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Le XIX ème siècle et les premières observations de Metchnikov et Lewis

II. Endocytose dépendante de la clathrine

L’endocytose dépendant de la clathrine, ou CME, est aujourd’hui considérée comme le mode d’endocytose le plus utilisé chez les eucaryotes. Les eucaryotes unicellulaires peuvent se passer, du moins temporairement, de la CME, et les levures ainsi que les protozoaires peuvent survivre lorsque la production de clathrine est inhibée. Chez tous les métazoaires, à l’exception des amibes, ces conditions sont létales [248]. La CME s’avère être le mode d’endocytose le mieux caractérisé, même si certains mécanismes sont encore discutés.

La CME est utilisée dans de nombreuses fonctions cellulaires et physiologiques comme la transmission synaptique, le contrôle de la différenciation cellulaire, et plus globalement l'homéostasie cellulaire en général. Ce dernier point fait référence aux éléments essentiels à de nombreuses voies de signalisations et mécanismes métaboliques internalisés par la CME, comme les LDL ou le fer.

La CME est ainsi une voie d'internalisation privilégiée pour de nombreux récepteurs. Le récepteur à la transferrine (TfR) est souvent utilisé comme contrôle ou comarqueur. Parmi les autres récepteurs internalisés par la CME, nous pouvons noter certaines tyrosines kinase comme l'EGFR qui est endocyté sous la forme d'un dimère, ou des GCPR comme récepteurs beta-2 adrénergique dont l'endocytose ne peut être effectuée qu'après fixation de son ligand induisant un changement de conformation. Nous pouvons aussi noter que la CME est

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nécessaire au bon fonctionnement de la voie Wnt grâce à l'internalisation de son récepteur Frizzled [249].

Figure 22 – Composants et étapes de la CME

A. Représentation schématique des différentes étapes de la CME [250]

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C. Illustration en microscopie électronique à balayage de puits proto-vésiculaires présentant déjà leur manteau

de clathrine, présentant une forte variation de la courbure de la membrane. Images réalisées sur membrane fractionnée de cellules épithéliales bovines [251]

D. Exemples de triskélions de clathrine relâchés après leur démantèlement (échelle : 50 nm) [251]

CME : structure et mécanismes

Les vésicules de clathrine sont caractérisées par leur taille relativement uniforme, au diamètre maximal de 100 nm, mais pouvant varier en fonction du type cellulaire et de l’espèce. En effet, chez les levures ou chez les plantes les vésicules de clathrine sont particulièrement petites, de l'ordre de 30 à 60 nm manteau d’accrétion compris (leur intérieur ne mesurant pas plus de 20nm). A l’inverse, les vésicules retrouvées chez la poule sont particulièrement grandes et frôlent les 150-180 nm. Cette taille varie également au sein des mammifères, avec des vésicules de 70-90 nm chez le rat et la souris, allant jusqu’à 150 nm chez l’humain. Cette différence de taille est à considérer dans le sens où une vésicule de clathrine petite ne pourra transporter qu’une ou deux protéines (TfR : 11nm ; EGFR : 13nm) alors que le flux apporté par une vésicule plus grande est plus important [252]. Notons également l’activité intense de cette voie d’endocytose, où l’on considère qu’en une minute, entre 1 à 5% de la quantité totale de clathrine participe au même moment à un processus d’endocytose, pour un processus total dont la durée va de 20 secondes à 2 minutes [252] (rappelons que les premières mesures de Goldstein dépassaient parfois les 7 minutes).

La molécule de clathrine de laquelle cette voie d’endocytose tire son nom, est connue pour s’oligomériser en trimères nommés triskélions (du grec triskelês, « trois jambes »), dont la forme rappelle le fameux symbole artistique celtique ou des Tomoe japonais. Ces triskélions de clathrine sont composés de trois chaînes lourdes et une unique chaîne légère. Leur caractéristique principale réside en leur capacité à s’oligomériser entre eux et à former des facettes en hexagones ou pentagones [252]. On considère qu’une vésicule de clathrine est constituée d’une centaine de triskélions [250], mais comme nous l’avons vu dans le paragraphe précédent la taille des vésicules peut grandement varier. Le manteau de clathrine couvrant les vésicules forme un treillis de ces polygones, dont la forme semble la plus optimisée pour couvrir d’une structure anguleuse une surface sphérique.

