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VIII. Troisième analyse. Les réactions des enseignants

8.4. Les enseignants et leurs attentes

conflits qu’ils vivent avec les parents d’élèves. Les éducateurs interrogés ont également perçu cette attente.

En effet, à propos des parents qui ne viennent pas aux entretiens fixés par l’enseignant de leur(s) enfant(s), une enseignante du premier groupe a expliqué que dans ces cas-là, elle fait appel au directeur, pour « qu’il fasse une convocation aux parents » (A3-C-7). Un collègue du même groupe a ajouté que l’avantage de solliciter l’intervention du directeur est que « c’est officiel » (A3-A-7). Les enseignantes du deuxième groupe ont également expliqué que, pour les cas en question, elles peuvent solliciter leur directeur, car il est de l’obligation des parents d’assister aux entretiens fixés par les enseignants. C’est pour « le bien de leur enfant » (A3bis-A-20).

En somme, si les parents d’élèves ne collaborent pas, le supérieur hiérarchique des enseignants, le directeur, semble être le référent pouvant régler ce type de problèmes. Mais, cela s’adresse aux parents récalcitrants. C’est-à-dire ceux qui malgré plusieurs tentatives de contact infructueuses, refusent de s’impliquer dans la vie scolaire de leur(s) enfant(s).

D’ailleurs, il semble que ces tentatives de contact soient souvent déléguées aux éducatrices qui nous concernent.

Les éducateurs interrogés, quant à eux, ne plébiscitent pas la délégation de ce type de travail au directeur. De plus, ils ne veulent pas intervenir dans les familles. Ils jugent tous que cette pratique est trop « intrusive ». Ils préfèrent tenter d’établir eux-mêmes un contact avec les parents d’élèves concernés ou font intervenir les partenaires sociaux du REP. Selon eux, le recours à la convocation officielle n’est à utiliser qu’en dernier recours. Dans ce sens, une

93 enseignante du second groupe essaie toujours, dans un premier temps, de faire appel à l’éducatrice. Et, si celle-ci sent qu’il y a « un souci pour un entretien, bin elle peut leur en parler [aux parents], et en général ça passe bien » (A3bis-B-20). De plus, cette enseignante pense que les parents « ont confiance en elle […] notre éducatrice c’est un référent pour eux, pour tout ce qui touche plus à l’affectif, aux problèmes avec l’école, aux problèmes avec leurs enfants etcetera » (A3bis-B-20). A partir de cette citation deux commentaires peuvent être effectués.

Premièrement, en ce qui concerne la confiance, comme pour Perret (2007) et les éducateurs interrogés, il semble qu’un des rôles des travailleurs sociaux attendu par les enseignants interviewés soit celui de « relai entre les familles et l’école ». Ceci dans le but de garantir un climat d’apprentissage serein pour les apprenants (cf. Richard, 2008). Et, selon Perret (2007) et les éducateurs interviewés, il semble que l’éducateur, grâce à sa formation et à sa posture de tierce personne, arrive à gagner la confiance des parents. Et, ces parents ont peur de l’école et des professeurs qui y travaillent, car ceux-ci appartiennent à un monde qu’ils ne connaissent pas ou très peu (Perret, 2007).

En somme, il semble que l’éducateur ait le rôle d’informer les parents sur cet environnement scolaire qu’ils connaissent mal. Dans ce sens, selon les enseignantes du second groupe, leur éducatrice sait faire preuve d’empathie à l’égard des familles. Dès lors, on peut se poser la question suivante : cette compétence ne devrait-elle pas être maîtrisée ou utilisée par les enseignants ? Cette compétence semble être uniquement destinée aux éducateurs. Selon les enseignants des deux groupes comme pour Richard (2008), cette compétence des éducateurs vise à faciliter le travail d’instruction des professeurs. Effectivement, selon une enseignante du second groupe, « dès le moment où ça gêne vraiment notre enseignement on fait appel à l’éducatrice » (A3bis-A-21).

Finalement, on peut faire l’hypothèse que si les éducateurs arrivent à établir ce lien avec les familles, c’est peut être parce qu’ils connaissent ce sentiment d’infériorité qu’elles peuvent ressentir vis-à-vis des enseignants. En effet, selon Dino ceux-ci font peur aux familles, car ils représentent le savoir. En outre, il semble que les éducateurs, au même titre que les parents d’élèves, subissent la même « violence symbolique » de la part de l’institution scolaire et de leurs représentants (Bourdieu & Passeron, 1970). C’est pourquoi, contrairement aux enseignants, il semble plus facile pour les éducateurs : d’instaurer ce climat de confiance ; et d’instaurer une proximité et se trouver dans une relation de symétrie avec les parents d’élèves qui, comme eux, vivent cette « violence symbolique » du groupe dominant (Lorenzi-Cioldi, 1986).

Deuxièmement, selon la « division du travail éducatif » (Tarif & Levasseur, 2010), on constate que, contrairement à la gestion des petits conflits qu’ils assument, les professeurs interrogés délèguent le travail éducatif ou social à leur éducatrice, à savoir la prise de contact ou le renouement du contact avec les familles. Ceci vient donc renforcer l’idée que les enseignants délèguent le type de travail qu’ils ne sauraient pas et/ou ne voudraient pas faire, aux éducateurs. Il faut préciser que les éducateurs interrogés ne perçoivent pas ce travail de dialogue comme du « sale boulot » (Payet, 1997), car ils le jugent en adéquation avec leur

94 vision du travail. Cependant, on peut se demander si les éducateurs, en acceptant cette division du travail, perdent la neutralité qu’ils sont censés représenter à travers leur(s) relation(s) avec les familles. En effet, selon Bouveau et al. (1999), les éducateurs prennent en charge un travail qui est identifié et délégué par les enseignants.

