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Essor des réseaux de télécommunication et premiers « téléservices » avec le compteur électronique (1982-2004)

L’ÉLECTRONIQUE : DU COMPTEUR À PRÉPAIEMENT AU COMPTEUR ÉLECTRONIQUE (1985-2004)

3.2 Essor des réseaux de télécommunication et premiers « téléservices » avec le compteur électronique (1982-2004)

En parallèle de la période liée à la hausse de la précarité en France et qui a conduit EDF et les pouvoirs publics à mettre en œuvre de compteurs à pré-paiement, de fusibles limiteurs et le service maintien énergie, un quatrième mouvement commence au début des années 1980 en lien avec l’essor de l’électronique. Il s’achève au début du projet de comptage communicant en 2004. Dès les années 1980 se développe une recherche d’éléments nouveaux pour améliorer le comptage avec le factureur portable et le compteur électro-nique, puis avec l’interface clientèle communicante. D’abord, cette partie s’attache à montrer l’évolution du système avec le compteur électronique qui détrônera l’idée du factureur portable. Il est diffusé à partir de 1990 et sera généralisé à une partie de la clientèle domestique. Il est équipé d’un écran à cristaux liquides et d’une lampe LED et le boîtier à carte mémoire inclut la programmation de plusieurs types de tarifs contrairement au compteur bleu, jugé plus limité techniquement. Ensuite, cette période introduit l’expérimen-tation de l’interface clientèle communicante. Placée entre différents comp-teurs (de gaz, d’eau et d’électricité), elle récupère les données et les transmet aux agences opérationnelles. Il sera testé en 1995, mais ne sera pas généralisé.

Le factureur portable versus le compteur électronique en 1980

Deux technologies sont en lice dans les années 1980 avec le développe-ment de l’électronique : le factureur portable, à fournir au releveur, et le comptage électronique, à installer dans les domiciles. L’idée d’un « factureur portable » naît en 1982 par des ingénieurs de la direction des études d’EDF, mais elle sera vite écartée. Inspirée de l’équipement du releveur britannique entre les années 1970 et 1980, il s’agit d’une valise portée en bandoulière par le personnel et équipée d’une petite imprimante. Les ingénieurs déclarent que : « Le releveur entre les données manuellement dans son appareil, lequel élabore et imprime la facture sur place. Parallèlement, ces données sont stockées pour être transférées au centre de traitement en fin de tournée. La facture est ainsi remise à l’abonné le jour même du relevé, d’où gain de temps

et disparition des frais postaux »1. Leur modèle vise un objectif économique

(gain de temps sur l’envoi des données de relève, la facturation et la tarifica-tion), mais ils espèrent atteindre également un objectif social (la sauvegarde des emplois releveurs) et professionnel (la revalorisation des tâches répéti-tives). En revanche, il ne sera jamais expérimenté et sera supplanté avec les

1

Bergerot J.L., Lefevre Ph., 1982, « Relève automatique des compteurs d’énergie électrique », département Comptage, Exploitation, Gestion, direction des Études et Recherches, EDF, 31 p., cité p. 11.

promesses du principe d’un relevé électronique, recourant à moins de dépla-cements de personnels, et donc, considéré comme moins onéreux. Comme indiqué plus tard, le releveur peut relever en une seule fois tous les compteurs à télérelevé d’un immeuble avec un terminal informatique captant automati-quement tous les index.

Les bénéfices économiques du télérelevé surpassent en effet les objectifs sociaux et professionnels du projet de factureur mobile. Jusqu’à présent, le releveur doit se déplacer devant chaque compteur pour y lire les index, puis transmettre ces données au centre de facturation. En 1993, le nombre d’abon-nés en France s’élève à 24 millions avec 350 000 comptages à relever tous les quatre mois par les centres de distribution, notamment par des systèmes de tournées de relève. Les objectifs sont donc de réduire le coût du relevé manuel (estimé à cinq francs), d’éviter le problème d’accessibilité des compteurs (seuls 58 % sont accessibles toute l’année, avec un taux de croissance de 2 % annuel du parc). Il s’agit en outre de limiter les frais de trésorerie (allégement de 3,50 francs par client et par an avec le télérelevé par des délais raccourcis entre l’opération de relevé et la prise en compte d’index par ordinateur assu-rant la facturation). Le coût de la relève manuelle totale sur la durée de vie moyenne d’un compteur équivaut à 50 % du prix d’un compteur. Il est jugé peu considérable au regard de l’effort d’investissement dans les nouvelles in-frastructures. Toutefois, d’autres dimensions économiques entrent en ligne de compte dans le modèle de financement. D’après les travaux de prospective du département Comptage, Gestion et Exploitation d’EDF, les ingénieurs s’intéressent au télérelevé parce qu’il permettrait l’allégement de charges éco-nomiques dans le traitement de quantification, de tarification, de facturation et de frais de trésorerie du segment des clients particuliers1. De plus, les exi-gences imposées aux comptages par l’évolution politique de la tarification conduisent à favoriser un système technique intégrant plusieurs types de ta-rifs. L’option du télérelevé, couplé à d’autres fonctions du compteur électro-nique (multitarification notamment) sera finalement retenue, faisant l’objet d’expérimentations, et l’équipement du releveur avec un factureur portable ne sera plus qu’une lointaine suggestion.