Le concept d'endocytose apporte la notion d'un changement morphologique de la membrane qui va à l'encontre de plusieurs forces, à savoir la tension superficielle de la membrane, sa rigidité intrinsèque, et la pression de turgescence cellulaire. La plus importante

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de ces forces chez les métazoaires est la tension superficielle de la membrane, alors que chez les eucaryotes unicellulaires, il s'agit de leur turgescence. La cellule doit alors contrer ces barrières énergétiques pour pouvoir créer une vésicule d’endocytose [253].

Dans le cas de la CME, il s’agit d’un mécanisme relativement bien décrit et complexe que l’on peut schématiser en cinq étapes : (i) la nucléation, (ii) le recrutement du cargo, (iii) l’assemblage du manteau de clathrine, (iv) la scission de la vésicule et (v) le démantèlement de la clathrine. Le processus d’endocytose dure une dizaine de secondes, mais nécessite une préparation de l’environnement membranaire et protéique pouvant excéder les 100 secondes. Nous allons détailler ci-dessous quelques-uns des mécanismes impliqués lors de ces étapes [252] [248].

(i) Nucléation. Elle se produit à la membrane plasmique, en présence d'un contexte lipidique favorable, en présence de PI(4,5)P2 et de protéines spécifiques telles qu’EPS15, DAB2, des intersectines, et le complexe d'initiation FCHO (FCH domain only). Ces protéines possèdent pour certaines un domaine BAR capable d'initier la courbure de la membrane avant même le recrutement de la clathrine [250]. Des expériences de vidéo-microscopie sur cellules exprimant la clathrine taguée ont permis de mettre en évidence la présence de sites de nucléation spontanée à des endroits aléatoires de la membrane cellulaire mais ne persistant pas dans le temps à moins d’être stabilisée par un cargo [254].

(ii) Sélection du cargo. Cette sélection passe par les molécules adaptatrices, dont les plus connues sont AP2, DAB et Numb [248] [255]. Elles se lient soit directement au cargo en reconnaissant les motifs YXXφ (AP1, 2, 3 et 4, envoie également les protéines dans les endosomes tardifs) NPXY (internalisation rapide via l’intermédiaire de PTP et Dab-1 et 2, qui permettent son interaction à AP2), GDXY (permet également le recyclage de récepteurs) et di-leucine (interagissent avec les adaptateurs) [256], soit interagissent avec eux par un intermédiaire, et font le lien avec la clathrine tout en se liant au Pi(4,5)P2 de la membrane. AP2 est la seconde protéine la plus abondante au niveau des vésicules de la CME. Elle est considérée comme un véritable centre d'interactions, et comme la molécule adaptatrice principale de la vésicule de clathrine. Une hypothèse encore non vérifiée postule que d’autres protéines avec lesquelles elle interagit (trouvées parfois sous la dénomination CLASPs pour

Clathrin-Associated Sorting Proteins) se liant à la membrane et formant une sorte de réseau d'interactions, endossent à la fois le rôle d'adaptateurs mais aussi d'aide à la courbure membranaire [252].

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(iii) Assemblage de la clathrine. La clathrine est recrutée par AP2. Sa polymérisation est assurée à la fois par une courbure stable de la membrane, et par la présence des différentes protéines accessoires, telles qu'EPS15 et l'epsine [250] [248]. Il a été pendant un temps considéré que la clathrine elle-même portait, de par sa capacité à polymériser, la force d'induire la distorsion membranaire permettant la formation des vésicules [250]. Aujourd’hui, cette idée fait débat dans la mesure où l'interaction entre la clathrine et la membrane n'est pas directe, et les forces de tension mises en jeu sont atténuées par les adaptateurs successifs [257]. (iv) Scission de la vésicule. La scission est assurée par la dynamine [258], protéine apparue très tardivement dans l’évolution à tel point que même si elle est nécessaire à la CME dans la grande majorité des cas, certains eucaryotes unicellulaires peuvent effectuer une scission de vésicule de clathrine sans son aide [248] (à l’aide de mécanismes issus de certains mécanismes de la CIE). La dynamine est recrutée par les nombreuses protéines à domaine BAR présentes au niveau du "cou" de la vésicule. La structure hélicoïdale très spécifique de la dynamine prenant forme dans son état basal permet la scission de la vésicule grâce à l'hydrolyse du GTP induisant un changement conformationnel qui permet l'hémifusion nécessaire à la scission. Il est admis que deux « pas » seulement de dynamine sont suffisants pour détacher une vésicule (soit entre 30 à 40 monomères). Deux concepts concernant ce changement conformationnel ont été développés [250] [258]. L’hypothèse dite de la Pinchase [259], provenant d’expériences où l’hydrolyse du GTP induit un rétrécissement de diamètre de l’hélice de dynamine sans faire varier son pas, et l’hypothèse de la Popsase, dans laquelle aucun changement de diamètre n’est observé mais qui fait état d’une élongation du pas de plus d’un facteur 2 par rapport aux situations contrôles. Il semblerait que ces deux observations correspondent à la réalité physiologique et sont suppléées par une force de torsion par surenroulement de la dynamine lors de l’hydrolyse de GTP [250] [258].

