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3. CHAPITRE 3 : LA CARTOGRAPHIE DU RUISSELLEMENT

3.1. ETAT DE L’ART DES METHODES DE CARTOGRAPHIE DU RUISSELLEMENT

La cartographie des aléas naturels est une information critique pour la gestion des risques. Les cartes peuvent servir pour l’aménagement des territoires, pour choisir des méthodes de gestion adaptées aux phénomènes et pour mettre en place des actions aux emplacements stratégiques (Saint-Marc, 2017). Concernant l’aléa inondation par débordement de cours d’eau, de nombreuses cartes sont disponibles, telles que les Atlas des Zones Inondables (AZI), les Cartographies Informatives des Zones Inondables (CIZI), ou les cartes des Plus Hautes Eaux Connues (PHEC) à l’échelle de la France. Il existe également, à l’échelle des collectivités, les Plans de Prévention des Risques Inondation (PPRI). Les débordements de cours d’eau sont plus aisés à étudier et davantage de données sont disponibles pour modéliser le phénomène. En revanche, l’aléa ruissellement est plus complexe à étudier car il peut se produire éloigné de tout cours d’eau et sur tous types de territoires. Il est généré par la pluie mais de multiples facteurs influencent le phénomène, le réduisant ou l’aggravant. Il existe différentes méthodes de cartographie du ruissellement, développées pour différents contextes et différents objectifs. Lors de la création de la méthode IRIP (Indicateur de Ruissellement Intense Pluvial), une revue bibliographique des méthodes de cartographie a été réalisée par Dehotin et Breil (2011a). Jaillet et al. (2012) et Poulard et Breil (2012) ont également réalisé une revue bibliographique des exemples français et européens de méthodes de cartographie de ruissellement dans le cadre de la directive inondation. Poulard et Breil (2012) avaient pour ambition de faire un état de l’art global, mais en raison de la rareté des cas d’étude et des différents contextes physiques, la bibliographie s’est très vite recentrée sur l’Europe. Cette section reprend en partie ces rapports. Les méthodes de cartographies sont présentées selon quatre types d’approches : naturaliste, topographique, par combinaison d’indicateurs et par modélisation physique. Trois méthodes sont davantage détaillées pour illustrer ces types d’approches : EXZECO, le modèle de l’INRA et RuiCells. 3.1.1. L’APPROCHE NATURALISTE

De nombreux Plan de Prévention des Risques (PPR) ruissellement utilisent des approches naturalistes pour réaliser leurs cartes. Les cartes sont basées sur une expertise locale, en croisant des observations terrain, des études hydro-géo-morphologiques et des données historiques (archives, témoignages, etc.). Des cartes préliminaires sont générées, puis des allers-retours sur le terrain permettent de les affiner (Marty et Thevenet, 2006). Jaillet et al. (2012) montrent que la majeure partie des zonages PPR Ruissellement en France utilise des approches naturalistes. Plusieurs exemples sont présentés tels que le PPR de la commune de Château-Thierry (Aisne), le PPR de la commune d’Assigny (Cher) (Figure I-62) ou le PPR de la commune d’Avallon (Yonne).

Partie 1 : Contexte de la thèse et enjeux scientifiques et opérationnels

FIGURE I-62: PLAN DE PREVENTION DES RISQUES RUISSELLEMENT DE LA COMMUNE ASSIGNY (CHER) EFFECTUE PAR LE BUREAU D'ETUDE ALP'GEORISQUES PAR APPROCHE NATURALISTE (SOURCE: ADAPTEE DE LA CARTE DES ALEAS DE LA COMMUNE

D’ASSIGNY3)

L’avantage de cette méthode est que les cartes obtenues sont assez précises et souvent cohérentes avec la réalité. L’inconvénient est la difficulté de répétabilité de la méthode, la difficulté pour l’application à de grandes surfaces et à des terrains peu connus ou difficiles d’accès. De plus, l’étude produite peut contenir de la subjectivité (focus sur les zones à enjeux et risques non anticipés pour d’éventuels nouveaux enjeux) et différentes zones sont difficilement comparables (les représentations cartographiques et les variables descriptives sont hétérogènes). Pour aider à la mise en place de ces PPR, l’état français propose une méthodologie pour cartographier l’aléa inondation (dont l’inondation par ruissellement pluvial urbain), dans un guide accessible en ligne (Ministère de l’aménagement du territoire et de l’environnement, 1999). Ce guide conseille la démarche naturaliste pour cartographier l’aléa. Il met néanmoins en lumière la complémentarité de lʼhydrogéomorphologie et de la modélisation hydraulique.

