Partie 1 : Cadre de référence
4. Chapitre 4 : Un changement de paradigme : considérer le parent agissant
4.4. L’environnement capacitant
Dans la définition même de l’empowerment, Rappaport (1987) fait référence aux structures de
médiations qui permettent de soutenir l’individu dans le développement de son pouvoir d’agir.
Dans cette optique, le premier rapport mondial sur le développement humain introduit en 1990
la notion d’environnement capacitant en le qualifiant d’objectif fondamental : « People are the
real wealth of a nation. The basic objective of development is to create an enabling
environment for people to enjoy long, healthy and creative lives
37» (United Nations, 1990).
Cette prévalence de l’environnement dans le développement insiste sur le fait que : « disposer
de ressources internes est une condition nécessaire, mais non suffisante pour qu’une personne
soit reconnue comme agissant avec compétence. Ces ressources ont besoin d’être converties,
soutenues par un environnement qui les potentialise » (Prost & Fernagu-Oudet, 2016).
37 « Les individus sont la véritable richesse d'une nation. Le développement a pour objectif fondamental de créer un environnement qui offre aux populations la possibilité de vivre longtemps, en bonne santé. »
109
4.4.1. Contexte ou environnement ?
Le contexte est un « ensemble de circonstances liées, situation où un phénomène apparaît, un
événement se produit
38». Un évènement se situe dans un contexte qui comprend plusieurs
volets : géographique, social, politique, etc. Le contexte fait référence aux circonstances dans
lesquelles se produit un acte. Le contexte impose des conditions à l’individu, il « n’est pas défini
de sorte à inclure les modifications que les organismes lui font subir » (Zask, 2008).
L’environnement comprend l’« ensemble des choses qui se trouvent aux environs, autour de
39»
la personne. L’environnement est situationnel, il est en interaction avec l’individu : « de même
que les potentialités des individus varient en fonction des environnements dans lesquels ils se
développent, les environnements varient en fonction des individus et de leurs efforts spécifiques
de vie » (Zask, 2008).
Le contexte a un aspect déterministe alors que l’environnement et l’individu s’influencent
réciproquement. L’action est inhérente au concept d’environnement et c’est en cela que
l’environnement est directement lié à au développement.
4.4.2. L’environnement au cœur du développement : une pluralité
d’approches
Depuis la fin du XXème siècle, l’environnement est de plus en plus étudié dans une visée
compréhensive des comportements des individus. C’est ainsi qu’apparaissent de nouveaux
champs disciplinaires tels que l’ergonomie, la psychologie environnementale ou encore la
systémie, et des conceptions telles que l’environnement d'apprentissage personnel
40. De
nombreux pédagogues se sont aussi concentrés sur la dimension environnementale dans les
apprentissages.
Parmi eux, Vygotski, qui s’intéresse à comment l’enfant apprend, propose le concept de zone
proximale de développement. Pour lui, il y a une différence entre le développement actuel et le
développement potentiel. La zone de développement offre des ressources à l’enfant afin qu’il
se sente capable de réaliser une tâche. Elle se situe entre l’autonomie et la rupture, c’est-à-dire
entre une tâche réalisée sans aide et une tâche trop difficile pour l’enfant, même avec des
ressources. Vygotski pense que les interactions avec l’environnement permettent à l’enfant de
38 Selon la définition de « contexte » du CNRTL.
39 Selon la définition d’environnement du CNRTL
110
se familiariser avec des apprentissages. La zone de développement est donc stimulée par
l’environnement. De manière plus générale et appliquée à un public plus large, la zone
proximale de développement représente le rapport entre ce que les individus sont en mesure de
faire et ce qu’ils peuvent faire, accompagnés par les pairs ou les moyens présents dans
l’environnement.