(v) Démantèlement du manteau de clathrine. Ce démantèlement est nécessaire pour le transport et la fusion des vésicules dans les endosomes précoces [257]. Il implique deux protéines particulières, l'auxiline et la HSC70 (heat shock cognate 70) L'auxiline est recrutée au niveau des domaines externes des triskélions, permettant le recrutement de HSC70 au centre des tripodes de clathrine [251]. La réaction de démantèlement est initiée au niveau du "cou" dans la mesure où la clathrine y est présente en très faible densité et offre un contexte énergétique favorable. Bien que cela n'ait pas encore été montré, il est probable que cette étape n'ait lieu qu'après la scission de la vésicule. La clathrine libérée est principalement recyclée et retourne à la membrane, prête à reformer une nouvelle vésicule [260].

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Variation des mécanismes et interactants secondaires

Ces différentes étapes que nous venons de voir sont toujours présentes lors de la CME. Elles peuvent cependant être modulées par la substitution de certaines protéines à d’autres. Par exemple, la protéine AP2 peut être remplacée par AP3 ou AP1, qui permettent toujours la formation de la vésicule de clathrine, mais généralement à partir d'autres compartiments que la membrane plasmique. Selon la protéine substituée, des variantes peuvent apparaître et offrir une spécificité à un cargo particulier. Par exemple, le récepteur aux LDL possède des adaptateurs spécifiques (DAB2 et ARH) [257] permettant de moduler précisément son endocytose. Ces spécificités permettent de cibler et d’abolir l'endocytose d'une protéine précise en ciblant un de ses adaptateurs sans affecter l'endocytose d'autres protéines utilisant la CME.

L’actine joue elle aussi un rôle dans l’endocytose médiée par la clathrine. Il a été suggéré que la membrane plasmique puisse « reposer » sur une couche d’actine stabilisée en profondeur par des filaments longs et possédant des filaments plus courts et dynamiques au contact de la membrane. Cette partie dynamique est rattachée à la membrane grâce à des protéines spécifiques [261]. La myosine et la dynéine joueraient également un rôle important dans le remodelage de la membrane et la formation de puits d’endocytose.

L’actine n'est pas nécessaire à l'internalisation de la transferrine, chez les mammifères, mais est considérée comme aidant à la formation des vésicules de CME dans certains cas. Dans ces cas, l'actine est recrutée par un complexe de nucléation composé de ARP2/3, la cortactine ou N-WASP. L’actine est cependant nécessaire pour la CME chez les organismes unicellulaires, pour imposer à la membrane une force suffisante pour contrer la turgescence qui est beaucoup plus forte chez ces organismes et qui s’oppose fortement à la formation de vésicules. Plusieurs modèles ont été proposés pour expliquer son action, mais ils s’accordent à dire qu’il est certain que l’actine permet de contrer les barrières énergétiques à la fois en comprimant le col de la vésicule et très certainement [250] en l’éloignant de la membrane, à l’image de la dynamine, mais à une échelle plus grande.

Enfin, il existe des cas de figure lors desquels la clathrine ne peut pas servir de marqueur fiable d’endocytose. Des études menées par Montagnac et al. ont mis en évidence la présence de larges plaques de clathrine se formant principalement grâce à l'intégrine αvβ5 en réponse à des substrats dont la rigidité et la taille bloquent toute possibilité d’internalisation [262], [263]. Cette « endocytose frustrée » a lieu préférentiellement en présence de substrats solides, et est très peu observée en présence de substrats plus souples. Les plaques de clathrine

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permettent non seulement à la cellule de tester l'élasticité des substrats mais servent également de « pince » dont la traction a pour conséquence le déplacement, au moins local, du cytosquelette d'actine [264], si ce n’est du corps cellulaire entier.