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Etat de l’art : connaissances générales de l’hydrologie des glissements-coulées

Plusieurs facteurs contrôlent la variabilité spatiale et temporelle du comportement hydrologique d’un glissement de terrain: les forçages atmosphériques, les conditions initiales de saturation, les propriétés hydrologiques du milieu et les caractéristiques géométriques du glissement (Malet, 2003). Le rôle fondamental de l’eau a été largement démontré comme la cause majeure des glissements de terrain (Iverson & Major, 1986 ; Iverson & Reid, 1992 ; Montgomery et Dietrich, 1994 ; Iverson, 2000). Il se traduit principalement par l’infiltration des eaux de pluie ou de la fonte du manteau neigeux modifiant les propriétés mécaniques des matériaux (consistance, viscosité), la répartition des pressions interstitielles et par là-même, celle des contraintes effectives et des forces de cohésion qui agissent sur le glissement. La génération de pressions interstitielles positives au niveau de la surface de glissement provoquée par une montée de la nappe phréatique sont les conséquences les plus fréquemment observées dans les glissements de terrain (van Asch et al., 1999 ; Malet, 2003). Les forces de percolation et l’érosion exercée typiquement en pied de glissements sont d’autres processus déstabilisateurs directement liés à l’eau (Parriaux, 2009).

La relation qui existe entre les contraintes effectives et les grandeurs hydrologiques (pression interstitielle, perméabilité) contrôle le comportement hydro-mécanique du glissement (Laloui et al., 1997). Les déformations peuvent influer sur les perméabilités et les pressions interstitielles. L’ouverture de fissures de traction facilite non seulement l’infiltration des eaux de ruissellement, mais aussi la diminution des (sur-)pressions interstitielles par drainage des eaux hors du glissement (Figure 4.1). Dans les zones de compression, les

Objectif de la partie : L’objet de cette partie est d’apporter des éléments complémentaires à la compréhension des chemins d’infiltration de l’eau dans la zone non saturée de glissements-coulées. Une conceptualisation des processus d’infiltration et l’identification de temps caractéristiques sont présentées à l’aide de l’imagerie de résistivité électrique.

Approche utilisée : Deux expériences d’infiltration à petite échelle (100 m2

) ont été réalisées en 2007 sur le glissement du Laval et le glissement-coulée de Super-Sauze. La progression du front d’infiltration en profondeur a été suivie par levés hydrologiques et par tomographies de résistivité électrique.

perméabilités peuvent être localement modifiées par une diminution de la porosité (déformation de la matrice solide), induisant une augmentation des pressions interstitielles si le milieu est peu perméable (Savage & Smith, 1986 ; Van Asch et al., 2006).

La perméabilité de la masse remaniée est généralement supérieure de plusieurs ordres de grandeurs à celle du substratum stable dans les glissements-coulées développés dans des marnes très tectonisées (Picarelli et al., 2005). La dépression dans la zone d’ablation et la subsidence de la masse créées par érosion de la surface basale facilitent le stockage d’eau dans les glissements-coulées (Corominas, 1995). En climats méditerranéens, le pic de pression interstitielle est rapidement atteint après la période de recharge au printemps et diminue progressivement dans l’année (Picarelli et al., 1999 ; Malet et al., 2005). Pendant la saison plus sèche (entre mai et décembre), les pluies de forte intensité ne produisent pas d’augmentations significatives de pression interstitielle en raison de l’évapotranspiration et de la faible perméabilité de la partie superficielle de la zone non saturée.

Les écoulements préférentiels affectant la zone non saturée et saturée jouent un rôle important sur le comportement des glissements-coulées (Figure 4.1). L’hétérogénéité structurale du milieu (fissures, géométrie de la stratigraphie) explique de nombreux types de réponses hydrodynamiques. Il s’avère donc nécessaire d’identifier les principaux processus pouvant contribuer à la redistribution tant verticale que latérale des précipitations alimentant la nappe phréatique. Une meilleur identification des chemins d’infiltration dans la zone non saturée est donc nécessaire (Bogaard et al., 2007).

