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SYNTHESE BIBLIOGRAPHIQUE

I.1. a. Essor de la chimie du fluor

Dans une allocution prononcée devant l’assemblée du VIIe Symposium international sur la chimie du fluor (Santa Cruz, Californie, 1973), Joseph H. Simons évoque rétrospectivement « Sept Âges » de la chimie du fluor. Ce discours est disponible dans son intégralité dans le 32e volume du

Journal of Fluorine Chemistry (Simons, 1986), dont nous proposons ci-après un résumé commenté

(Cf. Figure 1.1).

Le premier de ces âges remonte à l’Antiquité, où la fluorite était utilisée en métallurgie pour promouvoir la fluidification des minerais métalliques. On doit d’ailleurs à cette utilisation première le nom de l’élément, qui en latin signifie écoulement (fluor, fluoris). Le second trouve son origine au XVIIIe siècle avec la réaction de la fluorite et de l’acide sulfurique décrite par Marggraf (1768), puis la distillation de l’acide fluorhydrique (HF) par Gay-Lussac et Thénard (1800), et se prolonge au XIXe avec les tentatives – infructueuses – d’isoler l’élément initialement pressenti par Ampère et Davy. C’est Henri Moissan qui parviendra finalement à isoler le fluor élémentaire (difluor gazeux, F2) par électrolyse de l’acide fluorhydrique (1886). Pour une description détaillée de cet évènement, on se réfèrera par exemple à l’excellent récit de Gaston Tissandier (1886). Le troisième de ces âges est dominé par les recherches de Moissan en France, de Swarts en Belgique, et de Ruff en Allemagne. Etape fondatrice pour la chimie de synthèse des composés organofluorés, Frédéric Swarts utilise en 1892 le trifluorure d’antimoine (SbF3) afin de convertir un dérivé aliphatique chloré en cholorofluorocarbure (Dolbier Jr., 2005).

Au début des années 1920, le premier acide perfluoroaliphatique est synthétisé par Swarts – il s’agit de l’acide trifluoroacétique, CF3COOH –, et le premier perfluorocarbure (CF4) est isolé. C’est le commencement du « quatrième âge » de la chimie du fluor. Dans la lignée des travaux de Swarts, les propriétés réfrigérantes des chlorofluorocarbures (CFC) (Fréons®) sont révélées par Thomas Midgley en 1928. Ces composés seraient bientôt amenés à remplacer les réfrigérants de première génération tels que l’ammoniac, le dioxyde de soufre ou le chlorure de méthyle, jugés trop dangereux en raison de leur toxicité et/ou de leur inflammabilité (Banks et Tatlow, 1986 ; Calm, 2008). En 1938, alors qu’il

travaillait sur des Fréons®, Roy J. Plunkett découvre fortuitement le polytétrafluoroéthylène (PTFE : (CF2CF2)n) au laboratoire Chemours de Jackson (New-Jersey). Le cinquième âge de la chimie du fluor coïncide avec la seconde guerre mondiale, qui entraîne un intérêt renouvelé pour la chimie inorganique du fluor, avec la production du trifluorure de chlore (ClF3) comme agent incendiaire, ou de l’hexafluorure d’uranium (UF6) dans le cadre des recherches sur la bombe atomique (Projet Manhattan). Rappelons toutefois que le PTFE aura, lui aussi, démontré son utilité dans le cadre du Projet Manhattan ; l’excellente inertie chimique de ce polymère le rend en effet apte à supporter des composés chimiques corrosifs tels que ceux utilisés pour l’enrichissement isotopique de l’uranium-235.

Figure 1.1. Evènements fondateurs de l’histoire de la chimie du fluor, adapté de Simons (1986) et de Dolbier Jr. (2005).

