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Chapitre I Analyse des concepts de primitivité et de subjectivité

Section 1 Esprit et liberté

Jusqu’à présent, la primitivité et la subjectivité ont été analysées en elles-mêmes, sans considérer directement leur rapport avec le thème de l’esprit chez Kierkegaard. C’est à présent vers ce thème qu’il faut se tourner si on veut faire ressortir en quoi ces deux réalités sont « possibilités de l’esprit » et ainsi mieux comprendre le mouvement dynamique par lequel l’individu devient esprit.

Sur ce point, une indication peut déjà nous servir de point de repère : dans La

maladie à la mort, Anti-Climacus déclare que « plus l’homme a d’imagination et de

passion, plus donc il est virtuellement proche de la foi143 ». Cette indication, jointe aux

analyses de Peder Jothen que nous avons mentionnées en introduction, viennent confirmer le sens donné à nos recherches jusqu’ici et nous invitent à nous tourner davantage vers ce que Kierkegaard dit sur l’imagination et la passion dans sa théorie des stades de l’existence pour mieux comprendre le passage à « l’esprit ».

Cependant, il est nécessaire auparavant de voir plus en détail comment Kierkegaard conçoit ce qu’est l’esprit et comment celui-ci s’actualise afin de mieux saisir vers quoi tendent les efforts du sujet en devenir.

L’esprit dans l’œuvre de Kierkegaard

À propos de « l’esprit », il faut d’abord remarquer que ce concept est très fortement déterminé au plan conceptuel dans l’œuvre de Kierkegaard. Concrètement, ce concept tantôt désigne différents aspects de la foi religieuse et en particulier chrétienne, tantôt renvoie à divers concepts philosophiques à connotation plus ou moins nettement anthropologiques. Marcia Morgan énumère de cette façon les principales significations qui entourent ce terme :

The main categories in which spirit is discussed include an understanding of the notion as the basic concept of human being ; the single individual ; actualizing individuality ; the self or subjectivity ; a representative, derived, and established relation ; internality or inwardness ; a form of certainty or resoluteness ; truth ; self-affirmation or self-duplication ; contrast or

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exclusion ; the positive principle Christianity has brought into the world ; Christianity itself ; that which gives life and brings faith ; something armed with weapons ; the facilitator of language ; an independent system, realm, world, or domain ; a paradox, absurdity, impossibility, an offense ; sobriety ; a synthesis of freedom and necessity, the temporal and the eternal, infinity and finitude, body and soul.144

Bien que tous ces différents sens du terme « esprit » semblent de prime abord difficiles à réconcilier (en raison notamment des deux axes que nous venons de mentionner), Marcia Morgan avance également que ces significations se trouvent pour l’essentiel synthétisées dans la conception du « moi » de La maladie à la mort. Ce texte dit de fait : « L’homme est esprit. Mais qu’est-ce que l’esprit? C’est le moi.145 » Ce moi est d’après Anti-Climacus une

synthèse d’éléments opposés, une synthèse « d’infini et de fini, de temporel et d’éternel, de liberté et de nécessité146 ». Ces réalités opposées que sont le fini et l’infini, le possible (ou

la liberté) et le nécessaire, le temporel et l’éternel, ne se rapportent pas simplement les unes aux autres statiquement (en d’autres termes, elles ne sont pas simplement posées en un être qui en serait la synthèse) ; au contraire, ce tout constitué d’éléments opposés se rapporte à lui-même, et ce rapport à soi-même constitue le moi en tant qu’esprit. Comme le dit Anti- Climacus « si le rapport se rapporte à lui-même, ce rapport est le tiers positif, qui est le moi.147 » Cette doctrine du rapport à soi-même intervenant comme un tiers entre deux

autres réalités fait écho à celle d’un autre pseudonyme de Kierkegaard, Vigilius Haufniensis, l’auteur du Concept d’angoisse. Selon ce dernier « l’homme est une synthèse d’âme et de corps. Mais une synthèse est inconcevable quand ses deux termes ne sont pas unis dans un troisième. Ce troisième terme, c’est l’esprit.148 » L’esprit est donc chez ces

deux pseudonymes un élément fondamental de l’être humain, un aspect constitutif de sa subjectivité qui a une portée anthropologique tout à fait fondamentale. Et comme c’est en devenant « transparent » et en « fondant » son moi « en la puissance qui l’a posé149 » qu’un

individu se réalise pleinement en tant qu’esprit, nous pouvons dire que nous retrouvons également, par la notion de « moi », la dimension proprement religieuse et chrétienne de « l’esprit ».

