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2 EME PARTIE

Dans le document Les droits de l'enfant : et les filles ? (Page 72-80)

Premier élément : Quel est le problème fondamental que nous rencontrons dans le monde musulman ?

Le premier vrai problème dans le monde musulman, aujourd’hui, au sujet de la femme, c’est le discours sur la femme et le discours qui traduit une véritable représentation.

Dans une étude que j’ai pu faire sur les textes arabes et anglais, et confirmé par tous les textes francophones, plus de 90 % c’est à dire 9/10 des livres qui ont trait à la question de la femme en islam, commencent presque tous, non pas par "L’être féminin" mais "Fonction de la femme" et c’est déterminant de parler de la femme en tant que jeune fille, la fonction qu’elle a par rapport aux parents, en tant qu’épouse, ou en tant que maman, la fonction qu’elle aura auprès de ses propres enfants. Les discours de la femme sur la femme, c’est à dire, la femme en tant qu’être indépendant devant Dieu, spirituellement engagée, autonome quant à sa spiritualité, est un discours quasiment absent de la production musulmane.

C’est problématique parce que ça veut bien dire une chose : une personne que l’on étudie religieusement plus par sa fonction que par son être. La fonction sous- entend toujours une dépendance et non une indépendance. Or, une véritable étude des sources coraniques et de la tradition indique que l’accès à l’indépendance devant Dieu est l’autonomie sociale. C’est l’un des messages fort de l’Islam dans sa progression, dans sa chronologie, encore faut-il être au clair sur cette dimension chronologique. Le vrai problème, aujourd’hui, est une dimension de discours. Les gens pensent qu’on ne réfléchit qu’en Occident.

J’ai pu me rendre en Afrique noire, au Pakistan, en Malaisie aussi où l’on voit des situations en évolution : un certain nombre de femmes sont en train de développer un discours, d’elles sur elles, c’est à dire qu’elles deviennent sujettes de leur discours et posent comme fondement :

"Je suis une femme et je parle en tant que femme et non pas de certains de textes, ce ne sont plus mes droits contre les vôtres mais mon être en tant que personne".

Ce n’est pas un strict féminisme d’opposition mais un féminisme de l’affirmation de l’être.

Dans un livre qui va paraître, j’ai appelé à l’émergence de ce féminisme islamique qui reste fidèle aux principes de l’Islam mais qui détermine une féminité de l’être féminin au sens premier, autonome et indépendant. Or, aujourd’hui, ce mouvement apparaît dans le monde musulman mais ce qui est intéressant, c’est

qu’il comble un vide qui est celui de l’absence d’un discours qui commencerait par "l’être féminin". Ce dont je parle est en émergence.

Deuxième élément : la dimension de la famille

Concrètement, aujourd’hui, nous avons un discours sur la famille qui est ultra idéalisé, c’est vrai que l’une des dimensions fondamentales de l’Islam c’est la famille, la pierre angulaire de la collectivité, la famille qu’il faut préserver. Aujourd’hui, dans nombre de sociétés musulmanes, le taux de divorce augmente. Des pratiques qui sont lues selon une lecture de laquelle il faut être critique, une lecture du droit islamique d’une façon totalement réductrice. Vous connaissez le statut personnel dans certains pays qui fait en sorte qu’une femme ne voit pas ses droits protégés et qu’on voit des hommes pouvoir se marier, avoir 1 à 4 enfants, divorcer au sens du terme français "répudier", quitter son épouse, voir dans certaines sociétés, faire en sorte, qu’elle quitte la demeure. Des femmes sont laissées pour compte, sans demeure avec enfants et sans le tissu traditionnel des familles qui, prenaient la femme en charge après coup. Le père ou les frères prenaient en charge la femme ; cela a disparu dans beaucoup de familles et il y a des femmes qui sont laissées pour compte et qui vivent en face d’une législation qui admet le divorce pour l’homme ou la répudiation. Ce qui est en train de se passer dans les sociétés musulmanes, c’est vraiment de la répudiation, car ce n’est pas un divorce, ce n’est pas un droit qui est respecté, ce sont des hommes qui agissent de façon irresponsable qui peuvent délaisser leur épouse avec des enfants, voir même les mettre dehors et celles-ci se voient marginalisées. C’est une réalité. Dans les familles aujourd’hui, ceci se passe. Des situations où il y a de la violence conjugale. C’est une réalité terrible dans les familles musulmanes et pas seulement dans les pays musulmans mais aussi en Europe et aux Etats Unis. Sur la base d’un morceau de versets qu’on tire de son contexte et qui légitimerait le fait que l’on puisse frapper une femme. Alors que, depuis le VIIIe siècle, des savants se sont

clairement exprimés. Le prophète de l’Islam ne l’a jamais fait, ça n’est pas légitime de le faire. Vous avez des pratiques qui voient même la législation parfois être totalement perméable à ce type de comportements.

