• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2 : Méthodologie

2.2 Les entretiens semi-structurés

La compréhension des facteurs situationnels qui influencent le risque de fugue représente le second objectif de cette thèse. Nous avons choisi d’approcher cet objectif avec une méthode qualitative.

L’approche qualitative permet de considérer le point de vue d’acteurs dans la compréhension d’une réalité (Poupart et al., 1997). Plus précisément, l’approche phénoménologique vise à dépasser la compréhension de cette réalité en considérant l’expérience et la perception de certains acteurs face à celle-ci. Cette approche cherche à mettre en évidence les points communs de cette expérience afin de dépasser la compréhension individuelle et faire émerger une compréhension plus «générale» (Creswell et Poth, 2018).

Le chapitre un a illustré que, dans la littérature scientifique, la fugue est actuellement abordée principalement selon la perspective du jeune. Le rôle du milieu de vie substitut dans la compréhension de cette problématique est encore peu étudié. De plus, au Québec, aucune étude ne s’est encore intéressée à ce point de vue. Utiliser l’expérience des professionnels pour approfondir notre connaissance du sujet est une méthode qui permet de répondre au second objectif.

2.2.1 Le recrutement des participants

La méthode de recrutement des participants est non probabiliste, car les participants ont été sélectionnés à partir de critères spécifiques. Premièrement, les professionnels devaient posséder une expérience significative supérieure à deux ans en lien avec la problématique de fugue, que ce soit dans l’intervention directe auprès des jeunes ou dans la structure de soutien ou de gestion entourant cette intervention. Par exemple, il peut s’agir d’intervenants (éducateurs, d’intervenants psychosociaux), de gestionnaires, de conseillers ou d’agents de planification, de programmation et de recherche (APPR). Deuxièmement, les professionnels devaient occuper, au moment de l’entrevue, un poste dans l’une ou l’autre de ces fonctions. Finalement, les professionnels sélectionnés devaient représenter différents secteurs, soit la

70

réadaptation, les services psychosociaux, la gestion des places d’hébergement (accès) et le développement des pratiques cliniques et professionnelles (Institut universitaire, direction des services multidisciplinaires, etc.).

La technique d’échantillonnage s’apparente à une méthode boule de neige. Dans chaque région, des projets étaient en cours en lien avec la problématique, par exemple Agir sur la

fugue à Montréal. La personne chargée de ces projets, dans chacune des deux régions42, a identifié des professionnels impliqués dans les différents projets. Certains de ces professionnels ont été rencontrés, alors que d’autres nous ont recommandés à des intervenants impliqués directement auprès des jeunes et possédant une expertise significative. Aussi, dans certains secteurs, des gestionnaires ont été approchés afin qu’ils identifient, dans leurs équipes, des professionnels reconnus pour leur expertise sur la problématique de fugue.

Un courriel, présentant brièvement la recherche, a été dans un premier temps acheminé aux professionnels identifiés par les deux personnes chargées de projets. Ces derniers pouvaient accepter ou refuser de participer à la recherche. Lorsqu’un professionnel acceptait de participer, les deux chargées de projet nous acheminaient leurs coordonnées.

Nous avons par la suite contacté les professionnels par téléphone afin de leur présenter les détails du projet, valider leur souhait de participer et obtenir leur consentement verbal. Aucun des participants contactés n’a refusé de participer à l’entretien. Les participants ont été rencontrés sur une base volontaire, dans leur milieu et sur les heures de travail. Ils ont signé un formulaire de consentement (présenté à l’annexe 3) et aucune compensation financière ne leur a été offerte. Les entretiens ont tous été enregistrés à des fins de transcription.

2.2.2 Les caractéristiques des participants

Au total, notre échantillon est composé de 15 professionnels, six hommes et neuf femmes, occupant différentes fonctions, dans les quatre secteurs ciblés. Nous avons établi ce nombre en

42 Considérant le lien d’emploi de l’étudiante avec le CISSS de la Montérégie-Est, aucune entrevue n’a été

71

collaboration avec les établissements, en prenant notamment en compte la disponibilité des ressources humaines, dans un contexte de pénurie de personnel. Il s’agit néanmoins d’un échantillon acceptable, une certaine saturation dans l’information recueillie étant observée à partir de la douzième entrevue. Le tableau 3 présente la répartition de l’échantillon selon les deux critères.

Au moment de l’entrevue, les participants avaient en moyenne 20,7 ans d’expérience dans un domaine lié à la problématique de fugue (minimum = 2 ans, maximum = 34 ans, médiane = 19 ans). Parmi les participants, deux occupaient des fonctions d’APPR, cinq de conseillers, quatre de gestionnaires et cinq d’intervenants, dont deux avec des tâches spécifiques en lien avec la fugue.

Tableau 3: Répartition des participants selon leur fonction et leur secteur d’activité

Réadaptation Services psychosociaux Accès Développement des pratiques Intervenants 3 2 Gestionnaires 2 1 1 Conseillers 1 1 3 APPR 2 2.2.3 L’entretien semi-dirigé

Un entretien semi-dirigé, d’une durée approximative d’une heure, a été conduit par l’étudiante43 avec les 15 participants, sur leur lieu de travail, entre les mois d’octobre 2016 et février 2017. Cette méthode, riche en informations, permet de rapporter la perceptive d’individus représentatifs d’une population.

43 L’étudiante a déjà réalisé plus de 30 entrevues dans deux projets de recherche précédant. De plus, elle possède

72

Lors des entretiens, divers sujets ont été abordés44, répartis en quatre thèmes :

1- Leur expérience professionnelle en lien avec la problématique de fugue (notamment les défis rencontrés);

2- Leurs perceptions des caractéristiques et des besoins des jeunes fugueurs (facteurs de risque et de protection, motivations, caractéristiques des jeunes, etc);

3- Leurs perceptions quant aux pratiques actuelles (bonnes pratiques, pratiques qui ne fonctionnent pas, limites de l’intervention, etc);

4- Leurs perceptions quant aux pratiques à privilégier (les contraintes dans la mise en place de telles pratiques).

