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L’enseignement reçu par le futur chancelier était fondé sur l’instruction religieuse ; celle-ci occupait la première place :

chaque journée de travail, quel que soit l’âge

290

, devait

comporter « un petit quart d’heure le matin, et une petite demie

heure le soir« consacrés aux lectures de piété : le Nouveau

Testament, l’Imitation de Jésus-Christ et la Vie des Saints. Dans

son Discours sur la vie et la mort..., le chancelier confirme que

les journées de voyage commençaient par la prière des

voyageurs que récitait Madame d’Aguesseau pour la classe

improvisée et ambulante

291

. Ce temps de prière peut paraître

relativement court: Henri d’Aguesseau recommandait la

prudence sur ce point: « Il est encore plus dangereux de rebuter

les enfans dans la piété que dans les sciences«

292

. A la durée de

l’exercice il préférait la profondeur de la réflexion et

l’exploitation de toute occasion de faire « de petites réflexions...

en sorte qu’il ne paroisse pas qu’on veuille faire une leçon«

293

.

Cette habitude de mettre son travail sous le regard de Dieu

devait persister toute la vie. L’instruction religieuse pouvait

également reposer sur « le cathéchisme du Concile de Trente qui

est un excellent livre«

294

.

La part la plus belle revenait, dans cet enseignement, aux

humanités. Celles-ci consistaient dans l’étude des langues et de

l’histoire. Encore faut-il ne pas commettre de contresens ni

d’anachronisme dans la signification de ces termes.

290 Bibl. Nat., ms. n.a.f., 1991, f° 4.

291 H.F. d'AGUESSEAU, Discours sur la vie et la mort..., op. cit., p. 223. 292 Bibl. Nat., ms. n.a.f., 1991, f° 4.

293 Ibidem, f° 5. Le chancelier se souvient en effet : "Des instructions courtes mais pleines de sens et d'onction, des exemples encore plus utiles que les paroles, étoient les moyens qu'il employoit continuellement pour nous inspirer la piété et l'amour du devoir" (H.F. d'AGUESSEAU, Discours sur la vie et la mort..., op. cit., p. 221). 294 Ibidem, f° 3.

Pour les « Langues« , il s’agissait, en fait, de ce que nous

appelons les « Lettres« : « il n’est question pour les enfans que

de deux : la Grecque et la Latine«

295

; il fallait bien, cependant,

« dire un mot de la françoise«

296

. Le grec devait être appris

parfaitement de manière que la lecture en soit courante vers

l’âge de 17-18 ans. Le travail, dès l’âge de 10-12 ans, consistait

dans la lecture expli-quée, ponctuée de quelques versions (en

françois - et en latin -) afin « d’entendre les racines, la force, les

compositions et les diverses significations des mots« . En

revanche, il n’était pas nécessaire de s’appliquer au thème ou «

composition« , en cette langue « puisqu’on ne la parle

jamais »

297

. Pour la langue latine, au contraire, « il ne suffit pas

de l’entendre, il faut encore la sçavoir écrire et parler«

298

. Le

but n’était pas pourtant de transformer le latin en une langue «

vivante« pendant les cours : ce latin abâtardi n’apporterait rien

à l’enfant. C’était une fois encore sur la lecture et la relecture

des grands auteurs : Térence, César, Ciceron, les « meilleurs« ,

d’abord

299

, qu’était fondée l’étude. L’enfant apprenait par cœur

les passages lus, puis s’exerçait à la version. Le thème ne venait

que plus tard, non pas en utilisant les « recueils de phrases« qui

devaient être bannis comme « livres pernicieux« , mais en

partant du texte traduit précédemment pour, en deux colonnes

distinctes, traduire du français en latin, d’une part, et corriger en

recopiant le texte initial dans la deuxième colonne afin de

295 Ibidem, f° 5-6. 296 Ibidem, f° 22. 297 Ibidem, f° 7. 298 Ibidem, f° 7-8.

299 Ibidem, f° 8. Les prosateurs d'abord. Suivaient les historiens : Salluste, Tite-Live (Henri d'Aguesseau consacre un petit mémoire à cet auteur : "Observations à faire dans la lecture de T. Live" - f° 77 sq), puis Quinte-Curce, Velleius, Paterculus. Enfin les poètes : Ovide, Virgile, Horace, en prenant soin d'expurger certains passages, tout en procédant à la lecture des œuvres entières.

comparer

300

. L’exercice pouvait être oral ou écrit. Plus tard, le

chancelier se rappelait ces séances : « Nous expliquions les

auteurs grecs et latins... Nous apprenions par cœur un certain

nombre de vers qui excitoient en lui (son père) cet espèce

d’enthousiasme qu’il avoit naturellement pour la poésie,

souvent même il nous obligeoit à traduire du français en latin

pour suppléer aux thèmes que le voyage ne nous permettoit pas

de faire«

301

. On voit que le Plan d’étude ne restait pas lettre

morte.

Le français avait, à côté du grec et du latin, une place qui

nous paraît bien réduite. L’étude de la grammaire ne devait être

ni trop détaillée ni étendue : « rien ne resserre davantage l’esprit

et n’énerve plus le stile qu’une trop scrupuleuse application à

ces observations grammairiennes« !

302

. La littérature française

ne trouvait pas non plus grâce aux yeux d’Henri d’Aguesseau :

« il faut en user fort sobrement et avec beaucoup de

circonspection« , se méfier du « plaisir que peuvent donner aux

jeunes gens qui n’ont pas encore le jugement formé, les faux

brillans, les tours affectés et les pensées recherchées de nos

auteurs«

303

. La composition française, enfin, ne pouvait entrer

que tardivement dans l’organisation des études : « avant que des

enfans puissent composer, il faut que leur esprit se soit remply

de choses autrement ils s’accoutumeront à n’écrire que des

paroles »

304

. Que fallait-il faire alors pour apprendre le

français ? Traduire les auteurs latins et comparer ces exercices

300 Ibidem, f° 10.

301 H.F. d'AGUESSEAU, Discours sur la vie et la mort..., op. cit., p. 223-224. 302 Bibl. Nat., ms. n.a.f., 1991, f° 22.

303 Ibidem, f° 48-49.

304 Ibidem, f° 22. A partir de l'âge de 13-14 ans, le jeune garçon devait s'initier à l'art de l'éloquence et se perfectionner dans la poésie. Les préceptes de rhétorique devaient retenir une demi-heure de l'horaire journalier tandis que la lecture de Démosthène et de Ciceron donnait le modèle (cf. f°58 à 64).

aux traductions effectuées par les plus éminents philologues.

Admirable ! Dans ce conflit des Anciens et des Modernes, Henri

d’Aguesseau prenait résolument parti pour les Anciens : eux

seuls faisaient comprendre l’art de développer la pensée

305

.

L’étude de l’histoire enfin ne consistait d’abord que dans