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4. Epidémiologie des infections fongiques au cours de la mucoviscidose

4.4. Les principaux champignons filamenteux colonisant les voies respiratoires des

4.4.2. Espèces du genre Scedosporium

En 1991, S. apiospermum a été rapporté pour la première fois dans le cadre de la mucoviscidose après l’isolement de ce pathogène à partir des expectorations de trois

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patients atteints de mucoviscidose (Chabasse et al., 1991). Depuis cette date, les espèces du genre Scedosporium sont devenues des pathogènes émergents dans la mucoviscidose. Elles se situent en deuxième rang (après A. fumigatus) parmi les champignons filamenteux isolés des voies respiratoires des patients atteints de mucoviscidose et présentent une importance particulière en raison de leur diagnostic difficile et de leur très faible sensibilité intrinsèque aux antifongiques (Bernhardt et al., 2013).

La prévalence des Scedosporium varie selon les études et selon les méthodes de détection utilisées (Borman et al., 2010). Plusieurs études indépendantes montrent que la prévalence de ces champignons dans la mucoviscidose augmente avec l’utilisation de milieux de culture sélectifs (Rainer et al., 2007b; Horré et al., 2009; Blyth et al., 2010; Masoud-Landgraf et al., 2014; Sedlacek et al., 2015) en lien avec l’inhibition de la croissance de l’A. fumigatus qui est souvent associé à ces champignons, facilitant ainsi la détection de

S. apiospermum dont la croissance est beaucoup plus lente (Figure 17). Dans ce contexte, l’utilisation des géloses YPDA-cycloheximide, DRBC-bénomyl ou encore Sce-Sel+ est donc fortement recommandée pour l’analyse des sécrétions respiratoires des patients. Des approches non-culturales ont aussi montré leurs efficacité pour la détection de S. apiospermum dans le contexte de la mucoviscidose, notamment des techniques moléculaires (Nagano et al., 2010 ; Kramer et al., 2015).

Figure 17 : Croissance de Scedosporium aurantiacum et Aspergillus fumigatus

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A l’exception de S. dehoogii, toutes les espèces du genre Scedosporium (S. apiospermum sensu stricto, S. boydii, S. aurantiacum, et S. minutisporum) sont capables de coloniser les voies respiratoires des patients CF (Blyth et al., 2010; Bernhardt et al., 2013; Zouhair et al., 2013; Sitterlé et al., 2014). Cependant, la prévalence de chacune de ces espèces dans la mucoviscidose varie selon les études. En France, S. boydii est l’espèce la plus fréquemment isolée avec un pourcentage de 62% suivie de S. apiospermum (24% des isolements), alors que S. aurantiacum représente seulement 10% des isolats et S. minutisporum 4% des isolats (Zouhair et al., 2013). En Allemagne, par contre, l’espèce dominante est S. apiospermum (49.4%) suivie de S. boydii (23,5%) (Bernhardt et al., 2013), tandis qu’en Australie S. aurantiacum est largement majoritaire (Blyth et al., 2010).

Même si aucun lien évident n'a été établi jusqu'à présent entre la colonisation à long terme des voies respiratoires et une détérioration clinique ou fonctionnelle, les espèces du genre Scedosporium ne sont pas des commensaux des voies respiratoires et, comme pour

A. fumigatus, la colonisation chronique des voies respiratoires doit contribuer à l'exacerbation de la réaction inflammatoire et donc à la détérioration progressive de la fonction pulmonaire (Giraud et Bouchara, 2014). Dans la plupart des cas rapportés, la colonisation du tractus respiratoire des patients CF par ces champignons était asymptomatique (Pihet et al., 2009). Cependant des cas de mycoses broncho-pulmonaires allergiques (MBPA) ont été rapportés dus à S. apiospermum (Cimon et al., 2000) ou à l’association de S. apiospermum et d’un Aspergillus (Lake et al., 1990; Miller et al., 1993; Kramer et al., 2015). Paugam et al. (Paugam et al., 2010) ont montré que les patients colonisés par S. apiospermum ont un risque significativement plus élevé de MBPA, ce qui incite à prendre en compte plus particulièrement l’isolement de ce champignon comme facteur de risque de détérioration de la fonction respiratoire. D’autre part, en raison de leur thermotolérance, de leur aptitude à la dissémination en cas de déficit immunitaire et de leur faible sensibilité naturelle aux antifongiques actuels, les espèces du genre Scedosporium

peuvent être à l’origine de scédosporioses disséminées souvent fatales en cas de transplantation pulmonaire (Castiglioni et al., 2002; Symoens et al., 2006; Sahi et al., 2007; Morio et al., 2010; Hirschi et al., 2012; Thomson et al., 2015). Dans les cas rapportés, les patients ont habituellement développé des infections invasives durant la première année après la transplantation (avec principalement des atteintes pulmonaires, cardiaques, cutanées, oculaires et cérébrales) et sont morts quelques semaines après le diagnostic. La plupart de ces patients étaient colonisés par S. apiospermum avant la transplantation, ce qui a amené certains auteurs à considérer qu’une telle colonisation chronique constitue une contre-indication pour la transplantation pulmonaire (Guarro et al., 2006; Parize et al., 2014).