144 Marcia MORGAN, « Spirit », dans Steven M. EMMANUEL, William McDONALD et Jon STEWART [dir.], Kierkegaard’s Concepts : tome VI : Salvation to Writing, Farnham (Surrey), Ashgate (coll. Kierkegaard Research : Sources, Reception and Resources ; 15), 2015, p. 76.

145 S. KIERKEGAARD, La maladie…, p. 171. 146 S. KIERKEGAARD, La maladie…, p. 171. 147 S. KIERKEGAARD, La maladie…, p. 171. 148 S. KIERKEGAARD, Le concept d’angoisse, p. 145 149 S. KIERKEGAARD, La maladie…, p. 172

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Ceci dit, une des questions qui se posent à nous est celle de savoir ce à quoi les termes « infini », « fini », « nécessaire » et « possible » renvoient ; il est requis de savoir ce que chacun d’entre eux signifient pour saisir ce qui se trouve impliqué dans la conception du « moi » d’Anti-Climacus. En ce qui a trait à la notion de « fini » ou de « finitude », celle-ci renvoie selon plusieurs commentateurs à l’individu humain pris dans la concrétude de ses manifestations sensitives, physiques, sociales, historiques, etc. Cette dimension ne se limite cependant pas uniquement à l’organisme ou au corps humain ; la dimension finie de l’être humain est en continuité avec le monde naturel et historique dans son ensemble, au point d’englober l’ensemble du domaine de notre expérience du monde actuelle et possible. Comme le dit John W. Elrod, « reality is the actual world, the world of the senses, the world of cognition, loving, perception, playing150 »; selon Arnold B. Come « my body, my

whole individual physical/sensuous being, is the product of and is in continuing continuity with the entire natural and human world.151 » Ce dernier rajoute : « On the one hand, it is

what gives my existence its actuality, in being bound into the whole physical, sensuous, natural, animal, racial, human, social, historical world. On the other hand, it is (at least in part) my finitude in its concreteness and uniqueness that sets me off and separates me as over against every other creature and human being.152 » Elrod note aussi à propos du terme

« finitude » que « the term does not have a cosmological meaning but simply signifies the sheer, brute givenness of all that is in relation to the existing, becoming self.153 » Quant à

l’infini, il s’agit d’une image de soi que produit en nous le travail de l’imagination et qui est issue du processus d’abstraction de l’être humain. L’infini est le domaine tant des images que des concepts et prend pour base le moi pris dans sa finitude ; « while the imagination

infinitizes the self, it does not make the self something other than it already is.154 » Ou

comme il a été dit précédemment, l’imagination est « en somme le médium qui donne à l’infini155 ». Les notions de possibilité et de nécessité, quant à elles, sont dérivées des deux

notions précédentes et se manifestent lorsqu’on introduit dans celles-ci la dimension du temps, du devenir et de la liberté ; « the dialectic of the possible and the necessary pertains

150 John W. ELROD, Being and Existence in Kierkegaard’s Pseudonymous Works, Princeton (New Jersey), Princeton University Press, [1975], p. 46

151 A. B. COME, Kierkegaard as Humanist..., p. 32. 152 A. B. COME, Kierkegaard as Humanist…, p. 33. 153 J. W. ELROD, Being and Existence…, p. 34. 154 J. W. ELROD, Being and Existence…, p. 35. 155 S. KIERKEGAARD, La maladie…, p. 188.

