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Ergothérapie : thérapie de et par l’activité humaine

L’ergothérapie est une thérapie de l’activité humaine par la mise en situation d’activité humaine. En effet, toute altération de l’être a une conséquence en termes de changement sur l’activité humaine. Ces modifications, ces altérations, peuvent devenir insupportables pour lui-même et/ou les autres. Cette dimension de l’insupportable renvoi à une perspective statique, mortifère où l’on ne peut plus être le propriétaire exclusif sous peine de céder, c’est-à-dire casser. Nous ne sommes plus maître de nous, dépossédé d’une partie de notre activité à être pour soi et avec les autres.

C’est lorsque cette rupture dans notre histoire survient, et ceci même lors d’interventions de prévention où la rupture est déjà présente comme l’émergence d’un possible qui prend forme et sens, que les rencontres avec l’ergothérapie adviennent. Cette rencontre est alors le lieu d’interrogation de l’activité du sujet, et parce que nous questionnons cette activité, ou cette non-activité, nous allons utiliser la médiation de celle-ci pour accompagner l’autre dans de nouvelles activités. Nous allons donc utiliser le support de l’activité pour promouvoir des changements corrélatifs à la pathologie. Cette promotion ne va pas de soi car, avant même de passer à l’action, les processus en jeu, afin d’envisager une intention de changements, c’est-à-dire la prise de conscience de notre propre système de valeur, sont coûteux affectivement, psychologiquement parce que au-

delà du simple engagement. Nous évoluons au plus profond de l’être, dans cette dimension de l’implication qui est vecteur de dangers, d’angoisse, de décisions. La démarche, parce qu’activité, nous fait regarder, non pas la personne, mais ce changement et ce, dans le respect de l’hétérogénéité de l’être. Elle doit être globale mais en aucun cas totale. Il n’est pas dans nos fatuités de tout connaître, de tout maîtriser. On ne prend pas en compte la totalité de la personne comme il est fréquent de l’entendre car le total, la totalité renvoi à un espace à deux dimensions, plat, et parce qu’il est tout, il est clos, fini, sans exception possible et avec des frontières, symboles de la maîtrise et du contrôle. Le temps en tant qu’il est histoire, vie est absent, voire nié. Nous sommes alors dans le registre de l’administratif, de l’homogène, membre du collectif et qui doit me ressembler. L’ergothérapie a une approche globale parce nous nous situons avec le sensible, l’humain, la communauté. Nous ne regardons pas tout de la personne, mais nous regardons tous quelque chose de la personne. Le global, la globalité évolue dans des géométries multiplans, dans l’infini. Ce qui est global est globalement précisé, il y a des limites, mais elles sont floues, impures et le lieu d’exercice, de questionnement. Nous inscrivons comme données viscérales la différence, l’hétérogène parce nous ne travaillons pas avec des matériaux stables mais dans l’aléa, l’incertitude, avec une inscription profonde de l’exception comme créatrice de la règle. Ceci ne sous-entend pas que, au nom d’une subjectivité omnipotente, nous fassions tout et n’importe quoi. La globalité comprend la rigueur, la totalité la rigidité. Nous laissons la place à l’incertitude, à l’incident comme source de construction de l’activité, comme fondement de cette dernière. En effet, comme l’arrivée est inscrite dans le départ, nous ne pouvons qu’être attentif à l’aléa comme source unique d’expression de l’autre et comme validité de notre impossibilité à maîtriser. Le savoir faire ne sous-entend pas le faire, ce n’est que dans l’appropriation de soi que le sujet décide. Lorsque le patient « sait faire » quelque chose (descendre les escaliers en fauteuil roulant…), parce que nous intéressons à l’activité de l’autre, nous avons inscrit en visée à ce projet thérapeutique l’acquisition de cette fonction dans les habitudes de vie du patient. C’est-à-dire qu’il ne sait pas totalement maîtriser son fauteuil roulant, mais globalement l’utiliser. Le patient a intégré les conséquences de cette rupture

(paraplégie), a fait le deuil, et la remédiation mise en place devient une habitude et donc le soubassement de sa vie. L’habitude est un ensemble d’activités auxquelles nous faisons référence quotidiennement de façon non consciente et qui demandent une prise de conscience pour ne pas les réaliser. C’est dans cette inscription du quotidien, grâce à notre posture, que l’acte ergothérapique vise à une appropriation de ces nouvelles modalités de vie afin que l’amorce du changement puisse être opératoire sur le lieu de vie de l’autre. Combien de patients utilisent leurs aides techniques, les conseils, uniquement à l’hôpital, les mettant au placard dès leur retour au domicile. Ce n’est que lorsque le patient entrera dans une démarche d’arrivée et non de retour (Guihard, 2001) que ces processus pourront être qualifiés de diachroniques.

