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Îles et sirènes

Dans le document Prends les rênes de ta vie, Antoine DESCHAMPS (Page 148-153)

Papillons et petits oiseaux

Chapitre 21 Îles et sirènes

Saudara et moi devons de nouveau nous envoler pour l’Asie. Cette fois c’est l’Indonésie, la patrie de mon amie. Mais avant cela, un petit tour de France s’impose. Papa, Papi et Mamie Deschamps dans les Vosges, puis Paris, ensuite la Bretagne pour Boris, Louloute et Siméon. Petite boucle en Vendée avec Papi et Mamie Bigorneau. J’enchaîne avec Alex, Lucia et Nahou dans les Pyrénées, puis remonte à Lyon pour Lily, sans oublier Janis à Besançon et Justine à Mulhouse, pour finir à Strasbourg aux côtés de Leyla. La cocotte vient de faire son premier cours vipassana. Elle semble ravie : « C’est comme au cinéma, tu es spectateur, mais de toi-même. C’était le plus beau film de ma vie. »

Après un mois auprès de ma famille, c’est celle de Saudara que je vais rencontrer.

Nous voilà à Jakarta. Mon dieu, les bouchons, la pollution et ces immenses gratte-ciel. L’isolement du matérialisme poussé à son paroxysme. Le frère de Saudara résidait dans l’un d’eux. Elle m’expliqua leur conception.

Les vingt premiers étages sont des galeries commerciales et restaurants. Au-dessus, plusieurs niveaux de salles de sport, piscines intérieures et mini-golf. Ensuite quelques couches de bureaux et pour finir, des dizaines d’étages d’appartements. Une vie à la verticale. Bientôt, on n’aura même plus besoin de sortir de ces immeubles !

Comment sensibiliser à la nature des jeunes qui grandissent dans de tels édifices ? C’est l’arroseur arrosé. Après avoir confiné la Terre, les troupeaux, notre civilisation et nos pensées ; c’était maintenant nos corps que nous avions nous-mêmes entassés dans des boîtes à

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sardine. Que penserait notre ancêtre Lucie si elle débarquait au milieu de cette folie, de cet environnement artificiel, lessivé et sans vie.

Les proches de Saudara vivent à la périphérie de la mégalopole. Un petit appartement où vivent l’une de ses sœurs, Ana, sa fille Abele et son mari Ang. En face habitent le beau-frère de Saudara, Iku et sa femme.

Nous partons tous ensemble sur l’île de Belitung où réside la famille d’Iku. C’est un havre de paix comparé à l’enfer où nous avions atterri hier. Nous louons un bateau pour visiter des îlots voisins. Certains phares hollandais sont encore visibles ici et là, souvenir de l’époque coloniale. Ici, la température de l’eau est idéale. On voit les poissons nager à nos pieds et les locaux grimper aux cocotiers. Après cette belle escale, nous rentrons et avons bien la dalle.

Au menu, du délicieux tempeh, des graines de soja fermentées et un bon bol de nouilles chinoises, en contemplant la mer turquoise.

Le top du top, la crème de la crème, c’est le durian, le roi des fruits. Un véritable orgasme gustatif. Cette délicatesse ressemble à un gros ballon de rugby vert, recouvert de gros pics triangulaires. À l’intérieur se cache un trésor. Ça n’est pas de l’or, mais presque. Quatre quartiers d’une chaire jaune à la texture similaire à la double crème de la Gruyère. Son parfum et sa saveur sont inimitables et persistants. Faut goûter pour connaître. Bon, j’avoue, je suis un durian lover, l’un de ces nombreux adeptes qui raffolent de cette merveille. C’est comme les

doubitchous, c’est fin, c’est très fin, ça se mange sans faim. Par contre, ceux qui n’aiment pas

le durian ne peuvent vraiment pas le supporter, pas même l’odeur qu’il dégage. Dans plusieurs pays d’Asie où il est cultivé, le durian est interdit dans les lieux publics, les transports en commun et les hôtels. En ville, on peut voir des écriteaux « no smoking » et juste à côté « no durian ». Quand je travaillais dans le Jura, Boris et Louloute m’avaient rendu visite un week-end. Par chance, c’était la saison du durian et nous étions passés à Bienne pour

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en acheter du frais. Boris a eu la réaction typique de ceux qui ne supportent pas le durian : « Pouah ! Mais ça puire ! » Nous avions laissé mon péché mignon dans le frigo pour la nuit. Le lendemain matin, le beurre avait pris le goût du durian. Louloute était dégoûtée. Perso, j’étais ravi…

Après quelques jours dans la peau de Crusoé, nous retournons sur l’île de Java en compagnie d'Iku, direction Borobudur. Ce magnifique site archéologique en forme de mandala est surtout remarquable vu du sommet. On a l’impression de marcher sur une colline taillée par l’homme. C’est sympa mais on ne s’attarde pas, le véritable spectacle nous attend.