De son côté, Montessori place l’environnement au cœur de ses principes pédagogiques. Sa
pensée trouve ses racines dans le concept d’esprit absorbant, qui est la manière dont l’enfant
s’adapte à son milieu. L’esprit absorbant peut être apparenté à une éponge qui s’imprègne des
informations offertes par l’environnement proche. Pour Montessori, les enfants apprennent
spontanément de leur environnement, ils ont une curiosité naturelle. L’enfant se structure par
son appréhension de l’environnement. L’environnement a une fonction éducative de par les
stimulations et expériences qu’il présente. Dans sa conception pédagogique, Montessori pense
que les éducateurs doivent organiser l’environnement de manière à ce qu’il réponde au besoin
d’apprentissage observé. C’est en explorant et en s’appropriant l’environnement de manière
autonome que la personne apprend.
Un autre point de vue est celui de Rogers, qui s’inscrit dans le courant de la « psychologie
humaniste ». Il souligne l’importance de la non-directivité dans les interventions auprès des
personnes. L’individu se développe par lui-même de manière instinctive. Ainsi, le thérapeute
ou toute autre personne ne peut intervenir directement sur la manière de penser de l’individu.
Par contre, il peut créer un environnement propice à son développement, au travers des attitudes
de congruence, de considération positive inconditionnelle et d’empathie (Rogers, 2005).
Dans la théorie sociocognitive (TSC), la personne (P), le comportement (C) et l’environnement
(E) interagissent et influent les uns sur les autres en permanence (cf. figure 24).
Bandura (2003) distingue trois types d’environnement :
- L’environnement imposé (peu ou aucune emprise de
l’individu) ;
- L’environnement choisi (réalisation d’un choix parmi
d’autres possibles) ;
- L’environnement construit (modification de
l’environnement par l’individu).
Figure 24 : La réciprocité causale triadique (Bandura, 2003, p. 17)
111
Toutes ces approches insistent sur l’importance de l’environnement dans le développement de
l’individu et l’étudie comme environnement d’apprentissage, éducatif, pédagogique,
thérapeutique. Rapporté au pouvoir d’agir, l’environnement est qualifié de capacitant ou
d’incapacitant.
4.4.3. L’environnement capacitant : une origine ergonomique
L’ergonomie est un champ disciplinaire qui a été fondé dans la seconde moitié du XXème
siècle. L’International Ergonomics Association (IEA) en propose la définition suivante :
« Ergonomics (or human factors) is the scientific discipline concerned with the understanding of interactions among humans and other elements of a system, and the profession that applies theory, principles, data and methods to design in order to optimize human well-being and overall system performance41 » (International Ergonomics Association, 2017).
L’ergonomie envisage l’activité humaine sous plusieurs dimensions en se spécialisant dans
différents domaines tels que l’ergonomie physique, cognitive, organisationnelle (Falzon, 2015).
Elle cherche à comprendre et à trouver des solutions pour améliorer l’interaction entre l’homme
et son travail, son environnement, l’organisation dont il fait partie, ses tâches et sa production,
en tenant compte de ses besoins, capacités et limites.
Le facteur environnemental est un élément à part entière de l’ergonomie. Il est à la fois objet et
finalité de l’étude ergonomique : analysé dans une visée compréhensive, il sera par la suite
modifié pour être amélioré. Dans l’ergonomie, l’environnement est perçu comme pouvant
favoriser ou amoindrir la capacité d’agir de l’individu. L’environnement peut être imaginé de
manière à ce qu’il soit source de développement : « il s’agit de contribuer à la conception
d’environnement permettant de développer l’activité dans tous ses aspects gestuels, cognitifs et
sociaux, en cherchant constamment le meilleur compromis entre objectif de bien-être et de
performance » (Falzon, 2013, p. 3).
Dès lors, les environnements capacitants peuvent être définis comme :
« des environnements techniques, sociaux et organisationnels qui fournissent aux individus l’occasion de développer de nouveaux savoir-faire et de nouvelles compétences, d’élargir leurs possibilités d’action, leur degré de contrôle sur leur tâche et leurs modes opératoires, c’est-à-dire leur autonomie » (Pavageau, Nascimento, & Falzon, 2007, p. 5) (cf. figure 25).