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to freedom.156 » Come dit à ce sujet « so my freedom, my self, is defined in its very essence

by my capacity to construct in my imagination my future possibilities, my possible self, but only in so far as those possibilities consist of those little definite things I am able to do and in actuality do here and now157 ». De même Elrod dit que « possibility is in the future and

that towards which the self projects itself in hope158 » alors que « necessity refers to the

self’s concrete and factical limits.159 » Mark Bernier est plus explicite à ce sujet en

indiquant que le nécessaire « refers to one’s past and present conditions that have the capacity to limit one’s possibility ; one’s future (note, though, that possibility also transcends the necessary). The necessary is the actual self, the self at a certain moment in time, as it stands in the world.160 » C’est dans le travail dynamique de mise en relation de

ces éléments opposés que se réalise en définitive la liberté de l’individu ; « with this appropriation of the given in the movement of spirit, the self’s being as a relation which relates itself to itself is completed.161 »

Mais en quoi consiste plus précisément ce « rapport » qui s’établit entre ces diverses dimensions opposées et qui constitue le « moi » de l’individu? Sur ce point, Patrick Stokes propose comme analyse que la notion d’« intérêt » vient jouer un rôle essentiel dans la compréhension juste de l’« esprit ». Dans les analyses de La maladie à la mort, il y aurait à son avis « a certain type of self-reflexive consciousness […], one in which reflection contains within itself a decisively important self-relation that does not itself become the

object of reflection.162 » Cette analyse s’accorde avec le passage au début de ce texte où

Anti-Climacus affirme que « le moi est un rapport qui se rapporte à lui-même, ou cette propriété qu’a le rapport de se rapporter à lui-même ; le moi n’est pas le rapport, mais le fait que le rapport se rapporte à lui-même.163 » Ce « rapport à soi » a essentiellement pour tâche

de devenir transparent en lui-même et dans sa relation à Dieu ; c’est de cette manière que, selon Anti-Climacus, le désespoir (« la maladie à la mort »), qui est « un désaccord au sein

156 Mark BERNIER, The Task of Hope in Kierkegaard, Oxford, Oxford University Press, 2015, p. 15-16. 157 A. B. COME, Kierkegaard as Humanist…, p. 138.

158 J. W. ELROD, Being and Existence…, p. 56. 159 J. W. ELROD, Being and Existence…, p. 56. 160 M. BERNIER, The Task of Hope…, p. 16. 161 J. W. ELROD, Being and Existence…, p. 59. 162 P. STOKES, Kierkegaard’s Mirrors…, p. 67. 163 S. KIERKEGAARD, La maladie…, p. 171.

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d’une synthèse qui se rapporte à elle-même164 » est en définitive surmonté et que l’être

humain se réalise pleinement en tant qu’« esprit ».

Mais en quoi consiste cette « transparence »? À ces quelques remarques que nous venons de faire à ce sujet, il faut ajouter que l’esprit n’est pas purement et simplement une synthèse se réalisant à l’intérieur des limites mêmes de l’individualité humaine ; en son sens le plus plein, celui-ci est ouvert à Dieu et s’identifie avec la réalisation en l’individu de la foi chrétienne. Comme le fait bien remarquer Merold Westphal, la foi est dans les œuvres de Kierkegaard un « task word », un mot qui renvoie à une tâche en train de s’accomplir : déjà pour le Johannes de Silentio de Crainte et tremblement, « faith is not just a task but, like doubt and love, properly understood, the task of a lifetime.165 » Cette tâche est décrite

plus tard dans La maladie à la mort comme ce par quoi « le moi, étant lui-même et voulant l’être, devient transparent et se fonde en Dieu166 », Dieu étant « la puissance » qui « a

posé167 » le moi. Un passage du livre Les œuvres de l’amour aide à mieux entrevoir en quoi

consiste cette transparence :

Une chose est de porter sans cesse et exclusivement son esprit vers l’extérieur ou l’objet externe, et une autre d’avoir en pensant constamment conscience de soi, de son état ou de ce qui se passe en soi dans cet exercice de la pensée. Il n’y a vraiment de pensée que dans ce dernier cas où elle est faite de transparence ; dans le premier, elle est trouble et entachée de contradiction : en effet, ce qui explique rationnellement autre chose demeure en dernière analyse dans l’imprécision. 168

