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Topisirovic montrent qu’ Engrailed possède un domaine de liaison au facteur d’ initiation de la

traduction 4E (eucaryotic Initiation Factor 4E - eif4E), comme 199 autres homéoprotéines [Topisirovic

et al., 2003]. S. Nédélec et A. Trembleau ont montré que l’homéoprotéine Emx2 interagit avec eif4E dans

les axones des neurones sensoriels olfactifs, indiquant une potentielle régulation de la traduction. Les

homéoprotéines Engrailed-2 et Otx2 ont également la capacité d’interagir avec eIF4E [Nédélec et al., 2004],

et des analyses in silico ont montré la présence d’un site YxxxxLφ dans plus de 200 homéoprotéines

[Topisirovic et al., 2003].

a. Rôle d’ eIF4E

La traduction chez les eucaryotes se fait classiquement selon deux voies : cap-dépendante ou cap-

indépendante, en référence aux mécanismes mis en jeu pour les ARN messagers (ARNm) ayant une

coiffe « 5’ -cap ». Cette modification post-transcriptionnelle consiste en un nucléotide modifié que l’ on

trouve à l’ extrémité 5’ des ARN messagers (guanosine méthylée en position N7). La grande majorité

des ARNm chez les eucaryotes portent cette coiffe et sont donc traduits via la voie cap-dépendante : en

effet les ARNm sans coiffe 5’ sont estimés à 3 % de la totalité des ARNm de la cellule [Johannes et al., 1999].

Cette coiffe a pour fonctions de : 1) protéger les ARNm des ribonucléases du cytoplasme 2) stabiliser

la structure tridimensionnelle de l’ ARNm 3) participer au signal d’ export nucléaire une fois l’ ARNm

mature 4) permettre le recrutement des facteurs d’ initiation de la traduction dans le cytoplasme et

notamment du ribosome 40S. D’ autres facteurs interviennent dans l’ initiation de la traduction eIF3

(eucaryotic Initiation Factor 3), eIF2, et notamment eIF4F qui est un complexe composé de : eIF4E,

eIF4A et eIF4G. eIF4E reconnaît spécifiquement la coiffe 5’ et est ainsi indispensable à l’ initiation de

la traduction cap-dépendante : eIF4A est une ARN hélicase dont l’ activité, dépendante de l’ ATP, est

nécessaire pour défaire les structures secondaires du brin d’ ARN le rendant accessible au scanning par

le ribosome [Rogers et al., 2002] ; eIF4G quant à lui est une protéine chaperon permettant de coordonner

l’ ensemble de ces acteurs ; il augmente l’ activité hélicase et d’ hydrolyse de l’ ATP d’ eIF4A, et lie la

coiffe 5’ (via eIF4E) et la sous-unité 40S (via eIF3). Le complexe d’ initiation est alors formé lorsque

eIF4E peut interagir avec eIF4G : la sous-unité 40S liée aux différents facteurs d’ initiation est liée à la

coiffe 5’ et le scanning de la séquence de l’ ARNm peut débuter pour trouver le codon d’ initiation AUG,

provoquant le départ des différents facteurs d’ initiation et laissant place à la sous-unité 60S qui pourra

alors venir se fixer à la sous unité 40S formant ainsi un ribosome 80S complet et fonctionnel. Cela

marque le passage à l’ étape suivante : l’ élongation de la protéine à partir de la lecture de la séquence

d’ ARN [Merrick, 2004](figure 30). Pendant l’ embryogenèse de la drosophile, l’ homéoprotéine Bicoïd

réprime de façon sélective l’ initiation de la traduction de l’ ARNm Caudal. Ce processus fait intervenir

une fixation de Bicoïd, d’ une part sur eIF4E (via une séquence YxxxxLφ) et, d’ autre part, sur une

région appelée Bicoïd response element située dans la séquence 3’ non traduite (3’ UTR) de l’ ARNm

Caudal, par l’ homéodomaine. La fixation de Bicoïd sur eIF4E bloque l’ interaction initiatrice de la

traduction entre eIF4E et eIF4G, alors que l’ interaction avec l’ ARNm permet de cibler cette régulation

sur l’ ARNm Caudal [Niessing et al., 2002]. Cet exemple montre que l’ homéodomaine peut reconnaître

spécifiquement des régions de l’ ARNm. Engrailed lie eIF4E mais il n’ est pas encore démontré qu’ elle

Figure 30 : Mécanisme d’ initiation de la traduction selon la voie

cap-dépendante

Représentation du modèle closed-loop, le complexe eIF4G interagit avec la coiffe 5’ via eIF4E et la queue poly(A) via PABP,

recrutant la sous-unité 40S ribosomale via eIF3. Par souci de simplicité d’ autres facteurs ont volontairement été omis de

ce schéma.

