• Aucun résultat trouvé

PROJETS DE RECHERCHE

2.2. Le domaine verbal

La deuxième phase de l’étude sur -kin aura pour objet le domaine verbal. La problématique est formulée à partir des descriptions existantes de la construction V-kin et des pistes ouvertes

par l’analyse des emplois de -kin dans le domaine nominal. Je me concentrerai sur les cas où l’enclitique est difficilement paraphrasable par « aussi » et où il a un fonctionnement autre que celui de la particule focalisante additive au sens König (1991, voir note 78).

Dans (7), -kin, adjoint au verbe (plus précisément au participe passé dans une forme de plus-que-parfait), ne sert pas à indiquer que l’arrivée du train s’ajouterait à une autre action du train. (7)

Mutta silloin oli kuulunut kimakka vihellys mais alors AUX.PRET.3 s’entrendre.PPA strident sifflement Mais à ce moment, un sifflement stridant avait retenti

ja ihmiset olivat huudahtaneet: « tuolta se tulee! tuolta se tulee !" et gens.PL AUX.PRET.3PL crier.PPA.PL de.là-bas 3SG arriver.3 de.là-bas 3SG arriver.3 et les gens avaient crié : « Voilà qu’il arrive ! Voilà qu’il arrive ! »

Ja sieltä se oli tullutkin aukeata pitkin… et de.là-bas 3SG AUX.PRET.3 arriver.PPA.KIN voie.PAR le.long.de

Et en effet, il était arrivé par là, en longeant la voie… (J. Aho, Rautatie, 1884)

La construction V-kin est habituellement décrite à l’aide de la notion d’attente, avec deux gloses opposées possibles : l’état de choses exprimé par l’énoncé est le cas, « comme attendu » (7) ou « contrairement à l’attente » (L. Carlson 1993 ; voir aussi NS s.v. -kin A. II. 2. ; Hakulinen & Karlsson 1979 : 329 ; Vilkuna 1984). Ainsi, -kin situe le contenu de l’énoncé par rapport à une attente créée dans le contexte, mais il ne spécifie pas en soi si l’énoncé satisfait à cette attente ou s’il s’en écarte. Cette dualité des valeurs semble liée au fait qu’une attente s’associe toujours à un point de vue subjectif qui contraste, du moins potentiellement, avec un autre point de vue – et une autre conception de la situation. Dans (7), le locuteur-narrateur, à la différence des « gens », ne croit pas à l’arrivée du train avant de le voir de ses yeux.

Lorsque l’enclitique est adjoint au verbe, sa fonction est donc étroitement liée à la (re)validation ou à la non-validation d’une idée déjà présente dans le contexte. Dans cette partie du projet, il est pertinent de prendre en considération les énoncés aussi bien affirmatifs que négatifs et, de ce fait, d’étendre l’analyse à la particule -kAAn (8) qui est considérée comme la variante négative de -kin.

(8)

” Ole huutamatta siinä! (…)” être.IMP.2 crier.NMLS.ABE là

« Arrête de crier là ! [Sois sans crier là !] (…) » ” Enhän minä huudakkaan…”.

NEG.1.HAN 1SG crier.KAAN

Les particules -kin et -kAAn ont une contrainte distributionnelle intéressante dans le domaine verbal. Elles ne peuvent pas s’adjoindre à une forme verbale placée en tête d’énoncé, en position contrastive (voir Chap. 1, 3.3.). En d’autres mots, la forme verbale porteuse de -kin ou de -kAAn se trouve toujours dans le champ final de l’énoncé. Ceci pose la question de savoir ce qui est focalisé dans la construction V-kin/-kAAn. D’après L. Carlson (1993), le « focus » de -kin/-kAAn comprend, en plus de la polarité positive ou négative du verbe, une partie des autres valeurs dont le verbe est porteur et au minimum sa modalité indicative. Pour étayer cette idée, il évoque les expressions tosiasiassa, todella « en réalité, en effet » comme paraphrases possibles de l’enclitique (voir aussi Vilkuna 1984 : 403).

Un aspect supplémentaire, souligné par Vilkuna (1984), est que la construction V-kin implique une validation première de l’idée à laquelle elle se rapporte. Pour illustrer ce point, on peut prendre l’exemple de l’interrogation totale (positive) à laquelle on répond en finnois, de façon minimale, en répétant le verbe de la question (9 ; voir Chap. 1, 3.2.). Il s’agit là d’un contexte dans lequel l’enclitique -kin s’emploie difficilement. Cette incompatibilité trouve une explication dans le fait qu’une interrogation totale positive met en avant une relation prédicative qui est en attente de validation sans présupposer une validation première.

(9)

− Tuleeko äiti? − Tulee. / ??Tuleekin. venir.3.Q maman venir.3 venir.3.KIN

« − Est-ce que maman viendra ? − Oui. / ??Oui-kin. »

Il faut encore ajouter un point essentiel que l’on peut observer dans l’exemple (7). La construction V-kin se rapporte à une idée déjà validée (implicitement ou explicitement) dans le contexte discursif précédent, mais d’un autre côté, elle crée un hiatus entre la valeur de validation qu’elle introduit et la validation première. Cette « discontinuité » résulte du fait que la construction V-kin valide l’état de choses en question sur une base différente (indépendante) de celle de la validation première.

