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9 L4 elle fait une différence (Mulhouse 47.2-47.13) (10b)

3.2. Emploi des pronoms sujets de première et de deuxième personne

L’étude des textes oraux finnois nous a conduite à examiner une question relative aux expressions pronominales, mais se posant indépendamment du rapport entre les unités à contenu lexical et celles sans contenu lexical. Le finnois est considéré comme une langue à « pro-drop partiel » où les pronoms sujets de première et de deuxième personne peuvent être omis étant donné que le verbe est porteur d’un indice personnel. Depuis la fin du XIXe siècle, les grammaires prescriptives préconisent l’emploi du pronom sujet de première et de deuxième personne uniquement dans le cas où le sujet est l’élément accentué dans la phrase (par ex. Minä en sitä tehnyt vaan sinä « Ce n’est pas moi qui l’ai fait mais toi. ») (Hakulinen 1979 : 552-554 ; Paunonen 2001 : 154-155). Le système que l’on trouve dans les variétés non standard du finnois diffère considérablement de cette recommandation normative. La présence d’un pronom sujet auprès d’un verbe à la première ou à la deuxième personne du singulier constitue le cas de figure commun.

On peut estimer que la fonction du pronom sujet est alors de servir de support à la prédication, c’est-à-dire de matérialiser la position thématique préverbale (pour la configuration discursive des énoncés finnois, voir 3.3. ci-dessous). Mais il faut noter que si le taux des verbes accompagnés d’un pronom sujet est élevé dans les corpus (plus de 80 % dans les conversations familières pour la première personne du singulier, Lappalainen 2004 : 80-81 ; Duvallon & Chalvin 2004* : 271-272), il existe aussi des cas où le pronom sujet est absent et qui ne peuvent pas tous être rapportés à la question des registres et à la variation sociolinguistique (par exemple à une tendance, chez certains locuteurs et dans certaines circonstances, à omettre les pronoms sujets pour se conformer au système normatif de la langue standard). Les études sociolinguistiques réalisées à partir des années 1970 se sont intéressées à la variation de la forme du pronom sujet dans le finnois parlé en milieu urbain (par ex. minä ~ mä ~ mää ~ mie pour le pronom de première personne) en fonction des critères tels que l’âge, le sexe, le milieu socioculturel et l’origine géographique du locuteur (par ex. Mielikäinen 1980 : 131-138 ;

Paunonen [1982] 1995 : 151-164), alors que le phénomène d’absence de pronom sujet est resté peu étudié jusqu’au début des années 2000.

Nous nous sommes intéressée à la question de la réalisation zéro du pronom sujet du point de vue des structures syntaxiques organisées autour de verbes constructeurs, telles qu’elles apparaissent typiquement dans les productions orales (Duvallon & Chalvin 2004* ; Duvallon 2006a).18 L’objectif a été de formuler des motivations d’ordre grammatical favorisant l’emploi du verbe sans le pronom sujet. Deux phénomènes ont attiré notre attention plus particulièrement.19 Premièrement, l’absence de pronom sujet peut fonctionner comme un indice de regroupement entre plusieurs verbes partageant le même sujet. Au moins trois cas de figure sont à distinguer. Dans le cas de la coordination de deux verbes, la mise en facteur commun du pronom sujet permet d’établir une structure à deux verbes qui désigne un événement (par ex. « informer quelqu’un de quelque chose ») en le fragmentant en plusieurs épisodes solidaires les uns des autres (« téléphoner à quelqu’un » et « lui dire quelque chose », 11).

(11)

mutta kuule mä soitan sitte tolle Leenalle ja kerron sille et - - mais entendre.IMP.2 1SG téléphoner.1 ensuite DEM.ALL Leena.ALL et dire.1 3SG.ALL que « mais écoute je vais téléphoner à Leena et lui dire que - - » (fi081)

L’absence de pronom sujet est également caractéristique des énoncés qui se couplent avec un premier énoncé mettant une relation prédicative en attente de validation. En finnois, cette validation peut se faire, de façon minimale, à l’aide d’une forme verbale finie qui « est projetée », pour ainsi dire, sur l’énoncé question, sur la forme verbale porteuse de la particule interrogative, sans qu’il y ait besoin de réitérer les autres éléments (12).

(12)

L1 saanks mä soittaa sulle kohta uudestaan

pouvoir.1.Q 1SG téléphoner.INF 2SG.ALL tout.à.l’heure de.nouveau « est-ce que je peux te rappeler tout à l’heure »

L2 saat pouvoir.2

« [oui tu] peux (fi116)

18 Par la suite, la question de l’omission du pronom sujet a été étudiée notamment par Lappalainen (2006) et Helasvuo (2014).

19 Duvallon et Chalvin (2004*) proposent un classement des données examinées, finnoises et estoniennes, selon quatre groupes dont l’un concerne plus spécifiquement l’estonien (l’ordre OV). Quant au dernier groupe, il s’agit d’expressions et de tournures présentant un certain degré de figement, comme par exemple l’emploi du verbe tietää « savoir » à la forme négative sans pronom sujet et sans complément, en tiiä « [je] ne sais pas ». Un examen plus systématique centré sur chacune des expressions, comparées avec la variante avec un pronom sujet, serait nécessaire pour définir leurs valeurs discursives et interactionnelles.

En outre, l’absence de pronom sujet s’observe dans des configurations syntaxiques où les verbes constructeurs sont en rapport de reformulation ou de spécification. Comme le montre l’exemple (13), la réédition d’une relation prédicative peut entraîner une modification de l’ordre des constituants, telle que le déplacement en tête d’énoncé d’un complément initialement placé après le verbe.