La région volcanique de Gunung Bromo et ses nombreux cratères. La vue de tous ces volcans depuis Bromo est tout simplement waouh ! Comme tous les touristes qui viennent admirer la majesté du lieu, nous grimpons la montagne derrière le village quand il fait encore nuit. Au début, c’est le noir total, puis à la vitesse de 1 674 kilomètres/heures, le paysage se dévoile. Je reste ébahi et sans voix. C’est un panorama tellement inhabituel, qu’on a l’impression de rêver. Plusieurs cheminées volcaniques, dont certaines fument encore sont réunies au centre d’un cratère encore plus grand. C’est là qu’on se rend compte qu’aucun artifice humain ne peut rivaliser avec les chefs-d’œuvre de mère Nature.

Les couleurs, les lignes sont des forces, et dans le jeu de ces forces, dans leur équilibre, réside le secret de la création. Matisse

C’est quand même vachement bien fait la nature !

Une eurythmie parfaite qui abrite une incroyable diversité de formes, de couleurs, de parfum, d’êtres vivants qui communiquent, cohabitent et s’entraident.27

Là, honnêtement, je me sens tout petit, et il semble que nous devrions tous faire preuve de respect et d’humilité devant ce miracle.

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La vie est un cadeau, préservons-la.

Après la splendide ascension du Mont Sumeru, nous campons au bord d’un paisible lac. Le calme et la beauté de la nature en savourant un bon thé au jasmin, what else ?

Quelque chose que j’adore quand on dort à plusieurs sous la tente, c’est qu’il y en a toujours un pour faire le classique :

« Pssst, tu dors ? - Ben j’essaye… »

Ensuite, petite halte à Kawa Ijen pour admirer le splendide lac turquoise formé dans le cratère du volcan. Ici, l’homme extrait du souffre d’un jaune éclatant. Puis nous traversons en jeep les fameuses rizières en terrasse ainsi que des forêts tropicales où les singes se prélassent. Nous souhaitons choper un vol pour la capitale. Pour cela, nous allons à Bali. On se rend à Ketapang et embarquons dans le premier ferry.

Arrivés dans la bourgade d’Ubud, nous choisissons une guesthouse au hasard pour y passer la nuit. Le Destiny. Une petite ruelle menant à la réception s’illumine de bougies. Des pétales de rose ont été dispersés à la volée, et au fur et à mesure que je m’avance, des émanations de copal enrobent mes sens. Nous sommes accueillis par une jeune femme au visage chatoyant. Salut. Qui es-tu belle inconnue ?

Après une petite visite nocturne du quartier, nous rentrons pour nous affaler sur nos petits lits douillets. Soudain, en pleine nuit, je me réveille le gosier à sec et me rends au salon pour étancher ma soif. L’anonyme de la réception est là, souriante et gracieuse. L’ensemble du décor semble tournoyer autour de sa vénusté immobile. Elle a les traits de la déesse, taillés d’une main habile. Je demande un peu d’eau à la demoiselle qui me prend par la main et m’emmène au sommet d’une toiture sinueuse. Sa peau est fraîche comme la rosée du matin. Et moi, rassis comme un vieux bout de pain. Elle me regarde et ne dit pas un mot, je la contemple, les lèvres figées. L’alchimie du regard opère en silence. Les molécules

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s’enflamment, les atomes s’enlacent et les esprits fusionnent. Serait-ce le retour du monarque enivrant ? Je suis ébloui, étourdi et chancelant. Je sens vibrer ses ailes dans l’ensemble de mon être. Oui, c’est bien lui. Il s’impose et dispose à sa guise. L’intellect, il le verbalise. La raison, il la fait disparaître. Tous les pare-feu ont sauté, viens donc ma dulcinée, allons nous unir à la Voie Lactée. Il est clair que cela ne va pas durer. Quand le joug des sensations cessera, le monarque aussi s’en ira. Tout comme les vagues de la mer, tout ce que tu perçois est éphémère, observe se dissiper l’écume et décharge-toi de cette enclume. Retire tes chaînes et envole-toi. Explore le potentiel qui est en toi.

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Épilogue

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