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Chapitre 8. Discussion

8.2 Contribution de la thèse

8.2.2 Enseignements tirés du cadre conceptuel pour évaluer les politiques de gratuité

Le développement dans cette thèse d’un modèle conceptuel sur la relation entre l’intervention de gratuité des services, l’utilisation des services de santé et la morbidité infantile a été un défi d’autant plus que nous avons utilisé des données secondaires. À notre connaissance, aucune étude analysant les effets des politiques de gratuité ne s’est explicitement appuyée sur un cadre conceptuel bien défini. C’est fort de ce constat que nous avons développé un cadre conceptuel pour guider la recherche sur l’efficacité de l’intervention. Ce cadre pourrait être adapté et utilisé pour les recherches futures sur les effets des politiques de gratuité et de l’assurance maladie sur les résultats de santé infantile. Ce cadre est basé sur une approche globale des déterminants de l’utilisation des services et de leur maintien dans le temps ainsi que les déterminants de la morbidité infantile et du statut nutritionnel des enfants de moins de cinq ans en particulier [39, 63, 76]. Il s’appuie également sur la théorie de moyenne portée sur la gratuité des soins, dans les pays d’Afrique Subsaharienne [160].

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En plus d’apporter une contribution à l’évaluation des politiques de gratuité, cette thèse a permis d’acquérir des connaissances sur quatre aspects du cadre conceptuel que nous avons proposé. Premièrement, les résultats de cette thèse soulignent le bien-fondé des interventions qui ciblent à la fois les barrières financières et la qualité des soins pour expliquer les effets immédiats et soutenus de l’utilisation des services de santé ainsi que l’hétérogénéité des effets. Les résultats soutiennent l’idée que l’intervention a vraisemblablement produit des changements d’une ampleur plus grande que ceux possibles avec une intervention qui supprime simplement les frais d’utilisation.

Deuxièmement, au-delà de la barrière financière, la barrière géographique peut aussi être un important facteur qui va modifier l’utilisation des services de santé. Nous avons montré que la probabilité de recours au service de santé était significative, quelle que soit la distance par rapport aux centres de santé et le statut socio-économique du ménage. En particulier, les inégalités de recours aux soins selon la distance étaient moins marquées dans les villages du district d’intervention comparativement à ceux du district de contrôle. L’intervention a permis de modérer l’influence de la distance sur le recours aux soins.

Troisièmement, tel que présenté dans le cadre conceptuel, l’intervention pourrait agir comme une variable instrumentale, dans la mesure où elle est fortement associée à la hausse de l’utilisation des services de santé, mais n’est pas directement associée au statut nutritionnel. L’inclusion de variables fortement liées à l’exposition, mais sans rapport avec le résultat (variables instrumentales), peut augmenter la variance et le biais d’un effet d’exposition estimé lorsqu’il est ajouté à un modèle statistique. L’ajustement pour les variables qui sont affectées par le traitement peut introduire un biais dans une estimation de l’effet total du traitement [271, 272]. En recourant au cadre conceptuel, cela nous a permis d’éviter ce type de biais.

Quatrièmement, le cadre conceptuel que nous avons proposé montre clairement que l’intervention est un déterminant important du recours aux soins et qu’il pourrait affecter la morbidité infantile et le statut nutritionnel via plusieurs variables intermédiaires et modificatrices d’effets. Ainsi, nos résultats pourront contribuer à éclairer la recherche sur l’analyse des effets des politiques de services gratuits, et en particulier, des politiques de santé potentiellement sensibles à la nutrition. Plutôt qu’un facteur pouvant influencer directement l’état nutritionnel des enfants, l’intervention

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de gratuité pourrait être un facteur modifiant les effets des politiques de santé spécifiques à la nutrition dans ce sens que la présence d’une intervention de gratuité dans un contexte donné pourrait renforcer l’effet des interventions spécifiques, en raison de la disponibilité des services de santé.

Par ailleurs, le cadre conceptuel suggère la nécessité d’examiner les effets modérateurs du pouvoir d’agir des femmes, des dépenses de santé appauvrissantes, des caractéristiques de l’offre de soins sur la relation entre les politiques de gratuité et les résultats de santé infantile. Cela pourrait être exploré en utilisant des études longitudinales basées sur la modélisation d’équations structurales et la méthode de la variable instrumentale [247] pour analyser les mécanismes sous-jacents qui pourraient expliquer la séquence des effets.

