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III. MOYENS POSSIBLES POUR OBTENIR LE NIVEAU VOULU DE SECURITE

III.3 EOM + réserve stratégique + procédure d’appel d’offre

112. L’annonce du retrait définitif de Doel 3 et de Tihange 2 pourrait justifier, en l’absence d’initiative du marché, le recours à une mesure ponctuelle de court ou moyen terme pour accélérer le développement d’unités de pointe flexibles (conversion d’unités TGV en OCGT, participation des groupes de secours hors marché, nouvelles unités à gaz).

113. L’article 5 de la loi électricité permet au ministre de « recourir à la procédure d’appel d’offres pour l’établissement de nouvelles installations de production d’électricité lorsque la sécurité d’approvisionnement n’est pas suffisamment assurée ».

114. A priori, la procédure d’appel d’offres semble constituer un moyen adéquat pour faire face à un déficit de production structurel, puisqu’elle vise précisément à l’installation de nouvelles unités de production. Toutefois, l’expérience récente a montré que la mise en place d’un tel appel d’offres devait s’entourer de précautions et de modalités particulières, à défaut de quoi sa validité juridique pourrait être remise en cause.

III.3.1 Préalable : risque avéré pour la sécurité d’approvisionnement

115. Le mécanisme d’appel d’offres trouve sa source dans l’article 8 de la directive 2009/72/CE concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité. Celui-ci dispose qu’une telle procédure ne peut être lancée « que si, sur la base de la procédure d’autorisation, la capacité de production à construire ou les mesures d’efficacité énergétique/gestion de la demande à prendre ne sont pas suffisantes pour garantir la sécurité d’approvisionnement ». Cette condition préalable est reprise à l’article 5 de la loi électricité.

Le recours à la procédure d’appel d’offres ne peut donc intervenir que si l’Etat concerné apporte des éléments probants démontrant non seulement le risque lié à la sécurité d’approvisionnement, mais également l’impossibilité d’y faire face par d’autres moyens qu’un tel mécanisme (notamment les solutions liées à la gestion de la demande). En outre, le recours à l’appel d’offres doit démontrer son efficacité ; en d’autres termes, les nouvelles centrales à construire doivent être capables de répondre efficacement au risque lié à la sécurité d’approvisionnement. À défaut, une telle mesure doit être considérée comme disproportionnée26.

26 Compar. : C.J.U.E., arrêt C-242/10 du 21 décembre 2011, Enel Produzione SpA, § 55.

III.3.2 Appel d’offres avec incitation financière

116. L’article 8 de la directive 2009/72/CE n’exclut pas qu’un mécanisme d’incitation accompagne l’appel d’offres.

117. L’article 5, § 4, de la loi électricité contient notamment ce qui suit :

« Le cahier des charges établi par la Direction générale de l’Energie peut contenir des incitations pour favoriser la construction d’installations de production d’électricité faisant l’objet de l’appel d’offres. Lorsque le cahier des charges contient des incitations, celui-ci doit être préalablement approuvé par le Conseil des ministres. Conformément à l’article 21, le Roi peut déterminer, par arrêté délibéré en Conseil des Ministres, des obligations de service public permettant le financement des incitations visées ci-avant.

À défaut d’application du mécanisme de financement visé à l’alinéa 2, les incitations sont financées par le budget des Voies et Moyens. »

118. L’article 21 de la loi électricité permet au Roi, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, d’imposer des obligations de service public à des acteurs du secteur de l’électricité et, le cas échéant, d’organiser un fonds, géré par la CREG et chargé de financer le coût réel net de ces obligations, en tout ou en partie, « par des surcharges appliquées sur les tarifs ou par des prélèvements sur l’ensemble, ou des catégories objectivement définies de consommateurs d’énergie ou d’opérateurs sur le marché […] ».

Si l’arrêté royal visé ci-dessus contient un tel mécanisme de financement, l’article 21 de la loi prévoit qu’il doit faire l’objet d’une confirmation par la loi dans les douze mois de son entrée en vigueur.

119. Il ressort de ce qui précède que plusieurs types d’appel d’offres sont envisageables :

- un appel d’offres sans incitation financière ;

- un appel d’offres contenant des incitations financières, à charge du budget de l’Etat ;

- un appel d’offres contenant des incitations financières à charge d’un fonds alimenté par des prélèvements sur tout ou partie des acteurs ou des consommateurs d’électricité ;

- un appel d’offres contenant des incitations financières à charge d’un fonds alimenté par des surcharges appliquées sur les tarifs.