Adapté de López-Lastra et al., 2005.

b. Engrailed dans le guidage axonal

Chez les vertébrés, les axones des cellules ganglionnaires rétiniennes (RGC) se projettent de façon

ordonnée dans le colliculus supérieur. Les axones dont les corps cellulaires sont situés dans la rétine

nasale se projettent dans la partie postérieure du tectum [Braisted et al., 1997 ; Ciossek et al., 1998 ; Frisén

et al., 1998 ; McLaughlin et O’ Leary, 2005], et ceux venant de la rétine temporale dans le tectum, ce qui

indique que d’ autres molécules de guidage sont impliquées. La traduction locale faisant intervenir

Engrailed est un acteur important dans le guidage axonal des connections rétino-tectales chez la

souris [Brunet et al., 2005 ; Wizenmann et al., 2009 ; Stettler et al., 2012], plus précisément c’ est une fraction

extracellulaire d’ Engrailed qui est impliquée dans ce processus. En effet, le blocage d’ En1/2 à

l’ extérieur de la cellule perturbe la mise en place de ces connections nerveuses. Cet effet repose sur

l’ activité traductionnelle d’ Engrailed : l’ utilisation d’ un mutant d’ En2 n’ ayant pas le site de liaison

à eIF4E (En2∆SP, délétée des acides aminés 10 à 185) abolit l’ effet d’ Engrailed sur le guidage des

cônes de croissance des neurones temporaux et nasaux, on obtient la même inhibition de l’ effet

avec la rapamycine qui inhibe la traduction des ARNm cappés ; l’ utilisation d’ un inhibiteur de la

transcription n’ abolit pas l’ effet d’ Engrailed [Brunet et al., 2005]. Dans les cônes de croissance traités

avec Engrailed il y a une augmentation significative de la phosphorylation d’ eIF4E et de 4E-BP1, deux

protéines de la voie mTOR de régulation de la traduction [Brunet et al., 2005]. Ces données indiquent

que le mécanisme traductionnel par lequel Engrailed régule la carte rétinotectale pourrait être dû à un

mécanisme mettant en jeu la liaison entre Engrailed et eIF4E.

c. Engrailed dans la maladie de Parkinson

Engrailed-1 et Engrailed-2 sont exprimées dans les neurones dopaminergiques (i.e. de la substance

noire) depuis les précurseurs embryonnaire jusqu’ à l’ âge adulte, leur expression est nécessaire à la

survie de ces neurones à l’ âge adulte [Alberi et al., 2004]. Engrailed-1 est notamment plus fortement

exprimée dans la substance noire. Chez les souris hétérozygotes En1

+/-

il y a une dégénérescence et une

mort neuronale progressive, atteignant 40 % pour des souris âgées de 48 semaines dans la substance

noire [Sonnier et al., 2007]. Ces souris présentent de nombreux déficits moteurs et non-moteurs qui

rappellent le tableau clinique de la maladie de Parkinson (MP) [Le Pen et  al., 2008]. Cette maladie

neurodégénérative se caractérise sommairement par une dysfonction des neurones dopaminergiques

du SNC, particulièrement du système nigrostriatal ce qui aboutit à un déficit en dopamine.

Chez les souris En1

+/-

, l’ infusion cérébrale d’ Engrailed-1 a permis d’ empêcher la mort des neurones

dopaminergiques [Sonnier et al., 2007]. Des résultats similaires ont été obtenus sur un modèle d’ intoxication

au MPTP (1-methyl-4-phenyl-1,2,3,6-tetrahydropyridine) de la MP, cette toxine cible le complexe I

mitochondrial dont la fonction est altérée dans la MP [Alvarez-Fischer et al., 2011]. En s’ appuyant sur les

données relatives au rôle d’ Engrailed dans le guidage axonal, deux cibles traductionnelles d’ Engrailed

ont été identifiées : Ndufs1 et Ndufs3, sous-unités du complexe I mitochondrial dont la traduction est

augmentée dans les neurones dopaminergiques traités avec Engrailed. L’ utilisation de siRNA dirigés

contre les ARNm de ces deux sous-unités abolit l’ effet neuroprotecteur d’ Engrailed [Alvarez-Fischer

et al., 2011].

En conclusion, les homéoprotéines, et en particulier Engrailed, ont une double fonction originale en

tant que facteur de transcription et facteur de traduction.

4.

Engrailed, une molécule de signalisation