• Aucun résultat trouvé

Puisse que nous avons posé que l’activité est la liberté (Cf.§ précédent), nous allons tenter de préciser ce distingo entre la prise et la préhension, entre le geste et la fonction. En effet, le mouvement (la prise, le geste) est autre chose que l’action, l’activité. La prise est un déplacement, un mouvement que l’on observe, qui se produit (les muscles fléchisseurs des doigts se contractent) tandis que la fonction, la préhension se décline par rapport au sujet qui produit ce geste, signe de la fonction qui donne l’intention (je prends un stylo pour écrire). La première est neutre, mécanique, rationnelle (le corps se penche en avant) alors que la deuxième expose un sens observable et interprétable, un choix, une volonté d’agir pour transformer une situation (je me penche pour attraper mon stylo). C’est dans cette action visible, ou cette non-action tout aussi visible, que l’autre m’engage à interpréter cette fonction comme tentative de communication du motif de cette

C. Castoriadis : Elle a évidemment les deux versants. L'interaction entre l'imaginaire social et l'imagination radicale singulière est là dès le départ ; la rupture de la monade psychique commence avec cela Et l'agent essentiel de cette rupture, de la socialisation de l'infans, c'est la mère. » (Castoriadis, 1997)

activité et in fine, du sens qu’il souhaite me voir donner comme lien social. C’est donc par l’activité raisonnable, et non par l’activité causale, que s’exprime l’ici et le maintenant dans le devenir, et non l’ailleurs, le passé et dans une causalité qui place l’agent, et non l’auteur (J. Ardoino, 1996), de l’activité en dehors de cette dernière.

L’activité raisonnable peut être qualifiée de libre, de liberté car nous en sommes l’auteur au sens plein du terme. Il y a du don, de la dette et ce don21 veut parler… L’activité causale doit être entendu comme obligation, contrainte, comme désigné

21 Deux éléments se chevauchent : D’une part la situation institutionnelle qui fait que la personne

se crée un objet avec le thérapeute dans une relation contractuelle (le thérapeute est payé pour ça) et d’autres part, dans la mesure où la relation est suffisamment bonne, un autre niveau d’échange apparaît dont nous faisons l’hypothèse qu’il est de l’ordre du don, de l’échange gratuit. De ces deux niveaux d’échange (marchand et gratuit), nous pouvons en dégager un troisième qui est celui du don de l’objet in fine à un membre de la famille (père, mère, enfant, épouse…), troisième niveau que nous devons avoir en tête car il nous faut accompagner la personne dans la préparation de ce moment crucial. Parce que les niveaux d’investissement objectaux sont très différents et que le moment de ce don n’est pas borné, codé socialement – contrairement au rite de la remise du cadeau lors de la fête des mères par exemple – la personne prend le risque énorme de ne pas se voir pleinement reconnu dans ce don qui doit permettre la création d’un espace d’échanges où les culpabilités respectives du donataire et du receveur peuvent s’exprimer à moindre risque et à moindre coût. Il s’agit de permettre la relation par le biais, l’intermédiaire de cet objet offert et qui est alors le support de la parole, le conteneur d’un trop plein d’affects et joue ainsi l’amortisseur de cette (trop ?) grande différence de niveaux d’investissement. Il s’agit bien de ce que le don veuille parler.

Lorsqu’une personne est hospitalisée, elle prend le doux nom de patient et en tant que telle, elle reçoit des soins, patientant si possible sagement. De par cette position, elle est exclue, elle s’exclue du don non marchand, c’est-à-dire que cette relation don-dette n’a plus de sens pour elle. Tout au plus est-elle revendicatrice par rapport à l’institution et donc par rapport au contrat social et professionnel qui lui donne(rait) des droits en tant que client. Or le don est synonyme d’investissement objectal, affectif et symbolique et pour pouvoir dépasser le cadre du patient et ainsi regarder la relation personne-thérapeute comme de l’ordre du don qui veut parler, il nous faut appréhender cette limite entre l'échange marchand qui fait que nous sommes salariés, professionnel et le don en tant que porteur de relation égale. Mais cette égalité n’est pas une égalité quantitative qui est toujours une quête de réduction de l’écart, de la différence, qui cherche l’annulation de cette dernière par l’indifférenciation. En effet, comme le précise Gilles Deleuze (1999, p49) « La quantité comme concept abstrait tend toujours essentiellement à une

identification, à une égalisation de l’unité qui la compose, à une annulation de la différence dans cette unité. […] La qualité se distingue de la quantité, mais seulement parce qu’elle est ce qu’il y a d’inégalable dans la quantité, d’inannulable dans la différence de quantité. » Dans le don, doit

agir une égalité qualitative qui est la prise en compte de la différence, de l’hétérogénéité. Il ne s’agit plus alors de compenser, de tenter de diminuer un écart par rapport à une norme, mais de construire sur cette différence, avec elle. La différence est constitutive de l’être car elle fait notre singularité et offrir un objet n’est pas dire que je suis comme toi, égal à toi, mais que je suis comme moi et qu’il est l’instance de l’échange de nos différences. Ainsi pouvons nous dépasser la faute objective pour prendre en compte la culpabilité subjective et l’élaboration psychique qui en

volontaire pour faire. Il y a donc dans l’activité libre, dans la fonction, dans la préhension du désir. Nous nous situons dans le deuxième axe de la notion de travail comme exposé précédemment, dans l’ergon. Or l’ergothérapie s’adresse, à ce désir, à l’humain et non exclusivement au mécanique et au besoin.