(13a)

L1 – – ooks- ooksä sit tehny (.) minkälaisia vuoroja AUX.Q.2SG AUX.Q.2SG alors faire.PPA de.quel.genre.PL.PAR horaire.PL.PAR

« – – alors t’as tu as fait (.) quoi comme horaires » L2 mä teen iltaa koko ajan

1SG faire.1 soir.PAR tout temps.GEN « je fais le soir tout le temps

paitsi tänään mä olin kymmenest puol kuuteen

sauf aujourd’hui 1SG être.PRET.1 dix.heures.ELA cinq.heures.et.demie.ILL

sauf aujourd’hui j’ai travaillé de dix heures à dix-sept heures trente ku (.) oli niinku lauantai

comme être.PRET.3 PTCL samedi parce que (.) on était samedi

mutta (.) iltaa teen kolmest yhteetoista ja (.) mais soir.PAR faire.1 trois.heures.ELA onze.heures.ILL et

mais (.) c’est le soir que [je] fais de quinze heures à vingt-trois heures et (.) kyl se on mun biorytmiin silleen hyvin sopinu

PTLC 3SG AUX.3 1SG.GEN biorythme.ILL PTCL bien convenir.PPA

franchement ça a été compatible avec mon biorythme » (fi101) (13b)

mä teen iltaa koko ajan 1SG faire.1 soir.PAR tout temps.GEN « je fais le soir tout le temps

paitsi tänään mä olin kymmenest puol kuuteen ku oli niinku lauantai sauf aujourd’hui 1SG être.PRET.1 10h.ELA 17h30.ILL comme être.PRET.3 PTCL samedi sauf aujourd’hui j’ai travaillé de dix heures à dix-sept heures trente parce qu’on était samedi mutta iltaa teen kolmest yhteetoista ja

mais soir.PAR faire.1 15h.ELA 23h.ILL et

mais c’est le soir que [je] fais de quinze heures à vingt-trois heures et

Ci-dessus, en position textuelle de clôture, à la non-répétition du pronom sujet s’associe la mise en saillance, en tête d’énoncé, d’un élément qui constitue l’apport principal de l’énoncé (pour les questions de l’ordre des constituants, voir 3.3.).

La deuxième motivation grammaticale à l’absence de pronom sujet est liée au degré d’actualisation du procès désigné par le prédicat verbal et aux conditions de sa validation par les protagonistes de l’énonciation. L’absence de pronom sujet caractérise les énoncés qui expriment une modalité orientée vers l’interlocuteur, notamment les énoncés injonctifs. Ces

derniers sont habituellement définis par l’acte langagier qu’ils accomplissent : le locuteur incite son interlocuteur à agir (ou à ne pas agir) d’une certaine manière (par ex. Birjulin & Xrakovskij 2001 : 5 ; van der Auwera 2006). En finnois, comme dans beaucoup de langues, l’impératif de deuxième personne du singulier est une forme verbale minimalement marquée du point de vue morphologique. Sémantiquement, il exprime la représentation d’un procès qui n’est pas ancré dans le temps et dont le support sujet n’a pas de matérialisation. Lorsque l’impératif est utilisé pour exprimer une injonction, l’interlocuteur est invité à se reconnaître dans le rôle de sujet implicite. Dans l’espace intersubjectif de la situation d’énonciation, l’impératif injonctif (positif) met en jeu deux points de vue sur la validation du procès, celui du locuteur pour qui le procès est à valider (il est représenté comme visé) et celui de l’interlocuteur qui peut ou non valider le procès et pour qui le procès est donc marqué par une indétermination (Culioli & Paillard 1987 ; Duvallon & Peltola 2017b*).20

En finnois, la fonction injonctive peut être assurée aussi par un verbe au présent de l’indicatif ou au conditionnel. Ces formes verbales présentent le procès comme actualisé, c’est-à-dire localisé soit dans le temps non passé qui relève de la réalité discursive (indicatif), soit dans un monde possible, alternatif de cette réalité (conditionnel), et elles sont porteuses de l’indice personnel -t de deuxième personne du singulier. Le point commun avec l’impératif injonctif est l’absence de pronom sujet (voir dans (14) les formes impératives à la ligne 2 et la forme au présent de l’indicatif à la ligne 4).

(14)

1 L1 mut mistä mä saan ne rahat mais où.ELA 1SG obtenir.1 DEM.PL argent.PL

« mais où est-ce que je trouve les sous »

2 L2 no mee töihi ja hanki ne

PTCL aller.IMP.2 travail.PL.ILL et gagner.IMP.2 3PL

« eh bien prends un travail et gagne-les » 3 L1 nii-i kai

« ouais sûrement »

4 L2 meet vaan johonki töihi mist sä saat rahaa aller.2 PTCL quelque.part.ILL travail.PL.ILL où.ELA 2SG obtenir.2 argent.PAR

tout simplement [tu] prends un travail (peu importe lequel) qui te rapporte de l’argent (fi079) Ainsi, les énoncés injonctifs à l’indicatif (ou au conditionnel) sont dépourvus de sujet-thème sur lequel le verbe prédiquerait quelque chose, tout comme la forme impérative. L’absence de

20 Pour le dire autrement, le procès est rattaché à deux instances de validation (pour ce concept, voir par ex. Gosselin 2001 : 60-63)

pronom sujet peut alors être interprétée en termes de modalité « intersubjective » de l’énoncé : le procès dénoté par le verbe est exprimé, d’une part, comme validable ou souhaitable du point de vue du locuteur et, d’autre part, comme étant en attente de validation de la part de l’inter-locuteur, encodé comme le participant sujet du procès par l’indice personnel du verbe. De même qu’avec l’impératif, l’interlocuteur est invité à s’identifier au rôle qui lui est suggéré.21