Si on se pose la question de savoir si c’est l’Islam ou le culturel alors je dirais qu’il y a d’énormes parasitages culturels des sociétés patriarcales et dans certaines sociétés vous voyez le même comportement à peu de différences près des les chrétiens qui vivent dans la même situation sociale. Culturellement, on voit des réalités conjugales chez les coptes égyptiens de même nature mais ce n’est pas la seule explication, l’autre élément c’est qu’il y a des lectures littéralistes et fermées des textes et parfois traditionalistes comme au nord de l’Afrique ou il y a une lecture malikite qui est extrêmement problématique par rapport aux droits des

femmes. Pour le mariage par exemple une femme pourrait se marier qu’avec quelqu’un qui serait son garant masculin ce qui fait que dans certaines sociétés les femmes sont considérées comme des mineures. C’est une réalité. Le rite malikite l’impose alors que tous les autres rites n’imposent pas fondamentalement qu’une femme doit avoir son garant.

Il y aussi la polygamie. La ministre du Burkina Faso, dans les années 80 a voulu luter contre la polygamie et la première des choses qu’elle a reçu, c’est un, "non" de la part des femmes en disant : "Vous êtes en train de massacrer notre système". Certains musulmans étaient contents. Les femmes ne veulent pas, donc on peut continuer. Non, ce n’est pas aussi facile.

La réalité de la polygamie, c’est que vous ne trouverez pas un musulman qui dira que ce n’est pas dans les textes. C’est dans le texte coranique. Il est fait mention de cela dans ces textes, mais ce qui différencie le musulman de ça, c’est la conditionnalité qui avait permis cela.

L’école Hanbalite, par exemple, celle qu’on diabolise sans connaître les choses : une femme a le droit dans son contrat, de faire mentionner, qu’elle ne veut pas la polygamie, elle a le droit de le refuser islamiquement, mais le problème c’est que 90% des femmes ne le savent pas. Elles ne connaissent pas leur droit. Leur discrimination passe par l’ignorance, pas par le droit musulman en tant que tel. Quand j’étais au Sénégal devant la ministre de la santé, il y avait un parterre de femmes. C’était une grande mobilisation sur une journée pour la femme et j’étais interrogé sur ce sujet. Quand je lui ai dis cela, elle s’est tournée vers moi, et elle m’a dit "Je ne le savais pas, je suis ministre de la santé et je ne le savais pas". C’est ça le problème, c’est que la parole est confisquée par une tradition du discours islamique qui ne dit pas les réalités du droit offertes aux femmes de s’opposer à ces pratiques. Par exemple, à partir du VIIIe siècle, on parle du divorce demandé par une femme. Il peut être demandé par le simple fait, que le physique de son mari ne lui plaît pas ou qu’elle ne l’aime pas. Une femme peut le demander mais les femmes ne le savent pas et ce n’est pas pratiqué. Même dans la législation patriarcale influencée par la culture masculine, la culture masculine n’existe pas aujourd’hui. On a un vrai problème avec les femmes.

Troisième élément : L’accès à l’espace publique

Aujourd’hui, il y a une véritable difficulté à l’accès à l’emploi avec des lectures extrêmement rigides. Vous entendez donc, par la lecture littéraliste et traditionaliste, la place de la femme, c’est la demeure, c’est la maison, c’est là qu’elle est le mieux. Vous avez ce genre de discours. Vous savez également qu’un certain nombre de discours politiques du front musulman en Algérie disait : "On va envoyer les femmes à la maison et on leur donne un salaire". C’est

économiquement de la petite cuisine qui ne veut rien dire. Ce n’est pas en envoyant les femmes à la maison qu’on offre de l’emploi aux hommes. C’est tenir des propos comme l’extrême droite en France, qui dit "Quand on renverra les étrangers, il y aura plus de travail pour les Français", mais ce n’est pas vraiment le cas, car les français ne veulent pas faire le travail des étrangers, les hommes ne feront donc certainement pas le travail des femmes. Dans la réalité ça ne fonctionne pas, ce n’est pas un discours sérieux.

