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Chapitre 1. Notions pour aborder l’interaction homme-robot homme-robot

1.5. Dimensions sociales pour une robotique interactionnelle

1.5.1. Empathie : un paradigme complexe à multiples facettes

La section 1.1 illustrait des aspects du langage humain qui révèlent son caractère intrinsèquement social. Cette perspective peut ainsi engager cet humain dans une interaction bidirectionnelle dont le versant positif a été évoqué sous les termes « d’altruisme réciproque ». Cet altruisme émanerait du processus d’empathie, que nous avons vu émerger dans la section 1.4 en s’intéressant aux phénomènes impliqués dans la perception de soi et de l’autre à travers des notions associées au domaine de la robotique sociale. La présente section va ainsi préciser cet aspect de réciprocité positive pour construire les hypothèses qui sous-tendent ce travail de recherche.

Dans sa première utilisation, l’empathie définissait le « ressentir de l’autre de l’intérieur », comme proposait par le psychologue allemand Robert Vischer 1873 sous le

terme Einfülung, traduit ensuite en anglais par Tichener pour donner le terme empathy. À

l’origine, ce terme désignait la projection mentale de soi-même dans un « objet extérieur, une maison, un vieil arbre noueux ou une colline balayée par les vents » auxquels l’humain s’associerait subjectivement.

En 1903, le philosophe Lipps a ensuite donné une extension à cette définition en y ajoutant un point de vue artistique. L’empathie est devenue alors un moyen de décrire « le sentiment (d’un artiste) qui se projette par son imagination non seulement dans un objet animé, mais aussi dans l’expérience vécue d’une autre personne ».

Le bouddhiste Ricard30 rappelle quelques éléments de terminologie à ne pas confondre

tels que la « contagion émotionnelle » qui appartient au domaine de la psychologie des foules qui désignerait la propagation d’une émotion d’un individu à un autre selon (Pacherie, 2004). C’est un phénomène qui est notamment observé en psychologie du développement également, motivé par le processus de différenciation entre moi et autrui.

Une autre opposition terminologique par rapport à l’empathie est la « sympathie ». Ricard fait appel à la notion d’impartialité pour insister sur cette opposition, car pour lui la sympathie est liée à un individu spécifique. (Pacherie, 2004) rejoint cette différence en suggérant que la sympathie met en jeu des fins altruistes pour créer un lien affectif avec l’autre, alors que l’empathie ne relève que d’une compréhension d’autrui (Wispé, 1986), mais n’a pas pour objectif l’établissement d’un lien affectif. L’empathie pourrait donc nourrir la sympathie qui n’en est pas une résultante nécessaire.

L’empathie se distinguerait également du phénomène de « simulation mentale » qui désigne l’exercice où nous nous mettrions à la place d’un autre en faisant « comme si » nous étions cet autre pour essayer de le comprendre selon différents procédés : imagination (à travers la perception visuelle de l’autre), doxastique (attacher des croyances qu’on impute à l’autre), conative (comprendre les actions, les intentions et les désirs d’autrui). Cette simulation mentale serait alors confondue avec l’empathie quand cette dernière porte sur la compréhension de la partie affective et émotionnelle d’un autre.

Selon Ricard, l’empathie se déclencherait d’une part par la perception affective du ressenti de l’autre ; d’autre part par l’imagination cognitive de son vécu. Elle aurait deux composants : le premier, affectif, aurait un fonctionnement rapide qui apparaitrait vers l’âge de un an. Le second, cognitif, sera un processus lent, délibératif et conscient pour comprendre aussi son point de vue en regard de la compréhension de celui de l’autre, qui survient vers l’âge de quatre ans et demi – dit aussi « compréhension empathique ». Ainsi l’empathie pourrait conduire à une motivation altruiste ou un sentiment de détresse lié à un évitement qui s’illustrerait par un repli sur soi afin de se détourner des souffrances de l’autre. Ces

mécanismes dépendraient du versant affectif de l’empathie (Hoffman, 2008). Il peut également avoir un versant néfaste à l’empathie cognitive par l’usage d’une manipulation qui profite de la compréhension de l’autre, et qui n’aboutit pas forcément à de l’altruisme. De fait selon Hoffman, il existerait une empathie dite « mature » qui permettrait de réguler les effets de l’un et de l’autre pour maintenir un équilibre entre ces deux formes d’empathie. Cette conception est également celle qui est partagée par (Decety et Lamm, 2006).