41 « L’ergonomie (ou Human Factors) est la discipline scientifique qui vise la compréhension fondamentale des interactions entre les humains et les autres composantes d’un système, et la profession qui applique principes théoriques, données et méthodes en vue d’optimiser le bien-être des personnes et la performance globale des systèmes. » (Traduction proposée par Falzon, 2015).
112
Figure 25 : Composantes de l'environnement capacitant, selon Pavageau et al.
En 2014, Villemain et Lemonie analysent les activités d’une base polaire au regard de deux
théories : l’environnement capacitant et le Workplace Learning. Ils s’intéressent aux
apprentissages et au développement en situation de travail, et en l’occurrence dans une situation
extrême liée au climat et à l’isolement. Ils concluent leur étude en proposant leur propre
définition d’un environnement capacitant de travail, au regard des dimensions ergonomiques et
de l’engagement. Pour eux, l’environnement capacitant :
« - offre des contraintes acceptables du point de vue de l’apprentissage-développement […] - laisse des marges de liberté et des marges temporelles suffisantes dans la réalisation du travail, autorisant l’erreur. […]
- engage pleinement les opérateurs dans une activité propre, au sens où ils peuvent agir sur leur environnement, s’organiser dans leur travail et laisser dans l’environnement une trace dans laquelle ils peuvent se reconnaître. » (Villemain & Lémonie, 2014, p. 41).
L’environnement capacitant est source d’apprentissages et de pouvoir agir. Il n’est pas
forcément le fruit d’une construction et peut parfois se concevoir comme informel. En revanche,
si l’on cherche à créer un environnement capacitant celui-ci est envisagé comme un
environnement qui « élargit le pouvoir d’agir des individus en leur apprenant à mailler les
ressources à leur disposition et en leur donnant envie de le faire » (Fernagu Oudet, 2012a, p.
23). L’environnement capacitant comporte un volet éducatif puisqu’il doit permettre aux
personnes d’utiliser les ressources qui les entourent.
L’environnement capacitant (EC) s’envisage au regard de trois dimensions : préventives,
universelles et développementales (Pavageau et al., 2007). D’un point de vue préventif, l’EC
se conçoit de manière à anticiper ce qui peut être nuisible au développement des capacités de
l’individu. La dimension universelle souligne l’importance à accorder aux différences
interindividuelles. Enfin, l’aspect développemental de l’EC se traduit par le développement de
l’autonomie et du pouvoir agir à travers son ouverture sur les opportunités d’apprentissage.
Justement, le concept d’environnement capacitant vient apporter une dimension
développementale construite au processus d’apprentissage. Apprendre est souvent associé
Environnement capacitant Compétences Savoirs Possibilité d'action Degré de contrôle
113
directement au développement, alors que ce qui est appris ne fait pas forcément sens pour
l’apprenant. L’EC s’intéresse à l’utilité de l’apprentissage et à la manière dont l’apprenant peut
le transférer aux situations de la vie quotidienne qu’il rencontre. Proposer un environnement
éducatif ne suffit pas, il doit être construit de manière à être capacitant c’est-à-dire un
environnement dont la personne se saisit de manière autonome et qui lui offre des possibilités
d’agir et d’apprendre efficaces. Pour élaborer un environnement capacitant, il faut commencer
par modéliser les contraintes et les ressources inhérentes à l’apprentissage.
4.4.4. Environnement capacitant, accompagnement parental et protection
de l’enfance
Si les établissements de protection de l’enfance adoptent une ligne d’accompagnement en
faveur du pouvoir d’agir parental, ils peuvent dès lors se concevoir comme des environnements
capacitants. Nous cherchons alors à savoir : comment les établissements peuvent-ils permettre
aux parents d’atteindre un fonctionnement parental qui correspond à ce qui est important pour
eux et qui respecte le développement de l’enfant ? L’environnement capacitant représente un
espace de développement qui, partant de la reconnaissance d’un potentiel va chercher à
augmenter le pouvoir d’agir de l’individu (cf. figure 26).
Figure 26 : L'environnement capacitant, du potentiel au pouvoir d'agir