Nous avons construit le canevas d’entrevue de façon à laisser beaucoup de place à l’expérience du participant dans la compréhension de la fugue et en ne s’appuyant pas à cette étape sur un modèle ou une approche spécifique. La démarche initialement prévue était donc inductive. Nous avons fait le choix d’organiser l’information autour du cadre théorique présenté au chapitre en cours de route, suite aux premières étapes de la démarche de codification.

2.2.4 La stratégie d’analyse des données

Dans un premier temps, chaque entretien a été transcrit intégralement par l’étudiante. Une analyse préliminaire a permis de repérer, en vue de la codification, les éléments-clés se rapportant aux différents thèmes abordés. Une analyse de contenu a par la suite été réalisée.

Une analyse de contenu comporte deux étapes (Bardin, 2003). D’abord, l’analyse verticale consiste à regarder chacun des entretiens, individuellement, afin de faire ressortir l’ensemble des propos rapportés par les participants. Le défi de cette étape est d’oublier les a priori, de s’ouvrir à l’ensemble des thèmes abordés dans chacun des entretiens. À la suite de cette première étape, l’information est organisée en dimensions et en sous-dimensions. Cette catégorisation implique de réaliser un inventaire de tous les thèmes abordés dans les entretiens et de les organiser autour d’éléments communs, selon deux stratégies. La première consiste à

73

organiser les éléments en fonction de catégories déjà existantes, s’appuyant généralement sur les connaissances empiriques et théoriques. La seconde consiste à regrouper progressivement les éléments en fonction des thèmes principaux, en réduisant peu à peu le nombre de catégories. Peu importe la stratégie, les catégories définies doivent être mutuellement exclusives, homogènes, pertinentes, fidèles et productives (Bardin, 2003).

La stratégie utilisée est d’abord inductive, c’est-à-dire que nous avons cherché à faire émerger les thèmes centraux de l’analyse de contenu, sans à priori. Par la suite, nous avons tenté d’organiser les différents facteurs se dégageant de cette démarche. Pour ce faire, nous avons choisi de regrouper les éléments en fonction du modèle d’analyse du risque situationnel (PRISM) de Cooke et Johnstone (2010). Il s’agit là d’une méthode déductive. Nous avons toutefois isolé les éléments qui ne correspondaient pas à cette catégorisation afin de faire ressortir les particularités de l’application de ce modèle dans le travail auprès des jeunes fugueurs.

La seconde étape de l’analyse de contenu est l’analyse transversale. Elle consiste à reprendre l’ensemble des dimensions et les sous-dimensions définies précédemment et d’identifier tous les entretiens dans lesquels elles sont abordées. Cela permet de mettre à jour les éléments de constance et de contradictions entre les entretiens.

L’analyse de contenu a été réalisée à l’aide du logiciel QDA Miner. Ce logiciel permet de réaliser les deux démarches. D’abord, pour chacun des entretiens, une codification est réalisée afin de faire ressortir l’ensemble des éléments abordés dans les entretiens. Le logiciel permet par la suite de regrouper les différents éléments en dimension et sous-dimensions. Par la suite, il facilite l’analyse horizontale en faisant ressortir, pour chacune des dimensions, le nombre d’entretiens dans lesquels elles ont été abordées ainsi que les verbatim s’y rapportant.

Il importe ici de mentionner que la définition des différents concepts a été élaborée en collaboration avec le directeur de recherche, mais qu’aucun accord sur la codification n’a été réalisé par une tierce personne. Il s’agit d’une limite à la démarche méthodologique.

74

Avant de conclure ce chapitre sur la méthodologie, il est également nécessaire de souligner une autre limite à la démarche, soit que l’étudiante a travaillé elle-même de nombreuses années dans les centres de réadaptation. James et Vinnicombe (2002) soulignent que le chercheur qui veut se protéger des biais, mais en même temps utiliser son expérience personnelle, doit constamment revenir aux motivations à la base de la recherche. Dans la présente démarche de doctorat, nous avons tenté de comprendre une problématique rencontrée au quotidien dans notre travail et pour laquelle nous avions beaucoup de préoccupations, mais peu de réponses.

De leur côté, Willis, Muktha et Nilankanta (2007) soutiennent qu’une approche qualitative n’est jamais complètement neutre et objective, notamment parce qu’on choisit d’étudier un sujet qui nous intéresse. Il est donc important de nommer ces biais et de chercher à rester le plus objectif possible. Pour Anadon et Guillemette (2007), la valorisation de la subjectivité dans la construction d’une réalité est même une condition nécessaire à la production de connaissances.

Afin d’assurer une démarche méthodologique rigoureuse et limiter les différents biais qui pourraient être introduits par l’expérience personnelle de l’étudiante, nous avons eu recours à différentes stratégies. Notamment, la combinaison des méthodes quantitative et qualitative a permis de maintenir une objectivité certaine. En débutant l’analyse des entretiens pas une approche inductive, nous avons également fait ressortir l’ensemble des concepts émergeant des rencontres avec les professionnels, sans en faire une sélection basée sur des à priori, l’expérience professionnelle ou l’opinion personnelle. De plus, les échanges réguliers avec le directeur de thèse ont permis d’encadrer la démarche, de réfléchir avec transparence aux choix faits par l’étudiante et ainsi préserver une distance et une objectivité face aux résultats obtenus.

75

Chapitre 3 : Construction d’un outil d’évaluation du risque de