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Partie 5 Comment estimer le risque de chute d’une personne

4. Etablir le profil d’une personne

4.1. Construction des profils

4.1.1. Bilan des variables retenues

En considérant à la fois les mesures permettant de révéler des différences entre les C et les NC et les liens existants entre les différents tests proposés lors de notre étude, les variables retenues pour établir un profil d’une personne âgée qui servira à mieux comprendre son risque de chute, s’il y en a un, sont les suivantes :

- La durée mise pour accomplir le test cognitif TMT B (en secondes)

- La confiance globale d’un individu en son équilibre à l’aide de l’échelle ABC (un score)

- La stabilité au cours d’un exercice de marche à vitesse spontanée (un exposant)

- La durée mise pour effectuer un pas lors du test CSRT (en secondes)

Deux variables supplémentaires avaient un temps été envisagées : l’âge et le score au Brief BESTest. Il s’est avéré que l’âge n’est pas une variable de capacité, mais plutôt une information globale sur le sujet. Nous pensons que c’est une information à relever par les cliniciens, mais qu’elle n’est pas pertinente dans l’établissement d’un profil de capacités dégradées. Ensuite, le score global du Brief BESTest est un score renseignant sur l’équilibre global du sujet. Si sa décomposition en sous-système est intéressante, il faudrait plutôt représenter dans le profil chacun des sous-systèmes évalués. Etant donné que le Brief BESTest ne comporte que 6 tâches notées chacune de 0 à 3, la distinction était difficile à effectuer dans notre étude. Il est plus probable qu’une évaluation à l’aide d’un BESTest (36 tâches, 6 par sous-système) soit plus pertinente.

4.1.2. Identification des seuils sur les variables retenues

Nous avons choisi de construire les profils de capacités à l’aide de plusieurs variables. Or, pour évaluer une capacité ou une performance, il est nécessaire d’avoir une référence. En première approche, nous utiliserons deux références : la moyenne des groupes des NC et des C.

4.1.3. Représentation du profil

Pour tracer le profil d’une personne, une représentation à l’aide d’un polygone est proposée, car c’est un moyen visuel explicite pour établir un profil de capacités. Ce

genre d’outil peut notamment être utilisé par des cliniciens pour émettre rapidement un diagnostic. Ce polygone est constitué en reliant les « branches d’une étoile », chaque branche représentant une échelle sur laquelle le score d’une personne – représentatif d’une capacité particulière – peut être rapporté.

Une représentation de ce type implique plusieurs mesures, une sur chaque axe, qui n’ont pas toute la même unité. Aussi, pour plus de cohérence dans la visualisation des scores, chaque axe est construit entre la valeur la plus faible et la valeur la plus élevée mesurée dans notre population. La figure utilisée dans cette étude est un carré car elle illustre quatre mesures particulières (durée du TMT B, durée du CSRT, score à l’ABC et exposant de stabilité de la marche). Deux exemples, tracés à l’aide du logiciel Excel®, sont fournis dans les Figure 57 et Figure 58. Les valeurs les plus critiques vis-à-vis du risque de chute sont placées vers l’extérieur de la représentation. Pour les mesures du CSRT, du TMT B et de l’exposant de stabilité de la marche (MLE), plus les valeurs sont élevées, plus le risque de chute augmente. Ceci est l’inverse pour le score issu de l’ABC, où plus il est élevé plus le risque est faible. Ainsi, cet axe a été inversé, compte tenu des valeurs qu’il exprime. Le fait de représenter cette figure en étoile permet ainsi rapidement d’identifier les systèmes impliqués dans l’équilibre qui peuvent être touchés.

Figure 57 : Exemple de représentation du profil d’un sujet (ici le sujet n° 03) à l’aide du carré. Le profil du sujet est représenté en vert, la moyenne des non-chuteurs (NC) en gris et la moyenne des chuteurs (C) en noir.