Notons que (Tisseron, 2013)31 souligne que la définition de la « compassion » selon

Ricard est spécifique à la perspective bouddhiste et s’écarterait de la conception ternaire de l’empathie. L’empathie affective deviendrait alors majoritaire en ne laissant pas de place pour l’empathie cognitive, de même que dans la conception du modèle empathique défini par la neuroscience : pour (Bernhardt et Singer, 2012), les deux formes d’empathie ne peuvent coexister sous un même terme, car ils engendreraient l’activation de différentes zones du cerveau. Ainsi la compassion pour Ricard est une forme d’altruisme quand il y a confrontation à la souffrance d’autrui. Il caractérise ainsi l’empathie comme le fait de rentrer en résonance affective, soit une prise de conscience cognitive de la situation qui nous alerterait sur la nature et l’intensité des ressentis de l’autre, sans pour autant forcément ressentir la souffrance associée à la compassion. Nous voyons donc que l’empathie peut être adoptée selon différentes perspectives.

(Batson, 2009 in Decety et Ickes, pp.3-15) aborde la question de l’empathie en posant

deux questions32 qui pour lui sont celles qui orientent les divers travaux :

- Comment quelqu’un peut-il savoir ce que pense et ressent une autre personne ?

- Qu’est-ce qui pousse une personne à répondre avec sensibilité et attention à la souffrance d’un autre ?

La première attirerait l’attention de la philosophie, des sciences cognitives, de la neurophysiologie, la primatologie ou encore la psychologie du développement dont les travaux tendent vers la théorie de l’esprit. La seconde attirerait davantage les philosophes, les

psychologues du développement et la sociologie pour converger vers la notion de prosocial

action (p. ex. Eissenberg, 1987). Il mettrait ainsi en contraste d’une part les « théoriciens de la théorie » et les « théoriciens de la simulation ». Ainsi, ces communautés tendraient à définir l’empathie sous huit angles distincts :

1) “Knowing a person’s internal state, including his or her thoughts and feelings”

Connue également sous le nom d’ « empathie cognitive » ou cognitive empathy

(Eslinger, 1998 ; Zahn-Waxler, Robinson, et Emde, 1992), elle reflète l’idée de justesse ou de

précision de la dimension empathique, ce que (Ickes, 1993) appelle empathic accuracy.

Certains caractérisent encore cette perspective comme un état interne de l’empathie (Preston et de Waal, 2002 ; Wispé, 1986). Cette approche dépendrait des facultés à trouver les indices qui reflètent cet état interne, leur verbalisation facilitant l’accès à cette information ou nous confortant sur les interprétations et les inférences déduites par le comportement de la personne à qui l’on fait face. Cette empathie est d’autant plus facilement accessible, lorsque la personne avec laquelle on interagit nous est proche.

2) “Adopting the posture or matching the neural responses of an observed other”

Associée à la notion « d’imitation » (Lipps, 1903 and Tichener, 1909 in Batson, 2009 ;

Meltzoff et Moore, 1997) ou de motor mimicry (Dimberg, Thunberg, et Elmehed, 2000 ;

Hoffman, 2000/2010), elle correspondrait à ce que (Gordon, 1995) appelle facial empathy.

31 Billet de blog http://www.huffingtonpost.fr/serge-tisseron/lerreur-de-matthieu-ricard_b_9343194.html

32 Voici les versions originales de ces deux questions proposés par Batson : “How can one know what another person is thinking and feeling ?” et “What leads one person to respond with sensitivity and care to the suffering of another”

(Preston et de Waal, 2002) proposent une théorie unifiée de cette empathie en s’appuyant sur des représentations neurales du mimétisme et basée sur le modèle de boucle perception-action

(PAM ou perception action model). D’après ce modèle, percevoir l’autre dans une situation

donnée amènerait automatiquement à faire correspondre son état neural à celui de l’autre parce que la perception et l’action font partie d’un même circuit neural. C’est notamment ce qui a été montré par la présence des neurones miroirs (Rizzolatti, Fadiga, Fogassi, et Gallese, 2002). En effet, lorsque l’on perçoit un autre en train de faire une action, notre zone du cerveau dédiée à effectuer cette action s’active alors que nous sommes uniquement en train de la percevoir sans la réaliser. Cette dimension semble d’ailleurs constituer une grande partie des modèles d’interaction, qui lui confère parfois trop d’importance selon Batson. En effet, l’auteur rappelle que le mimétisme n’est pas le seul mécanisme qui sous-tend les interactions humaines et que les enjeux seraient de savoir à quel moment cette boucle est préférentiellement activée et à quel moment elle est mise en arrière-plan pour privilégier d’autres mécanismes tels que l’utilisation de la mémoire ou les connaissances générales (Singer et coll., 2004 ; Tomasello, 2009). De plus, il est souligné que la question de l’anthropomorphisme se pose, car en tant qu’être humain nous avons cette capacité d’inférence face à d’autres espèces ; et l’on pourrait aussi ajouter des objets tels que le robot.

