• Aucun résultat trouvé

Les TraAm ne sont bien sûr qu’un exemple de ce qui peut être réalisé par ces groupes disciplinaires académiques. D’une manière générale, ils sont le lieu, pour les enseignants qui ont été recrutés, d’un échange entre eux et avec l’inspection, pour proposer des idées innovantes, ou leurs bricolages. C’est ainsi que je m’en suis saisie pour proposer le développement d’un concours de photographie à l’échelle académique. Recrutée par le GEP en 2012, l’année qui a suivi mon inspection, j’y ai vu en effet le moyen de développer notre concours-photo, et de tester son efficacité dans d’autres contextes que le mien. Je n’aurais cependant peut-être pas pris cette initiative si je n’avais pas été, dans le même temps, en train d’entamer le doctorat pour lequel je rédige aujourd’hui ce texte, et dont je souhaitais, de manière encore vague, qu’il porte sur la possible articulation de l’art et de la géographie à l’école.

3. L’institution, relais de l’innovation sur le terrain

Nous avons vu jusqu’à présent des logiques descendantes de l’innovation, ce que j’ai qualifié au début de ce chapitre de logique « top down ».

A des degrés divers néanmoins, il y a des situations dans lesquelles l’institution laisse aux enseignants l’entière initiative de l’innovation. C’est ce que prévoit l’article 34 de la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école (BO n°18 du 5 mai 2005) qui accorde un droit à l’expérimentation, c’est à dire « à déroger à la norme scolaire, du moment qu’il s’agit de contribuer à la réussite des élèves ». En 2013, cette importance attachée à l’innovation est réaffirmée par le premier ministre, Jean Marc Ayrault, qui propose de « développer partout une véritable capacité d’innovation […] là où la norme est impuissante, là où elle a failli » (discours du 22 août 2013)152. Pourtant, si la volonté est affichée, la mise en

œuvre est plus complexe, comme le montre un rapport récent émis par le Conseil national de l’innovation pour la réussite éducative, remis au ministre de l’Education Nationale le 10 novembre 2014. En effet, il observe que ces expérimentations concernent « la pédagogie prioritairement, l’organisation scolaire, les parcours et la vie scolaires, un peu moins le contenu

152 Discours de Jean-Marc Ayrault, Premier ministre, aux recteurs et directeurs académiques des services de

l’Education nationale, Hôtel de Matignon, 22 août 2013

http://archives.gouvernement.fr/ayrault/sites/default/files/interventions/08.22_discours_de_jean-

marc_ayrault_premier_ministre_aux_recteurs_et_directeurs_academiques_des_services_de_leducation_natio nale.pdf

des enseignements et surtout les relations de l’école avec son environnement ou ses partenaires. » (p.7). 2700 actions innovantes et expérimentations ont ainsi été recensées en juillet 2013, mais essentiellement pour augmenter l’intégration (mixité scolaire, continuité, ouverture à certains domaines ou à d’autres acteurs) et à améliorer l’organisation scolaire, davantage que pour résoudre les problèmes d’apprentissages des élèves. Lorsque c’est le cas, ces initiatives se heurtent à de nombreux obstacles :

« Force est de constater la « solitude » assez grande des enseignants et des équipes qui s’y engagent. […] L’institution peut leur être hostile et nombre de ces acteurs se plaignent des entraves et des difficultés qu’ils rencontrent. [… ] Pour des raisons réciproques, il faut souligner aussi l’isolement des innovateurs au sein même des équipes enseignantes ou locales. » (p.8). Pour l’auteur du rapport,

« il est donc difficile d’envisager l’innovation au sein de l’Ecole : impulsée ou même soutenue par le niveau national, elle suscite méfiance et le plus souvent retrait et isolement de ses promoteurs ; émergeant de situations locales, elle se heurte à la hiérarchie et souvent à l’hostilité des autorités ».

