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L’inventaire de la flore de la Guyane a débuté dès le 18e siècle notamment avec les travaux de Fusée-Aublet, mais c’est essentiellement depuis la création de l’Herbier ORSTOM/IRD de Guyane, par Oldeman dans les années 1980, que les efforts de collecte et d’inventaire se sont accélérés [55]. Aujourd’hui avec environ 4250 espèces d’Angiospermes répertoriées, on estime connaître plus de 85% des plantes à fleurs présentes sur le département. Cependant l'analyse macro-écologique des patrons de distribution d'abondances laisse entrevoir un large déficit de connaissance des espèces d’arbres les plus rares [42]. De plus, si la flore guyanaise est aujourd’hui globalement parmi les mieux connues, une large partie du territoire est encore sous-échantillonnée [65]. La distribution des espèces, leurs préférences stationnelles, leurs modalités d’assemblage en communauté restent encore largement méconnues – c’est ce que l’on appelle le déficit « Wallacéen »[66].

Les espèces d’arbres représentent à elles seules près de 40% de ce cortège floristique forestier (1600 espèces recensées en Guyane [43]) et concentrent l’essentiel de la biomasse forestière [101]. De nombreuses études ont déjà été menées depuis les années 1970 pour tenter de comprendre comment s’assemblent ces nombreuses espèces au sein des communautés hyper-diversifiées et comment ces assemblages réagissent à leur environnement. Cependant l’essentiel de ces études se sont jusqu’à présent focalisées sur l’échelle locale au sein de dispositifs expérimentaux très instrumentalisés, dont la valeur représentative est encore mal cernée compte-tenu de leur concentration dans la partie nord du territoire (Figure.7 – Paracou, Piste de St Elie, Nouragues).

II.1.a.1 Un effet de niche marqué à l’échelle locale

La diversité de la forêt guyanaise a souvent été abordée sous le prisme des relations sol-végétation à l’échelle locale (i.e. celle de placettes de quelques hectares) [28,88,102-106]. Ces études ont mis en évidence l’influence significative des effets de niche (c’est-à-dire l’influence des conditions environnementales sur la capacité de survie des espèces via la modification des conditions d’accès aux ressources [80]). L’influence de la qualité du drainage interne des sols sur l’abondance des

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espèces a été plusieurs fois démontrée sur les différents dispositifs guyanais avec cependant des résultats variables voire parfois contradictoires en terme d’autécologie des espèces (voir tableau 3). Le contraste entre le cortège floristique des bas-fonds sur sols hydromorphes et celui des forêts de terre ferme est relativement bien marqué et relativement stable entre les sites, avec quelques espèces indicatrices évidentes. Les fortes contraintes édaphiques induites par l’engorgement permanent des sols entraînent non seulement une sélection des espèces les mieux adaptées à l’anoxie mais favorisent aussi le cortège des espèces pionnières et/ou héliophiles du fait d’une dynamique de perturbation autoentretenue [28,107] : l’engorgement du sol limite l’enracinement ce qui maintient une ouverture permanente de la canopée du fait de la fréquence des chablis ; le fort éclairement favorise les espèces pionnières héliophiles à courte durée de vie ce qui entretient par ailleurs la mortalité à un taux élevé ; la chute des arbres depuis les pentes dominantes vers les bas-fonds en aval participent aussi à cette dynamique.

FIGURE 7 : CARTOGRAPHIE DES SITES D’ETUDES DE LA DIVERSITE FORESTIERE MIS EN PLACE EN

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TABLEAU 3:SYNTHESE DES ANALYSES DES PREFERENCES STATIONNELLES MISES EN EVIDENCE SUR LES PRINCIPAUX SITES D’ETUDES GUYANAIS

Taxons PAR STE COU PLB

Anacardiaceae Thyrsodium guianense P P Annonaceae Duguetia calycina M Oxandra asbeckii P M M+P (P) Unonopsis rufescens P Apocynaceae Couma guianensis M+H Geisospermum laevis P Lacmellea floribunda (M) Arecaceae Astrocaryum sciophilum P P Euterpe oleracea H H H Oenocarpus bataua H H H Attalea maripa H Oenocarpus bacaba P P Bignoniaceae Jacaranda copaia H+M (H) 0 Burseraceae Protium sagotiana P (P) Protium sp1 P P Protium subserratum P Tetragastris panamaensis P Caryocaraceae Caryocar glabrum P 0 0 Chrysobalanaceae Licania alba M+H M (M) Licania canescens P P Licania heteromorpha P 0 (M) Licania laxifolia M Licania membranacea P 0 (P) Parinari campestris H Clusiaceae Moronobea coccinea M M P M Symphonia globulifera H H (M) Symphonia sp1 M (H) P Tovomita spp. (P) M

