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Enquêtes en matière de droits de l’homme

La mission de protection est étroitement associée au pouvoir d’enquêter. Mais il ne faut pas perdre de vue que l’INDH n’a pas vocation de se substituer aux organes chargés de l’application des lois ni à un ordre judiciaire sans défaillance.

Les institutions nationales des droits de l’homme sont des mécanismes complémentaires conçus pour veiller à ce que les droits de tous les citoyens soient pleinement protégés.

Elles offrent quelque chose que le système judiciaire ou d’autres processus institution-nalisés ne peuvent offrir. Et en particulier le fait qu’elles soient axées sur les droits de l’homme leur permet d’acquérir et d’appliquer des savoirs experts et de s’assurer que les droits de l’homme sont intégrés dans tous les domaines qui relèvent de leur compétence.

1. Procédure globale applicable à toutes les enquêtes

Les procédures générales suivantes s’appliquent à toutes les enquêtes, indépen-damment du droit qui en fait l’objet. Les étapes qui sont réservées aux INDH ayant compétence quasi juridictionnelle sont indiquées en italiques.

Réception, tri et résolution rapide

– Recueil d’informations et action de suivi pour déterminer si des enquêtes sont nécessaires;

– Processus de soutien de la réception et de l’instruction liminaire de plaintes;

– Détermination du fait que la question relève de la compétence de l’institution;

– Tri et classement, pour s’assurer que les cas prioritaires et les situations d’urgence sont traités comme il convient;

Action liminaire d’information et de conseil auprès de toutes les parties, pour les informer de leurs droits et devoirs;

Solutions de résolution non contentieuse du différend, en vue d’encourager un prompt règlement amiable.

Enquête sur plainte

– Mettre l’accent sur les stratégies de gestion de cas opportunistes et systémiques;

Conseil au répondant, et occasion de répondre à l’allégation;

– Enquête;

– Communication des résultats de l’enquête;

– Étude, évaluation et discussion des options disponibles pour les personnes lésées.

Publication des recommandations et recherche de réparations – Diffusion des conclusions d’enquête et des recommandations;

– Décision sur les cas et/ou sur les moyens de faire appliquer une décision, ou décision de chercher réparation auprès des tribunaux, si la législation le permet;

– Appuyer la communication avec les organes conventionnels au titre de protocoles facultatifs et/ou avec les organes régionaux pour rechercher des réparations pour les

cas dans lesquels les recours nationaux sont épuisés. Certaines INDH ont la faculté de se pourvoir devant des organes régionaux, telles les cours des droits de l’homme.

Le pouvoir de mener enquête sur des violations alléguées des droits de l’homme et sur la situation de ces droits est fondamental pour l’action de la plupart des INDH. Il constitue aussi parfois une véritable gageure.

L’enquête est un processus neutre: elle ne favorise ni le plaignant, ni le défendeur.

L’enquête consiste à rassembler des informations sur les allégations de violations des droits de l’homme et à déterminer la réalité des faits, et si l’allégation est fondée.

L’enquête commence en général par une allégation qu’une action ou une omission particulière s’est produite, ou que le degré de jouissance d’un droit particulier est menacé. Le but de toute enquête est de permettre de répondre à deux questions:

Y a-t-il eu violation du droit, tant national qu’international, des droits de l’homme qui entre dans le champ de compétence de l’institution?

Si oui, qui est le responsable de la violation?

Les Principes de Paris veulent qu’une institution soit compétente pour communiquer au gouvernement ou à toute autre autorité compétente des avis et des recommandations concernant «les cas de violations des droits de l’homme dont elle déciderait de se saisir»

(italiques ajoutés).

Les enquêtes sont menées en recueillant des éléments de preuve physiques, des témoignages et des documents justificatifs, par des recherches et par l’évaluation de ces éléments.

Un nombre restreint d’institutions sont habilitées à mener des enquêtes mais sont limitées aux questions systémiques ou générales. D’autres encore choisissent de mener des enquêtes systémiques ou générales en sus ou en lieu et place d’enquêtes concernant des situations individuelles. Certaines combinent ces activités. Référence doit être faite, dans tous les cas, à la loi habilitante, ou loi organique.

2. L’institution est-elle compétente?

Les institutions nationales des droits de l’homme peuvent se saisir de «toute» question relevant de leur compétence. La compétence d’une institution − ou sa juridiction en matière d’enquête − doit être clairement définie dans la législation habilitante.

Pour plus de précisions sur les restrictions à la compétence et au mandat de l’INDH en ce qui concerne les sujets, les limitations géographiques, les délais de prescription et le type d’organisation qui peut faire l’objet d’une enquête, se reporter au chapitre III.