Figure 4.1– Fissures partiellement saturées pendant un épisode pluvieux en juin 2002 (Malet, 2003) et fissures sèches en octobre 2008 sur le glissement-coulée de Super-Sauze.

L’analyse de l’hydrologie de glissements-coulées peut s’effectuer soit par :

- des observations et des mesures ponctuelles multi-paramètres sur le terrain (piézométrie, succion) ; - des expérimentations à plus petite échelle dont les enseignements sont transposés à l’ensemble du

glissement-coulée.

Les premières analyses croisées des paramètres hydrologiques mesurés et des observations in-situ permettent l’élaboration de modèles conceptuels, introduits ensuite dans un code de calcul numérique (Chowdhury & Flentje, 1998). Dans le cas du glissement-coulée de Super-Sauze, un premier modèle conceptuel puis numérique a été proposé par Malet (2003) fondé sur l’analyse des données d’observations (chroniques piézométriques, succion). Ce modèle conceptuel a été ensuite complété par les observations issues de données hydro-géochimiques (de Montety et al., 2006). Il s’agit maintenant de proposer un modèle conceptuel plus détaillé par des expérimentations à petites échelles et d’étendre la connaissance à d’autres glissements marneux. Ce travail s’appuie sur les connaissances antécédentes de l’hydrologie des glissements-coulées dont les aspects principaux sont présentés ci-après.

4.1.1 Connaissances antécédentes de l’hydrologie du glissement-coulée de Super Sauze

L’hydrologie du glissement de Super-Sauze est étudiée depuis 1997. Les principales caractéristiques hydrologiques sont présentées ici succinctement. On trouvera plus de détails dans Malet et al. (2005) et de Montety et al. (2006).

L’hydrologie du glissement de Super-Sauze est caractérisée par la présence d’une nappe d’eau libre continue dans les couches C1 et C2 localisée entre 1 et 2.5 m de profondeur (Malet, 2003). Le toit de la nappe reste proche de la surface topographique tout le long de l’année et s’approfondit légèrement vers l’aval dû au drainage vers le torrent de Sauze. Le système hydrologique répond de manière saisonnière aux forçages atmosphériques et dépend principalement de deux épisodes annuels de recharge se traduisant par des augmentations de pression interstitielle (Figure 4.2). La principale phase de recharge intervient au printemps lors de la fonte des neiges, la seconde phase, mineure, intervient en automne. De manière générale, l’aquifère subit un drainage lent progressif directement après la recharge principale jusqu’à la fin mai - mi-avril de l’année suivante. Les battements de la nappe atteignent généralement 2 à 2.5 m.

Figure 4.2 – Relations entre le niveau piézométrique et les taux de déplacements observés sur le glissement-coulée de Super-Sauze en 1999, 2000 et 2001. Deux périodes de recharges sont identifiées au printemps et en automne (Malet, 2003).

Bien que les fluctuations piézométriques suivent la même tendance à l’échelle de la coulée, elles dépendent fortement, à plus grande échelle, des conditions locales (gradient de perméabilité, géométrie interne). De plus, indépendamment des conditions initiales de saturation de la zone non saturée, la rapidité des réactions piézométriques à l’échelle de l’événement pluvieux ne peut pas être expliquée uniquement par l’infiltration matricielle (Ksat de la matrice = 10-6

à 10-5 ms-1

) (Malet et al., 2003). Elle résulte de la combinaison entre écoulements matriciels et écoulements préférentiels dans un réseau de fissures interconnectées (Figure 4.1). Ce réseau de fissures diminue significativement le temps de réponse de la nappe aux évènements pluvieux. Il permet aussi de réduire les montées brusques de pressions interstitielles en drainant les volumes d’eau en excès à l’extérieure de la coulée. La profondeur moyenne du réseau de fissures est estimée entre la zone saturée et la zone non saturée.

