ont notamment montré que la nucléoline associée aux séquences actives empêche le recrutement de TIP5 par TTF-1 bloquant ainsi l’action répressive de TIP5 (Cong et al. 2012).

ADNr en « pause »

L’état « en pause » des ADNr (poised rDNA en anglais) correspond à un arrêt de la transcription malgré une configuration chromatinienne décondensée. Cette configuration est essentiellement observée dans le cas de cellules en différenciation. Il a été montré que le complexe NuRD (nucleosome remodeling and deacetylation complex) est impliqué dans ce mécanisme de mise en pause (Xie et al. 2012; Ling et al. 2013). La composition du complexe NuRD lui confère des activités de remodelage de la chromatine et de modification d’histones, notamment par le biais d'histones désacétylases (Zhang et al. 1999; Hirose et al. 2002; Le Guezennec et al. 2006). Selon Xie et al. (2012), NuRD serait notamment impliqué dans la mise en place de marques épigénétiques distinctes de celles présentes au niveau des ADNractifs et inactifs. Le promoteur des ADNr en « pause » est caractérisé par l’absence de la méthylation de l’ADN au niveau des CpG du promoteur et l'hypoacétylation de H4 mais Figure III-17: Analyse de la distribution d’UBF sur une unité d’ADNr chez la souris par "ChIP-sequencing". Les fragments d’ADN liés à UBF puis isolés par immunoprécipitation (ChIP), ainsi que le fragment total d’ADNr génomique, sont séquencés (système d’analyse du génome GeneWorks, Australia). Toutes les séquences sont comparés à la séquence d’ADNr de souris complète, publiée (N° Gene bank: BK000964). Le graphe représente la fréquence de séquences ribosomiques enrichies en UBF et immunoprécipitées par rapport à la l'ADN génomique initialement utilisé. Barre d’échelle en kb ; le site d’initiation de la transcription est indiqué à 0 kb. En, éléments amplificateur; ETS, espaceur transcrit externe ; IGS,espaceur intergénique. Source : Sanij and Hannan 2008).

89 surtout par la présence de marques bivalentes H3K4me3/H3K27me3 (Xie et al. 2012). Les régions d'ADN bivalentes sont caractérisées par la présence des deux marques épigénétiques opposées, active (H3K4me3) et répressive (H3K27me3), et l'absence d'activité transcriptionnelle. Il est actuellement admis que la bivalence autorise une transition rapide, de la répression à l’activation des gènes, lors d’un stimulus de différenciation (Bernstein et al. 2006; Azuara et al. 2006). Ces deux marques sont catalysées par les enzymes MLL-1 (mixed lineage leukemia 1) et PRC2, respectivement, dont l’interaction avec NuRD a déjà été montrée par Reynolds et al. (2011).

La transition entre configuration en « pause » et « actif » des ADNr nécessite une coopération entre NuRD et CSB ainsi que le recrutement de l’histone acétyltransférase PCAF induisant l’acétylation des histones H3 et H4 afin de favoriser la formation du complexe de pré- initiation de la transcription PIC (Xie et al. 2012; Shen et al. 2013) (figure III-18).

En conclusion, la régulation de la transcription des ADNr est déterminée par TTF-I qui interagit avec trois complexes majeurs de remodelage de la chromatine à savoir NoRC, CSB et NuRD. La présence de l’un ou l’autre de ces facteurs induit notamment des modifications épigénétiques (modifications post-traductionnelles des histones et de l’ADN) connues pour leurs effets sur l’organisation de la structure chromatine. Il en résulte alors un effet permissif ou réfractaire à l’activation de la transcription.