3) “Coming to feel as another person feels

Cette approche semble relever une ambiguïté quant à savoir le degré de similitude de l’émotion ressentie de l’un par rapport à celle de l’autre. En effet, les partisans de cette définition dont les philosophes (Darwall, 1998 ; Sober et Wilson, 1999), les

neuroscientifiques (Eslinger, 1998 ; A. Damasio, 2003 ; Decety et Chaminade, 2003) ou les

psychologues (Eisenberg et Strayer, 1987/1990 ; Preston et de Waal, 2002) disent que dans la perspective de cette forme d’empathie, il n’est pas nécessaire que celui qui perçoit l’autre ressente exactement la même chose, mais plutôt une chose (généralement une émotion) similaire ou proche, sans forcément spécifier ce qui joue sur cette proximité. (Hatfield, Cacioppo, et Rapson, 1993) proposent que ce ne sont pas seulement une correspondance d’émotions, mais une captation des émotions de l’autre qui sous-tend cette notion d’empathie, impliquant d’avoir un ressenti partagé des mécanismes physiologiques mis en jeu. Ils mettent

alors en avant la dimension de l’arousal (cf. section 1.3.4) qui serait semblable dans le cadre

d’attitude empathique. C’est cette empathie qui est appelée affective empathy (Zahn-Waxler et

coll., 1992) ou automatic emotional empathy (Hodges et Wegner, 1997) parfois confondue à

la notion de contagion émotionnelle dans la perspective de (Hatfield et coll., 1993) par exemple.

4) “intuiting or projecting one self into another situation

C’est la perspective initiale qui avait fait l’objet de la définition d’empathie qui serait

mentionnée dans (Lipps, 1903) et (Tichener, 1909) selon (Batson, 2009 in Decety et Ickes,

pp.3-15). Associé à la notion d’esthétisme, c’est la forme que (Wispé, 1986) appelle

aesthetic empathy. C’est une perspective de simulation en imaginant ce que l’on peut ressentir si nous étions dans une autre situation, un autre corps, y compris inanimé. Cette perspective est présentée comme une alternative aux approches basées sur la théorie de l’esprit (cf. section 1.4) qui sous-tend que toute personne doit être apte à faire des hypothèses (Barrett-Lennard, 1981) sur le ressenti d’un autre.

5) “Imagining how another is thinking and feeling

Cette approche conçoit ce qu’on appelle perspective taking (Stotland, 1969 ; Decety et

Jackson, 2004 ; J. (1927-) A. du texte Cosnier, 1994). Il s’agirait de prendre en considération ce qu’une personne dit et fait dans une situation donnée tout en s’appuyant sur la connaissance que l’on peut avoir sur son caractère, ses valeurs et ses désirs. Il s’agit donc d’une forme de décentration cognitive où l’on imagine ce que l’on percevrait à la place

d’autrui. Le focus n’est pas tant sur le fait de savoir ce que l’autre peut ressentir, mais plus sur la sensibilité que nous pouvons développer en état de connaissance de la situation de l’autre. Cette perspective est illustrative d’une approche thérapeutique (Barrett-Lennard, 1981) en

adoptant une forme d’attention particulière qu’il appelle empathic attentional set, ce que

(Wispé, 1986) décrit comme psychological empathy ou encore projection selon (Adolphs,

1999).

6) “Imagining how one would think and feel in other’s place

Dans cette approche, l’empathie est définie par une certaine aptitude à prendre

imaginairement le rôle d’autrui afin d’en interpréter ses pensées, ses sentiments et ses actions. À l’instar de (Mead, 1934) dont la terminologie est également reprise par (J. (1927-) – texte

Cosnier, 1994), les auteurs parleront de role taking. Cette approche fait l’objet de beaucoup

de confusions terminologiques avec le point 5, mentionnant la notion de perspective taking.