La transparence consiste donc d’abord dans un exercice par lequel la pensée demeure constamment tournée à la fois vers l’extérieur et vers le for intérieur de l’individu ; elle rejoint par là la dimension de l’intérêt qui, comme nous l’avons vu, est présence pleine et entière à soi-même au sein même de la conscience réflexive. Quand on y ajoute l’idée de Dieu comme fondement du « moi », on en vient à une conception par laquelle Dieu demeure constamment présent à la conscience de l’individu comme son origine et son fondement et vient pénétrer cette conscience toute entière de sa présence. Christopher B. Barnett fait bien remarquer ce fait quand il fait remarquer que la traduction plus littérale de

164 S. KIERKEGAARD, La maladie…, p. 174. 165 M. WESTPHAL, Kierkegaard’s Concept…, p. 19 166 S. KIERKEGAARD, La maladie…, p. 238. 167 S. KIERKEGAARD, La maladie…, p. 172. 168 S. KIERKEGAARD, Les œuvres…, p. 334.

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la « transparence » kierkegaardienne est « « is grounded in a see-through manner »169 », ce

qui signifie en somme que l’individu est capable, par la foi, de faire coïncider sa connaissance de soi avec le fondement même de l’être, si bien qu’il « sees and wills as God sees and wills170 ». On voit ainsi pourquoi la notion d’« esprit » est si fortement déterminée

au plan religieux : par extension, celle-ci vient à prendre dans l’œuvre de Kierkegaard une pluralité de sens divers en raison de son importance décisive pour comprendre le devenir de l’individu dans la sphère chrétienne. En définitive, on peut donc dire que le « moi » se réalise chez Kierkegaard dans une relation continue à Dieu dans laquelle sa conscience se rapporte simultanément à ce dernier, à lui-même et à son entourage.

Cependant, comme le fait remarquer Anti-Climacus, le « moi » humain peine à réaliser ce rapport plein et entier à lui-même, à Dieu et au monde ; son incapacité à réaliser ce rapport est au principe de ce qu’il appelle le « désespoir ». Cette « maladie », qui selon ce pseudonyme est « universelle », est issue d’un « désaccord171 » au sein du moi. Cette

maladie prend diverses formes selon sa manière de se rapporter aux divers éléments de cette « synthèse » qu’est le moi, et elle conduit l’être humain à ne pouvoir se réaliser. La source de cette maladie est d’après Mark Bernier le fait que nous vivons notre vie essentiellement séparés de l’éternel, de Dieu :

Despair, then, is of the lack of meaning and the inability to live an integrated life. This is rooted in our essential temporality, which renders our identities incomplete and fragmented. To be a self is to have this temporal structure, where we stare into our own indeterminateness, our own future, which is an inseperable horizon of our nature. What is lacking in our temporal nature is the eternal.172

À cet aspect plus « ontologique » du désespoir conçu comme une maladie qui affecte la synthèse du moi, s’ajoute la dimension plus dynamique de l’attitude du « moi » qui se maintient lui-même dans le désespoir, car comme le dit Anti-Climacus : « à tout moment où l’on est désespéré, on contracte cet état173 ». Cette attitude du moi désespéré qui conduit à

demeurer dans un état de désaccord avec soi-même est fondamentalement une fermeture à

169 Christopher B. BARNETT, From Despair to Faith : the Spirituality of Søren Kierkegaard, Minneapolis, Fortress Press, c2014, p. 57.

170 C. B. BARNETT, From Despair to Faith…, p. 58. 171 S. KIERKEGAARD, La maladie…, p. 174. 172 M. BERNIER, The Task of Hope…, p. 36. 173 S. KIERKEGAARD, La maladie…, p. 175.

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l’espérance, une volonté de ne pas espérer, une fermeture à l’éternel.174 Cette fermeture à

l’espérance qu’apporte l’éternité prend elle aussi diverses formes selon le type de désespoir dans lequel se trouve la personne, mais dans tous les cas il y a fermeture à l’éternel, et en particulier fermeture à l’aide que peut apporter l’éternité pour rétablir et accomplir la synthèse dans l’individu. L’enjeu fondamental pour le moi est donc en définitive d’après Anti-Climacus de surmonter le désespoir en s’ouvrant à une espérance authentique venant de l’éternité.

