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2 Les contextes de la politique documentaire

2.2 Entre deux supports – collections hybrides

Les collections ne sont pas devenues multisupport avec l’arrivée du numérique, mais la dématérialisation, avec la part grandissante de ressources virtuelles, transforme les processus de leur constitution et gestion. La majorité des bibliothèques d’aujourd’hui sont obligées de travailler avec les collections hybrides, les fonds composés de documents papier et de ressources numériques ou électroniques. En termes de gestion, ce fonctionnement à deux dimensions nécessite de mettre en place deux systèmes parallèles, ce qui génère des coûts considérables liés au traitement, aux dispositifs techniques et aux solutions organisationnelles propres à chacun d’entre eux.

Le numérique constitue un atout incontestable sous beaucoup d’aspects, cependant ce sont l’activité de l’institution, les pratiques et les besoins de ses usagers et les moyens déployés et accessibles qui définissent le périmètre de la prise de décision et conditionnent l’élaboration d’une stratégie locale. Un bon choix implique également d’appréhender la problématique juridique qui encadre la gestion.

La prise de décision peut impliquer une réflexion sur les deux supports dans leur complémentarité. C’est une approche proposée par les membres du groupe Poldoc17, réfléchissant sur les nouveaux horizons de la politique documentaire. Le groupe a notamment identifié sept critères d’évaluation de cette complémentarité, repris plus récemment par Bertrand Calenge [13, CALENGE, p. 17-18]. Ils se réfèrent aux usages, aux particularités des collections gérées et aux coûts que leur gestion génère.

2.2.1 Critères d’usage

Quatre sur sept critères proposés par le groupe Poldoc sont relatifs aux usages propres aux publics servis :

16 Plus d’informations sur le site de l’initiative <http://www.projectcounter.org/>, ou sur le site du consortium Couperin qui suit son avancement : <http://www.couperin.org/groupes-de-travail-et-projets-deap/statistiques-dusage/counter> [consulté le 15 septembre 2012]

17 Poldoc est un groupe de recherche bibliothéconomique appliquée aux outils des politiques documentaires.

Hébergé et soutenu par l'Enssib, il a été mis en place en 1999. Aujourd’hui moins actif, il reste néanmoins une source d’informations intéressante sur la réflexion autour des politiques documentaires <http://poldoc.enssib.fr/>.

- critère d'actualisation : il est important de savoir de quelle actualisation des contenus le public a besoin. Si ses attentes en termes de mise à jour sont élevées, l’offre des ressources électroniques (et des périodiques, si on pense à l’imprimé), sera à privilégier ;

- critère de mode de recherche : la manière dont les usagers sélectionnent les contenus qui les intéressent au sein d’un ensemble de la collection ou au sein d’un document donne un élément de réponse pour le choix entre les supports. Les documents électroniques ou numériques sont intéressants dans les cas de besoins de recherche plus sophistiqué et de granularité plus fine de l’information que l’on veut atteindre ;

- critère d'accessibilité : il s’agit d’une accessibilité physique et intellectuelle de la collection, adaptée aux besoins et aux pratiques des publics servis et tenant compte des contraintes (comportementales – réticence, matérielles – équipement, ou autres) qui y sont liées ;

- critère d'utilisation à distance : en ce qui concerne la consultation hors les murs, l'électronique est un atout évident, mais uniquement dans la mesure où les contraintes juridiques d'accès à l'information sont levées. Sinon, la possibilité du prêt présente un avantage de l’imprimé et des autres supports matériels.

Dans le contexte de bibliothèques – centres de connaissances dont nous parlons, le résultat d’analyse de ces critères est avantageux pour les ressources en ligne :

- la valeur et la pertinence de l’offre de contenus proposée au public de chercheurs (un des publics principaux de ces établissements) dépendent notamment de son actualité et de la granularité des niveaux d’accès possibles (article, schéma, donnée statistique…) ;

- le public de chercheurs, d’enseignants et d’étudiants ne présente généralement pas de résistance particulière18 à l’usage de ressources électroniques : il est équipé et possède potentiellement le minimum de compétences nécessaires pour s’en servir ou peut être accompagné / formé en la matière ;

- l’offre virtuelle est la seule à proposer de manière possiblement complète (couverture) et régulière au public éloigné géographiquement.

Les usages seuls ne suffisant pas comme éléments décisifs du choix entre les deux supports, leur étude peut néanmoins apporter des enseignements quant à l’organisation des accès aux documents (méthodes de signalement, granularité dans l’analyse du contenu…), qu’ils soient virtuels ou papier.

2.2.2 Spécificité du fonds

Deux autres critères identifiés par le groupe Poldoc sont relatifs au fonds documentaire : - critère de préservation ;

- critère de la proportion des différents supports (ou critère de production).