Or la perspective du point 6 semble être celle qui est la largement admise comme étant du

role taking. Ce concept est finalement proche du mécanisme décrit en point 4, dans le sens il s’agit d’un cas de simulation. En revanche, la distinction se fait sur les orientations, l’une esthétique et l’autre portant sur la relation interpersonnelle.

7) “Feeling distress at witnessing another person’s suffering

En anglais le terme distress est associé à cette perspective qui traduit le désarroi, le

bouleversement. (Hoffmann, 1982) parle de empathic distress et (Batson, 1991) de personal

distress prenant plus la mesure de l’effet que peut avoir la souffrance d’un autre sur celui qui la perçoit chez l’autre. Cette souffrance émanerait de celui qui perçoit l’autre en situation de détresse et ne concerne pas celle de la personne en situation de détresse.

8) “Feeling for another person who is suffering

Cette approche est orientée vers la personne en souffrance et non sur une vision égocentrée. Elle s’illustre par une congruence du niveau de la valence émotionnelle de chacun des interlocuteurs (savoir si le ressenti est positif ou négatif). En revanche, elle n’est pas liée à la nature émotionnelle (p. ex. se sentir désolée ou avoir pitié quand notre interlocuteur est lui en peine ou qu’il a peur. Les deux états ont une congruence négative). C’est ce qui dérive plus communément de la notion de sympathie (Darwall, 1998 ; Eisenberg et Strayer, 1990 ; Preston et de Waal, 2002 ; Sober et Wilson, 1999 ; Wispé, 1986).

Une perspective intéressante abordée dans l’approche 2 de Batson, et qui a fortement influencé les pensées autour de la cognition sociale, est l’apport des travaux des neurosciences autour de l’empathie et des « neurones miroirs ». Decety retrace notamment de manière critique les tendances et ses propres expériences, car il existe une véritable controverse quant aux rôles et fonctions de ces structures.

En effet, les capacités socio-affectives ont suscité de nombreux intérêts de philosophes, de psychologues ou encore d’économistes, et dans le domaine des neurosciences sociales, les auteurs tels que ceux présentés dans (Decety, 2010; Nadel et Decety, 2002) étudient les mécanismes neurobiologiques qui sous-tendent ces capacités. Dans ces problématiques, l’une des premières réflexions porte tout d’abord sur les origines évolutives de l’empathie. Ces origines amènent à la compréhension de la biologie des fonctions des processus : 1) autonomes, 2) de systèmes endocriniens (p.ex. phénomène d’attachement impliquant ocytocine ou vasopressine), 3) homéostatiques qui répondent aux besoins de communication et de sociabilité sélective. Et certaines caractéristiques de ces trois types de processus seraient partagées chez les mammifères. L’évolution neurobiologique des êtres vivants aurait notamment permis de développer des outils pour percevoir, comprendre, prédire et répondre à des états internes d’autrui. Dans ces réflexions phylogénétiques, MacLean (1985) proposait que ce serait avec l’apparition des mammifères (par divergence aux reptiles) que les

premières observations d’émergence de l’empathie auraient été observées. Ainsi trois comportements clés et parentaux (l’allaitement, la communication audio-vocale entre la mère et l’enfant, ainsi que le jeu) propres aux mammifères seraient apparus. Ces comportements seraient fortement dépendants de la division thalamo-cingulaire du système limbique, ce dernier étant impliqué dans l’évaluation et la régulation des émotions. Les structures du système limbique seraient reliées, par des connexions réciproques en fonction de rôles en lien avec la motivation, au système nerveux autonome intervenant dans les actions qui favorisent les réactions d’adaptation de l’organisme aux changements de l’environnement (interne et situationnel). Le développement du système nerveux autonome lui-même serait donc intimement lié à ces structures limbiques modulant les comportements d’engagement social. Cette division a notamment permis la formation du néocortex préfrontal impliqué dans les processus d’acculturation familiale, ces comportements et les organisations cérébrales n’ayant aucun équivalent chez les reptiles.