Du compteur électronique des industriels à celui des foyers

En ce qui concerne la transformation du comptage avec le principe du té-lérelevé, il faut noter qu’EDF avait déjà conçu des compteurs électroniques pour la grosse clientèle à la fin des années 1970. Le « tarif vert » — celui destiné aux entreprises — inclut par exemple le décompte informatique des dépassements de puissance autrefois irréalisable par les compteurs électromé-caniques2. Le passage à l’électronique permit à EDF de réduire les coûts

1 Bergerot J.L., Lefevre Ph., 1982, cité pp. 7-9.

2

Le tarif vert est historiquement le tarif d’électricité destiné aux clients industriels d’EDF ayant souscrit une puissance contractuelle maximale de 250 kW. Le tarif bleu est celui des clients domestiques, le tarif jaune, celui des petites entreprises. Celui-ci propose la gestion de plusieurs périodes tarifaires « horosaisonnières » (jusqu’à huit possibilités tarifaires) et la comptabilisation des dépassements de puissance est facturée aux clients.

d’installation d’appareils nécessaires pour tarifer le portefeuille de clients professionnels. L’installation de plusieurs compteurs était ainsi évacuée de la même façon que les ingénieurs d’EDF mirent au point un comptage unique avec le compteur bleu des années 1960 pour les clients basse tension.1 La réduction du prix des composants électroniques a permis aux ingénieurs d’en-visager cette fois-ci l’introduction de l’électronique dans le compteur domes-tique dans des conditions économiques intéressantes2. Dans un contexte d’évolution de la tarification de l’énergie, le comptage communicant est dé-veloppé au sein d’EDF pour faire face à ses nouvelles exigences politiques.

Il est utile de préciser quelques éléments relatifs au projet de compteur électronique qui constitue une première forme de comptage communicant. Le principe est d’utiliser le réseau électrique local lui-même (par exemple d’un immeuble) pour transférer les informations fournies par le comptage avec un dispositif de lecture à distance (Encadré n° 5). Ensuite, le disque de Ferrandi induit d’aluminium (la roue crantée du compteur électromécanique qui tourne et enclenche le compte-tours lorsque le client consomme) est remplacé par une diode luminescente (1 flash = 1 Wh ; 1 000 flashs = 1 kWh). Plus la con-sommation est importante, plus la LED clignote vite. Sa conception autorise la multitarification (ex. heures pleines et heures creuses, tarif Effacement jour de pointe) jusqu’à quatre postes tarifaires. Un écran à cristaux liquides est intégré à l’appareil qui donne la possibilité de visionner le volume du courant cumulé, la consommation instantanée ou l’intensité maximale atteinte depuis la mise en service et les différents termes du contrat : puissance contractuelle, type de tarif, etc. Cet appareil de comptage est conçu de telle sorte qu’il sur-veille les tentatives de fraude : l’ouverture ou le débrochage du compteur sont codés informatiquement par des « index de fraude »3. Comme on le verra dans le chapitre suivant sur les concepteurs des années 2010, la représentation du client sous les traits d’un consommateur malhonnête et fraudeur est assez ré-pandue dans les espaces de conception à EDF. Elle aura inspiré le cahier des charges du nouveau dispositif4. L’expérimentation de ce dispositif suppose le remplacement de l’ancien compteur par un nouveau, associé à un boîtier spé-cial installé à l’extérieur de la maison ou de l’immeuble et permettant le relevé à distance.