Ce n’est pourtant qu’à l’issue de la guerre que la chimie organique du fluor prendra véritablement son essor, que Simons identifie comme « sixième âge ». Les CFC (Fréons®) sont produits en masse (appareils frigorifiques, climatiseurs, aérosols) et le PTFE, commercialisé sous le nom de Téflon®, trouve des applications dans les secteurs de l’électronique et de l’automobile. Le Téflon® rencontrera un succès grandissant à partir des années 1960, ses propriétés antiadhésives en faisant un matériau de choix pour le revêtement des ustensiles de cuisine. Le brevet de la première poêle « qui n’accroche pas » est déposé en France en 1954 sous le nom de « Tefal » (contraction de téflon + aluminium). C’est également à cette époque que le procédé d’électro-fluoration est breveté par la compagnie 3M (Simons, 1949). Ce procédé sera déterminant pour la synthèse des surfactants perfluoroalkylés, nous y reviendrons par la suite (Cf. § I.1.b). Les années 1950 voient aussi l’éclosion

de l’intérêt du fluor pour des applications biomédicales. Dans le domaine de l’anesthésie, l’éther diéthylique est progressivement abandonné au profit de composés organofluorés toxiques et non-inflammables, tel que le fluoroxène (CF3CH2OCH=CH2) (1953). En 1954, Fried et Sabo montrent que l’introduction d’un atome de fluor en position 9-α de l’hydrocortisone (Figure 1.2) en augmente d’un ordre de grandeur l’indice thérapeutique (O’Hagan, 2010). Ces travaux pionniers ont ouvert la voie aux composés pharmaceutiques organofluorés (Figure 1.2).

Figure 1.2. Structure de quelques molécules organofluorées synthétiques à visée thérapeutique. Enfin, Simons de conclure qu’en 1973, la chimie du fluor est probablement entrée dans sa septième période qui en constituera l’âge d’or (« seventh heaven »). Le domaine de la chimie du fluor, fort des connaissances acquises au cours des six âges précédents, pourrait alors connaître une expansion fulgurante. Si l’on examine le cas du domaine biomédical, l’auteur n’aurait pas pu être plus perspicace. On estime actuellement à environ 20 % le nombre de médicaments prescrits ou administrés contenant au moins un atome de fluor ; lorsque l’on considère les 30 médicaments les plus vendus, cette proportion atteint 30 % (O’Hagan, 2010). Le LIPITOR®, dont le principe actif est l’atorvastatine (Figure 1.2), se classe souvent en tête des ventes par rapport aux autres substances pharmaceutiques, représentant en 2008 un volume de presque six milliards de dollars pour le seul marché des Etats-Unis d’Amérique (USA) (O’Hagan, 2010). Le fluor est également incorporé à la structure de la fluoxétine, principe actif du PROZAC® (Figure 1.2). En revanche, le « septième ciel » des chlorofluorocarbures (CFC) commence à s’assombrir dès le milieu des années 1970, lorsque Molina et Rowland (1974) suggèrent l’implication des CFC dans le mécanisme d’appauvrissement de l’ozone stratosphérique (réaction de l’O3 avec le radical chloré Cl. issu de la décomposition photochimique des CFC). Le retentissement de ces travaux est tel que des mesures réglementaires

sont bientôt mises en place afin de bannir progressivement leur production et leur utilisation. Si, en 1988, la production mondiale annuelle de CFC atteint encore un million de tonnes, elle fléchira bientôt sous l’impulsion du Protocole de Montréal (1987) pour passer sous la barre des 50 000 tonnes une dizaine d’années plus tard (Dolbier Jr., 2005). En parallèle, l’industrie chimique développe des réfrigérants dits de « troisième génération » tels que les hydrochlorofluorocarbures (HCFC) et les hydrofluorocarbures (HFC), et poursuit sa quête de composés à la fois inoffensifs pour la couche d’ozone et présentant un faible potentiel de réchauffement planétaire (Calm, 2008).

