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Partie I. Généralités

6. Structure et dynamique du génome de H. pylori

6.1. Espèce procaryote

Chez les procaryotes, l’espèce est caractérisée par la convergence de propriétés

génotypiques et phénotypiques :

- L’espèce englobe l’ensemble des souches ayant des similitudes ADN-ADN qui

se traduisent à la fois par des valeurs d'hybridation supérieures ou égales à 70 % et par une

- La plupart des souches d’une même espèce doivent posséder un certain nombre

de propriétés phénotypiques communes.

- La plupart des espèces non cultivables ne peuvent être assignées à des espèces

classiques en raison de l’absence de connaissance de leur phénotype.

- Un taxon non cultivable peut être assigné à la catégorie « Candidatus » i) si les

séquences de l’ARN 16S sont suffisamment différentes de celles des espèces classiques, ii) si

l’hybridation in situ peut être utilisée pour les détecter de façon spécifique, iii) et si une

description basique de leurs morphologie et biologie existe.

6.1.2. Hybridation ADN-ADN

Bien qu’introduites depuis plusieurs décennies, les données de l’hybridation

ADN-ADN (HAA) sont cohérentes avec celles récentes issues du séquençage complet de génomes

et du séquençage de multiples gènes de ménage. Cependant, il s’agit de techniques lourdes et

délicates à réaliser, difficiles à standardiser et proposées par très peu de laboratoires. De plus,

cette méthode de classification présente des limites : si les valeurs d'hybridation sont

supérieures à 70 % entre la souche A et B et entre la souche B et C, elles ne sont pas

nécessairement supérieures à 70 % entre la souche A et C, la conséquence en est un

assignement inconstant ou ambigu de souches dans une espèce commune.

6.1.3. Séquençage des ARNr ou séquençage des gènes codant pour les

ARNr

Les ARNr (ARN ribosomaux) ont été choisis dans le cadre d’études taxonomiques

pour trois raisons:

- Ils sont présents dans toutes les cellules, ce qui permet des comparaisons entre

procaryotes et eucaryotes.

- Ils présentent une structure conservée car toute modification importante peut

avoir des conséquences sur les synthèses protéiques. Il existe d'ailleurs des portions d'ARNr

dont la séquence est identique chez tous les êtres vivants.

- Ils sont abondants dans la cellule et faciles à purifier.

Les ARNr s'associent à des protéines pour former les ribosomes qui, chez les

procaryotes, sont constitués d'une sous-unité 30S et d'une sous-unité 50S. La sous-unité 30S

d'un ribosome contient de l'ARNr 16S et la sous-unité 50S contient de l'ARNr 5S et de

l'ARNr 23S. Les ribosomes sont des organites responsables de la traduction des ARNm en

protéines dont la fonction est essentielle à la vie. En taxonomie, on utilise le plus souvent le

séquençage de l’ARNr 16S ou le séquençage des gènes codant pour les ARNr (ADNr 16S).

Cependant, cette méthode manque de pouvoir discriminant par rapport à l’HAA. Des

isolats avec une similarité de séquence des gènes codant pour les ARNr de moins de 97 %

partagent des valeurs d'HAA inférieures ou égales à 70 % et appartiennent à des espèces

différentes. A l’inverse, des isolats présentant une similarité de séquence de plus de 97 %

peuvent ou non partager des valeurs d’HAA de plus de 70 % et ainsi appartenir ou non à la

même espèce. Des bactéries dont l’homologie de séquence de l’ARNr 16S est inférieure ou

égale à 98.7 % appartiennent toujours à une espèce différente. Cependant, le contraire n’est

pas forcément vrai.

6.1.4. Méthodes alternatives

Pour être validées, les nouvelles méthodes de définition d’une espèce microbienne

doivent donner des résultats cohérents avec l’HAA (Achtman and Wagner 2008). Le

séquençage d'un « gène de ménage » (« housekeeping gene », gène qui assure des fonctions

indispensables au métabolisme de base) ou de plusieurs "gènes de ménage" (MLSA ou

« MultiLocus Sequence Analysis ») s’est avéré être une très bonne méthode pour classer des

espèces au sein de genres bactériens. De nombreuses espèces bactériennes semblent composer

des populations génétiques différentes, suggérant que la MLSA pourrait permettre de

délimiter l’étendue d’une espèce bactérienne. Une autre alternative pourrait être basée sur

l’étude de la distance génétique entre deux génomes en se basant sur l’ANI (« average

nucleotide identity ») des gènes orthologues communs aux deux génomes. Une étude portant

sur 28 espèces montre que des valeurs d’hybridation ADN-ADN supérieur à 70 %

correspondent à une ANI de 95 %, suggérant que cette valeur pourrait être un cut-off pour

définir une espèce bactérienne (Achtman and Wagner 2008).