En d’autres termes, on peut craindre que les éducateurs ne deviennent les « porte-paroles » des enseignants et, au final, que la relation asymétrique qui existe entre les professeurs et les familles ne s’accroisse. Ceci permettrait aux enseignants d’acquérir plus d’informations sur les familles et leurs enfants, que ceux-ci en auraient de l’institution scolaire (Bouveau, Cousin et Favre, 1999). Dans ce cas, l’échange ne serait profitable qu’aux enseignants. Malgré cela, les travailleurs sociaux semblent percevoir « le danger » qui vient d’être décrit. Nous reviendrons sur les réactions des éducateurs à l’égard de l’attente des enseignants dont il est question.

Dans ce sens, voici une tension entre la vision du travail de l’éducatrice et celle d’une enseignante du premier groupe. Celle-ci attend que son éducatrice lui transmette des informations sur un élève, suite à un entretien entre les parents de cet élève et l’éducatrice :

« mais ce qui est très embêtant c’est qu’il n’y a pas de retour de l’éducatrice, parce qu’elle estime que c’est du domaine, elle a pas dit du professionnel, mais elle ne veut pas faire part de ce que les parents lui confient, et ça c’est quelque chose, un point où d’ailleurs j’étais en total désaccord avec elle, parce que je lui ai dit que, que j’avais besoin de certains renseignements » (A3-B-7).

L’enseignante a expliqué qu’elle avait besoin de ces informations pour pouvoir comprendre les problèmes rencontrés par certains de ses élèves et leurs parents. Elle a donc constaté, comme pour l’attente de disponibilité et de visibilité du travail de l’éducatrice, qu’il y a un manque de communication de la part de son éducatrice. Effectivement, celle-ci ne lui a pas fait part du suivi de l’élève. Pourtant, certains éducateurs interrogés ont expliqué qu’ils souhaitent un suivi plus régulier des élèves et que certains enseignants ne font appel à eux qu’à titre occasionnel. En d’autres termes, selon ces éducateurs, il semble que l’enseignante du premier groupe attende de l’éducatrice, et inversement, une meilleure transmission de l’information quant au suivi de l’élève, donc une meilleure collaboration.

Selon Bouveau, Cousin et Favre (1999) on peut considérer que ce refus de transmission d’informations à l’enseignante du premier groupe en révèle un autre : celui d’endosser le rôle de « porte-parole » des enseignants. De plus, on peut imaginer que ce comportement de l’éducatrice soit une réponse à la « violence symbolique » qui est exercée par le groupe

« dominant », représenté par l’enseignante en question (Bourdieu & Passeron, 1970). Ce mécanisme d’autodéfense se caractérise par le non traitement de l’attente de l’enseignante. Et, ce mécanisme semble être utilisé par l’éducatrice pour compenser l’asymétrie entre les éducateurs/les parents et les enseignants.

Il semble que cette tension n’existe pas entre les enseignantes du deuxième groupe et leur éducatrice. En effet, dans les relations qu’elles entretiennent avec les parents d’élèves : que ce

95 soit pour les enseignantes ou l’éducatrice, il « ya toujours un retour, pour informer l’autre » (A3bis-B-21).

En ce qui concerne les parents d’élèves, on remarque que les enseignants méconnaissent souvent leur(s) culture(s) (Crahay, 2007). Ils semblent éprouver un manque de compétence au niveau des relations interculturelles. Pour illustrer cela, une praticienne du premier groupe pense qu’elle a « eu très souvent de la peine à comprendre […] les gens venant de culture africaine et ça m’intéresserait de peut-être de connaître certaines choses » (A3-B-12). Cette enseignante attendrait donc que son éducatrice assume le rôle de « médiatrice culturelle ».

D’ailleurs, un autre praticien de ce groupe a ajouté la chose suivante : « on a déjà eu nous, avec Mr. Ferreira, pour la culture portugaise, on a eu une présentation » (A3-A-11). On remarque que ce rôle a été assumé indirectement par l’éducatrice en question. En effet, celle-ci a fait appel à un médiateur culturel, un des partenaires socelle-ciaux du REP.

On peut faire l’hypothèse suivante : si les éducateurs sentent qu’une situation et/ou une attente des professeurs ne concerne pas directement leurs compétences, ils la délèguent à un autre professionnel du REP. Cela rejoint la vision du travail en réseau des éducateurs qui a été exposée par Dumonlin, Dumont, Bross, et Masclet (2006). En effet, selon ces auteurs, les travailleurs sociaux, selon les cas qu’ils rencontrent, peuvent demander l’aide des spécialistes ou des services publics et sociaux, qui peuvent intervenir de manière adéquate pour les cas en question.

A noter que Dino a été confronté à ce genre de situation. Il a proposé aux professeurs de son école une « formation interculturelle », suite à leurs nombreuses demandes qui concernaient le domaine de l’interculturel. On peut imaginer que ce type d’utilisation des partenaires du REP par les éducateurs permette aux enseignants d’être mieux « armés » pour traiter eux-mêmes les situations difficiles qui relèvent de l’interculturel. Ainsi, peut-être qu’ils n’auraient plus, ou en tout cas moins d’attentes qui relèvent de ce domaine, vis-à-vis des éducateurs.

En somme, il semble que l’éducateur a un rôle de formateur ou plus précisément d’aide à la formation des enseignants quant au domaine de l’interculturel et de leurs relations avec les parents d’élèves.