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En matière de conservation de la biodiversité

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2. LA RECONNAiSSANCE d’ExCEPTiONS À LA COMPéTENCE ExCLuSivE dE L’éTAT du PAviLLON EN hAuTE MER

2.2. En matière de conservation de la biodiversité

La conservation de la diversité biologique en haute mer apparaît comme un objectif final justifiant de doter les états côtiers de pouvoirs de police au-delà de leur Zee. Le régime de la Zee lui-même contient des compétences de police, toutefois, il serait hasardeux de dire qu’il a été établi à des fins environnementales, les motivations des états étant essentiellement d’ordre économique 19. L’accent

sera donc mis sur les compétences obtenues au-delà de la Zee, en haute mer. ces pouvoirs de police procèdent à la fois de la volonté de protection de l’état côtier, notamment en termes de conservation, et de la reconnaissance d’un intérêt commun à la bonne gestion des ressources halieutiques de la haute mer. c’est le développement de cet intérêt commun et partagé qui va servir de fondement à l’avènement de nouveaux titres d’interventions en haute mer.

L’objectif de conservation est aussi à l’origine d’un certain nombre de reven- dications visant à la reconnaissance de nouveaux droits d’intervention en haute mer, sur des navires étrangers. a l’exception de l’accord sur les stocks chevau- chants (1), ces mécanismes, notamment utilisés par les commissions régionales de pêche, ne constituent pas des dérogations à la règle de la juridiction exclusive de l’état du pavillon en haute mer (2). Toutefois, des revendications en ce sens commencent à voir le jour (3).

2.2.1. Le précédent de l’Accord sur les stocks chevauchants

La loi canadienne du 12 mai 1994 habilitait les autorités à intercepter les na- vires étrangers dans une zone située de part et d’autre de la limite extérieure de la Zee canadienne, au sein de la zone géographique de l’organisation des pêcheries 19 orrego vicuna, f. (1986), « La zone économique exclusive : régime et nature juridique dans le droit

international », RCADI, vol. 199 ; garcía amador, v. f. (1984), « The origins of the concept of an exclusive economic Zone : Latin american practice and Legislation », in orrego vicuna, f. (dir.), The Exclusive Eco-

nomic Zone : a Latin American Perpective, 7-25 ; quéneudec, J.-p. (1975), « La zone économique exclusive »,

RGDIP, 321-353 ; conforti, b. (dir.) (1983), La zona economica exclusiva, milano, giuffré, 209 ; voelc- kel, m. (1999), « Les Zee et leur surveillance », Annuaire du droit de la mer, t. iv, 109-134 ; Karagiannis, s. (2004), « L’article 59 de la convention des nations unies sur le droit de la mer », RBDI, 325-418.

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de l’atlantique nord-ouest (opano). cette loi et sa mise en œuvre ont soulevé un grand nombre de critiques et de vives protestations notamment en raison de son incompatibilité avec la règle de la juridiction exclusive de l’état du pavillon en haute mer 20. elles ont néanmoins conduit à l’adoption de l’accord de new

york sur les stocks chevauchants en 1995 21. son article 21 habilite tout état partie

à une organisation régionale de pêche, à arraisonner et inspecter les navires de pêche étrangers, pour assurer les mesures de conservation et de gestion édictées par l’organisation, ajoutant un nouveau titre d’intervention dérogatoire en haute mer. si cette mesure se limite aux stocks chevauchants, elle constitue néanmoins une avancée considérable difficilement généralisable. ainsi, l’accord de 1995 constitue l’exemple topique de la conquête d’un nouveau titre d’intervention en haute mer à des fins de conservation. D’autres mécanismes ont vu le jour, mais ils n’iront jamais aussi loin.