Ainsi, à l’aide de la représentation montrée en exemple, nous constatons que le sujet S 03 (qui est une femme C âgée de 82 ans) possède une aire verte assez importante. Cette personne a une capacité d’inhibition (TMT B) et une capacité à supporter les

TMTB CSRT ABC MLE

S 03

S 03

C

NC

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petites perturbations (MLE) tout à fait normales, et même plutôt bonnes compte tenu de la population évaluée. Elle est également capable d’initier rapidement un pas, même si cette capacité est un peu altérée par rapport à des âgés NC. Enfin, le facteur qui obtient la valeur la plus critique est la peur de chuter. Ainsi, ce sujet modifie très probablement ses habitudes ou ses mouvements parce qu’elle craint de rechuter. C’est une personne qui est en bonne santé (pas de troubles majeurs), mais qui, depuis qu’elle a chuté, est probablement victime du syndrome post-chute (voir Figure 56).

Figure 58 : Exemple de représentation du profil d’un sujet (ici le sujet n° 34) à l’aide du carré. Le profil du sujet est représenté en vert, la moyenne des non-chuteurs (NC) en gris et la moyenne des chuteurs (C) en noir.

Dans ce second exemple, la personne représentée est le sujet 34 qui est un homme C âgé de 80 ans. Cette personne n’a pas véritablement peur de chuter, et est encore capable d’effectuer correctement des pas, avec une capacité les à initier rapidement qui est proche de la moyenne des NC. En revanche, il montre une capacité d’inhibition de l’information amoindrie, tout comme une capacité à supporter les petites perturbations réduites. Une rééducation peut donc être envisagée pour cette personne, en ciblant les deux aspects qui se révèlent déficients dans le but de réduire son risque de chute.

4.2. Discussion – Conclusion

A l’aide de cette méthode, basée sur les résultats de notre étude, nous avons pu choisir des informations pour construire un profil de capacités pour des personnes âgées. Ces capacités étant toutes reliées directement à la capacité globale de maintenir

TMTB CSRT ABC MLE

S 34

S 34

C

NC

son équilibre, elles permettent de renseigner le clinicien ou le chercheur sur les systèmes qui s’avèrent déficients. A l’aide des seuils obtenus dans les deux populations (C et NC), nous pouvons faire une comparaison individualisée des capacités dans les différents systèmes. Nous voyons notamment très rapidement quel(s) système(s) apparait(ssent) déficient(s) chez chaque sujet. Ceci devrait permettre au clinicien de prendre une décision pour orienter la prise en charge de cette personne. Nous rejoignons, ici, la théorie de Horak (Horak, 2006; Horak et al., 2009), qui soutient qu’une bonne identification du risque de chute passe par la connaissance des capacités des individus dans plusieurs systèmes de l’équilibre. Aussi, nous avons observé que certains des tests utilisés pouvaient ne pas être corrélés au risque de chute (e.g. posturographie, force de serrage, vitesse de marche). Ceci nous a permis d’exclure ces mesures pour établir un profil de capacités expliquant le risque de chute d’une personne âgée en bonne santé et autonome. Nous avons également constaté que d’autres tests peuvent être corrélés entre eux. Toutefois, s’ils sont corrélés, les coefficients ne sont pas si élevés, indiquant qu’ils ne fournissent pas forcément la même information. Ainsi, nous avons construit ce profil en présentant 3 capacités et une information générale (la peur de chuter) qui sont certes corrélées entre elles, mais qui apportent également des informations complémentaires.

Pour conclure, nous avons construit un moyen de visualiser rapidement les informations relatives au profil individuel de chaque sujet à l’aide de polygones. Ce visuel pourrait être utilisé par des professionnels de santé pour émettre rapidement un diagnostic et ainsi permettre de mieux adapter la prévention et/ou la rééducation. Ceci s’inscrit donc bien dans une démarche de proposer des « consultations chute » individualisées pour les patients dans le but d’améliorer leur prise en charge par le corps médical. De plus, ce profil est construit à l’aide de tests réalisables au sein des services hospitaliers ou de centre de prévention.

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5. Conclusion du chapitre

Dans cette dernière partie, nous avons d’abord construit un outil statistique multivarié qui permet de classer les individus qui ont effectués les mesures proposées dans le protocole. Nous avons ensuite construit un deuxième outil, qui permettrait de guider le clinicien dans l’établissement d’une prévention individualisée, à l’aide de la connaissance des différents systèmes qui sont déficients chez une personne.