Notre étude souligne aussi le besoin de mieux comprendre dans quelle mesure la gratuité des soins pourrait interagir avec d’autres interventions pour améliorer simultanément l’état nutritionnel et réduire les inégalités nutritionnelles chez les enfants de moins de cinq ans.

8.2.3 Contribution de l’épidémiologie à l’évaluation des politiques de gratuité

Au début de la planification d’une étude épidémiologique, les épidémiologistes définissent le devis de l’étude et la méthode d’analyse des données en décrivant les variables à l’étude tout en examinant la relation entre les expositions, les covariables et les variables de résultat [65, 273]. Cela implique le développement d’un cadre conceptuel [65] et parfois le développement d’un graphe dirigé acyclique (DAG) [274]. Ainsi, dans cette thèse, nous nous sommes inspirés de la démarche des épidémiologistes pour définir nos objectifs de recherche et élaborer un cadre conceptuel pour mettre en évidence les relations entre l’intervention de gratuité, les covariables au niveau individuel et collectif et les résultats en matière d’utilisation des services de santé, de morbidité infantile et de statut nutritionnel. Cela nous a également permis de choisir les devis et les méthodes d’analyse pour relever les défis méthodologiques et analytiques auquels nous avons été confrontés.

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8.2.3.1. Développement d’un cadre conceptuel

Le cadre conceptuel que nous avons développé dans cette thèse apporte une contribution importante et opportune à la recherche sur les effets des interventions de gratuité des soins. Ce cadre nous a permis définir les hypothèses et les relations entre variables et les mécanismes par lesquels l’intervention devrait influencer l’utilisation des services de santé et l’état de santé. Cela nous a également permis les méthodes d’analyse appropropriés.

8.2.3.2. Choix des devis

Pour répondre adéquatement à nos objectifs de recherche en fonction des données disponibles et selon la nature de l’exposition à l’intervention, nous avons choisi des devis quasi expérimentaux de type séries chronologiques interrompues et de type post-intervention. Pour contrôler la confusion et renforcer la validité de nos résultats, nous avons ajouté un groupe de comparaison dans nos devis quasi expérimentaux et utilisé l’approche analytique de pondération par l’inverse de la probabilité. Le recours à l’approche multiniveau nous a permis de tenir compte de la nature de l’exposition à l’intervention, de la nature des données à l’étude ainsi que de notre désir d’examiner la proportion de la variance du statut nutritionnel des enfants expliquée par la présence de l’intervention dans les communautés.

8.2.3.3. Défis méthodologiques et solutions apportées

Tout au long de cette thèse, nous avons été confrontés à plusieurs défis méthodologiques lorsque nous avons tenté de modéliser la relation complexe à long terme entre l’intervention, l’utilisation des services de santé et la morbidité. Nous nous sommes appuyés sur la démarche analytique et les méthodes issues du domaine de l’épidémiologie pour répondre à nos objectifs de recherche de manière pragmatique. Dans les prochaines lignes, nous présenterons ces enjeux méthodologiques et comment nous nous sommes appuyés sur la démarche épidémiologique pour les relever. Nous discuterons des enseignements tirés de cette contribution méthodologique majeure pour l’analyse des effets des politiques de gratuité.

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Modélisation des effets à long terme d’une intervention de santé publique