2.2.2. Les mécanismes d’intervention sur les navires étrangers en haute mer dans le cadre des commissions régionales de pêche

certaines commissions régionales de pêche 22 sont dotées d’un corps d’inspec-

teurs capables d’intervenir sur les navires se situant dans leur zone de compétence, ce qui inclus parfois des portions de haute mer. Dans ces zones de haute mer, les inspections sont toujours possibles à l’encontre de navires battant le pavillon d’un état membre de la commission dans la mesure où il les a acceptées en ratifiant la convention qui les prévoit. Les choses sont moins simples quand il s’agit de na- vires de pêche battant le pavillon d’un état non membre de la commission régio- nale de pêche. La juridiction exclusive de l’état du pavillon en haute mer empêche en principe toute intervention sur un tel navire, même s’il se trouve dans la zone de compétence de la commission. Dès lors, pour des raisons d’effectivité des poli- tiques de conservation des espèces marines, les commissions régionales de pêche se sont dotées de mécanismes permettant d’inspecter des navires d’états tiers 23.

en effet, certaines organisations telles que la commission des poissons ana- dromes du pacifique nord (npafc) 24 ou encore la commission des pêches de

20 article 92 § 1 de la cnDum : « Les navires naviguent sous le pavillon d’un seul état et sont soumis,

sauf dans les cas exceptionnels expressément prévus par des traités internationaux ou par la convention, à sa juridiction exclusive en haute mer ».

21 accord aux fins de l’application des dispositions de la convention des nations unies sur le droit de la

mer du 10 décembre 1982 relatives à la conservation et à la gestion des stocks de poissons dont les déplacements s’effectuent tant à l’intérieur qu’au-delà de zones économiques exclusives (stocks chevauchants) et stocks de poisson grands migrateurs, 4 août 1995.

22 beer-gabel, J., et Lestang, v. (2003), Les commissions de pêche et leur droit : la conservation et

la gestion des ressources marines vivantes, bruxelles, bruylant, 298. voy. également beer-gabel, J. (1994), « Les commissions de pêche dans le monde : constitution d’une banque de données », Revue de l’INDEMER, nº 2, 29-40.

23 voir par exemple guifoyle, D. (2011), Shipping Interdiction and the Law of the Sea, cambridge uni-

versity press, 116-159.

24 La commission a été établie par la convention pour la conservation des stocks anadromes dans l’océan

l’atlantique du nord-est (cpane) 25 ont prévu des mécanismes permettant d’ins-

pecter les navires étrangers en haute mer. Dans le cadre de la npafc, un Shi- prider Agreement 26 a été conclu en 1993 entre la chine (état non membre) et

les états-unis d’amérique (état membre) afin de permettre les interventions en haute mer sur des navires battant pavillon chinois 27. D’autres commissions ont

institutionnalisé la coopération avec les états tiers, notamment en créant un statut d’état non membre coopérant qui facilite les inspections des navires battant leur pavillon. Tel est le cas de la cpane, dont le Scheme of Control and Enforcement, adopté en 2008 et révisé pour la dernière fois en 2017 prévoit cette possibilité à son article 34 28. Les bahamas, le canada, le Liberia, la nouvelle-Zélande et st Kitts

and nevis disposent de ce statut d’état tiers coopérant. ces mécanismes reposent néanmoins sur le consentement de l’état du pavillon et ne peuvent être considérés comme des exceptions à la juridiction exclusive de celui-ci. ce consentement est moins certain lorsqu’il est donné par le capitaine du navire. en effet, l’article 38 § 1 du Scheme de la cpane autorise les inspections sur des navires tiers avec l’accord du capitaine du navire. cette pratique du consensual boarding, hautement controversée 29, semble remettre en cause la compétence exclusive de l’état du

pavillon en haute mer. Dans ce cas, elle est justifiée par la nécessité de protéger de manière efficace certaines espèces marines.

2.2.3. Vers une généralisation du droit d’intervention en haute mer en matière de conservation ?

si l’objectif de protection et de conservation de la biodiversité marine a permis des dérogations à la compétence exclusive de l’état du pavillon en haute mer, ces 25 commission des pêches de l’atlantique du nord-est (cpane) ou north east atlantic fisheries com-

mission a été créée par la convention de Londres du 18 novembre 1980.