Trois zones hydro-géomorphologiques ont été identifiées à partir des fluctuations piézométriques, de la géomorphologie et des états de surface des organisations pelliculaires (Malet, 2003) (Figure 4.3). La plus importante densité de fissures correspond à la zone 1 qui est la partie la plus active du glissement. Cette zone est caractérisée par des niveaux d’eau élevés et des réponses piézométriques très rapides (< 1 h) suivi d’une

phase de drainage rapide (3-5 h) (Figure 4.3). La phase de drainage est plus lente en se déplaçant vers l’aval (12-24 h) (Zone 2). Finalement, la partie occidentale du glissement en état dormant (Zone 3) présente un temps de réponse long (> 5 h), un temps de drainage long (> 24h) et des fluctuations piézométriques plus faibles (centimétriques).

Figure 4.3 – Zones hydro-géomorphologiques 1, 2 et 3. Les états de surface associés à chaque unité sont indiqués (adapté de Malet, 2003).

L’infiltration des eaux de pluies et de la fonte du manteau neigeux constituent les sources d’approvisionnement principales de l’aquifère. La recharge annuelle dépend également de sources superficielles provenant de l’aquifère morainique alimenté par le glacier rocheux en amont de la zone du glissement-coulée (Malet et al., 2005). Cet apport n’est toutefois pas jugé responsable des variations piézométriques dans le glissement essentiellement liées aux infiltrations d’eau de pluie. Les analyses hydro-géochimiques réalisées par de Montety et al. (2007) révèlent l’existence d’apports d’eau profonds conduits par des discontinuités majeures affectant le substratum des Terres Noires (Figure 4.4 A). Ces conclusions sont supportées par les fortes concentrations en sulfates, les anomalies en rapport Mg2+

/Ca2+

et les concentrations très importantes en strontium observées dans les échantillons prélevés dans des piézomètres à proximité de la zone d’ablation. L’origine évaporitique d’une fraction de l’eau présente dans le glissement a pu être clairement établie. Elle est associée aux lentilles de gypse intercalées au niveau du contact tectonique de la klippe de Lan à l’extérieur de la zone de glissement (de Montety et al., 2007). Comme la concentration en éléments majeurs augmente significativement de la zone d’ablation (piézomètre BV16) à la position du piézomètre CV10, l’apport d’eau profond serait localisé entre les piézomètres BV17/BV16 – CV10 où l’eau est la plus minéralisée (de Montety et al., 2007). Plusieurs exsurgences temporaires sont également localisées dans cette région du glissement très souvent proche de la saturation (Figure 4.4 B).

Figure 4.4– Hydrologie du glissement-coulée de Super-Sauze, A) modèle hydrologique conceptuel à partir d’analyses hydro-géochimiques. Des apports d’eau profonds provenant du substratum dans la zone de transit et d’ablation approvisionnent la nappe (adapté de de Montety et al., 2007), B) identification d’exsurgences au sein de la coulée (octobre 2007, vue en direction du Sud). La position des piézomètres et du profil est également indiquée.

4.1.2 Connaissances antécédentes de l’hydrologie du glissement-coulée de La Valette

En comparaison au glissement de Super-Sauze, l’hydrologie du glissement-coulée de la Valette a été très peu étudiée depuis son déclenchement en 1982 en raison de l’accès difficile au site et des modifications de son comportement naturel suite aux installations de drainages du RTM. Des études préliminaires se sont focalisées sur un inventaire de sources observées à l’intérieur et à l’extérieur du glissement et sur des mesures de conductivités électriques, de températures, de débits et de pH. L’origine de l’eau a été déterminée par traçage naturel des éléments majeurs (Ca2+

, Mg2+ , Fe2+ , Na+ , Cl et NO3

-) (Le Mignon, 2004-). La fracturation tectonique et le contraste de perméabilité entre le flysch fracturé et les marnes noires imperméables à proximité du plan de chevauchement favorisent l’exsurgence des sources pérennes profondes directement à la base du glissement (Le Mignon & Cojean, 2002) (Figure 4.5A). La présence de nappes locales confinées dans le glissement n’est toutefois pas exclue comme l’ont illustré des arrivées soudaines d’eau dans plusieurs forages en 1989 dans la zone de transit de la coulée (Colas, 1990). Van Asch et al. (2007 b) ont montré que la réponse

cinématique du glissement-coulée de la Valette à une variation du niveau piézométrique est différente s’il s’agit d’une phase ascendante ou descendante du niveau piézométrique (phénomène d’hystérèse). Cette différence est expliquée par des changements rapides de la contrainte totale et des pressions interstitielles en conditions partiellement non drainées.