3.1.2. L’APPROCHE TOPOGRAPHIQUE

Les approches topographiques ont l’avantage d’être simples et nécessitent peu de données d’entrée, mais elles se focalisent davantage sur l’accumulation des eaux de ruissellement dans les talwegs que sur les dynamiques en versant. Elles ne prennent pas en compte les autres facteurs (type de sol, occupation du sol, géologie) qui diminuent ou amplifient le phénomène. La méthode EXZECO (Pons et al., 2010a, 2010b) peut être citée en exemple, ainsi que certains algorithmes de traitement de données topographiques disponibles via des logiciels SIG, permettant à tout utilisateur de faire des analyses plus ou moins approfondies sur des zones restreintes.

EXZECO, pour Extraction des Zones d’ECOulement, est un algorithme développé par le Cerema Méditerranée et industrialisé depuis l’année 2010 (Pons et al., 2010a, 2010b). La méthode est basée sur l’analyse automatique de la topographie à partir de traitements SIG sur des Modèles Numériques de Terrain (MNT). EXZECO utilise l’algorithme D8 disponible sur les logiciels SIG, qui permet, en fonction de la valeur d’altitude des pixels du MNT, de définir pour chacun d’entre eux une direction d’écoulement parmi les 8 possibles, les 8 pixels autour. Un seuil minimum de surface drainée est choisi pour identifier les zones d’écoulements représentées par les points. Le principe est ensuite de bruiter aléatoirement le MNT sur l’altitude, avec une valeur prédéfinie. Le bruitage est réitéré et à chaque itération, l’extraction des zones d’écoulement (via l’algorithme D8 et le seuil de surface drainée) est appliqué sur un MNT bruité

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différemment. Le bruitage est réitéré un nombre de fois prédéfinie. Finalement, EXZECO ne requiert qu’une donnée d’entrée, un MNT, et trois paramètres : la hauteur de bruitage, la surface drainée minimale et le nombre d’itérations. La carte ainsi obtenue représente les zones d’écoulements pour différents seuils de surface drainée. Plus la surface drainée est importante, plus la zone est foncée, signifiant que la zone est potentiellement inondable par ruissellement (Figure I-63).

FIGURE I-63: ILLUSTRATION D’EXZECO, (A) UN PROFIL EN TRAVERS AVEC UNE ITERATION A +2M ET LA DETECTION DE DIFFERENTS POINTS BAS, (B) ET (C) DEUX CARTES FINALES D’EXZECO, POUR 1 ET 1000 ITERATIONS SUR LA ZONE D’AIX-EN-PROVENCE, (D) LA

LEGENDE DES CARTES (SOURCE: PONS ET AL., 2010A)

La méthode fait quelques exceptions pour les zones plates et larges, notamment en tête de bassin et pour les zones endoréiques. Bien que la méthode requière d’importantes ressources de calcul, une carte a pu être réalisée sur la France entière et a été ajoutée à l’Enveloppe Approximative des Inondations Potentielles pour les cours d’eau (EAIPce). L’atout de cette méthode est qu’elle puisse être appliquée avec un grand rendement et elle est disponible via une application web. Néanmoins, bien que des travaux soient en cours pour intégrer l’hydrologie locale, cette méthode ne prend pas en compte d’autres facteurs influençant le phénomène, tels que les propriétés du sol ou l’occupation du sol.

3.1.3. L’APPROCHE PAR CROISEMENT DINDICATEURS

L’approche par croisement d’indicateurs consiste à croiser des données ne représentant pas nécessairement le même type d’information (de fond ou d’unité différente), afin de combiner des effets et faire ressortir des zones plus ou moins sensibles. Ce type d’approche a l’avantage de pouvoir prendre en compte de multiples facteurs et est souvent plus accessible à la compréhension et à la mise en œuvre. Les facteurs les plus récurrents dans ce type de modèle sont la topographie, l’occupation du sol, le type de sol ainsi qu’une pluie de référence, la combinaison de ces facteurs variant selon les auteurs. On peut citer par exemple le modèle de l’INRA pour la cartographie de l’aléa érosion à l’échelle nationale (présenté dans la section suivante), développé par (Cerdan et al., 2006) pour être appliqué à l’échelle départementale ; le modèle SCALES (Le Gouée et al., 2010) qui se focalise sur les parcelles agricoles et qui prend en compte des paramètres tels que les pratiques culturales ou les saisons. Le modèle ERRUISSOL développé à la faculté de Gembloux et à l’université de Liège (Wallonie) (Dautrebande et al., 2007; Demarcin et al., 2009). Poulard et Breil (2012) proposent de distinguer les zones de ruissellement diffus, les zones de ruissellement concentré et les zones d’érosion. Ces modèles nécessitent des données précises, souvent acquises par expertise, et se focalisent sur le processus d’érosion des sols, alors que pour des besoins de gestion du ruissellement il est important de disposer d’informations telles que les axes d’écoulement par exemple.

