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3. L ES MARQUES EPIGENETIQUES

3.4. Epigénétique et cancer

3.4.1. Notions générales

La dérive d’une cellule vers la formation d’un cancer passe par l’activation d’oncogènes et l’inactivation d’oncosuppresseurs [108-111]. Selon la théorie de Knudson (2001), l’inactivation d’oncosuppresseurs nécessite, en règle générale, l’inactivation des deux copies du gène [112]. Trois classes de « coups » peuvent participer à la perte totale d’activité d’un oncosuppresseur : la mutation directe d’une séquence codante, la perte de parties, ou de copies entières de gènes ou alors la perte d’expression due à des mécanismes épigénétiques [113]. L’altération directe de l’expression d’oncosuppresseurs n’est pas le seul mécanisme

épigénétique impliqué dans le cancer : une diminution globale de la méthylation de l’ADN est retrouvée dans les cancers et pourrait être la cause d’instabilités génomiques conduisant au cancer [108-110, 114-117]. La perte d’empreinte parentale, pouvant conduire à la surexpression d’oncogènes peut également participer aux stades précoces de la cancérogenèse [118]. Plus récemment, un nombre croissant de données montre que la méthylation des îlots CpG dans les promoteurs d’oncosuppresseurs peut inhiber leur expression et conduire au cancer [108-110]. Enfin, les cytosines méthylées ont une forte propension à être converties en thymines, aboutissant à la formation de mutations et pouvant également faire partie du processus de carcinogenèse [119].

3.4.2. Epigénétique de BRCA1 et BRCA2 dans les cancers du sein et de l’ovaire

Les mutations héréditaires de BRCA1 et BRCA2 sont responsables d’environ 10% des cancers héréditaires du sein et de l’ovaire. De nombreuses études se sont par conséquent intéressées aux mécanismes qui pourraient inactiver ces gènes dans les cancers sporadiques et plus particulièrement aux mécanismes épigénétiques. La majorité de ces données concernent la méthylation des promoteurs de BRCA1 et BRCA2 dans les cancers du sein et de l’ovaire.

La méthylation de BRCA1 au niveau d’un site de liaison CRE (élément de réponse à l’AMPcyclique) dans le promoteur du gène induirait une perte de son expression [120-122]. Selon les études, la méthylation de BRCA1 est retrouvée dans une proportion extrêmement variable (de 5 à 60%, environ) dans le tissu tumoral de cancers du sein sporadiques. En revanche, cette méthylation semble beaucoup plus rare dans les tumeurs mammaires de patientes porteuses de mutations héréditaires au niveau de BRCA1 ou BRCA2 et serait donc rarement responsable du deuxième « coup » de la théorie de Knudson [123-125]. Trois études récentes révèlent la présence de cette marque dans les patientes présentant un risque héréditaire non associé à une mutation BRCA1 ou BRCA2 [126-128], en opposition avec les résultats de Chen et al. [129]. Bien que cette marque ait été retrouvée au niveau de cellules germinales [130], il semblerait qu’elle ne soit, en général pas retrouvée dans les tissus sains [131-133]. Toutefois, des études montrent que la méthylation du promoteur de BRCA1 est détectée dans le sérum ou le plasma de patientes porteuses de tumeurs méthylées pour BRCA1 [134-139]. A l’heure actuelle, peu d’études se sont intéressées aux mécanismes responsables de l’hyperméthylation de BRCA1 dans les cancers du sein. Butcher et Rodenhiser (2007) ont montré que la DNMT3b est surexprimée dans les tumeurs du sein sporadiques où BRCA1 est réprimé et la protéine CTCF, possédant un rôle dans le maintien de la déméthylation du promoteur de BRCA1 [140] est délocalisée dans le cytoplasme des cellules tumorales [141]. Hachana et al. (2009) ont pour leur part montré que l’augmentation de la méthylation de