6.1.5. Concept d’espèces écologiques

La notion d’écotypes proposée par Cohan et al. reprend le concept d’espèces

écologiques et le développe (Cohan and Perry 2007). Les niches écologiques spécifiques

joueraient dans le monde bactérien le rôle sélectif que l'impossibilité de se reproduire opère

dans les règnes animal et végétal. Selon cet auteur, les écotypes sont des groupes d’individus

occupant la même niche écologique et susceptibles d’être l’objet de sélection périodique

(modèle de « l'écotype stable ») (Figure 11A). Les individus d’un écotype différent ne sont

pas sensibles aux mêmes évènements de sélection périodique. La sélection périodique a pour

conséquences d’augmenter la divergence entre écotypes et de limiter la diversité

intra-écotype. Ce mécanisme, qui purge régulièrement la diversité de l’écotype, est une force de

cohésion qui permet à un écotype de conserver son identité génétique. Avec le temps la

diversité inter-écotype est plus importante que la diversité intra-écotype et les écotypes

forment des entités. A terme, les différents écotypes sont suffisamment divergents pour qu’il

s’établisse entre eux une barrière génétique. Ainsi, ce concept d’écotype permet à la fois

d’appréhender les causes de la spéciation (les conditions écologiques), les forces de cohésions

garantes de l’intégrité de l’espèce (la sélection périodique) et les conséquences de la

spéciation bactérienne (l’isolement sexuel). Des scénarios alternatifs ont été proposés. Dans le

modèle « boeing », des populations géographiquement isolées peuvent diverger suffisamment

pour donner des populations génétiques différentes (ou géotypes). Cependant, la diffusion

géographique de ces populations à travers l’accélération des flux migratoires depuis 500 ans a

pu brouiller ces limites génétiques, aboutissant à la présence de plusieurs populations

génétiques appartenant au même écotype dans une même région du monde (Figure 11B).

Dans le modèle de « dérive génétique », la diversité génétique peut persister au lieu d’être

éliminée par la sélection périodique, notamment quand la taille de la population est petite

(Figure 11C). La recombinaison homologue entre écotypes peut ralentir l’élimination de la

diversité génétique (Figure 11D) et le transfert latéral de gènes peut faciliter l’émergence

continue de nouveaux écotypes avec une concomitante extinction d’autres écotypes « rivaux »

(Figure 11E).

Figure 11. Modèles théoriques de structure de la population bactérienne

Ces modèles sont toutefois contestés par Achtman et Wagner qui prônent une

définition plus large de l'espèce, indépendante d'une méthode d'analyse et d'un critère

universel (Achtman and Wagner 2008). Par exemple, toutes les souches de Salmonella

enterica subsp. enterica serovar Thyphi, agent de la typhoïde, descendent d’un ancêtre

commun qui a infecté l’homme entre 10 000 et 50 000 ans avant notre ère. Depuis cette

période, de nombreux génotypes sont apparus mais contrairement à ce que le principe de

sélection périodique laisserait présager, la plupart des anciens génotypes sont toujours

présents avec une diversité génétique formant un continuum et non des « gaps ». De plus,

alors que des mutants résistants à l’acide nalidixique ont été sélectionnés par l’usage intensif

des quinolones en thérapeutique humaine, ils cohabitent avec des souches sensibles à l’acide

nalidixique, ce qui va à l’encontre de la sélection périodique (Roumagnac et al. 2006). Ce

modèle illustre notre manque de compréhension sur la rapidité de purge de la diversité

génétique et le manque d’observations de modèles présentant une purge complète. Yersinia

pestis, l’agent de la peste, illustre d’autres limites de la notion d’écotype proposée par Cohan.

Y. pestis est génétiquement très proche de Y. pseudotuberculosis et ne formerait pas une

espèce différente selon les critères exposés précédemment pour la définir (cf Partie I.

Généralités : 6.1.1. Définition). Cependant, Y. pseudotuberculosis possède une niche

écologique et un mécanisme de transmission totalement différent de celui de Y. pestis. En

analysant la structure génétique de Y. pestis, le modèle le plus approprié est le modèle de

dérive génétique (Achtman et al. 2004). Les limites des écotypes putatifs restent donc à

définir : toutes les souches de Y. pestis correspondent-elles à un écotype ou chaque population

est-elle un écotype différent ?

L’espèce H. pylori est constituée d’un certain nombre de populations génétiques qui

sont retrouvées de façon prédominante dans les différentes régions du monde : Europe,

Afrique de l'ouest, du nord-est et du sud, Asie de l'est et du sud-est, Océanie et Sahul

(Australie, Tasmanie et Nouvelle-Guinée). Cette distribution géographique rappelle fortement

celle des différentes populations humaines. La diversité génétique de H. pylori est maximale

pour les souches provenant du nord-est de l’Afrique et décroît au fur et à mesure que la

population se trouve éloignée de cette région. Cette caractéristique est partagée par la

diversité génétique de l’espèce humaine (Falush et al. 2003; Linz et al. 2007). L'idée qui

émerge est qu'au sein d'une humanité originelle vivant en Afrique, la population ancestrale de

H. pylori a vécu assez longtemps dans son berceau africain pour développer une importante

diversité génétique. Puis une partie de la population humaine a migré depuis l'Afrique de l'est

vers d'autres régions du globe, emportant avec elle une partie du patrimoine génétique de la

population ancestrale de H. pylori. Dans chacune des régions colonisées par l’homme, les

bactéries présentes dans l’estomac se sont à nouveau diversifiées mais isolément et donc

différemment. Cependant, le transfert horizontal de souches entre groupes ethniques différents

et les recombinaisons lors d’infections mixtes favorisées par les migrations humaines récentes

ont commencé à brouiller ces frontières génétiques ancestrales.

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