Piney (2009) fait une comparaison de ces trois modèles de ruissellement et d’érosion et conclut que le modèle ERRUISSOL a l’avantage d’être simple à mettre en œuvre et offre la possibilité d’une complexification croissante. Le modèle de l’INRA repose en grande partie sur les données de sol encore

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disponibles de façon très hétérogène. Cette comparaison rappelle également, que l’atout d’un modèle est d’être robuste et simple, que les tests d’application et d’évaluation doivent rester sur des bassins inférieurs à 100 km², et que les zones les plus dangereuses sont les talwegs et espaces de concentration du ruissellement, que les algorithmes des SIG peuvent déjà détecter efficacement. Il recommande pour la détection des axes de concentration l’utilisation de l’indice d’efficacité (Douvinet et al., 2008) et de l’indice topographique (Beven et Kirkby, 1979).

Le modèle de l’INRA a été proposé au début des années 2000 (Le Bissonnais et al., 2002) pour cartographier la sensibilité des sols à l’érosion. Il se base sur une méthode de croisement de type « arbre de décision ». Les indicateurs pris en compte, dans l’ordre d’apparition de l’arbre, sont : l’occupation du sol, la propension à la battance, la pente et la propension à l’érodabilité. L’ordre d’apparition des indicateurs dans l’arbre a été choisi pour que l’indicateur pouvant être influencé par l’activité humaine soit en premier. L’arbre de décision est différent après le premier indicateur : selon le type d’occupation du sol, les indicateurs suivants ne sont pas pondérés de la même façon. La combinaison de ces quatre premiers indicateurs donne une sensibilité potentielle « agro-pédo-géomorphologique » sur 4 niveaux (très faible, faible, moyen, fort). Le choix du niveau de sensibilité a été choisi via une étude bibliographique, des expérimentations terrain et des concertations d’experts. Ensuite, ce premier score est combiné avec un indicateur saisonnier d’érosivité des pluies, en 5 classes, donnant ainsi un niveau d’aléa érosion saisonnier. La combinaison se fait de la façon suivante : si l’érosivité est égale à 3, le niveau d’aléa reste le niveau de sensibilité ; s’il est supérieur à 3, le niveau d’aléa est égal au niveau de sensibilité plus 1 ; s’il est inférieur à 3, le niveau d’aléa est égal au niveau de sensibilité moins 1. Les différents critères de l’arbre de décisions sont présentés Figure I-64 pour l’occupation du sol de type « terre agricole ». L’aléa érosion final est sur cinq niveaux (Figure I-65).

FIGURE I-64: EXTRAIT DE L’ARBRE DE DECISION POUR L'OCCUPATION DES SOLS DE TYPE 'TERRE AGRICOLE' (SOURCE: LE BISSONNAIS ET AL., 2001)

Chapitre 3 : La cartographie du ruissellement

FIGURE I-65: CARTE D’ALEA EROSION INTEGREE PAR PETITES REGIONS AGRICOLES POUR LA SAISON AUTOMNE (SOURCE: LE BISSONNAIS ET AL., 2001)

L’avantage de cette méthode est qu’elle fait intervenir peu d’indicateurs. Elle est applicable à grande échelle, des cartes à l’échelle de la France ont été produites. Néanmoins, le choix des niveaux repose essentiellement sur l’expertise, ce qui peut être complexe pour des contextes climatiques ou géomorphologiques particuliers.