I.1.b. Diversité des PFAS – Synthèse, nomenclature, applications

Ainsi qu’il a été précédemment mentionné, les composés organofluorés d’origine naturelle sont rares. L’extrême réactivité du fluor explique également en grande partie la difficulté qu’ont eue les chimistes à isoler cet élément et à l’utiliser. Toutefois, l’essor de la chimie du fluor au cours du XXe siècle a rendu possible l’obtention de dérivés organofluorés synthétiques aux propriétés étonnantes, et qui ont rencontré de larges succès dans le domaine industriel et biomédical (Cf. § I.1.a). Les tensioactifs poly- et perfluoroalkylés (PFAS) font partie de ces « créations anthropiques » (Krafft et Riess, 2015). L’association de deux entités « incompatibles » au sein d’une même molécule, une chaîne fluorocarbonée à la fois hydrophobe et lipophobe d’une part, et un groupement hydrophile d’autre part, confère aux PFAS d’excellentes propriétés tensioactives (Krafft et Riess, 2015) (Cf. § I.2.c).

Si le premier acide perfluoroalkylé (CF3COOH) est synthétisé en 1920, ce n’est qu’au cours des années 1940 qu’apparaît le procédé d’électro-fluoration de la compagnie 3M qui permettra d’établir la première voie de synthèse des PFAS à l’échelle industrielle (Simons, 1949). Une voie de synthèse alternative, la télomérisation, sera développée par DuPont dans les années 1960 (Brace, 1961 ; Blanchard et Rhode, 1965). Alors que le procédé d’électro-fluoration est principalement la marque de fabrique de la compagnie 3M, le procédé de télomérisation est actuellement appliqué par des producteurs industriels de PFAS tels que DuPont, Daikin, Asahi, AtoFina ou Clariant (Stock et al., 2010).

L’électro-fluoration repose sur l’électrolyse d’un composé aliphatique par l’acide fluorhydrique anhydre (HF) afin de produire une chaîne perfluoroalkyle, l’ensemble des atomes d’hydrogène de la chaîne carbonée étant substitués par des atomes de fluor. Un exemple de la voie de synthèse de l’acide perfluorooctane sulfonique (C8F17SO3H, PFOS) et de l’acide perfluorooctanoïque (C7F15CO2H, PFOA) à partir

de ce procédé est présenté en Figure 1.3. L’électro-fluoration a été abondamment utilisée pour

la production de perfluorooctane sulfonyle fluoride (POSF) (C8F17SO2F) (Cf. également § I.2). Le POSF

est un produit de départ pour la synthèse de sels de PFOS (hydrolyse basique du POSF) (Lehmler, 2005), ainsi que pour la synthèse des dérivés N-alkylés du perfluorooctane sulfonamide (obtention de MeFOSA et EtFOSA par réaction du POSF avec la méthyle amine ou l’éthyle amine, respectivement) qui peuvent à leur tour être utilisés pour former les dérivés N-alkylés du perfluorooctane sulfonamido éthanol (FOSE) tels que le MeFOSE ou l’EtFOSE (réaction de MeFOSA ou d’EtFOSA avec le carbonate d’éthylène) (3M, 1999). Le POSF peut également être utilisé pour synthétiser des dérivés cationiques ou amphotériques, comme illustré sur la Figure 1.4 ci-après (Kissa, 2001).

Figure 1.4. Exemple de synthèse d’un PFAS cationique, le perfluorooctane sulfonamido alkyle ammonium (PFOSAmS), à partir du perfluorooctane sulfonyle fluoride (POSF) (Kissa, 2001).

Toutefois, la synthèse de POSF par électro-fluoration de l’octane sulfonyle fluoride (C8H17SO2F) entraîne, outre le produit principal (POSF linéaire : F3C-(CF2)7-SO3F), la formation de co-produits de réaction, ainsi que des sous-co-produits issus de réactions secondaires (3M, 1999 ; Benskin et al., 2010). On citera notamment des dérivés perfluoroalkyle sulfonyle fluoride de différentes longueurs de chaîne, tels que le perfluorohexane sulfonyle fluoride (PHxSF), ou encore des isomères ramifiés du POSF (3M, 1999). Ainsi, les composés organofluorés produits à partir de POSF contiennent généralement un mélange complexe d’isomères, dont les dérivés issus du POSF linéaire ne représentent qu’environ 70 % (Lehmler, 2005).