Lorsqu’il s’agit du niveau de préservation requis, l'imprimé peut être considéré comme le support plus évident à gérer, notamment parce que les techniques en sont plus familières (mais pas forcément plus simples). La gestion du support électronique devient plus complexe sous cet aspect, aussi bien par les conditions d’acquisition qui ne garantissent pas toujours à l’acheteur la maîtrise totale sur le contenu acquis, que par les méthodes et les techniques de préservation qui demandent d’être mises au point. La problématique d’archivage et d’accès pérennes est en constante évolution et la mise en place d’entrepôts et de portails dont c’est la vocation première (comme JSTOR, Hathi Trust, Internet Archives, Portico, pour n’en lister que quelques-uns) a déjà bien fait avancer les acquis. Pour les bibliothèques à fonction patrimoniale, le numérique ne peut pas remplacer le format d’origine, mais il peut servir du support de diffusion et/ou de sauvegarde, permettant de mieux préserver le fonds papier.

18 À part, éventuellement, les préférences individuelles, qui sont propres à chaque population

En ce qui concerne le critère de production, relatif aux formes d'offre sur lesquelles la bibliothèque peut compter, les publications à caractère scientifique ou académique, en langue anglaise, sont largement disponibles en support électronique et pour une partie quasi exclusivement en support électronique. Pour la littérature en d’autres langues la part de l’électronique grandit assez rapidement. L’offre proliférant de ressources électroniques dans nos domaines d’intérêt (scientifique, académique, de recherche) rend cette option incontournable pour les établissements. De plus, quant à la part de ressources virtuelles dans leurs collections, les institutions peuvent également compter sur leur production interne, qui est aujourd’hui presque entièrement native numérique.

2.2.3 Éléments d'analyse de coûts des bibliothèques virtuelles

Enfin, le dernier critère proposé par le groupe Poldoc est le critère de coût. Sa prise en compte nécessite une étude analytique, intégrant les différents postes de dépenses (d’achat ou d'abonnement, de personnel, de stockage, etc.), puis la relativisation du résultat par rapport au nombre d'utilisations (et c’est à ce moment où le numérique peut avoir un très fort avantage, grâce à une diffusion potentielle incomparablement plus large que celle de son équivalent physique).

Pour aider les gestionnaires à faire le choix entre l’offre documentaire physique et électronique, des analyses détaillées de coûts ont été proposées dans la littérature professionnelle depuis que la question a commencé à se poser. Ces calculs exhaustifs étant souvent très laborieux, certaines études se sont limitées à un ou quelques aspects du problème.

Un des arguments forts du passage au numérique est le coût généré par l’espace physique occupé par les livres. À ce sujet, Jacquesson et Rivier [2, JACQUESSON, p. 529] citent les travaux de Stephen Chapman, qui compare le prix du stockage annuel proposé par le service d'archivage numérique de l'OCLC avec celui d'un dépôt de livres physiques. Selon ses conclusions, un avantage comparativement très intéressant caractériserait le stockage numérique dans le cas des documents en mode texte (qui sont quasiment inexistants dans l’offre de bibliothèques). Le stockage des documents numérisés en mode image générerait plus de dépenses que celui des livres classiques.

Une étude plus récente [8, CLIR] compare les coûts de stockage d’un livre papier et d’un équivalent numérique, en tenant compte des dépenses générées par l’espace, l’entretien, la maintenance, l’électricité, le personnel et l’accès. Sous tous ces aspects, la comparaison donne l’avantage au document électronique. Les auteurs concluent en soulignant l’intérêt économique pour l’établissement de remplacer le papier par le support électronique, si cela est possible dans les cadres fonctionnels et légaux.

Le principe de la bibliothèque hybride, les auteurs cités insistent là-dessus, est le modèle de fonctionnement de bibliothèque le plus coûteux. Dans le format actuel d’offre documentaire, la version papier tend à devenir un supplément de la version électronique et à générer un surcoût [14, CARBONE, p. 131]. L’incertitude quant à l’accès pérenne et fiable aux ressources électroniques incite les bibliothèques à garder leurs archives papier ; c’est souvent le cas des archives de titres de périodiques. Or, selon les études sur le cycle de vie de ressources, les dépenses relatives au maintien de collections papier augmentent avec le temps, alors que pour les ressources électroniques la tendance serait inverse – le coût est souvent élevé à l’acquisition, mais les dépenses calculées à la longue diminuent [8, CLIR].

Pour les bibliothèques qui – pour des raisons liées aux usages, à l’activité ou à la mission – souhaitent ou sont obligées de continuer à développer leurs collections en format hybride, les solutions d’accès durable aux ressources électroniques proposées par exemple par JSTOR peuvent permettre de réduire partiellement les coûts, en se débarrassant d’archives papier locales.

2.3 Cadre juridique et bibliothèques dématérialisées – le