26 un Shiprider Agreement est un accord par lequel un agent (le Shiprider) est embarqué à bord d’un

navire gouvernemental battant le pavillon d’un état différent de celui de la nationalité du Shiprider. L’objectif est d’élargir les pouvoirs et les outils juridiques du navire en embarquant un officier étranger investi du pouvoir d’autoriser certains actes : l’entrée dans les eaux territoriales de l’état du Shiprider ; l’arraisonnement, le détour- nement ou la saisie d’un navire battant le pavillon de cet état ou encore la conduite d’actions de police pour faire appliquer la législation de ce même état. cette pratique est somme toute commode, elle permet de patrouiller dans les eaux territoriales d’un autre état pour combattre les activités illicites telles que le trafic de drogue, le trafic de migrants ou le vol à main armée. ces accords permettent également à des forces maritimes d’intercepter des navires battant un pavillon étranger. cette opération de police dans le territoire maritime d’un autre état ou à l’encontre d’un navire étranger est rendue possible par la présence, à bord du navire gouvernemental, d’un agent de l’état côtier ou de l’état du pavillon. sur les enjeux, voir neri, K. (2014), « The applicability of the european convention on human rights to state enforcement and control at sea », in andreone, g., Jurisdiction

and control at sea, gianni editore, 153-168, et Tesfalidet, i. y. (2014), « shiprider institution : questions of Jurisdiction and state responsibility », in Trapp, K., et papastavridis, e., La criminalité en mer/Criminal acts

at sea, centre de recherche et d’études, académie de droit international de La haye, matinus nijhoff, 609-633.

27 memorandum of unerstanding between the government of the united states of america and the gov-

ernment of the people’s republic of china on effective cooperation and implementation of united nations general assembly resolution 46/215 of December 20, 1991, entré en vigueur le 3 décembre 1993.

28 cpane, Scheme for Control and enforcement, 2008, https://www.neafc.org/scheme.

29 sur cette pratique : voir beyries, p., et gelard, e. (2003), « Défense et sécurité », Annuaire du droit

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dérogations restent très limitées. Toutefois, l’actualité brulante de ces questions a eu pour effet de relancer le débat sur la pertinence de la règle du pavillon en la matière, notamment lorsque des systèmes internationaux de protection ont été mis en place tels que des commissions régionales de pêche ou des aires marines protégées. L’exemple de la ccamLr 30 est significatif. en effet, l’article xxiv

de la convention de canberra prévoit la création d’un système d’observation et de contrôle pour s’assurer du respect des dispositions de la convention. ce système inclut des procédures relatives à la visite à bord et à l’inspection par des inspecteurs désignés par les états membres. un document spécial a été adopté pour mettre en œuvre ce système d’inspection, qui prévoit, dans son point iii que les inspecteurs peuvent effectuer des visites à bord des navires de pêche situés dans la zone de la ccamLr afin de vérifier la conformité aux règles de pêche et de conservation en vigueur. Toutefois, une note de bas de page précise que ce système d’inspection ne s’applique qu’aux navires battant le pavillon d’un des états membres de la com- mission 31. Le système actuel ne permet donc pas aux états qui procèdent à ces

inspections d’intervenir sur des navires se trouvant dans la zone de la ccamLr mais n’étant pas partie à la convention. certains états membres le regrettent, et recommandent l’adoption de règles spécifiques pour gérer ce type de situations et éviter des infractions à la politique de pêche et de conservation de la ccamLr. par exemple, la france recommande de renforcer l’arsenal législatif applicable en haute mer en matière de pêche illicite, non déclarée et non réglementée (inn) 32.