BRCA1 est associée avec la présence du virus SV40 dans les tumeurs ductales invasives du

sein [142]. Enfin, Jin et al. (2010) ont révélé que la surexpression de UHRF1 (ubiquitin-like containing PHD and RING finger domain1) pouvait être à l’origine du recrutement de DNMT1 au niveau du promoteur de BRCA1 et donc de sa méthylation [143]. La plupart des études s’intéressent à la valeur pronostique ou classificatrice de cette marque épigénétique dans les cancers du sein. Globalement, de nombreuses études s’accordent à dire que cette marque est associée à des cancers du sein sporadiques infiltrants, de haut grade et/ou de mauvais pronostic [127, 133, 144-148]. Elle est surtout retrouvée dans les cancers mammaires diagnostiqués avant ou autour de la ménopause [134, 149, 150] et est associée à des tumeurs présentant un phénotype triple négatif (HER2-, PR-, ER-) [132, 133, 136, 137, 150-156], comme de nombreuses tumeurs du sein associées aux mutations héréditaires de BRCA1 mais, contrairement à ces dernières, pas forcément basal-like [146, 155, 157-159]. Plusieurs études ont tenté d’associer la méthylation de BRCA1 avec des types de cancers mammaires particuliers (mucineux, médullaires, ductal…) mais leurs résultats sont conflictuels, probablement en raison de variations importantes de l’échantillonnage des tumeurs [132, 160- 163]. Plusieurs études montrent que les tumeurs du sein hyperméthylées pour BRCA1 sont plus sensibles aux chimiothérapies basées sur le platine [156, 164] et celles utilisant les inhibiteurs de PARP (poly ADP ribose polymérase) [165]. Enfin, l’hyperméthylation du promoteur de BRCA1 semble pouvoir être supprimée par des traitements avec la 5-aza-2’- déoxycytidine et la trichostatine A [133, 166].

Tout comme dans les cancers du sein, la méthylation du promoteur de BRCA1 est retrouvée dans certains cancers ovariens et est associée à une diminution de l’expression de

BRCA1, sous forme d’ARNm et de protéine. Cette marque n’a, jusqu’à présent jamais été

retrouvée dans des cancers ovariens de patientes porteuses de mutation héréditaire au niveau des gènes BRCA1 et BRCA2. Elle a été associée aux cancers séreux, aux cancers épithéliaux de haut grade et aux peu fréquents cancers issus de cellules de la granulosa et est très peu présente dans les cancers des ovaires à cellules claires. Elle semble également améliorer la réponse des cancers ovariens à la chimiothérapie basée sur le platine ou utilisant les inhibiteurs de PARP. Esteller et al. (2000) montrent qu’elle serait fréquemment associée avec une perte d’hétérozygotie, dans les cancers de l’ovaire [132]. Une seule étude montre que la méthylation de BRCA1 peut être retrouvée dans le plasma de patientes ayant développé des tumeurs ovariennes péritonéales [167]. Enfin, une seule étude présente une plus faible survie pour les patientes ayant développé une tumeur des ovaires méthylée au niveau de BRCA1. Cette même étude établit un lien entre cette marque et une activation de la voie PI3K/AKT [168].

Concernant la méthylation du promoteur de BRCA2, peu de données sont actuellement disponibles. Dans les cancers du sein, Radpour et al. (2009) ne trouvent pas de différence significative au niveau de la fréquence de méthylation de BRCA2 entre les tissus sains et tumoraux, tandis que Cucer et al. (2008) ainsi que Pal et al. (2010) trouvent une méthylation plus importante de BRCA2 dans le tissu tumoral mammaire [138, 169, 170]. Dans les cancers des ovaires, une première étude a montré une diminution significative de la méthylation de

BRCA2 associée à une augmentation de son ARNm et à l’augmentation de la méthylation de BRCA1 dans les tumeurs de l’ovaire, liées au grade de ces tumeurs [171]. Trois autres études

trouvent une augmentation de la méthylation de BRCA2 dans quelques tumeurs ovariennes [172-174], tandis que Gras et al. (2001) n’ont pas détecté cette marque dans les cancers épithéliaux de l’ovaire [175].