Comme à Super-Sauze, les matériaux du glissement ont une forte perméabilité par rapport au substratum des Terres Noires. Ils facilitent le drainage de la nappe et l’infiltration des eaux de pluies. Quelques zones en compression et en extension dans le glissement sont également observées en surface, elles développent un réseau de fractures propice aux infiltrations (Le Mignon, 2004 ; Van Asch et al., 2007 b). Il est probable que les zones de compressions alternent avec les zones d’extension dans le temps. Selon van Asch et al. (2007 b), cette alternance pourrait expliquer les phénomènes d’hystérèses observés. Dans la zone de transit de la coulée, de nombreuses exsurgences sont également observées et sont actuellement drainées à l’extérieur du glissement par les installations du RTM (Figure 4.5 A). Il apparaît clairement que les travaux de drainage ont eu un effet stabilisateur sur les zones de transit et d’accumulation de la coulée (Figure 4.5 B).

Figure 4.5 – Installations de drainages superficiels du service RTM, A) carte et photographies des installations et des principales exsurgences observées sur le glissement-coulée de La Valette entre 2007 et 2009, B) comparaison des volumes de matériaux transitant par le profil Charun (localisation dans A) avant et après l’installation du système de drainage (adapté de Le Mignon, 2004).

Dans les glissements-coulées de La Valette et de Super-Sauze, la forte réactivité de la nappe aux évènements pluvieux est une conséquence de la double porosité (matrice, fissure) permettant d’acheminer rapidement les eaux de surface en profondeur (Malet, 2003). Pour décrire les interactions entre la matrice et le réseau de fissures et affiner les modèles conceptuels déjà préétablis, la distribution spatiale des propriétés hydrologiques doivent être quantifiées. C’est pourquoi des expérimentations de pluie artificielle à petite échelle ont été effectuées sur les glissements-coulées de Super-Sauze et du Laval5

en juillet et octobre 2007 (FIgure 4.6). Développés dans les marnes noires du Callovo-Oxfordien, ces sites se distinguent principalement par le degré d’altération des matériaux (porosité) et du taux de saturation Sr initial (avant expérimentation) de la zone non saturée. Cette dernière est proche de la saturation pour la coulée de Super-Sauze (Sr ≈ 85%) et plus faible au glissement du Laval (Sr ≈ 27%). Les deux glissements évoluent naturellement et sont de taille humaine, ce qui en fait des sites d’observations adaptés à ce type d’expérimentation. Afin d’obtenir une vue des processus d’infiltration la plus complète possible, une approche pluridisciplinaire a été choisie associant des techniques de l’hydrologie, de l’hydrodynamique et de l’hydrogéophysique. Ce travail est le fruit de collaborations dans le cadre du projet ANR PNRH-ECCO ECOU-PREF (2006-2008): “Ecoulements Préférentiels dans les versants marneux fracturés et déclenchement de glissements de terrain” en collaboration avec le BRGM, le Cemagref et les universités de Caen (Geophen), d’Avignon, de Delft et de Grenoble. La partie hydrologique et hydrodynamique a été traitée par Debieche et al. (2011), Garel et al., (soumis) et Krzeminska et al. (2011). Ce travail de recherche est consacré à l’acquisition des données de tomographie de résistivité électrique au traitement et à l’interprétation des données hydrogéophysiques.

4.2 Caractérisation de l’hydrogéologie de glissements-coulées par