Ainsi, dans un énoncé assertif, la construction V-kin implique non seulement la validation première d’un état de choses, mais aussi sa mise en doute plus ou moins active (‘cet état de choses est-il vraiment le cas ou pas?’) par le locuteur qui le revalide par la suite. Dans (10), la mise en doute (‘comme si c’était la chose la plus importante au monde’) fait partie de l’enchaînement discursif.80

80 Les trois opérations – validation première, mise en doute, confirmation – ne s’enchaînent pas forcément de manière linéaire. Dans un contexte dialogal, il est possible, me semble-t-il, que le locuteur utilise la construction

(10)

” Olen suuna päänä kertomassa, être.1 bouche.ESS tête.ESS raconter.INF.INE

« [Au moment de sortir un album] Je suis sur tous les fronts pour dire miten mahtava uusi levy on,

combien magnifique nouvel album être.3

à quel point mon nouvel album est magnifique

ikään kuin se olisi maailman tärkein juttu. comme si 3SG être.COND.3 monde.GEN important.SUP chose comme si c’était la chose la plus importante au monde. Mutta niinhän se minulle onkin.

mais ainsi.HAN 3SG 1SG.ALL être.3.KIN

Mais en fait, ça l’est pour moi.

Teen lauluja itselleni ja into on käyttövoimani.” faire.1 chanson.PL.PAR moi.même.ALL et enthousiasme être.3 moteur.POS1

Je fais des chansons pour moi-même et l’enthousiasme est mon moteur. » (presse)

On constate ainsi que la notion d’attente, même si elle permet de montrer la particularité du domaine verbal par rapport au domaine nominal, n’est pas suffisante pour rendre compte des différents aspects de la construction V-kin/-kAAn.

En plus des énoncés qui sont formellement des assertions à l’indicatif (comme dans 7, 8 et 10), -kin et -kAAn s’emploient dans des énoncés interrogatifs (11a et 11b) et exclamatifs (11c), des énoncés qui expriment des souhaits, des regrets, des reproches, ainsi que des énoncés concessifs (11d) ou encore des expressions de libre choix (6). Les exemples ci-dessous (qui ne représentent qu’une partie des emplois possibles) montrent qu’en dehors des énoncés assertifs, le choix de la particule, -kin ou -kAAn, n’est pas directement coordonné avec la polarité positive ou négative du verbe.

(11a)

Mikä hänen nimensä ( nyt taas) olikaan? quel 3SG.GEN nom.POS3 PTCL PTCL être.PRET.3.KAAN « Quel était son nom déjà ? » (Hietaranta 1980 : 251) (11b)

Eikö hän olekin suloinen? NEG.3.Q 3SG être.KIN mignonne

« N’est-elle pas mignonne ? / Elle est mignonne, n’est-ce pas ? » (Vilkuna 1984 : 406) (11c)

Kuinka suloinen hän onkaan! combien mignonne 3SG être.3.KAAN

« (Mais) qu’est-ce qu’elle est mignonne ! » (Vilkuna 1984 : 406)

V-kin pour exprimer un avis qui converge avec celui de son interlocuteur s’il le détient indépendamment de la situation d’énonciation en cours.

(11d)

Ilma on keväinen, vaikka tuleekin kylmästi. temps être.3 printanier bien.que venter.3.KIN froidement

« Le temps est printanier bien que le vent soit froid. » (NS s.v. -kin, A. II. 3. e)

Dans la continuité de l’étude du domaine nominal, l’objectif de l’étude du domaine verbal est de proposer une description de -kin et de -kAAn qui détermine leur fonctionnement en termes d’opérations qu’ils mettent en jeu dans la construction de l’énoncé. L’hypothèse de travail concernant -kin est la suivante : cet enclitique, adjoint au verbe, rend pertinente, dans la détermination de la valeur discursive de l’énoncé, l’opération qui sous-tend le choix de la polarité du verbe, c’est-à-dire la mise en balance (ou le parcours) des deux valeurs possibles, positive et négative.

Les questions à examiner comprennent (entre autres) les suivantes :

- La négation étant une opération plus complexe que l’affirmation (voir par ex. Givón 2001a : 370-372), comment cela se voit-il dans le fonctionnement de -kAAn par rapport à celui de -kin dans les énoncés assertifs ?

- Comment le parcours des valeurs positive ou négative du procès interagit-il avec la référence « ouverte » établie par un pronom « interrogatif-indéfini » dans les expressions de libre choix (6) ?

- Quelle est la fonction de -kAAn dans les énoncés non assertifs à polarité positive (11a et 11c) ?

- Quel est l’apport de -kin (et de -kAAn) dans les énoncés concessifs (11d) où il peut paraître à première vue comme un élément redondant (cf. Östman 1977 : 184) ?

L’analyse de -kin dans le domaine verbal permettra aussi de revenir sur les hypothèses concernant le développement diachronique de ses différents emplois (voir ci-dessus 1.2., Duvallon, à paraître b*).

La réalisation de cette partie du projet s’inscrira dans le cadre des opérations de recherche menées par l’Axe 1 du Sedyl (voir en particulier la partie du projet collectif intitulée La prédication en tant qu’intégrée dans un espace énonciatif et centre privilégié des marques de modalité). J’espère que ce projet sera aussi l’occasion de continuer la collaboration avec ma collègue Rea Peltola (Université de Caen Normandie, CRISCO) pour l’étude des questions concernant le fonctionnement des particules -kin et -kAAn en interaction avec les modalités verbales.