3. Pouvoir d’enquête

Les Principes de Paris veulent, ou supposent, que l’INDH dispose de certains pouvoirs, y compris de celui «d’entendre toute personne, obtenir toutes informations et tous documents nécessaires à l’évaluation de situations…».

Les Principes de Paris veulent donc qu’une institution ait accès à tous les documents et à toutes les personnes nécessaires pour qu’elle puisse enquêter. D’autres pouvoirs découlent des Principes de Paris et de la nature de l’enquête. Ces pouvoirs, qui doivent être clairement définis et dûment entérinés dans la législation, sont notamment les suivants:

Le pouvoir de contraindre à la production de documents et de témoins;

Le pouvoir de mener des enquêtes sur place comme de besoin, y compris le pouvoir d’inspecter les lieux de détention, etc.;

Le pouvoir de convoquer les parties à une audition; et

Le pouvoir d’entendre et d’interroger tout individu (y compris des experts et des représentants des organismes gouvernementaux et, s’il convient, des entités privées) qui, de l’avis de l’enquêteur, peut avoir des connaissances au sujet de la question examinée ou est en quelque autre manière en mesure de contribuer à l’enquête.

Le pouvoir d’obtenir des informations et des documents entraîne la capacité d’imposer des sanctions en cas d’obstruction. Agir en représailles contre des parties, des témoins ou quiconque est concerné par une enquête doit être interdit par la loi. Les institutions nationales des droits de l’homme doivent également avoir le pouvoir d’imposer ou de solliciter des sanctions quand il est fait obstruction ou quand il y a en quelque façon interférence avec l’exercice de leurs fonctions.

Dans certains cas, les statuts contiennent une clause générale qui octroie à l’INDH le pouvoir d’exercer toutes les activités (non spécifiées) qui, à son avis, sont néces-saires pour mener une enquête en bonne et due forme. Une telle clause générique ou

«chapeau» est gage de souplesse, mais l’institution doit être vigilante quant à sa propre obligation de respecter les droits de l’homme de toute personne à chacune des étapes de l’enquête.

Certaines institutions ont le pouvoir d’ordonner des mesures injonctives ou palliatives intérimaires lors d’une enquête. Cela peut être extrêmement précieux. De telles mesures intérimaires ont généralement pour finalité d’assurer que la situation des personnes affectées par les faits qui font l’objet de l’enquête n’est pas aggravée par celle-ci, ou qu’il n’est pas fait obstruction au processus par des événements ultérieurs. Ici encore, ces pouvoirs doivent être expressément prévus par la loi.

Pouvoir d’ouvrir une enquête

Les Principes de Paris veulent qu’une institution puisse examiner librement toutes les questions relevant de ses compétences et portées à sa connaissance, y compris «sur proposition de [ses] membres». Cela signifie essentiellement que l’institution doit avoir le pouvoir d’ouvrir une enquête par autosaisine (enquête suo moto). Ce pouvoir doit être affirmé dans la législation habilitante de sorte qu’il n’y ait aucune ambiguïté et qu’il soit juridiquement inattaquable.

Le pouvoir d’ouvrir une enquête peut être extrêmement important et lourd de conséquences, en particulier s’agissant des groupes défavorisés et vulnérables qui sont peu susceptibles d’avoir recours à l’INDH, ou d’avoir les ressources pour informer l’INDH de leur situation. Le pouvoir d’ouvrir une enquête permet également à l’INDH de veiller à ce que les groupes vulnérables puissent se faire entendre publiquement et à ce que les violations des droits de l’homme, partout où elles se produisent, soient dénoncées et portées à la connaissance de tous. Grâce aux enquêtes, des problèmes occultés peuvent être exposés au grand jour et pour que l’opinion s’en saisisse, étape nécessaire pour que l’on puisse en traiter.

Choix de l’objet de l’enquête

Les questions qui méritent l’attention peuvent être déterminées par une analyse des tendances des plaintes reçues (pour ce qui est des institutions habilitées à recevoir des plaintes), par l’étude systématique des faits rapportés par les médias, à la suite d’un travail de planification stratégique, ou par l’exercice d’une surveillance. Les communau-tés ou les organisations non gouvernementales peuvent porter des questions locales de caractère urgent à l’attention de l’institution. Les articles de presse peuvent indiquer un problème potentiel, et conduire l’institution à ouvrir une enquête.

4. Investigations et enquêtes systémiques

Les enquêtes systémiques examinent comment les systèmes − les lois, les politiques, les pratiques, les modes de comportement et attitudes fortement ancrés dans les mentalités − peuvent fonctionner de façon discriminatoire ou en violation des lois relatives aux droits de l’homme en général. Ces schémas, ces politiques ou ces pratiques peuvent être de caractère structurel, en ce sens qu’ils prennent naissance dans la convic-tion que la violaconvic-tion du droit est intimement ancrée dans le tissu social et qu’elle est par conséquent rampante et généralisée.