La lecture réelle des sources et de la pratique même de l’époque prophétique montre que les femmes avaient accès à l’espace publique et l’épouse même du prophète était commerçante. Celui qui fut son successeur a donné l’autorité sur le marché de Médine. C’est une vraie présence économique et on a fait totalement l’impasse sur cette présence sociale. Les lectures peuvent se pervertir. Il est vrai que dans la tradition islamique, la femme a un droit. Elle a le droit de faire sa vie sans se prendre en charge. C’est à dire qu’elle peut dire, " je n’ai pas envie de travailler" ses parents doivent la prendre en charge, et elle a le droit de dire à son mari : je n’ai pas envie de travailler, et s’il est pas content, il peut dire qu’il ne veut pas l’épouser, mais elle a le droit. Mais voyez comme la perversion de la lecture se fait, on a traduit le "elle a le droit" en "c’est une obligation de ne pas travailler". Ce n’est pas une obligation mais c’est un droit, c’est à dire que si j’avais une sœur et qu’elle vit le divorce elle peut se retourner vers tous ses frères elle peut dire, c’est votre devoir de subvenir à mes besoins et c’est un devoir pour toute la famille sur le plan légal. Psychologiquement, c’est là où on voit la diversité et parfois quand on a des débats entre musulmans, des fois ça chauffe à cause de cela, car on n’est pas d’accord sur ces points là.

Quatrième élément : l’accès à l’éligibilité

Vous avez entendu parler de la situation en Afghanistan, il était absolument exclu qu’une femme puisse faire de la politique ou puisse se présenter à un poste politique ; dans la majorité des sociétés musulmanes l’accès à la sphère politique est rendu beaucoup plus difficile pour les femmes. D’ailleurs de ce point de vue là, on a le même problème en Occident pour toutes les femmes confondues, musulmanes ou non. Dans les sociétés musulmanes c’est d’autant plus difficile, c’est une réalité car pendant longtemps le discours était, "est-ce qu’une femme peut être élue" ? Sur la base d’un certain nombre de versets ou plutôt des traditions prophétiques qui disent que une société ne fleurira jamais quand à sa tête une femme sera élue, certains prennent référence sur cette tradition et disent que cela n’est pas possible, on a donc des lectures littéralistes, et c’est un vrai problème.

Pendant les années 60-70, on avait des textes qui étaient les suivants : "Peut on élire une femme ?" c’est là que les choses ont évolué, il ne faut pas avoir une

approche essentialiste sur le plan religieux, il ne faut pas avoir une approche figée sur le plan historique. Comme en Asie par exemple, un certain nombre de femmes sont arrivées, au Bengladesh, au Pakistan, ce n’est pas encore idéal, mais c’est un mouvement. En Afrique, c’est une réalité aussi. Là où les choses sont arrêtées c’est plutôt dans le monde arabe, alors la question est de savoir si c’est islamique ou plutôt culturel ? C’est plutôt culturel, c’est pas véritablement islamique, mais c’est vrai qu’une lecture liée à la culture spécifique peut faire en sorte que les choses se rigidifient. Il y a un autre élément qu’il ne faut jamais perdre de vue, pour un certain nombre de courants de pensées et majoritairement dans la société du Sud et surtout la société musulmane du Sud ; c’est l’idée qu’il y ait une occidentalisation de la culture par la libération des femmes, raison pour laquelle pour éviter ou pour résister à cela, on est aussi plus rigide sur la question de la femme. On pense que c’est le noyau de la question de la femme. Il y a une différence entre promouvoir l’égalité des hommes et des femmes et la libération des femmes ou l’occidentalisation des femmes, et vous pouvez avoir l’impression que c’est évident mais dans le Sud ça ne l’est pas, on ne connaît pas l’intention du Nord, on ne la comprend pas toujours de cette façon, on ne comprend pas toujours la légitimité.

Quand j’étais au Niger, je me suis opposé dans un débat public sur la question de l’excision, ce n’est pas islamique, c’est inacceptable, des gens sont venus vers moi, et pas des moindres, des gens qui sont dans des université au Niger, qui me disaient : "Tu joues le jeu de l’occidentalisation, c’est l’Occident, ils veulent nous occidentaliser". Je leur ai dis non, le but ce n’est pas d’être critique envers eux parce qu’on a peur d’eux, c’est d’être critique vis à vis de nous, par dignité pour ce que l’on croit, vous imaginez donc… moi je viens de Suisse, je suis d’autant plus dangereux, derrière mon faciès du sud, j’aurais une mentalité du nord, c’est à ce niveau aussi que les tensions se créent entre musulmans.