Ce sont donc des études portant sur le traitement de l’émotion, qui dans un premier temps, aurait mis en évidence la similitude des mécanismes neuronaux d’un observateur témoin de la perception d’une émotion vécue chez un autre. Dans les travaux d’imagerie cérébrale, d’abord chez le singe puis chez l’humain, certains neurones sensori-moteurs, dans les cortex prémoteur ventral, moteur primaire et pariétal postérieur étaient préférentiellement sollicités dans les processus de résonance motrice et ils furent appelés « neurones miroirs » (Rizzolatti, Fogassi, et Gallese, 2001). Mais selon Decety, l’enthousiasme de cette découverte aurait également donné une vision simpliste selon laquelle ces neurones miroirs seraient à la base neurobiologique de la cognition sociale et notamment des phénomènes d’empathie. En effet, de nombreuses études sur ces neurones tendraient à devenir tautologiques et systématiques, car la tâche permettant leur activation conclurait sur l’implication de ces structures dans ces mêmes tâches. Or, ne serait-ce que quantitativement, seuls 17% des neurones des aires mentionnés seraient véritablement « miroirs » et certaines études iraient même à donner des contre-exemples d’activation de ces neurones (p.ex. Murphy, Nimmo-Smith, et Lawrence, 2003; Phan, Wager, Taylor, et Liberzon, 2002). De plus, « chez l’homme, cette région est aussi associée à des processus computationnels divers qui n’ont rien à voir avec des propriétés sensorimotrices, comme le contrôle cognitif, l’attention sélective, la sélection de réponses et l’inhibition sélective. » (Decety, 2010). L’imbrication des différents mécanismes nuance cependant les critiques par les observations faites en neuro-imagerie fonctionnelle. En effet, les travaux de (Ruby et Decety, 2004) montraient que des changements hémodynamiques de régions somato-sensorielles sont remarquables au-delà de la simple activation, notamment si l’on précise la « perspective » dans laquelle se place un sujet (c.-à-d. la sienne ou celui d’un autre). Ainsi, les patterns d’activation psychophysiologiques seraient similaires entre les situations où les personnes pensent à une expérience émotionnelle personnelle (avec également une forte implication du cortex somato-sensoriel) et une expérience équivalente chez un autre. Finalement, nous pourrions retenir que dans les multiples travaux, un raccourci est souvent pris en confondant comme « activité miroir » toute activation corrélée entre une expérience émotionnelle personnelle et l’observation du même état chez un autre. Par ailleurs, les tâches proposées semblent confondre l’imitation volontaire d’une expression émotionnelle et l’expérience subjective de cette même émotion. Ainsi, la distinction effectuée par (Decety, 2010) est que l’observation de circuits neuronaux partagés ne constitue pas forcément une preuve que des fonctions similaires découlent de l’activation commune de certaines régions.

Pour notre part, cette critique générale de Decety vis-à-vis des études portant sur les neurones miroirs et l’empathie est importante. Elle a une incidence sur les hypothèses portant par exemple sur l’émergence du langage (p. ex. Gallese et Goldman, 1998), issues de l’observation de ce type de processus miroirs. Selon ces hypothèses, la résonance motrice à l’instar de ces neurones miroirs aurait fait l’objet d’une exaptation (cf. section 1.1 – c.-à-d. un détournement de sa fonction première) en faveur du développement du langage humain.

Par ailleurs, des paradigmes d’étude qui semblent alors plus pertinents pour la compréhension de ces mécanismes sous-jacents seraient par exemple les approches de perception de la détresse d’autrui (Decety, Echols, et Correll, 2010) ou encore celles qui étudient l’impact des lésions cérébrales sur les phénomènes d’empathie et de sympathie (Hornak et coll., 2003). La détresse présente une fonction protectrice par alerte d’un danger pour l’intégrité physique d’une personne. Son affichage permettrait d’attirer l’attention et d’inciter des comportements de réconfort et d’aide auprès d’un autre. Chez l’homme, la modulation de cette perception de détresse serait non consciente et elle serait amplifiée ou inhibée en fonction du contexte social par les critères qui déterminent nos appartenances à un groupe ethnique. Ainsi des expériences à multiples amorçages (p. ex. exprimer les causes de la contraction du HIV de patients – drogué ou non – chez qui les expressions faciales de douleurs sont évaluées par des sujets) montrent que l’intensité de la douleur perçue et les modifications hémodynamiques sont graduellement différentes selon la relation ou la représentation morale de la situation sociale (Cheng, Chen, Lin, Chou, et Decety, 2010; Decety et coll., 2010).

Nous ne nous étendrons pas sur les cas d’observations lésionnelles, puisque le champ est très étendu et que nous n’avons pas d’expertise suffisante pour évaluer finement ces études. En revanche, plus que les événements corrélatifs, un focus pertinent serait de pouvoir