Il n’y a par exemple pas si longtemps que l’on considérait normal ou acceptable de refuser l’emploi aux femmes en âge d’avoir des enfants, ou de licencier les employées enceintes, au prétexte que c’était les traiter comme les autres employées qui s’absen-taient trop longtemps de leur travail.

Les enquêtes systémiques non seulement exposent des problèmes généralisés, elles sont sans doute aussi plus efficaces pour les corriger qu’une série d’enquêtes sur plaintes individuelles.

Les institutions peuvent user de différentes méthodes.

Modifier une procédure d’enquête pour traiter de questions systémiques Les institutions nationales des droits de l’homme peuvent adapter différentes procédures d’enquête pour examiner et corriger des problèmes de grande ampleur et de nature politique, y compris par des actions collectives. Les institutions habilitées à recevoir des plaintes peuvent, par exemple, user de cette procédure pour traiter de questions systémiques.

Différents cas individuels peuvent dans un premier temps être analysés pour déterminer s’ils suggèrent l’existence d’un problème plus général.

Exemple: Droits de scolarité et droit à l’éducation. L’INDH peut être saisie d’une plainte concernant les droits de scolarité et leur impact sur les familles pauvres.

Toutefois ce type de pratique affecte nécessairement plus d’une famille. L’INDH peut alors décider de rechercher des recommandations plus générales qui s’appliquent à toutes les familles se trouvant dans ce cas, et pas seulement à la famille plaignante.

Si la perception de ces droits de scolarité est universelle, une enquête ne pourra révéler que ce qui est déjà connu. Il est alors préférable de faire des recommanda-tions de nature systémique directement à l’intention des autorités compétentes. De même une affaire de caractère individuel qui renvoie à l’application directe d’une loi ou d’une politique n’a rien à révéler en matière de «faits» particuliers dans le cadre d’une enquête. L’enquête se voit alors substituer une analyse de la loi ou de la politique afin de déterminer si celle-ci constitue une violation des droits de l’homme.

Par ailleurs si l’institution dispose de ce pouvoir, elle peut décider de contester la disposition directement devant les tribunaux plutôt que d’enquêter au sens où nous l’entendons dans le présent chapitre.

Il se peut qu’une INDH reçoive une série de plaintes qui se rapportent toutes à une même question. Elle peut alors décider de les fusionner et de les traiter ensemble pour s’assurer que la réparation ira au-delà d’une série de règlements particuliers. Certaines institutions passent régulièrement en revue les types de plaintes reçues pour déceler des schémas ou des tendances.

Certaines INDH se sont dotées d’une procédure qui leur permet de passer en revue toutes les plaintes pour déterminer d’emblée si les allégations indiquent des problèmes systémiques. Ces cas sont alors traités en priorité, parce qu’ils concernent des groupes d’individus.

Former un recours collectif pour traiter de questions systémiques

Un certain nombre d’institutions nationales ont mis en place une procédure de recours collectif permettant à un individu touché par une violation des droits de l’homme de déposer plainte non seulement en son propre nom, mais également en celui d’autres personnes se trouvant dans le même cas que lui. Cette possibilité de recours collectif ou de plainte par un représentant permet de faire en sorte que les problèmes de caractère généralisé soient traités en tant que tels, et non pas comme des cas iso-lés et peu significatifs. Toutefois si de tels cas constituent techniquement des actions collectives qui seront portées devant les tribunaux, certaines conditions techniques préliminaires doivent être observées pour qualifier l’action en recours collectif.

Là où il est possible d’engager des actions collectives, des directives strictes sont généralement édictées qui précisent à quelles questions et à quelles plaintes cette formule peut s’appliquer. Il peut arriver par exemple qu’une INDH ne puisse se saisir d’une plainte collective que lorsque certaines des (ou toutes les) conditions ci-après sont réunies:

Le plaignant fait partie de la collectivité qui a été touchée ou qui risque de l’être;

Le plaignant a personnellement été lésé par la violation alléguée;

La collectivité de personnes effectivement ou potentiellement touchées est si nombreuse que la question ne peut être réglée simplement en associant plusieurs personnes, à titre individuel, à la plainte;

Il existe plusieurs points de droit, ou plusieurs faits qui sont communs à tous les membres de la collectivité considérée, et les griefs du plaignant sont représentatifs de ceux de la collectivité;

Des plaintes multiples risquent de donner des résultats incohérents; enfin

Les motifs de l’action semblent s’appliquer à l’ensemble de la collectivité, si bien qu’il semble logique d’accorder des voies de recours à la collectivité en tant que telle.