L’action s’inscrit dans une « raison d’agir » qui emprunte à la psychologie en tant que choix, réflexions, décisions personnelles et donc éthiques. L’action englobe la triple dimension de l’acte, de l’action, de l’activité en tant qu’elle est passage à l’acte visibles, (dé)montrable, repérable et dans une certaine mesure connaissable. L’action est le terme générique de tous les choix, les possibilités qui nous sont offerts, que nous nous donnons en vue de… L’instance d’expression de cette dialectique entre acte et action est l’activité qui comprend la part visible de nos contractions musculaires, mais aussi la part invisible de nos délibérations internes et des retours de nos six sens puisque aux cinq

sens « traditionnels », il nous faut ajouter la proprioception, sens à part entière et qui participe au retour d’information (Schwartz, 2000, p 643). Elle est le sens du corps en tant qu’il nous permet de sentir, en dehors de tout autre sens, ce qui a été fait, ce qui se fait à l’images des pilotes de lignes qui en situation de vol extrême, pilotent avec la capacité kinesthésique de leur corps faute de recevoir des informations de la vue, de l’ouie, de l’odorat… Mais l’action est aussi sociale et donc normée

Instrument Acte Outil Action Pratique Plaisir Utile Superflu Nécessité Sens Science Art Travail Jeux Conservation Gaspillage Raison Rêve

Père Meurtre du père Productif Inutile

Achèvement Devenir Réflexe Intention Dépendance Autonomie

parce qu’humaine et volonté. Cette dimension sociale permet la régulation par le droit en tant que modalité du vivre ensemble et donc relève de l’ethnique car l’entrée en culture est inséparable d’un arrachement qui nous fait étrangers à nos propres origines 23 et nous place dans une logique du vouloir, de la volonté de puissance. Le vouloir veut et se veut universel car ce que je veux, je le veux comme obligation pour l’autre d’accepter cette volonté comme justifiée, objective, comme le meilleur des choix pour lui et pour moi. Tout le monde doit donc accepter ma volonté car elle a valeur d’universel. Mais en même temps, ce que je veux est un objet, une fin donc un objet particulier. Un singulier se veut pluriel d’un particulier. C’est donc une volonté particulière qui veut être partageable dans une volonté folle d’universel. Je le veux car j’ai raison sur tout. Mais la volonté en tant que raison pure reste vide car il lui manque l’agir. Le sujet est despotiquement désirant de tout et de son contraire, il vit de la contradiction car il est la contradiction lui-même. L’individu en tant que sujet socialisé est agir médié par la symbolisation sociale et cet agir est l’expression de cette dialectique

entre l’autonomie folle de la psyché et l’aliénation à notre fond culturel24. Il s’agit d’entrevoir cet agir comme lieu de la tentation et de la tentative. « Le bien de l’homme et de la fonction de l’homme ne s’exerce complètement que dans la communauté des citoyens25 ». P Ricœur propose ainsi quatre phases relatives à l’action :

1. Je peux (potentiel, puissance, pouvoir) ; 2. Je fais (mon être, c’est mon acte) ;

3. J’interviens (j’inscris mon acte dans le cours du monde, le présent et l’instant coïncident) ;

4. Je tiens ma promesse (je continue de faire, je persévère, je dure).

24 Il ne s ‘agit pas ici de penser pour autant que le cerveau fonctionne en autodétermination, pas

plus qu’en hétérodétermination, mais bien par le jeu de la dialectique entre les buts propres au corps en tant qu’il est « programmés » pour s’adapter et adapter – conditions universelles et génériques de sa survie, mais aussi, parce que nous sommes hommes, vis-à-vis des buts du sujet. Il est difficile de ne pas privilégier une porte d’entrée par rapport à l’autre, mais il nous faut tenir ses deux axes ensembles car nous sommes sujet indivis-duel tout en étant la société. Sans homme, il n’est pas de société. Cela dit, nous ne pouvons nous réduire à l’homme comme social car ce serait nous amputer de notre potentiel d’autorisation qui est du champ du politique et non du social. Qu’est ce à dire pour l’ergothérapie ? Que nous ne pouvons pas poser un homme seul face à un environnement qui serait la réalité en soi. Cela ne permet pas de préciser en quoi nous avons accès à une réalité en soi. Est-ce à dire qu’il y a une interaction entre l’homme et son environnement ? Non, bien entendu car ce serait sous-entendre des capacités d’agir à cet environnement, des buts, des objectifs. Où l’on voit très vite que cette position ne peut tenir longtemps car il est dans l’environnement les autres hommes qui ont des projets propres, comme les escaliers qui en sont dépourvus. Cette impasse tient à l’imprécision du terme environnement. Que pouvons-nous mettre sous ce mot ? Que recouvre la situation de handicap ? Le sens commun nous renseigne bien quant à la situation du paraplégique face à un obstacle matériel infranchissable et nous concevons facilement que ce puisse être une situation de handicap. Mais qu’en est-il lorsque ce même paraplégique est face à cet obstacle infranchissable seul tout en se trouvant à coté de personnes qui ne souhaitent pas l’aider à le franchir ? Il y a une incapacité à réaliser le projet de continuer son chemin. Mais à cause de quoi ou de qui ? De la personne paraplégique, non pas à cause de sa lésion médullaire qui lui ôte sa capacité à déambuler « normalement », mais bien parce que cette personne a décidé de maintenir son projet, refusant par la même de modifier tout ou partie de ce projet. Ou bien est-ce à cause de cet obstacle mais ce serait lui prêter des intentions, de la réflexion, du choix… ou bien est la faute du tiers qui ne veut pas aider ? Mais le paraplégique, fait- il une demande d’aide implicite, explicite, sous quelle forme ? Est-ce un refus à une demande, un refus avant la demande