Dans le premier manuscrit, l’analyse visuelle de la tendance dans l’utilisation des services de santé a permis de révéler des variations saisonnières dont l’amplitude s’est accentuée sur la période post- intervention. L’analyse plus approfondie de la tendance nous a révélé que la tendance était positive dans un premier temps et a commencé à ralentir vers le milieu de la période post-intervention puis à se stabiliser. Ceci révèle l’existence d’un effet plateau qui montre que la tendance n’était pas linéaire sur la période d’observation. En pareille circonstance, le choix de la forme fonctionnelle est d’une importance capitale dans la mesure où l’objectif de la thèse était précisément d’examiner la durabilité des effets de l’intervention. Pour faire face à ce défi méthodologique, nous avons testé plusieurs formes fonctionnelles, telles que les formes linéaires, linéaires, logarithmiques et quadratiques pour la tendance post-intervention. Nous avons utilisé les critères d’information Akaike (AIC) pour déterminer le modèle le mieux adapté à celui non imbriqué [212]. Finalement, le modèle quadratique était le meilleur. Il était en effet plus souple, nous permettant ainsi d’expliquer la possibilité d’une décélération suivie d’un plateau et éventuellement d’une diminution du rythme de croissance de l’utilisation des services de santé. Le calcul du rapport entre la pente et la courbure [214] nous a permis de déterminer, avec précision, le point d’inflexion de la tendance (point stationnaire), se situant à 43 mois après le début de l’intervention, soit trois ans et sept mois. En conséquence, cette thèse contribue, par cette démarche en plusieurs étapes, à combler les lacunes méthodologiques des précédentes études sur les effets des politiques de gratuité [7, 8]. Les futures recherches, dans le contexte du Burkina Faso et dans les autres contextes de pays à faible revenu, pourront s’appuyer sur cette démarche méthodologique pour examiner le temps nécessaire aux politiques de gratuité pour combler les besoins de recours aux soins non satisfaits du fait de la barrière financière.

Pondération par les scores de propension

Du fait que l’intervention n’était pas randomisée, les caractéristiques des villages, des ménages et des enfants vivant dans le district d’intervention étaient probablement différentes de celles du district de comparaison. Pour équilibrer les covariables entre les groupes, nous nous sommes appuyés sur la méthode des scores de propension, une des méthodes utilisées par les

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épidémiologistes pour contrôler la confusion. Nous avons estimé les scores de propension à l’aide d’une régression boostée généralisée, une méthode d’estimation non paramétrique.

Même si nous reconnaissons les limites inhérentes à la méthode des scores de propension, cette stratégie d’analyse épidémiologique nous a permis de pallier le manque de données de base dans les deux districts et ainsi de réduire la confusion.

Analyser la proportion de la variance du statut nutritionnel expliquée par la présence de l’intervention dans les communautés : Approche de « l’aire sous la courbe ROC ».

Selon Merlo et collaborateurs, on ne peut pas recommander une intervention de santé publique sur la base de mesures d’association si la variance des résultats de santé que l’on vise dans les communautés est inconnue ou très faible [202]. Nous avons remarqué qu’aucune étude ne s’est intéressée à l’influence contextuelle de la gratuité des soins sur la variance de l’utilisation des services et la morbidité. Nous nous sommes appuyés sur l’approche analytique à plusieurs étapes développées par Merlo [204] pour l’évaluation des interventions en santé. En applicant cette stratégie d’analyse empruntée au domaine de l’épidémiologie sociale[275], nous avons pu quantifier l’effet contextuel de vivre dans une communauté ayant expérimenté l’intervention en mesurant le changement de l’aire sous la courbe ROC après avoir ajouté un effet aléatoire prenant en compte la communauté de résidence. Nous avons ensuite comparé ce changement de l’aire sous la courbe ROC au changement de l’aire sous la courbe ROC du modèle simplifié, ne contenant que des variables au niveau individuel. Cette stratégie d’analyse nous a permis de démontrer que la présence de l’intervention explique une partie de la variance de l’utilisation des services de santé et du statut nutritionnel. Ceci montre que l’effet de l’intervention sur le recours aux soins et le statut nutritionnel était plus important dans certaines communautés que dans d’autres. Les résultats impliquent donc que l’efficacité de l’intervention pourrait s’améliorer si elle était spécifiquement façonnée, dans chaque communauté, pour atteindre des groupes de personnes les plus vulnérables et les plus éloignés des centres de santé. Dans le sens de l’universalisme proportionné [276] et de l’approche de l’OMS [277], pour réduire les inégalités et soutenir la réalisation progressive de la couverture sanitaire universelle. Cela implique les efforts pour réduire les inégalités dans l’accès aux services de santé, la protection financière et l’état de santé, notamment par des réformes de

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couverture sanitaire universelle, une action intersectorielle accrue, et une participation sociale plus forte [277].