Le dernier élément : L’indépendance économique

Les femmes sont souvent mises sous tutelle car elles n’on pas accès à l’emploi elles n’ont pas de ressources financières, elles sont dépendantes de l’homme. On justifie cela par le fait que l’homme aurait l’autorité de la famille ; là aussi, la femme a le droit de ne pas avoir à subvenir à ses besoins mais tout travail effectué par la femme sur le plan islamique est un revenu qui lui revient de plein droit et dont elle n’a de compte à rendre à personne. Un mari ne peut pas demander, ni combien elle a, ni comment elle dispose de son argent, c’est dans les textes ça ! "Tu n’as pas à me demander ce que j’ai fais avec mon argent". Et quand une femme travaille, elle doit donner son accord à l’homme et dire que cet argent sera utilisé pour le ménage parce que la femme pourrait le garder pour elle. C’est

une autonomie financière totale, et d’ailleurs une femme peut donner de la taxe purificatrice à son mari car lui ne peut pas lui en donner. Si vous étudiez le droit, c’est ça que ça veut dire réellement, mais pas besoin d’insister sur le fait que rien de tout cela n’existe aujourd’hui, ou seulement par situation exceptionnelle. Un exemple : La contraception est-elle permise en islam ? Certains disent non, ça n’existe pas, c’est une erreur. A l’époque du prophète, ils pratiquaient la contraception naturelle, ils l’acceptaient, les savants se sont arrêtés et ils se posaient la question de savoir si ils pouvaient faire cela. Et certaines thèses de savants posées comme fondées à partir du VIIIe et XIe siècles étaient : oui l’homme peut se retirer avant l’éjaculation afin d’éviter l’enfantement à une condition, c’est qu’il ait l’autorisation de son épouse, il ne peut pas le faire comme ça, car en se retirant il pourrait lui enlever deux droits, celui d’avoir du plaisir et celui d’avoir un enfant.

CONCLUSION

Par rapport à tous ces points où il y a problème, le discours, la famille, le travail, la dépendance financière, la société. Ma thèse c’est qu’une lecture des sources musulmanes permet de libérer les femmes de ces discriminations. La question et de savoir comment…

Que penser de la critique systématique de la situation de la femme et dans les textes musulmans et dans les sociétés musulmanes, ou de l’extérieur aussi en disant que cela ne correspond pas à tels et tels articles des droits de l’homme. On peut faire cela, et on a raison de relever des divergences avec des articles des droits de l’homme, mais finalement toutes les sociétés sont en contradiction avec l’idéal du texte et d’autant plus pour les sociétés musulmanes. Il faut avoir l’honnêteté de dire qu’on a un vrai problème.

Ma thèse, aujourd’hui, c’est que cette approche ne va toucher dans le monde musulman qu’une toute petite élite de femmes qui sont déjà en contact avec l’Occident et qui sont déjà capables de comprendre. Les féministes qui ont pu intégrer tout le débat occidental sur la question; ce n’est même pas le 0.5 % de la société musulmane. C’est une petite élite qui vit dans un univers et qui ne parle pas au nom de toutes les femmes. Si on veut parler entre élite, on peut continuer mais ça ne changera rien au monde musulman, on parlera, on fera de beaux congrès mais ça ne changera rien. Je ne délégitime pas cette approche mais ce n’est pas suffisant, ces femmes ont le droit et le devoir de parler mais ce n’est vraiment pas suffisant. Ce qu’il faut, c’est développer une véritable prise en charge de l’intérieur, ça prend plus de temps mais c’est plus efficace et ça touche beaucoup plus de gens. C’est à dire qu’il faut encourager et se mettre à étudier tous les

courants de femmes qui développent aujourd’hui quelque chose qui est un processus de libération dans et par l’Islam. Car il y a des femmes qui sont musulmanes et qui ne veulent par sortir de l’Islam, qui revendiquent leur droit à rester musulmane mais ce que vous dites de la religion n’est pas ce que dit la religion. C’est une lecture, c’est donc un processus de libération du féminisme islamique qui va vers l’expression d’une féminité musulmane. Aux Etats-Unis, en Europe, en Asie, en Afrique du Nord même en Afrique du Sud ces femmes disent, "non, on a pas pour vocation de nous occidentaliser, on a pour vocation de nous libérer". Vous ne pouvez pas sous prétexte d’avoir peur de l’occidentalisation

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