3.1.4. L’APPROCHE PAR MODELISATION PHYSIQUE

Les approches par modélisation représentent les phénomènes via des équations et mettent en œuvre des algorithmes pour résoudre les équations en chaque point d’un maillage plus ou moins précis de la zone d’étude. Ces types de modèles doivent néanmoins faire l’objet de calibration, requièrent souvent beaucoup de données d’entrée et sont également coûteux ou non disponibles pour des besoins opérationnels. Pour la cartographie du ruissellement par modélisation physique on peut citer de nombreux modèles tels que ANSWER (Beasley et al., 1980), KINEROS (Smith et al., 1995; Woolhiser et al., 1990), LISEM (DeRoo et al., 1996), RUSLE (Dabney et al., 2011; Renard et al., 1997), RuiCells (présenté dans la section suivante), STREAM/WATERSED (Cerdan et al., 2002a), ou encore WEPP (Nearing et al., 1989). Dans le cadre de la directive européenne inondation, le Royaume-Uni a réalisé une cartographie à l’échelle nationale via une approche par modélisation. Les cartes ont été réalisées par le bureau d’étude JBA Consulting et grâce au modèle Jflow-GPU, selon une approche « pluie-débit ». Les représentations cartographiques montrent les zones inondées par ruissellement considérant un scénario de pluie de période de retour 200 ans et générant des inondations pour des périodes de retour de 100 ans. Néanmoins, due à une forte incertitude, les cartes ne sont pas publiques sur tout le territoire, elles sont parfois uniquement destinées aux autorités locales.

Le modèle RuiCells, développé à l’université de Rouen depuis 1999, permet de simuler les débits ruisselés en tout point d’un bassin versant (D. Gaillard, 2006; Douvinet et al., 2014; Langlois et Delahaye, 2002). RuiCells se base sur le concept des automates cellulaires associés aux SIG pour créer un maillage en cellules triangulaires irrégulières où chaque élément (points, lignes, polygones) possède une représentation physique (cuvettes, talwegs, surface) avec la logique d’écoulement qui lui correspond (Figure I-66). Sont ensuite intégrées au modèle, les informations sur les caractéristiques de surface des sols (occupation du sol, propriétés du sol) ainsi que des données pluviométriques. L’organisation de ces cellules (de l’amont vers l’aval avec les directions) permet de simuler des écoulements hydrauliques en tenant compte des entrées et sorties de chaque cellule simultanément. Les équations de Saint-Venant

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sont adaptées pour simuler des écoulements sur des prairies ou zones cultivées. Six paramètres sont nécessaires pour résoudre les équations sur le maillage, tels que la vitesse maximale pour des pentes négligeables ou pour des pentes très fortes, les seuils de hauteur d’eau pour certaines pentes, etc. Ainsi, la sortie du modèle est un graphique montrant l’évolution du débit en fonction du temps accompagné d’une cartographie des cumuls de surface en chaque cellule (Figure I-67). Le modèle peut être utilisé pour de nombreuses applications hydrologiques telles que l’identification des axes d’écoulement, la cartographie des zones de production, la production de courbes de débits et des temps de concentration en chaque point, etc. Différentes conditions de sol ou de pluviométrie peuvent également être simulées. RuiCells permet de cartographier une dynamique spatiale et temporelle des écoulements de surface. Néanmoins, le modèle requiert un calage pour être utilisé sur de nouveaux bassins, il est difficilement applicable à grande échelle et un logiciel particulier est nécessaire pour réaliser le maillage et les simulations.

Chapitre 3 : La cartographie du ruissellement

FIGURE I-67: ILLUSTRATION D'UNE CARTE D'ALEA RUISSELLEMENT SUR 5 PETITS BASSINS VERSANTS ET COMPARAISON AVEC DES TRACES DE RUISSELLEMENT OBSERVEES (SOURCE: GAILLARD, 2006)

3.1.5. SYNTHESE

Cet état de l’art des méthodes de cartographie du ruissellement, bien que non exhaustif, permet de situer la méthode IRIP parmi le panel des méthodes qui existent actuellement. Les approches naturalistes sont assez précises mais les méthodes ne sont pas homogènes et ne permettent pas une cartographie à grande échelle. Les approches topographiques sont intéressantes car simple à mettre en œuvre et une donnée d’entrée suffit mais elles se focalisent uniquement sur les zones d’écoulement et n’informent pas sur les dynamiques de versant, notamment l’érosion par ruissellement. Les approches par combinaisons d’indicateurs permettent de combiner des informations sur les sols en plus de la topographie. Certaines méthodes prennent en compte des données climatiques telles que l’érosivité de la pluie. Néanmoins, le panel actuel montre des méthodes souvent mono-processus, se focalisant sur l’érosion des sols agricoles et nécessitant des données d’entrée assez précises. Les approches par modélisation physique sont très précises et permettent d’apprendre sur la dynamique spatiale et temporelle du ruissellement, mais elles sont souvent complexes à mettre en œuvre, nécessitant de nombreuses données d’entrée et des calages, ce qui les rend difficiles d’utilisation dans des contextes opérationnels. La suite du chapitre présente la méthode IRIP, utilisée dans la suite de nos travaux, son concept et son fonctionnement.