Bien que des différences entre lots puissent survenir, il a été estimé que l’isomère linéaire de l’acide perfluorooctane sulfonique (L-PFOS ou n-PFOS) ne représentait qu’environ 70 % des isomères du PFOS dans un lot de PFOS produit par 3M (lot 217), contre près de 30 % pour le total des isomères ramifiés (Br-PFOS), constitué majoritairement des dérivés monométhyles et isopropyle (~17 % et ~10 % du total des isomères du PFOS, respectivement) (Benskin et al., 2010). Ainsi que l’indiquent Buck et al. (2011), il existe en théorie 89 isomères possibles du PFOS ; cependant, seule une dizaine d’isomères ramifiés a été observée de façon récurrente dans l’environnement (Riddell et al., 2009), dont nous détaillons les structures en Figure 1.5. Ces profils d’isomères peuvent se refléter à la fois dans les standards de PFAS commerciaux et dans des produits contenant des PFAS dans leur formulation, tel qu’illustré en Figure 1.6, ainsi que dans les profils moléculaires observés dans l’environnement (Cf. § I.2). Outre les isomères ramifiés du PFOS, le standard de PFOS précédemment évoqué (lot 217) contenait comme impuretés majoritaires des acides perfluoroalkyle sulfoniques linéaires à chaînes courtes (C4–C7), notamment l’acide perfluorohexane sulfonique (C6 : PFHxS) (~ 5 % en masse), ainsi que du PFOA (~ 0.8 % en masse) et d’autres acides perfluoroalkyle carboxyliques, présents à l’état de traces (≤ 0.002 %) (Benskin et al., 2010).

Figure 1.5. Isomères du PFOS observés de manière récurrente dans l’environnement (d’après Riddell et al., 2009).

Figure 1.6. Profils des isomères du perfluorooctane sulfonate (PFOS) par chromatographie liquide couplée à la spectrométrie de masse en tandem (LC/ESI-MS/MS) (m/z 499  80), pour une formulation de PFOS issu de la méthode d’électro-fluoration de 3M (haut), et pour une formulation de ScotchGardTM (datant d’avant 2002), produit commercialisé par 3M pour le traitement de surface de textiles (moquettes, tapis) (bas). Adapté de Benskin et al. (2010).

De même, la synthèse du PFOA par électro-fluoration du fluorure d’octanoyle (C7H15COF) et hydrolyse consécutive ne conduit pas uniquement à l’isomère linéaire du PFOA (L-PFOA ou n-PFOA), mais produit un mélange d’isomères, le L-PFOA représentant environ 78–80 % du PFOA, contre ~ 20–22 % pour le total des isomères ramifiés (Br-PFOA) (De Silva et Mabury, 2006 ; Olsen et al., 2007). A noter que d’autres voies de synthèse, moins répandues, peuvent également conduire à des acides perfluoroalkyle carboxyliques ramifiés, tel que le procédé de fluoration directe en phase liquide (LPDF), ce qui pourrait expliquer les quantités mineures de Br-PFOA dans certains mélanges commerciaux de PFOA, ainsi que l’ont noté Benskin et al. (2010).

