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Historiquement, nous pouvons situer l’émergence de réflexions autour de l’entretien de recherche dans les années 1930 avec les travaux de F.J. Roethlisberger et W-J. Dickson (R. Ghiglione et J-F. Richard, 1993). A. Blanchet et A. Gotman (1992) précisent :

L’entretien, comme technique d’enquête, est né de la nécessité d’établir un rapport suffisamment égalitaire entre l’enquêteur et l’enquêté pour que l’enquêté ne se sente pas, comme dans un interrogatoire, contraint de donner des informations. L’entretien qui modifie les rapports entre interviewer et interviewé modifie aussi la nature de l’information produite. De l’information qui constituait une réponse ponctuelle à une question directe de l’enquêteur, on est passé à une réponse-discours obtenues par des informations indirectes de l’enquêteur.

L’entretien, au sens large, se définit comme une situation intersubjective, ce qui explique que tout entretien soit unique. Il s’agit de rencontrer l’autre avec soi-même comme outil et donc avec sa propre subjectivité, d’où l’importance d’un travail sur les dimensions transférentielles et contre-transférentielles. Du côté du sujet rencontré, la subjectivité du produit informatif généré est une propriété commune à tout entretien (R. Ghiglione et J-F. Richard, 1993 ; A. Blanchet et coll., 1987).

Cette conception est partagée, et, dans une perspective davantage clinique, N. Jeammet (1995) souligne l’idée d’un discours latent à repérer dans un discours manifeste et subjectif comme constituant le problème de fond du clinicien. Selon elle, « quelqu’un qui entreprend de raconter son histoire obéit à deux principes : un principe d’intelligibilité de soi, à la recherche d’une logique du récit, dans une exigence d’éviter le déplaisir ». Personne ne

rapporte les évènements de façon brute : ils sont toujours colorés par la subjectivité du sujet qui les énonce ainsi que par celle du destinataire qui les reçoit.

L’ensemble de ces informations souligne très clairement le poids non négligeable de la subjectivité dans la situation d’entretien, que ce soit celle du sujet rencontré, ou celle du clinicien, avec lesquelles il faut travailler. Il est également pertinent, dans ce cadre, de rappeler que la rencontre du sujet avec une autre subjectivité que la sienne peut l’ouvrir à son intra-subjectivité et justifier l’émergence d’une demande de la part des sujets rencontrés dans le cadre de la recherche. Nous ne pouvons pas ignorer ce passage de l’altérité intersubjective à l’altérité intra-subjective, néanmoins, je ne suis pas non plus en mesure de répondre à une demande émergeant de la rencontre dans le cadre initialement prévu (celui de la recherche). Un accueil possible par un collègue sera alors présenté au sujet.

Ce qui caractérise un entretien de recherche, c’est :

- Que le chercheur clinicien est à l’origine de la rencontre avec un sujet, il est à l’origine de la demande d’entretien.

- Qu’il s’agit d’une opération d’élaboration d’un savoir socialement communicable, et partageable, qui respecte l’anonymat des sujets rencontrés.

Différents types d’entretiens existent (M-C. Mietkiewicz et S. Bouyer, 1998 ; R. Ghiglione et J-F. Richard, 1993) :

- L’entretien non-directif. - L’entretien semi-directif. - L’entretien directif.

Je choisis l’entretien semi-directif, pour mettre à l’épreuve mes hypothèses. La raison de ce choix d’outil est parfaitement résumée par les propos de N. Jeammet (1995) pour qui :

« l’histoire racontée dans un entretien semi-directif où il est laissé libre cours aux associations donne précisément cet atout, permettant, d’une part, de mesurer l’impact qualitatif éventuel d’un évènement et, d’autre part, de lier entre eux plusieurs évènements racontés ». La revue de la littérature nous a permis de mettre en évidence la mise à l’épreuve de variables, indépendamment les unes des autres, dans la plupart des recherches réalisées. Un des objectifs de la présente recherche est de prêter attention à l’interaction de variables entre elles. L’entretien semi-directif permet « de lier entre eux plusieurs évènements racontés » (N. Jeammet, 1995), et répond donc bien à cette nécessité de prendre en compte des variables en interaction.

M-C. Mietkiewicz et S. Bouyer (1998) expliquent que cet entretien semi-directif laisse une part d’initiative au sujet puisque le chercheur pose des questions qui nécessitent un développement plus long que “oui” ou “non” et, il recentre le sujet sur le thème abordé si celui-ci s’en éloigne. R. Ghiglione et J-F. Richard (1993), quant à eux, précisent que ce type d’entretien utilise « une grille des thèmes à aborder, mais qui respecte un ordre, celui du discours de la personne interrogée ».

J’ai élaboré quatre grilles d’entretien semi-directif (annexe 2) :

- La première sert de guide au cours de la première rencontre des femmes auteurs de filicide afin de souligner les facteurs de biais possibles.

- La deuxième sert de guide au cours de la première rencontre de femmes auteurs de violence sexuelle afin de vérifier que le sujet réponde aux critères d’inclusion et de considérer les facteurs de biais possibles.

- La troisième grille sert de guide pour la mise à l’épreuve des hypothèses au moment de la seconde rencontre avec la population carcérale.

- La quatrième grille constitue la grille d’entretien semi-directif s’adressant à la population témoin. Elle permet de considérer les critères d’inclusion et de mettre les hypothèses à l’épreuve.

L’ensemble de ces grilles vise à mettre nos hypothèses à l’épreuve tout en considérant des facteurs en fonction des sujets interviewés, conformément aux raisons des choix de populations :

Populations Variables

Passages à l’acte Femmes bénéficiant d’un suivi psychologique Femmes auteurs de filicide Femmes auteurs de violences sexuelles Facteurs de biais possibles

Délai entre le passage à l’acte et la rencontre Suivis psychologiques et psychiatriques

Connaissance des épreuves projectives

Critères d’inclusion

Age de l’enfant Niveau socio-économique

Vie conjugale

Responsables de l’éducation et des soins des enfants

Grilles d’entretiens T1 : GRILLE 1 T2 : GRILLE 3

T1 : GRILLE 2

T2 : GRILLE 3 GRILLE 4

La seconde rencontre (T2) débute, pour les populations carcérales, en leur demandant si elles peuvent raconter les raisons pour lesquelles elles sont incarcérées. Pour les femmes hospitalisées en secteur psychiatrique, je débute l’entretien semi-directif sur les raisons de leur demande d’hospitalisation après avoir présenté le cadre de la recherche. J’aborde les thématiques souhaitées à partir de ces éléments.

L’ordre des divers aspects traités varie en fonction du discours de la femme et des relances qu’il permet.