Devant ces analyses, la question qui se pose à présent est de savoir quel rôle viennent jouer la primitivité et la subjectivité dans l’avènement de l’espérance et le rétablissement du moi. Or, comme nous l’avons déjà vu, l’imagination paraît jouer un rôle fondamental dans le développement de la dimension infinie de l’être humain; la question demeure pourtant entière de savoir comment celle-ci et les autres aspects du « moi » interagissent les uns avec les autres et conduisent à la transformation de l’individu. Or cette problématique a déjà été analysée en détail dans l’ouvrage de M. Jamie Ferreira

Transforming Vision : Imagination and Will in Kierkegaardian Faith, où il est question du

rôle de l’imagination dans les « transitions » éthiques et religieuses ; nous prendrons donc cet ouvrage comme point de départ de nos réflexions. Après avoir dégagé en quoi consiste généralement ces « transitions », nous pourrons analyser à tour de rôle comment celles-ci se réalisent en étudiant comment se produit le passage d’un « stade de l’existence » à l’autre.

La « transition », actualisation de la liberté individuelle

Selon M. Jamie Ferreira, l’imagination tient une place centrale dans des transitions telles que le passage à la foi. Elle s’appuie à ce sujet dans Transforming Vision notamment sur l’affirmation du Post-scriptum comme quoi « dans la passion, le sujet existant devient infini dans l’éternité propre à l’imagination, alors pourtant qu’il ne saurait davantage être lui-même.175 » De ce passage, et d’autres semblables, elle déduit que chez Kierkegaard,

l’imagination ne fait pas que représenter des réalités diverses à notre conscience ; elle permet aussi de maintenir les opposés en tension : « ‘imaginative representation’ is not only the means of rendering infinite the finite subject, but it does so in such a way as to maintain

174 Voir à ce sujet le chapitre intitulé « Despair and Hope » du livre de M. BERNIER, The Task of Hope…, p. 57-80, où cette dimension du désespoir se trouve analysée en détail.

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that finitude of the subject in tension with its infinity.176 » Le sujet a besoin à la fois de

s’éloigner de lui-même dans l’infini et de revenir à lui-même dans sa concrétude pour accomplir la synthèse de ces éléments opposés. Comme Anti-Climacus le dit, la volonté est idéalement à la fois « au plus loin d’elle-même (quand elle est le plus livrée à l’infini dans le dessein et la résolution) » et « au plus proche d’elle-même dans l’exécution177 ». Or,

comme le dit Ferreira, « it takes imagination to hold the finitized and infinitized selves in tension with each other.178 » L’imagination viendrait donc jouer d’après elle un rôle

d’intermédiaire dans sa manière de maintenir plusieurs réalités ensemble dans le processus de synthèse de l’individu ; c’est ainsi que son statut en tant que « milieu » dans lequel toute forme de conscience, tant du fini que de l’infini, de soi-même que du monde, serait assuré. C’est en somme pour cette raison qu’Anti-Climacus parlerait d’elle comme de « la possibilité de toute réflexion.179 » Cette capacité de l’imagination expliquerait d’ailleurs

aussi d’après Ferreira pourquoi Kierkegaard « makes explicit the connection between passion and imagination in terms of the paradoxical tension which generates passion180 ».

Ceci dit, tandis que ces analyses de l’imagination et de son rôle décrivent bien le processus de transition chez Kierkegaard, la manière que Ferreira a d’expliquer ces mêmes transitions comporte certains aspects problématiques. Il en est ainsi notamment parce que celle-ci, pour expliquer l’acte libre chez Kierkegaard, emploie les notions de « métaphore » et de « changement de Gestalt » (« Gestalt shift ») pour rendre compte de la conception kierkegaardienne de l’acte libre. Selon son interprétation, les transitions s’opèrent par un changement de perspective qui se produit dans le sujet en raison de la tension que maintient l’imagination entre plusieurs perspectives de soi. La notion de « Gestalt shift » sert à illustrer comment un passage, ou un saut, d’une perspective à une autre s’effectue parfois

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