Outre l’électro-fluoration, l’autre voie de synthèse majeure des PFAS est le procédé de télomérisation qui implique un mécanisme radicalaire (Kissa, 2001) (Figure 1.7). La réaction débute sous l’action d’un amorceur photochimique, générant un radical perfluoroalkylé (CF3CF2.) à partir de l’iodure de perfluoroéthyle (CF3CF2I), appelé « télogène », qui pourra consécutivement réagir avec un « taxogène » tel que le perfluoroéthylène (F2C=CF2). A noter que le télogène de départ (CF3CF2I) peut être préparé par réaction du pentafluorure d’iode (IF5) et de diiode (I2) avec le perfluoroéthylène (F2C=CF2) en présence du réactif de Swart (trifluorure d’antimoine, SbF3) (Kissa, 2001). Au cours de la propagation, la chaîne perfluoroalkyle résultante s’accroît d’une unité –CF2CF2 à chaque itération (Figure 1.7). A l’issue des étapes de transfert et terminaison, le mélange final contient un mélange d’iodures perfluoroalkylés linéaires CF3CF2(CF2CF2)xI dont la longueur de chaîne perfluoroalkyle diffère d’une unité –CF2CF2 (Kissa, 2001 ; D’Eon, 2010). L’ajustement des rapports molaires des réactifs ajoutés initialement permet de contrôler le degré n de la réaction radicalaire afin d’obtenir majoritairement le produit désiré CF3CF2(CF2CF2)nI (Krafft et Riess, 2015).

Figure 1.7. Mécanisme radicalaire du procédé de télomérisation à partir d’iodure de perfluoroéthyle (CF3CF2I) et de perfluoroéthylène (F2C=CF2).

L’intermédiaire majoritairement obtenu par la réaction précédente est typiquement un iodure perfluorooctyle CF3CF2(CF2CF2)3I qui peut être soumis à une réaction d’oxydation en présence d’oléum (acide sulfurique fumant) ou à une réaction de carboxylation, afin d’opérer sa conversion en

acide perfluorooctanoïque (PFOA) ou en acide perfluorononanoïque (PFNA), respectivement (Benskin et al., 2010).

A l’inverse du procédé d’électro-fluoration qui produit des mélanges de composés linéaires et ramifiés (généralement en proportion 70:30), le procédé de télomérisation tel que décrit précédemment conduit à des mélanges d’iodures perfluoroalkylés linéaires exclusivement, avec un nombre pair d’atomes de carbone perfluoroalkylés.

Toutefois, il est également possible de produire des mélanges d’iodures perfluoroalkylés linéaires à chaînes impaires en prenant comme télogène de départ l’iodure de perfluorométhyle (CF3I) ou l’iodure de perfluoropropyle (CF3CF2CF2I) (Kissa, 2001). De même, l’emploi d’un télogène de départ ramifié tel que l’iodure de perfluoroisopropyle IC(CF3)2 permet d’obtenir des mélanges d’iodures perfluoroalkylés ramifiés (Benskin et al., 2010).

Les iodures de perfluoroalkyle CF3CF2(CF2CF2)xI obtenus à la fin de la réaction de télomérisation peuvent être convertis en iodures fluorotélomériques CF3CF2(CF2CF2)xCH2CH2I par addition d’éthylène (CH2=CH2). Ces composés constituent des intermédiaires clés pour la synthèse de composés polyfluoroalkylés tels que les fluorotélomères alcools (FTOH) ou les fluorotélomères sulfonates (FTSA). Les iodures fluorotélomériques peuvent également être convertis en perfluoroalkyle-2-éthane thiols (CF3CF2(CF2CF2)xCH2CH2SH) par réaction avec le thiocarbamide (H2N)2C=S et hydrolyse consécutive du sel de thiouronium (Kissa, 2001). Les thiols obtenus peuvent être à leur tour convertis en chlorures de perfluoroalkyle-2-éthane sulfonyles (CF3CF2(CF2CF2)xCH2CH2SO2Cl), des intermédiaires clés pour la synthèse de fluorotélomères cationiques et amphotériques (Kissa, 2001).

Une classification générale des substances poly- et perfluoroalkylées manufacturées est proposée en Figure 1.8, faisant apparaître dans le cas des surfactants fluoroalkylés (PFAS) la distinction entre voies de synthèse par électro-fluoration de celle par télomérisation. Dans les paragraphes qui suivent, quelques notions de nomenclature concernant les acronymes usuels pour les PFAS sont abordées, et un bilan des principales applications des PFAS est établi.