120. La question de l’incitation financière est d’une importance particulière pour juger de la validité de la procédure d’appel d’offres au regard de la réglementation européenne en matière d’aides d’Etat. Si l’incitation est considérée comme constituant une aide d’Etat au sens du droit européen, elle devra (i) être notifiée à la Commission européenne et (2) satisfaire aux conditions d’admissibilité d’une telle aide, telles que définies notamment dans les Lignes directrices de la Commission européenne concernant les aides d’Etat à la protection de l’environnement et à l’énergie pour la période 2014-2020.

Une analyse plus approfondie de cette matière est réalisée au chapitre IV de la présente étude.

121. Il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne qu’on se trouve en présence d’une aide d’Etat lorsque le mécanisme a été mis en place par l’autorité et qu’il fait intervenir des ressources financières de l’Etat.

Sur la base de l’enseignement de l’arrêt PreussenElektra, prononcé par la Cour de justice le 13 mars 2001, la section de législation du Conseil d’Etat a considéré à maintes reprises que

« des mesures qui par la voie d’indemnités dues pour l’utilisation du réseau sont totalement mises à la charge des utilisateurs du réseau au titre d’indemnités pour obligations de service public, peuvent échapper aux règles normales relatives aux aides d’Etat parce qu’il n’y a pas de transfert de ressources publiques »27.

Ce faisant, le Conseil d’Etat confond semble-t-il deux questions distinctes : d’une part, le point de savoir si le mécanisme de financement mobilise ou non des ressources de l’Etat – tel ne sera pas le cas si un mécanisme de soutien est entièrement mis à charge de particuliers, sans intervention et sans contrôle de l’Etat28 ; d’autre part, la questions de savoir si le mécanisme de financement, même public, compense en réalité des coûts liés à une obligation de service public.

122. S’agissant dès lors du mécanisme d’appel d’offres, l’incitation financière qui y serait le cas échéant adjointe sera immanquablement qualifiée d’aide d’Etat si cette incitation est à

27 C.E., avis n° 53818/3, du 30 septembre 2013 sur un projet devenu l’arrêté royal du 13 décembre 2013 « concernant les modalités de la procédure d’appel d’offres pris en application de l’article 5 de la loi du 29 avril 1999 relative à l’organisation du marché de l’électricité », cité par C.E., avis n° 55.061/3 du 14 février 2014, Doc. Parl., Chambre, sess. 2013-2014, n° 53-3457/1, p. 12.

28 Il résulte d’une jurisprudence récente de la Cour de justice que la notion d’aides d’Etat vise non seulement les avantages accordés directement par l’Etat, mais également « ceux accordés par l’intermédiaire d’un organisme public ou privé, désigné ou institué par cet État en vue de gérer l’aide » C.J.U.E., 22 décembre 2013, affaire C-262/12, Association Vent de colère ! e.a., § 20. Le simple fait que les fonds servant au financement d’une obligation de service public transitent par un organisme public chargé, en tant qu’intermédiaire, de centraliser les sommes collectées, suffit à qualifier d’aide d’Etat le mécanisme de financement.

charge du Budget des Voies en Moyens, comme le prévoit l’article 5, § 4, al. 3. Il devrait, semble-t-il en aller de même, si l’incitation est financée par le biais de prélèvements transitant, comme c’est prévu par l’article 21, 3°, par un fonds géré par la CREG.

123. En cas de qualification de l’incitation financière comme aide d’Etat, la procédure d’appel d’offre devra respecter, on l’a dit, les Lignes directrices concernant les aides d’Etat à la protection de l’environnement et à l’énergie pour la période 2014-2020.

Le paragraphe 226 de ces Lignes directrices prévoit que « les mesures d’aides [en faveur de l’adéquation des capacités de production] devraient être ouvertes et fournir des incitations adéquates aussi bien aux producteurs existants qu’aux producteurs futurs, ainsi qu’aux opérateurs utilisant des technologies substituables telles que des solutions d’adaptation de la demande ou de stockage ». Or, le mécanisme d’appel d’offres tel qu’instauré par l’article 5 de la loi électricité n’est destiné qu’à l’établissement de nouvelles installations de production.