Taxons PAR STE COU PLB

Dichapetalaceae Tapura sp. M Euphorbiaceae Chaetocarpus schomburgkianus P+M M (P+M) (M) Conceveiba guianensis H (H) Hieronima oblonga H 0 Mabea piriri H+M Pausandra fordii M+P Pogonophora schomburkiana M (P) M+P Sagotia racemosa P Sandwithia guianensis P Goupiaceae Goupia glabra H 0 Lauraceae Licaria chrysophylla P Licania irwinii M Ocotea ceanothifolia P Lecythidaceae Couratari calycina M Eschweilera alata M Eschweilera congestifolia M Eschweilera coriaceae H+M Eschweilera chartaceifolia H Eschweilera decolorans (P) P Eschweilera micrantha P P Eschweilera parviflora P P Eschweilera sagotiana P+M H Eschweilera wachenheimii (P) Lecythis idatimon M 0 Lecythis persistens H+M H+M 0 Lecythis poiteaui P Lecythis praeclara P Leguminosae- Caesalpinioideae Bocoa prouacensis P (P) P P+M Crudia bractea M 0 P Dicorynia guianensis P (M) (P+M) P Eperua falcata H+M H+M (P) M+P

33 Taxons PAR STE COU PLB

Eperua grandiflora M+P (M) H 0 Macrolobium bifolium H Monopteryx inpae P Peltogyne venosa P P (M+P) Recordoxylon speciosum H+M Swartzia polyphylla (P) Tachigali melinonii H Vouacapoua americana P 0 P+M Leguminosae-Faboideae Andira coriaceae M Pterocarpus officinalis H Taralea oppositifolia M Vatairea erythrocarpa H Leguminosae-Mimosoideae Balizia pedicellaris H+M 0 Calliandra hymenaeoides M Loganiaceae Antonia ovata H (M) Malvaceae Pachira dolichocalyx H Melastomataceae Miconia affinis (M) Mouriri crassifolia (M+P) Meliaceae Carapa procera H H H Myristicaceae Iryanthera hostmanii H+M H Iryanthera sagotiana P P M+P P Virola michelii P (P) M (P) Virola surinamensis H Myrtaceae Myrcia decorticans H Nyctaginaceae Neea floribunda P Ochnaceae Ouratea melinonii H Polygonaceae Coccoloba mollis H Rubiaceae

Taxons PAR STE COU PLB

Chimarris turbinata M Duroia genipoides M Posoqueria latifolia P Rutaceae Esenbeckia cowanii M Salicaceae Laetia procera H Sapotaceae Ecclinusa guianensis P Manilkara bidentata M Micropholis obscura P Pouteria grongrijpii H Pouteria grandis M Pouteria sp21 P Pouteria torta P Pradosia cochleraria P M P Simaroubaceae Simaba cendron M+H 0 Simarouba amara H Siparunaceae Siparuna decipiens P Violaceae Rinorea amapensis M Vochysiaceae Qualea rosea P

PAR = Paracou [28], STE = St Elie [102], PLB = Montagne Plomb [88], COU = Counami (analyses reprises d’après les données [108]– nature des sols approchée par la topographie).

(H=préférence pour les sols hydromorphes, P=pour les drainages profonds, M= pour les drainages intermédiaires superficiels ou bloqués, 0 = sans préférence marquée – entre parenthèse les préférences peu marquées)

Les espèces ou groupes d’espèces montrant des préférences concordantes entre les sites sont indiquées en gris.