Figure 1.8. Classification générale des substances poly- et perfluoroalkylées manufacturées en trois grands groupes : i) les surfactants fluoroalkylés (PFAS), subdivisés en composés issus de l’électro-fluoration (ECF) et en composés issus de la télomérisation ; ii) les polymères hautement fluorés ; et iii) les perfluorocarbures (PFC).

Depuis leur prise en considération comme contaminants d’intérêt émergent au début des années 2000 (Cf. § I.2), l’acronyme « PFC » a parfois été utilisé dans la littérature pour désigner la famille des surfactants poly- et perfluoroalkylés comprenant un groupement fonctionnel polaire (Buck et al., 2011). Toutefois, en raison de la confusion possible avec les perfluorocarbures, dont certains sont des gaz à effet de serre répertoriés par le protocole de Kyoto, nous utiliserons le terme de « PFAS » (Buck et al., 2011) pour se référer à la famille de surfactants fluoroalkylés qui est ciblée dans le cadre de ces travaux.

Ainsi que nous l’avons précédemment mentionné, le procédé d’électro-fluoration conduit à l’obtention de composés perfluoroalkylés, alors que le procédé de télomérisation peut conduire à l’obtention de composés perfluoroalkylés ou polyfluoroalkylés en fonction des étapes de synthèse postérieures à l’obtention de l’iodure de perfluoroalkyle. Dans le cas des composés perfluoroalkylés, tous les atomes d’hydrogène de la chaîne alkyle précédant le premier groupement fonctionnel ont été substitués par des atomes de fluor. Dans le cas des composés polyfluoroalkylés, seule une partie des atomes de la chaîne aliphatique précédant le premier groupement fonctionnel sont fluorés (Buck et al., 2011). On désigne généralement les PFAS polyfluoroalkylés comme « fluorotélomères » (acronyme FT) afin d’opérer la distinction par rapport aux PFAS perfluoroalkylés, bien que la télomérisation puisse conduire à l’une ou l’autre de ces catégories. Par exemple, l’acide 6:2 fluorotélomère sulfonique (6:2 FTSA, CF3(CF2)5(CH2)2SO3H) possède une structure identique à celle du PFOS, à ceci près que seulement 6/8 atomes de carbone sont fluorés. Dans la chaîne fluoroalkyle du 6:2 FTSA, « 6 » désigne le nombre d’atomes de carbone perfluorés et « 2 » désigne le nombre d’atomes de carbone portant exclusivement des atomes d’hydrogène. La Figure 1.9 ci-après donne deux exemples afin d’illustrer la différence entre PFAS perfluoroalkylés et polyfluoroalkylés.

Figure 1.9. Exemples de PFAS perfluoroalkylés et polyfluoroalkylés.

Les PFAS fluorotélomériques ont généralement une chaîne polyfluoroalkyle linéaire de type X:2 où X est un nombre pair désignant le nombre d’atomes de carbone perfluoroalkylés et « 2 » traduit le nombre d’atomes de carbone portant exclusivement des atomes d’hydrogène. Ceci reflète

d’une part le procédé de télomérisation qui implique le plus souvent CF3CF2I comme télogène de départ, et d’autre part les étapes ultérieures qui impliquent souvent la réaction d’une oléfine tel que l’éthylène (CH2=CH2) avec l’iodure de perfluoroalkyle formé, conduisant à des iodures fluorotélomériques de structure CF3CF2(CF2CF2)xCH2CH2I. Cependant, l’analyse de la composition de mousses extinctrices indique que des composés de chaîne polyfluoroalkyle linéaire de type X:3 (où X est un nombre impair) ont été synthétisés, ainsi que des composés de chaîne polyfluoroalkyle linéaire de type X:1:2, où X est un nombre impair désignant le nombre d’atomes de carbone perfluoroalkylés, « 1 » désigne le nombre d’atomes de carbone partiellement fluorés, et « 2 » traduit le nombre d’atomes de carbone portant exclusivement des atomes d’hydrogène (Place et Field, 2012 ; D’Agostino et Mabury, 2014) (Figure 1.10).