Remonter les index électroniquement

1 « Les premières études sur le compteur électronique furent lancées par EDF en 1983 pour les compteurs industriels facturant l’énergie au tarif vert A. L’objectif était alors d’éviter l’installation de nombreux appareils nécessaires à ce tarif : plusieurs compteurs, horloges diverses, relais, plus grande capacité de mémorisation ». Rouzaud J.-P., Nguyen, P., ibid., p. 19.

2 Ducreux J., 1995, « Le système de comptage : l’interface clientèle du présent et du futur », département Consommation, Clientèle, Télécommunications, direction des Études et Recherches, EDF, 17 p., cité p. 1.

3

Le débrochage consisterait à dessouder par exemple des composants de la carte électronique aux fils d’électricité. Pucheral G., Bazin T., Haudebourg P., Revelaud G., 1988, « L’avenir de l’électronique dans le comptage de basse tension : les perspectives et les recherches à Électricité de France », Bulletin de la direction des Études et Recherches – Série B, Réseaux électriques, Matériels électriques, n° 2, pp. 41- 53, cité p. 44.

Au-delà de solutions déjà mises en œuvre (installation de compteurs électro-mécaniques accessibles au domaine public, c’est-à-dire sur un poteau ou dans la rue) ou en cours de préparation (avec le comptage électronique), l’utilisa-tion du réseau d’énergie comme un support de communical’utilisa-tion est expérimen-tée. Plusieurs technologies sont alors utilisées pour la transmission des infor-mations. D’abord, le courant porteur par ligne transporte les informations jusqu’au poste de transformation. La ligne téléphonique prend ensuite le re-lais pour transférer les données jusqu’aux systèmes d’information centraux d’EDF.

L’usage d’une ligne téléphonique (couplant un « concentrateur » installé dans le poste de transformation) et le système du courant porteur en ligne transfè-rent les informations de consommation du foyer au centre de facturation. Ce procédé est validé à EDF : il permet de relever un grand nombre de comptages résidentiels. Même si la transformation du signal électrique de tous les index des compteurs électromécaniques (compteurs à induction) au départ de tous les foyers constitue un coût trop important, cette transformation est considé-rée comme « obligatoire » pour tout système de relevé automatique. Le pas-sage au compteur électronique (avec téléreport intégré) et l’ajout du courant porteur en ligne représentent des espoirs de réduction de coût1.

Encadré n° 5 — CPL et téléphonie pour la fonction de télérelevé électronique

Spécifications techniques et déploiement du compteur électronique

Les spécifications du compteur électronique résidentiel ont été engagées en 1983, et les premières « maquettes fonctionnelles » sont présentées en 1985. Au même moment, à côté de démonstrations de projets d’intelligence artificielle ou de maintenance nucléaire, les ingénieurs d’EDF présentent ce nouvel appareil au Salon International des Techniques et Énergies du Futur, un « salon de produits de haute technologie ». Après l’avoir défendu dans l’entreprise, ils cherchent cette fois-ci à promouvoir les avantages du télére-levé à l’extérieur de l’entreprise. Ils le qualifient comme un outil simplifiant à la présence de clients lors du passage du releveur2. De plus, le comptage et la relève des compteurs, l’envoi et la réception de signaux tarifaires élaborés constituent de nouvelles fonctions de dialogue commercial entre l’opérateur et le client. Suscitant des opportunités économiques, le compteur électronique ouvre de vastes perspectives en termes de domotique pour les ingénieurs (cf.

infra). En effet, les concepteurs espèrent que toutes ses nouvelles fonctions

vont pouvoir faciliter à l’avenir l’intégration de services que réalise la domo-tique (régulation de chauffage, systèmes d’alarme), déjà utilisée par certains constructeurs de matériel domotique à la fin des années 1980.

1 « Rapport d’activités 1988 du service Études de réseaux », 1989, p. 67.

2 Agostini J.-C., Vincotte L., 1987, « EDF au Salon International des Techniques et Énergies du Futur 1987 : le comptage électrique », rapport d’études, direction des Études et Recherches, EDF, 26 p.