A la manière des Aspergillus, les espèces du genre Scedosporium sont capables de coloniser de manière chronique les voies respiratoires des patients atteints de mucoviscidose (Defontaine etal., 2002; Morio et al., 2010; Borghi et al., 2010; Lackner et al., 2011; Bernhardt et al., 2013; Zouhair et al., 2013). Dans la plupart de ces études, la technique de RAPD développée par Zouhair et al. (Zouhair et al., 2001) a été utilisée pour la caractérisation de la colonisation des voies respiratoires par ces champignons. Ainsi Defontaine et al. (Defontaine et al., 2002) ont étudié les isolats provenant de neuf patients atteints de mucoviscidose. Cinq de ces patients ne présentaient qu’un seul génotype. Pour

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les autres patients, il s’agissait d’une colonisation chronique par un génotype largement prédominant associé à un ou deux autres génotypes rencontrés de manière transitoire, ou par deux génotypes distincts retrouvés simultanément ou successivement.

De même, cette technique a été utilisée pour la caractérisation des isolats lors d’une infection invasive mortelle suite à une double transplantation pulmonaire chez une femme de 37 ans atteinte de mucoviscidose. Six isolats séquentiels (collectés sur une période de 229 jours après la transplantation) ont été analysés : en dépit du traitement par voriconazole, un génotype unique a été identifié toute au long de cette période, démontrant ainsi la faible activité de ce triazolé sur ces champignons (Morio et al., 2010).

La résistance au voriconazole a également été documentée par le cas décrit par Borghi et al. (Borghi et al., 2010) concernant un patient atteint de mucoviscidose, colonisé de manière chronique par S. apiospermum et ayant développé par la suite un mycétome pulmonaire. En dépit du traitement, ce patient est décédé avec des signes neurologiques évoquant une atteinte cérébrale. Le typage moléculaire des isolats provenant de ce patient a révélé un génotype unique persistant sur une période de douze mois.

Enfin, plus récemment, Zouhair et al. (Zouhair et al., 2013) à la suite des révisions taxonomiques dans le genre Scedosporium, ont démontré par RAPD que, comme S. apiospermumsensu stricto et S. boydii, S. aurantiacum et S. minutisporum sont capables de coloniser de manière chronique les voies respiratoire des patients.

D’autres techniques moléculaires ont prouvé leur capacité de différenciation infraspécifique et révélé la grande diversité génétique des Scedosporium dans le contexte de la mucoviscidose. La technique AFLP a été utilisée pour le typage moléculaire d’isolats cliniques et les résultats obtenus ont confirmé que les voies respiratoires des patients peuvent être colonisées de manière chronique par un génotype unique ou à l’inverse par plusieurs génotypes (Lackner et al., 2011). De même, la MLST a été appliquée à l’analyse de 68 isolats cliniques de S. apiospermum sensu stricto et de 47 isolats de S. boydii. Cinq loci différents ont été séquencés, i.e. les gènes de l’actine (ACT), de la calmoduline (CAL, exon 3–4), la seconde grande sous-unité de l’ARN polymerase II(RPB2), la β-tubuline (BT2, exon 2–4) et la manganèse superoxide dismutase (SOD2). Les résultats ont révélé une grande diversité au sein de ces deux espèces, avec 8 séquences types (génotypes) détectés pour S. boydii (pour 14 patients) et 32 séquences types pour S. apiospermum (pour 34 patients). En outre, l’étude a confirmé l’aspect chronique des colonisations respiratoires par les Scedosporium (Bernhardt et al., 2013).

La colonisation des voies respiratoires par S. apiospermum est vraisemblablement due à l'inhalation de spores aéroportées. Néanmoins, la présence régulière de S. apiospermum dans les poumons des patients atteints de mucoviscidose est remarquable par rapport à la rareté de son isolement dans l'air (Guarro et al., 2006; Giraud et Bouchara, 2014). Pour exemple, le genre Scedosporium n'a été retrouvé que dans un seul des 130 domiciles investigués à Bruxelles (Belgique), se classant au 49eme rang parmi les 52 genres fongiques identifiés (Beguin et Nolard, 1994), et bien d’autres études n’ont pas permis d’isoler ces champignons à partir de prélèvements d’air au domicile des patients (Nagano et

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al., 2007; Sidot et al., 2007). Un tel écart soulève des questions sur l’origine de la contamination des patients et sur les mécanismes de sélection de ces champignons parmi la grande diversité des moisissures présentes dans l'environnement. Il est possible que ces champignons soient plus abondants dans l’environnement intérieur, mais que les méthodes classiquement utilisées pour leur isolement ne soient pas assez sensibles, et que leur présence ait été masquée dans ces différentes études par d’autres espèces fongiques à croissance plus rapide (Guarro et al., 2006).