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2. Cadre théorique

2.1 La Suisse et la migration

2.1.3 Les enjeux liés à la migration

Selon Wicker, Fibbi & Haug (2003), l’accueil et l’intégration des populations migrantes représentent un succès dans la grande majorité des cas grâce à deux facteurs importants.

D’une part, la Suisse n’a pas effectué de ségrégation spatiale, ce qui a considérablement favorisé le mélange et l’acceptation des populations. D’autre part, le système scolaire et éducatif suisse s’est montré très engagé dans son rôle intégrateur, ce qui a favorisé l’insertion des élèves (Wicker et al., 2003). Si, de manière générale, nous pouvons avancer que les populations migrantes finissent par « trouver une place au sein de la société helvétique », il convient de préciser que ces dernières doivent passer par un long et parfois difficile processus d’intégration (Wicker et al., 2003, p. 16). Derrière le concept de migration se cachent en réalité de nombreux enjeux, qu’il s’agit d’identifier. Lorsqu’elles décident ou se voient contraintes de quitter leur pays d’origine, les personnes migrantes doivent à la fois s’adapter à de nouvelles conditions de vie – celles du groupe dominant – et surmonter divers obstacles, comme l’obtention d’un permis de travail, l’acquisition de la langue du pays d’accueil ou encore l’accès à l’emploi et au logement. Wicker et al. (2003) remarquent par ailleurs qu’aujourd’hui, l’intégration des nouvelles générations de migrants est plus lente que pour les Italiens et les Espagnols autrefois. En effet, la Suisse est actuellement devenue une terre d’accueil pour de nombreux réfugiés politiques qui doivent fuir leur pays, ce qui complexifie les processus d’intégration. Bien que de nombreuses institutions et organisations luttent désormais pour promettre un avenir meilleur aux populations victimes, « l’ouverture à d’autres langues et religions que celles qui font partie de notre héritage historique et de notre particularité traditionnelle représente un défi important » (Wicker et al., 2003, p. 16). Nous constatons que, bien que dans l’ensemble la population suisse se montre ouverte à l’accueil des réfugiés sur son sol, elle ne semble pas prête à changer totalement son mode de vie. Les personnes migrantes doivent donc faire face à de nombreux changements et trouver le moyen de s’adapter à la culture du pays d’accueil sans pour autant perdre complètement leur culture d’origine. Ce mélange de cultures provoqué par l'augmentation du flux migratoire a donné naissance au concept d’acculturation. D’après le Mémorandum pour l’étude de l’acculturation (1939) cité par Cuche (1996), ce terme se définit comme « l’ensemble des phénomènes qui résultent d’un contact continu et direct entre des groupes d’individus de cultures différentes et qui entraînent des changements dans les modèles culturels initiaux de l’un ou des deux groupes » (p. 54). D’après lui, il est en effet important de considérer « autant le groupe dominant que le groupe dominé » durant ce processus afin d’équilibrer l’apport des deux cultures (Cuche, 1996, p. 60). Le processus d’acculturation est donc un procédé

complexe mêlant à la fois les cultures d’origine et d’accueil. Selon Berry (1989), le processus d’acculturation s’explique à l’aide de quatre grandes tendances, elles-mêmes définies par deux axes : celui de l’identité culturelle et celui de la relation avec les autres groupes. Aussi, toute personne migrante est appelée à se questionner et à se positionner par rapport à ces deux axes. Soit elle tient à garder son identité culturelle (+), soit elle n’y tient pas (-) ; soit elle est ouverte à créer des nouvelles relations avec les habitants du pays d’accueil (+), soit elle ne l’est pas (-). Le tableau ci-dessous apporte une vision synthétique de ce phénomène.

Tableau 1 : Le processus d’acculturation selon Berry (1989)

Identité culturelle

- +

Relation

-

Marginalisation Ségrégation

+

Assimilation Intégration

Selon la voie choisie pour chaque axe, la personne s’ancre alors dans l’un des quatre types d’acculturation définis par Berry (Berry, 1989, cité par Perregaux & Dasen, 2001, p. 190).