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L’influence de la qualité du drainage au sein des forêts de terre ferme, sur un gradient plus subtil, est moins évidente et a été plus rarement étudiée [102,105]. Un effet de filtre reste cependant sensiblement perceptible : le cortège floristique est de plus en plus réduit au fur et à mesure de l’intensification des contraintes, certaines espèces communes intolérantes à un engorgement même temporaire étant rapidement exclues de la compétition intracommunautaire [105]. L’étude d’autres contextes stationnels très contraignants (et marginaux en termes de fréquences et d’extension spatiale) comme les forêts sur « cuirasses affleurantes » ou sur « saprolites superficielles » suggère aussi une situation où l’équilibre entre espèces habituellement fréquentes et espèces plus rares est rompu sous l’effet du filtre édaphique : certaines espèces rares très particulières deviendraient nettement plus compétitives dans ces contextes environnementaux hors normes [88]. La richesse floristique locale est alors manifestement réduite et la structure du peuplement fortement modifiée (augmentation de la densité des tiges, réduction du diamètre moyen et de la hauteur de canopée, abondance des lianes …). Cependant, aucune généralisation d’espèces originales indicatrices strictement inféodées à ces milieux n’a vu le jour jusqu’à présent, certaines expertises suggérant même que le cortège floristique de ces habitats particuliers (souvent de petite taille) est globalement très peu différencié et que les seules différences avec les forêts sur sols profonds voisines résident dans la structure forestière [109]. Les effets de filtres sont par contre poussés à leur paroxysme dans les forêts sur sables blancs où la diversité floristique chute au profit d’un petit pool d’espèces endémiques et très spécialisées [61]. Cependant ces forêts qui ne couvrent que quelques kilomètres carré en Guyane (essentiellement dans le Nord-Ouest), ont été peu étudiées sur notre territoire au contraire du Guyana et de l’Amazonie centrale où elles sont beaucoup plus fréquentes [110].

II.1.a.2 Agrégation et autocorrélation spatiale : dispersion ou effets de niche ? La diversité des écosystèmes guyanais a rarement été étudiée à une échelle régionale [111] ou bien le plus souvent à travers de simples comparaisons de couple de sites peu nombreux dont la représentativité reste indéterminée [88,112,113]. Les comparaisons des cortèges floristiques de sites rapprochés (i.e. Paracou, St Elie et Crique Plomb éloignés de quelques dizaines de kilomètres dans le secteur du Bas- Sinnamary) laissent apparaître des effets de « site » sensibles - de même que l’étude des variations de composition au sein du massif expérimental de Counami situé dans un secteur proche (Bas-Iracoubo). Cette évolution de la dissimilarité de composition avec la distance est apparemment indépendante des effets sols [88,108] et interprétée comme une conséquence des effets neutres relatifs à la limitation de la dispersion des espèces et à la dérive écologique qu’elle induit [85]. Les variations de composition et de richesse observées entre sites peuvent en effet simplement être liées à des évènements aléatoires au cours des processus de régénération [85] sans forcément impliquer des effets de filtre environnemental. A l’échelle locale, l’effet de

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la dispersion limitée sur la composition des communautés d’arbres forestiers est très marqué au regard de la répartition agrégative de nombreuses espèces [53,114- 117]. La dissémination zoochore, dominante en Guyane, engendre elle aussi très souvent des répartitions hétérogènes dans l'espace qui contribuent à ce processus de limitation de la dispersion [118-121]. Cet effet peut logiquement être encore plus marqué à l’échelle régionale compte-tenu des faibles vitesses de migration des espèces d’arbres tropicaux [122].

Une récente étude sur un réseau de neuf placettes forestières sur sol profond de terre ferme tend à démontrer l’existence d’un sensible conservatisme phylogénétique et fonctionnel au sein des communautés forestières guyanaises [123]. Cependant, si ce conservatisme est interprété comme un effet de niche environnementale, rien ne permet explicitement de valider cette hypothèse, aucune caractérisation précise du milieu n’étant introduite dans cette analyse. Ce conservatisme pourrait donc tout aussi bien provenir de la persistance d’un fort effet de filtre plus ancien, voire d’une simple agrégation spécifique fortement marquée sur certaines parcelles.

L’existence de processus spatiaux liés à la dispersion, à l’origine de phénomènes d’autocorrélation, complique fortement l’analyse statistique des effets de niches [28,124]. De plus, il est difficile de généraliser les tests des effets de niche sur divers sites présentant des cortèges floristiques à la base très différents. Par ailleurs, compte-tenu du faible nombre de sites étudiés, rien ne permet d’affirmer à ce jour que les variations floristiques observées entre sites ne soient pas contrôlées par des facteurs environnementaux à large empreinte mal appréhendés (de type climatique ou géologique) plutôt que par des effets de dispersion. De fait, la description des différentes échelles de structuration de la diversité reste encore très fragmentaire. Seul un échantillonnage multi-échelle ad-hoc paraît à même d’évaluer l’importance relative de ces structures et de tester de façon robuste leur lien avec de possibles effets de niche [68].

II.1.bLa géomorphologie indicatrice de la diversité forestière ?