Figure 1.10. Illustration de PFAS manufacturés fluorotélomériques à chaîne polyfluoroalkyle linéaire de type X:3 et X:1:2, où X est un nombre impair.

Au-delà de la typologie de la chaîne fluoroalkyle (perfluoroalkyle Vs polyfluoroalkyle), les PFAS peuvent se distinguer par la longueur de celle-ci qui peut affecter leur caractère hydrophobe et donc leur devenir dans l’environnement (Cf. § I.2). Par ailleurs, les PFAS peuvent être classés selon la nature du groupement fonctionnel hydrophile. Ainsi, les acides perfluoroalkyle carboxyliques (PFCA) et perfluoroalkyle sulfoniques (PFSA) sont les composés les plus fréquemment étudiés dans l’environnement (Cf. § I.2). Les Figures 1.11 et 1.12 recensent quelques-unes des principales sous-familles de PFAS perfluoroalkylés (Figure 1.11) et polyfluoroalkylés (Figure 1.12). Le cas échéant, l’acronyme usuel associé à la sous-famille est également spécifié.

Figure 1.11. (Suite).

Figure 1.11. (Suite).

Figure 1.12. (Suite).

Historiquement, l’une des premières applications des PFAS est survenue dans le domaine des mousses extinctrices hautes performances, lorsqu’au milieu des années 1960 le laboratoire de recherche de la marine américaine (« US Naval Research Laboratory ») propose l’emploi de dérivés perfluoroalkylés pour lutter contre les feux d’hydrocarbures (Tuve et al., 1966). Antérieurement, les mousses extinctrices à base de protéines (kératines, albumines et globulines hydrolysées) étaient généralement employées contre ce type d’incendie (Casey et Silvia, 1970), suite à la découverte de l’allemand Weissenborn en 1937 (Weissenborn, 1939). Malgré la présence d’un stabilisant tel que le sulfate de fer, ces mousses protéiniques étaient relativement délicates à appliquer aux feux d’hydrocarbures, et la moindre perturbation du film de mousse pouvait s’accompagner d’une ré-inflammation spontanée ; par ailleurs, ces mousses pâtissaient d’une durée de stockage limitée avant application, et s’avéraient peu compatibles avec l’application simultanée de poudres extinctrices (Tuve et al., 1966 ; Alm et al., 1992). Du fait de leurs excellentes propriétés tensioactives et de leur résistance à la chaleur, les formulations aqueuses de surfactants hautement fluorés facilitent la formation durable d’un film à l’interface entre le combustible et la mousse ; cette frontière à la fois imperméable aux vapeurs du combustible et au comburant (O2) permet d’étouffer les flammes et de prévenir la reprise de l’incendie (Moody et Field, 2000). D’où le nom d’agents formant un film flottant pour désigner ce type de mousses extinctrices (AFFF : « Aqueous Film Forming Foams »). Les mousses AFFF sont d’utilisation commune au niveau des aéroports civils et des bases militaires (feux de kérosène), des sites industriels, notamment les raffineries de pétrole, et de manière plus générale au niveau des sites d’entraînement des services de sécurité incendie. Il convient de noter que les formulations commerciales d’AFFF sont des mélanges complexes, qui peuvent comprendre, outre des tensioactifs fluoroalkylés, un éthoxylate d’alcool (tel que l’éther butylique du diéthylène glycol : CH3(CH2)3O(CH2)2O(CH2)2OH), un alcool gras (tel que le dodécanol : CH3(CH2)11OH), des agents stabilisants et des inhibiteurs de corrosion, ainsi que des composés polymériques hydroabsorbants (tels que les polysaccharides à base de xanthane) permettant de garantir la stabilité de la mousse lorsque celle-ci entre en contact avec un feu d’hydrocarbure polaire (Jho et al., 1996; Moody et Field,