Compte tenu des prédictions fournies par les modèles, le Modèle 2 (composé du score ABC, de la durée du CSRT et de l’exposant de stabilité de marche) reste le plus adapté à la population que nous avons évaluée. Il parvient globalement assez bien à identifier les sujets qui sont chuteurs de ceux qui ne le sont pas. A l’opposé, nous avons démontré la faiblesse de prédiction du passé de chute, pour des personnes âgées autonomes à l’aide d’un modèle composé uniquement de mesures très classiques comme la posturographie ou la vitesse de marche. Ceci s’oppose aux résultats de Lajoie and Gallagher (2004) qui trouvent que des tests comme la posturographie ou l’échelle de Berg permettent de distinguer les C des NC. Cette différence pourrait s’expliquer par le plus petit nombre de sujets dans notre étude, mais aussi par le fait qu’une partie de la population de l’étude de Lajoie et Gallagher était issue de maisons de retraite. Or, il se trouve que les personnes issues de maisons de retraite ont un risque de chute bien plus important que les personnes âgées autonomes, vivant au quotidien dans la communauté (Lord et al., 2006). Ainsi, nos résultats mettent en évidence l’importance du couplage des tests psycho-cognitifs pouvant être réalisés à l’aide d’un papier et d’un crayon ou d’un écran d’ordinateur et des tests « dynamiques » (i.e. impliquant du mouvement pour le sujet) pour mieux identifier les personnes âgées qui sont encore en bonne santé mais qui commencent à présenter un risque de chute.

Les profils établis fournissent un complément utile aux modèles d’identification du risque. En effet, les modèles ne donnent « que » une probabilité d’une personne à être à risque. L’utilisation des profils permet d’expliquer les raisons de cette probabilité en les visualisant. Notamment, s’informer des déficiences touchant des systèmes impliqués dans le contrôle de l’équilibre, évalués pour la même personne, est une bonne piste pour orienter et ainsi mieux adapter sa prise en charge car elle est plus individualisée.

Cette étude reste toutefois limitée. Tout d’abord, nous ne sommes pas parvenus à prédire le risque de chute futur des personnes âgées. Nous ne faisons « que » une identification du risque à l’aide de la connaissance du passé des personnes. Or, pour cela, le meilleur prédicteur est très certainement de demander aux personnes directement. Cependant, les études qui sont parvenues à faire de la prédiction du

risque de chute, utilisent les mêmes types de mesures pour établir le profil de leurs sujets ou bien trouvent des liens entre des mesures similaires à celles réalisées dans ce protocole et le risque de chute (Delbaere et al., 2004; Mirelman et al., 2012; Rispens et al., 2015; Sturnieks et al., 2013). Ainsi, nous restons confiants sur la capacité de ces mesures et de ce type de modèle à bien renseigner les chercheurs et les cliniciens sur l’évolution du risque de chute des personnes âgées. D’autre part, les modèles utilisés ont été construits et évalués sur le même échantillon de sujets. Pour une meilleure validité, il aurait été bon d’effectuer une validation croisée avec une méthode de référence. De plus, notre échantillon n’est pas vraiment représentatif de la population âgée. Nous avons une proportion de chuteurs bien supérieure à celle qui est classiquement rapportée dans les études (44.6% contre 30 à 40%). Enfin, l’effectif de cet échantillon reste faible, par rapport aux effectifs des études de cohorte, qui regroupent au moins 100 à 200 personnes.

En conclusion, les outils proposés dans ce chapitre pourraient être utilisés pour les évaluations cliniques de patients chuteurs, dans une population de personnes âgées, autonome et en bonne santé. Toutefois, si ces outils fonctionnent sur la population étudiée dans notre étude, ils demandent encore à être validés sur une cohorte à plus grande échelle. Les centres de prévention constitueraient la première étape, car ils sont au contact direct de la population évaluée dans cette étude. Ensuite, les populations rencontrées dans les services de gériatrie pourraient être ciblées, afin de déterminer quelles sont leurs déficiences par rapport aux personnes encore autonomes. Ainsi, les résultats d’une telle étude renseigneraient mieux les professionnels de santé sur le développement et l’évolution du risque de chute chez l’ensemble de la population âgée.

Romain TISSERAND Thèse de doctorat

2015 - Université Claude Bernard Lyon 1 198

1. Mécanismes impliqués dans les