Cette liberté implique que l’autre ait mis en place une stratégie, élaboré des raisonnements, opéré des choix avant d’exposer, d’exprimer, de réaliser une activité qui est le reflet de ce processus dans lequel le sujet a placé son désir, c’est-à-dire qu’il a assumé tout ou partie de l’angoisse, de la souffrance relative au choix, aux conflits inhérents à ce désir. Cette activité est partagée entre ce caractère subjectif (le désir) et son objectivité, sa réalité (le geste), entre une dimension irrationnelle et sa réalisation pratique, entre la compréhension et l’explication. Le désir, l’activité est double langage, mouvement entre la rationalité car adaptée à une fin et l’irrationalité parce que le désir est dans cette dimension. C’est par l’évaluation du sujet de l’action, sujet grammatical (Je prends un verre pour boire) et sujet ontologique, que l’on peut observer la place de l’autre et son niveau d’implication dans l’activité en termes d’auteur de…(J. Ardoino, 1992), c’est-à-dire d’être ou ne pas être reconnu explicitement comme à l’origine de… 22, comme responsable de…, comme expérience de rencontre socialement partageable et non pas égocentrique, autistique.

Cette prise en considération subobjective pose le cadre institutionnel de notre intervention d’ergothérapeute qui réfute l’exclusivité du geste pour y voir la fonction, un possible de liberté, une autonomie. L’écoute de l’autre (sujet grammatical, psychique, physique et thématique), de cette activité, accompagne le passage à l’acte qui n’est pas exclusivement un geste arbitraire mais qui s’inscrit dans une création radicale (C. Castoriadis, 1975), dans une œuvre commune aux protagonistes de cette rencontre. Alors, parce qu’il y aura une reconnaissance

22 Néanmoins, il ne s’agit pas de mettre la position d’auteur sur un piédestal, il est des situations où

il est plus confortable, économique de n’être qu’agent, voir qu’acteur. L’activité causale, contrainte, dégage celui qui l’exécute d’une partie anxiogène du choix, de la responsabilité. Ces positions (agent, acteur ou auteur) ne sont que des possibles qui sont pris en compte dans l’économie psychique de chacun dont certains peuvent être altérés par l’aliénation mentale dans la situation institutionnelle qui nous préoccupe.

mutuelle, discours réciproques, un vouloir commun, s’élaborera un niveau d’activité qui sera déplacé par la création d’une nouvelle loi issue des valeurs internes de chacun (subjectif) et du cadre (objectif) de cette relation. La liberté est autonomisation parce qu’il y a la règle et comme nous l’avons précisé, l’ergothérapeute est responsable de cette loi, c'est-à-dire de cet interdit, de la liberté de l’autre. Sans loi, il n’y a plus de liberté car il n’y a plus de possibilité de désobéissance, de transgression, de création. Or le geste, parce que mécanique, ne fait qu’aller contre, c’est-à-dire s’appuyer sur ; tandis que la fonction va au-delà, elle s’appuie contre comme guide, comme protection, mais aussi, elle repousse, elle transforme, elle (s’)oppose, elle crée. Il s’agit alors de regarder cette activité libre, cette fonction comme un discours que l’autre me donne à entendre, comme expression de ses capacités à créer, se créer un monde que l’autre doit chercher à rencontrer, à comprendre ; comme désir à faire et à être avec, comme capacité à gérer les dépendances à la loi qui doit être extérieure et suffisamment bonne pour que l’énergie psychique de la décision d’action ne soit pas passage à l’acte mais sublimation du désir, autorisation du sujet participant à la vie, en premier lieu institutionnelle, puis sociale-historique ; comme reconnaissance de sa propre existence inscrite dans la communauté. Je suis par le type d’activité que j’adopte. Néanmoins, cette perspective ne nie pas le besoin de prise en compte du geste. Qu’en serait-il de la fonction sans le geste ? La restauration des amplitudes articulaires, la prise en charge pharmacologique de la crise d’angoisse sont indispensables. La pathologie s’exprime en signes, en syndromes et il faut une prise en compte de ces altérations tout en y incluant une dimension plus globale des conséquences sociales de ces changements. Cette prise en compte passe par différents cadres de prise en charge (psychiatres, médecins, infirmiers, kinésithérapeutes, ergothérapeutes…) qui participent, non pas à un découpage, à une volonté d’intégration des gestes en un tout qui ne peut exister dans une telle démarche, mais à une remédiation globale des altérations des activités, des fonctions. L’activité va au-delà du geste, de l’acte, il y a prise en compte d’un autre niveau de désir qui s’inscrit dans une activité, certes de rééducation, mais aussi ludique, de vie quotidienne, sociale. En kinésithérapie par exemple, l’attention est focalisée sur la récupération des amplitudes articulaires, sur une

reprise de la marche…, temps indispensables pour le traitement du patient. En ergothérapie, et grâce à cette complémentarité, cette récupération articulaire est proposée par le biais, non plus exclusivement du geste, mais dans une activité socialement partagée. Quand le patient réalise un jouet en bois, peint une toile, non seulement il participe à des actes de rééducation fonctionnelle, mais en plus, il (re)découvre le plaisir de faire, peut utiliser l’objet réalisé, en court de réalisation, comme symbole d’un mieux être, comme expression d’un possible à nouveau, d’une dynamique qui s’installe dans un cadre thérapeutique partagé. Toute altération d’un geste n’est que le signe objectif d’une perte de l’autonomie de l’activité humaine.