mais ce sont surtout les recommandations du royaume-uni, de l’australie et de la nouvelle-Zélande qui retiennent notre attention. ces états ont estimé, dans un rapport d’inspection de 2016, que « the CCAMLR System of Inspection provides for the inspection of reefer and support vessels where they have fish (or their products) which occur in the Convention Area stowed on board (paragraph X(d)). However, this would only be possible where such a vessel is flagged to a CCAMLR Member». or, les inspecteurs rencontrent parfois des navires d’états tiers dans la zone de la convention, dans ce cas «it would have potentially been helpful to be able to verify the CCAMLR species on board these vessels. Noting that the Sys-

30 La commission pour la conservation de la faune et la flore marines de l’antarctique (ccamLr) a été

établie par la convention sur la conservation de la faune et la flore marines de l’antarctique, adoptée lors de la conférence sur la conservation de la faune et la flore marines de l’antarctique à canberra le 20 mai 1980.

31 « III. In order to verify compliance with conservation measures adopted under the Convention, Inspec-

tors designated by Members shall be entitled to board a fishing or fisheries research vessel in the area to which the Convention applies to determine whether the vessel is, or has been, engaged in scientific research, or har- vesting, of marine living resources ». La note de bas de page insérée à la suite de cette phrase est ainsi formulée :

« The System of Inspection applies to flag vessels of all Members of the Commission and Contracting Parties ».

32 « It would also be appropriate : to list, on a secure page of the CCAMLR website, information relating

to agreements by Flag States authorising at-sea inspections of their fishing vessels to be carried out in the Con- vention Area by a Contracting Party : to strengthen diplomatic actions and the arsenal of legal provisions appli- cable to the high seas which can be used against IUU vessels (such as obtaining the authorisation of Flag States to inspect their IUU vessels at sea in the Convention Area) : to introduce a system of diplomatic approaches to Flag States of IUU vessels on each observation and/or questioning in order to facilitate inspection of these ves- sels », ccamLr-xxx/34 9 september 2011, information on illegal fishing in statistical area 58 assessment of illegal fishing in french waters around Kerguelen and crozet islands report of observations and inspections in the ccamLr area, 2010/11 season (1 july 2010-15 august 2011), Delegation of france.

tem of Inspection applies to flag vessels of all Members of the Commission and Contracting Parties, further consideration of the arrangements around boarding transhipment vessels flagged to Non-Contracting Parties would be useful» 33.

Dans le cadre des négociations au sein des nations unies, pour l’adoption d’un accord juridiquement contraignant relatif à la protection de la biodiversité dans les zones au-delà des juridictions nationales, certaines propositions vont également dans le sens d’un renforcement des pouvoirs d’intervention des états en haute mer, pour des questions de conservation. L’hypothèse de la création d’organismes internationaux pour l’établissement et la mise en œuvre de zones protégées ou d’aires marines protégées opposable à tous les états est à l’étude. elle inclurait également la question de la surveillance de ces espaces 34. La nouvelle-Zélande

et le chili ont défendu une approche hybride permettant à un organe international universel d’identifier les zones à protéger, et à des organes régionaux de mettre en œuvre de manière concrète les mesures de conservation, y compris en déployant des compétences de surveillance et d’inspection 35.

* * *

L’impact de l’exigence de conservation du milieu marin sur l’évolution des compétences de police des états en mer est donc visible. elle a conduit le droit de la mer à se renouveler et à accorder des titres d’interventions aux états en matière environnementale, notamment dans ses ports et en haute mer. si la conquête de nouveaux droits d’intervention semble de plus en plus difficile, l’argument envi- ronnemental ou écologique reste sans doute le plus utilisé par les états dans leurs revendications.

33 ccamLr-xxxv/02, policy issues arising from ccamLr inspections undertaken from hms protec-

tor during 2015-16, 22 august 2016.

34 earth negotiations bulletin, a reporting service for environment and Development negotiations,

vol. 25, nº 179, 20 septembre 2018 (http://enb.iisd.org/oceans/bbnj/igc1/).

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