1. La marginalisation découle d’un positionnement négatif par rapport aux deux axes. La personne migrante ne souhaite pas garder son identité culturelle (-) et elle ne cherche pas non plus à entrer en contact avec d’autres groupes (-).

2. Dans le cas où la personne souhaite entrer en contact avec de nouveaux groupes (+) sans pour autant garder son identité culturelle (-), le processus est appelé assimilation.

3. Dans le cas inverse, nommé la séparation/ségrégation, la personne ne souhaite pas entrer en contact (-) mais garde toutefois son identité culturelle (+).

4. Dans la dernière configuration, la personne choisit de conserver son identité culturelle (+) tout en entrant en relation avec les autres (+), on appellera cela l’intégration.

C’est bien évidemment l’intégration que l’on vise pour toute nouvelle immigration. Non seulement elle permet à l’individu de garder une identité culturelle intacte et forte qui constitue un repère important pour la valorisation de soi ; mais celle-ci ne l’empêche cependant pas de s’ouvrir à d’autres personnes et d’autres cultures. La différence est reconnue

et acceptée, et ne constitue en rien une barrière à l’intégration. Au contraire, elle est vécue comme un potentiel enrichissement, un apport positif.

Si la position de la personne migrante vis-à-vis des deux axes est déterminante, le rôle des autochtones est tout aussi essentiel. Comme le dit Rey (2001), « [l]e rôle de l’autre, dans l’intégration est tout à fait déterminant, notamment notre rôle, quand nous attendons d’individus ou de groupes qu’ils s’intègrent » (Rey, 2001, cité par Perregaux et al., 2001, p. 246). L’article 4 du chapitre 2 de la loi fédérale sur les étrangers (LEtr) stipule au point 3 que « l’intégration suppose d’une part que les étrangers sont disposés à s’intégrer, d’autre part que la population suisse fait preuve d’ouverture à leur égard »3. Dès lors, nous constatons que la culture d’accueil a également son rôle à jouer, dans le sens où elle influence le type d’acculturation en fonction de son contrôle et/ou de son ouverture aux cultures étrangères.

Dès l’arrivée des migrants sur un sol étranger, l’échange qui s’effectue entre les cultures est en effet tributaire de deux causalités : la causalité interne et la causalité externe. Pour une culture donnée, la causalité interne représente tous types de caractéristiques propres (mode de fonctionnement, logique, etc.). Cette première causalité « peut favoriser ou, au contraire, freiner, voire empêcher les changements culturels exogènes » si ces caractéristiques sont trop dominantes (Cuche, 1996, p. 62). La causalité externe, quant à elle, correspond aux caractéristiques de la culture d’accueil. Dans la mesure où il s’agit d’un échange, les caractéristiques de chacune des cultures doivent s’entremêler afin de former un ensemble.

L’acculturation n’est donc pas un processus à sens unique, où la population migrante se convertit à la culture d’accueil, et « n’entraîne donc pas forcément la disparition de cette dernière, ni la modification de sa logique interne qui peut rester prédominante » (Cuche, 1996, p. 55). Contrairement à ce qu’en pensent certains, « l’acculturation n’aboutit pas à l’uniformisation culturelle » mais permet une adaptation adéquate à la culture d’accueil en conservant certaines caractéristique de sa propre culture (Cuche, 1996, p. 55). En définitive, avant de pouvoir affirmer qu’un immigrant est intégré, il est donc nécessaire d’analyser ces liens de causalité tout en les complétant avec trois autres indicateurs fondamentaux : « la convergence des niveaux de formation, la proximité spatiale et la mixité des mariages » (Piguet, 2013, p. 95). L’analyse de ces divers enjeux permet d’avancer avec plus de précision le degré d’intégration des migrants et, le cas échéant, de tenter de renverser positivement la situation.

3 https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/20020232/201510010000/142.20.pdf