Toute incitation octroyée dans ce cadre ne pourra dès lors forcément pas viser les producteurs existants, ni la demand response.

Grâce aux incitants perçus, les nouvelles installations pourront précéder certaines installations existantes dans le merit order, avec le risque que ces dernières soient, en conséquence, exclues du marché29. Un tel effet rendrait, à cet égard, l’aide inefficace.

124. Il apparaît dès lors que le mécanisme d’appel d’offres, tel que prévu par l’article 8 de la loi électricité, c’est-à-dire une procédure qui ne viserait qu’à l’établissement de nouvelles capacités, est difficilement compatible avec les Lignes directrices de la Commission européenne, dès lors qu’il contient des mesures d’incitation considérées comme des aides d’Etat.

125. On notera par ailleurs que les Lignes directrices requièrent (§ 232) que le mécanisme d’aide soit ouvert à tous les types de technologies, à moins de démontrer que les qualités techniques de certains types sont insuffisantes pour remédier au problème d’adéquation des capacités de production.

29 Voy. à ce sujet les motifs de l’arrêté ministériel du 27 mars 2015 d’arrêt de procédure d’appel d’offres portant sur l’établissement de nouvelles installations de production d’électricité de type cycle

III.3.3 Appel d’offres sans incitation financière

126. Rien n’interdit toutefois d’envisager un appel d’offres sans incitant financier, ou dans lequel l’incitant prend une autre forme (comme par exemple la mise à disposition de terrain propices à l’installation d’une unité de production d’électricité), à condition qu’une contrepartie financière à cet incitant soit prévue.

127. Sans incitant financier, le type de projet retenu doit nécessiter un business plan favorable. Le besoin doit donc être partagé par le marché. La démarche aurait pour seul but de faciliter et d’accélérer l’installation des capacités.

La question est donc de savoir si une rentabilité peut être assurée.

128. La question est encore de savoir si, dans cette hypothèse, une procédure d’appel d’offres, telle que prévue par l’article 5 de la loi électricité, peut viser des installations de production de petite taille, raccordées aux réseaux de distribution.

129. Conformément à l’article 6, § 1er, VII, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, la compétence de l’Etat fédéral en matière d’énergie porte notamment sur

« les grandes infrastructures de stockage; le transport et la production de l'énergie ». L’Etat fédéral est donc compétent en matière de production d’électricité, sauf pour ce qui concerne

« les sources nouvelles d'énergie à l'exception de celles liées à l'énergie nucléaire ». Par

« sources nouvelles d’énergie », on vise généralement les sources d’énergie renouvelables30.

Sur le principe, on peut en déduire que, tant que l’appel d’offres ne vise pas l’établissement de nouvelles unités utilisant des sources d’énergie renouvelables31, c’est bien l’Etat fédéral, et non les régions, qui est compétent pour l’initier.

130. Il résulte toutefois de l’article 5 de la loi électricité, ainsi que de l’arrêté royal du 8 décembre 2013 « concernant les modalités de la procédure d'appel d'offres pris en application de l'article 5 de la loi du 29 avril 1999 relative à l'organisation du marché de l'électricité », que la procédure d’appel d’offres n’a pas été imaginée pour viser des installations de production de petite taille. Une modification de la réglementation devrait alors s’envisager.

30 Voy. R.P.D.B., Compl. T. X, v° « Electricité et gaz », n° 21.

31 Et à l’exception des installations production situées dans les espaces marins sous juridiction de la Belgique, pour lesquelles l’Etat fédéral est également compétent puisque ces espaces n’ont pas été intégrés dans la division du territoire belge en régions.

III.3.4 Conclusion

131. Dès lors qu’il est qualifié d’aide d’Etat, l’appel d’offre avec incitation financière qui ne viserait que l’établissement de nouvelles capacités introduit une distorsion de concurrence incompatible avec les lignes directrices de la commission européenne en matière d’aides d’état.

Un appel d’offres sans incitation financière peut être envisagé, dans le seul but de faciliter l’installation de capacités pourrait s’envisager, mais nécessité un business case favorable. Il serait donc particulièrement propice à des unités de petite taille. Or, celles-ci ne sont pas visées par la législation.

L’appel d’offres à ce jour n’est donc pas la solution indiquée pour apporter une solution de court terme à un problème de sécurité d’approvisionnement.