Fin 1986, les spécifications d’un système de télérelevé sont prêtes et don-nent lieu à des expérimentations en 1987 à Anthony et en 1988 à Versailles (Fig. 18) : « Rendre les comptages, placés à l’intérieur des domiciles, accsibles au releveur est certainement une contrainte pour tous. Il faut donc

es-sayer d’améliorer le relevé pour le rendre plus facile », peut-on lire sur les

supports d’information distribués aux foyers1. La localisation des compteurs (à l’intérieur des domiciles) pose un problème pour EDF. Comme le signale l’auteur du rapport d’activités du service Études des réseaux d’EDF en 1988 :

« Qui n’a eu à rester chez soi, ou à confier les clés de son domicile à un voisin,

pour permettre à l’agent EDF de venir lire l’index du comptage ? »2. En

ren-dant la relève indépenren-dante des clients, cela permet d’accélérer l’activité de relève des compteurs.

Fig. 18 — Un compteur électronique de 19883 (Source : EDF, 1989)

1

Bazin T., 1988, « Présentation des premiers résultats de l’expérience de télérelève de Versailles », rapport d’études, service Études de réseaux, direction des Études et Recherches, EDF, 19 p.

2 1989, « Rapport d’activités 1988 du service Études de réseaux », direction des Études et Recherches, EDF, 191 p., cité p. 66.

3 Photographie issue du « Rapport d’activités 1988 du service Études de réseaux », 1989, ibid.,

p. 88. Ce compteur électronique fait partie d’une présérie de 100 appareils en phase de qualification, datée de 1988. Compteur électronique assimilé ici à la 4e génération. Source : site Internet ENEDIS, consultation mai 2015.

Les premiers tests de compteurs électroniques dotés d’un boîtier de télé-relevé sont menés l’année suivante en 1988 chez les clients à Mulhouse, Di-jon, Reims, Rouen et dans la région toulousaine. Fin 1988, 20 000 compteurs électroniques sont posés sur le réseau électrique, et en 1991, ce sont 90 000 compteurs qui sont mis en place parmi les 8 centres pilotes d’EDF.

L’entrée du compteur électronique dans les foyers entre la fin des an-nées 1980 et 1990 intervient dans une phase d’achèvement de la marchandi-sation et de dérégulation économique des industries de réseaux techniques, s’accompagnant d’un retrait de pratiques de régulation économique telles que les financements publics ou les péréquations tarifaires. Le contexte d’ouver-ture à la concurrence et de baisse des tarifs concédés sur le marché des clients éligibles en 2000 — consommant plus de 16 GWh — a conduit EDF à de-mander en décembre 2001 une augmentation du montant de l’abonnement d’électricité des clients (qui sera refusée par l’État). Coutard et Pflieger (2002, pp. 145-146) l’analysent comme le signe des prémices de « dé-péréquations économiques de tarifs ». Toutefois, contrairement au secteur des télécommu-nications, la péréquation géographique des tarifs est réaffirmée comme mis-sion de service public dans la loi de modernisation de l’électricité de février 2000.

Parc de compteurs électroniques :

des disparités selon les logements et les territoires

En 2003, le parc de compteurs comprend essentiellement des compteurs bleus électromécaniques (78 %) et en moyenne 22 % de compteurs électroniques. Ils ont surtout été mis en place dans les maisons individuelles (21 %), dans les logements construits après 1989 (38 %), ceux datant d’avant 1948 (20 %) probablement parce que les logements ont été rénovés ainsi que dans ceux ayant eu une rénovation électrique ou encore des travaux d’isolation (23 %). Le compteur électronique est plus fréquent dans les petites communes (26 % dans les zones rurales et les villes de 2 000 à 5 000 habitants). Des disparités de diffusion existent selon les régions, notamment en Corse, dans les DOM et en Île-de-France où la proportion est moindre : 12 % sont en Corse, 17 % en Île-de-France contre 28 % en Franche-Comté1.

En 2010 (avant l’installation des premiers compteurs communicants Linky) en moyenne, moins de 25 % du parc technologique est constitué de compteurs électroniques.

Encadré n° 6 — Diffusions et disparités locales du parc de compteurs électroniques

Il faut préciser que les compteurs électroniques sont toujours en cours d’utilisation aujourd’hui. On sait qu’en 2003, les compteurs électroniques ont

1 Bozzi L., 2004, « Évolution du parc des compteurs bleus électroniques », groupe Marketing, Économie, Études clientèle, EDF R & D, 3 p., cité p. 2.

souvent été installés dans les maisons construites après 1989 ou dans des lo-gements ayant fait l’objet de rénovation (Encadré n° 6).

3.3 De l’idée du compteur du futur au projet expérimental de