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En terre inconnue

Contre vents et marées

Chapitre 6 En terre inconnue

L’été se termine, je fais quoi maintenant ? N’ayant pas vraiment de but, je me mets à la recherche d’un éco-village pour vivre en paix avec la nature. Mon frère Alex me retrouve fin septembre sur la Côte d’Azur. J’y suis en vadrouille depuis deux semaines sans trop de résultats concrets concernant ma recherche de lieux communautaires.

Alexandre a aménagé une camionnette pour y vivre. Rudimentaire, mais passe-partout. Pendant une semaine, nous allons de villages en plages, de sentiers en forêts. C’est trop le bon plan, le grand luxe dans un sens. On peut jeter l’ancre presque partout. En forêt, en bord de mer ou près d’une rivière, là où le vent nous mènera. On se rend à Toulon pour recevoir un gros câlin. La sainte Indienne Amma vient passer trois jours au zénith pour étreindre tous ceux qui le souhaitent.

Cette femme est considérée par certains comme une déesse vivante. Allons voir à quoi cela ressemble. J’ai halluciné en voyant la queue à l’entrée du zénith. Dans la file d’attente, on croise toute sorte de personnes. Des néo-hippies, des gens en costume-cravate, des enfants, Monsieur Madame tout le monde. Odile, une jeune maman qui patiente derrière nous, engage la conversation. On parle de spiritualité et de méditation, puis enfin, nous entrons dans l’édifice. Salle comble.

On nous donne un numéro pour recevoir l’étreinte. Il faudra patienter jusqu’à ce soir. L’un des organisateurs nous prévient que si on le désire, on peut apporter la photo d’un

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proche qu’Amma bénira. Alex prend une photo de notre sœur. Moi, je ne sais pas qui choisir, il y en a tellement qui comptent pour moi. Par chance, mon frère a un dessin de la planète Terre dans sa camionnette, c’est cette image que j’apporte à Amma. En attendant notre tour, on se blinde la panse de laddu, de délicieux bonbons indiens à la farine de pois chiches. C’est trop de la balle ! Puis finalement l’étreinte. Amma nous prend tous les deux en même temps, Alex et moi, 5 secondes, puis c’est au tour du suivant.

Au petit matin, on recroise Odile, juste le temps d’échanger deux mots. Ses dernières paroles à mon égard furent : « Toi, il faut que tu fasse vipassana ». Les bhajans résonnent dans l’enceinte du bâtiment, nos habits sont imprégnés d’encens, puis nous repartons gaiement, portés par un bon vent. Alex doit rentrer dans les Vosges, il va préparer son départ pour les îles Canaries. Moi, je prends la décision d’aller au Maroc. Une amie marocaine de Lily m’avait parlé de son pays natal. Au début, je n’étais pas trop motivé, je me disais on verra, Inch Allah. Mais maintenant, je me sens prêt.

J’embarque dans un bus pour Tanger. En route, je fais la connaissance de Pascal, un français retraité qui vit là-bas une partie de l’année. Une fois arrivé à destination, ce gentil monsieur m’offre l’hospitalité. Il me fait découvrir les msemen, une pâtisserie marocaine absolument délicieuse, une sorte de pâte feuilletée avec de l’huile et du beurre, cuit à la poêle et servi avec du miel. Au petit-déj, c’est galettes de pain trempées dans l’huile d’olive ou dans l’amlou, une pâte faite à base d’amandes broyées et de miel. Arf, ça aussi c’est trop bon !

Concernant mon alimentation, j’ai mis de l’eau dans mon vin. C’est bien beau de faire attention à ce que l’on mange, mais si on créer des tensions internes pour suivre ses principes nutritionnels alors il y a un déséquilibre. Le bonheur c’est la santé, certes. Mais il y a aussi la santé mentale… Les restrictions alimentaires auxquelles je m’astreignais ne m’avaient pas rendu spécialement plus heureux et étaient souvent contraignantes. Donc après tout, pourquoi se refuser une petite gâterie de temps en temps ?

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Pascal me propose d’aller dans la région de Taza pour visiter l’Atlas. C’est magnifique. La circonférence du tronc des cèdres est impressionnante et surprise, il neige ! Comme beaucoup de touristes, je croyais que le Maroc était un pays chaud.

Mon nouvel ami m’interroge sur les motivations de mon voyage :

« Ben en fait, aucune idée, je souhaite découvrir de nouveaux horizons, mais je ne sais pas trop ce que je recherche.

- Dans ce cas, tu dois aller à Fès, c’est une ville magique. - OK. »

C’est parti pour une nuit glaciale en bus. Je pénètre dans l’ancienne cité impériale au petit matin, complètement frigorifié. C’est vrai que c’est beau, on se croirait à une autre époque. Je fais un petit tour du souk, puis vais me poser dans une petite gargote pour me sustenter d’une bonne soupe de fèves. Je m’installe en terrasse en attendant le repas. Un inconnu vient s’asseoir à côté de moi. Il me regarde et ne dit rien. Il boit son thé par petites gorgées, puis finalement, j’entends sa voix :

« Salam Alaikum. - Wa Alaikum Salaam.

- Est-ce que tu sais pourquoi tu es là ?

- Ben oui, pour me régaler d’une bonne soupe ! - Je veux dire, pourquoi tu es là sur Terre ? - Pour répondre à cette question je suppose. - Connais-tu la voie qui mène à Dieu ? - Je croyais qu’il y en avait plusieurs.

- Moi c’est Wali, voudrais tu faire un bout de chemin avec moi ? - Bien sûr. »

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Wali m’emmène chez lui, une petite maison en terre battue dans un lieu calme et retiré, au sud de Fès. Ce papi marocain est membre de la Qadirriyya Boutchichiyya, une confrérie soufie, la branche mystique de l’Islam. Sa pensée place l’homme au centre du monde.

Du point de vue de l’apparence, la branche est à l’origine du fruit. Mais en réalité, la branche est venue à l’existence en vue du fruit. S’il n’y avait eu un désir pour le fruit, le jardinier aurait-il planté l’arbre ?

Rumî

Wali m’enseigne une technique de méditation soufie qui utilise la visualisation. Nous passons de longues heures ensemble, dans le silence. Il parle très peu, mais quand il ouvre la bouche, c’est toujours pour prononcer des paroles sages. Sa philosophie se résume par cette pensée d’Elif Shafak :

Tu peux étudier Dieu à travers toute chose et toute personne dans l’univers parce que Dieu n’est pas confiné dans une mosquée, une synagogue ou une église. Mais si tu as encore besoin de savoir précisément où Il réside, il n’y a qu’une place où le chercher : dans le cœur d’un amoureux sincère.

Je voyais là certaines similitudes avec la bakthi yoga. De temps en temps, je vais en ville pour acheter de la nourriture et checker mes emails. Valentin, l’artiste autrichien, réitère ses invitations pour que je me rende à Vienne. Je commence sérieusement à me cailler les miches dans le désert. Je fais mon sac et remercie Wali pour ses lumières.

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Chapitre 7

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