De ce rapide tour d’horizon de ce que j’ai proposé d’appeler précédemment l’innovation institutionnelle, on comprend que les stratégies déployées par l’institution scolaire pour favoriser l’innovation sont multiples, et que chacune mobilise, selon des degrés divers, la collaboration des enseignants : il y a les réformes imposées, et dont elle s’assure la faisabilité sur le terrain par les « remontées » des enseignants ou par l’intermédiaire des inspecteurs. A cela s’ajoutent les expérimentations qu’elle co-construit avec les enseignants, dans les espaces qu’elle a conçu à cet effet, généralement des groupes de travail académique, comme le GEP. Néanmoins, elle peine à se saisir des bricolages enseignants, de leurs inventions quotidiennes, et plus encore à les développer, et à les transférer dans les pratiques enseignantes, pour en faire des innovations. Au bricoleur lui-même alors d’investir les espaces qu’elle a conçu pour favoriser l’expérimentation, en se faisant connaître auprès de l’inspection.

B. D

U COTE DES CHERCHEURS

L’intérêt pour l’innovation n’est pas moindre du côté de la recherche en / sur l’éducation : que ce soit en didactique ou en sciences de l’éducation, celle-ci vise en effet la transformation du champ social sur lequel elle travaille, et qui est dans le même temps un

champ de pratiques professionnelles. Ainsi, qu’il s’agisse d’une recherche expérimentale153,

d’une recherche-action154 ou d’une recherche théorique155, qui sont les trois paradigmes de

recherche en didactique que distingue Jean-Pierre Astolfi (1993), l’objectif dans tous les cas est soit de mieux comprendre les pratiques, de les rendre intelligibles, ce que Jean-Marie Barbier (2001) nomme une recherche en intelligibilité156, soit de les transformer, ce qu’il

nomme une recherche en optimisation157 (figure 59). L’une et l’autre méthodes peuvent être

du reste couplées dans le cadre d’une recherche en ingénierie didactique (Artigues, 1988) qui fait alterner une première phase d’analyse et de diagnostic de situations didactiques (analyses préalables puis conception et analyse a priori de situations didactiques) avec une deuxième phase d’expérimentation donnant lieu à une analyse a posteriori et une évaluation.158

153 « Qui se propose d'expliquer, dans un cadre théorique, une relation entre une (ou des) cause(s) et un (ou des) effet(s), à l'aide d'un schème de recherche impliquant une manipulation et un contrôle de variables » (Astolfi, 1993, p.7).

154 « Qui permet l'atteinte d'un autre objectif majeur, à savoir solutionner des problèmes concrets et transformer la réalité. Elle s'inscrit dans la dynamique du changement et met en œuvre une méthodologie spécifique qui se caractérise essentiellement par l'intervention. Elle peut aussi avoir pour visée la « compréhension » (Astolfi, op.cit, p.7).

155 « Dont l'objectif central est la conceptualisation, avec comme visée de faire des prédictions (dans le cadre des modélisations) ou de comprendre, la démarche centrale de cette recherche est l'ana lyse conceptuelle. » (Astolfi, op. cit, p.7). 156 « C’est-à-dire la production de représentations de corrélations relatives à leur émergence et à leur fonctionnement » (Barbier, 2001, p.308-309). Les travaux de Jean-Marie Barbier, chercheur au CNAM, portent sur les pratiques professionnelles. 157« C’est-à-dire la production de représentations sur une transformation possible de ces pratiques : recherche finalisée, recherche-développement, recherche-action par exemple » (Barbier, 2001, p.308-309).

158 Je reviendrai sur ces différents points dans la deuxième partie (chapitre 2), pour préciser la nature de la

recherche que j’ai moi-même menée, et qui s’apparente à une recherche-développement.

FIGURE 60OBJECTIF DES RECHERCHES SUR LE CHAMP DE LA PRATIQUE PROFESSIONNELLE (ENSEIGNANTE

Outline

Documents relatifs