• Aucun résultat trouvé

attitudes pour quel monde ? Nicole AWAIS, PD Dr., Université de Fribourg et HEP-VS, Suisse

35. El 6 : Non c’est l’inverse

Dans les séances observées, on trouve encore deux occurrences dans la dimension globale de la responsabilité comme « répondre à » qui se situent lors des séances de préparation au débat. Les énoncés concernés font intervenir une pensée globale : ils contiennent à la fois la dimension sociale, la dimension économique et une forme de solidarité ad extra. En effet, les élèves soulignent que le pétrole est une ressource très usitée dans la vie courante, mais qu’elle n’est pas disponible partout et que sa rareté lui confère un prix particulièrement élevé et donc, qui n’est pas disponible pour tous. De là, la question qui apparaît dans la deuxième occurrence : que se passera-t-il lorsque cette ressource sera épuisée ? La question est par essence globale et systémique : il n’est pas possible d’y réfléchir sans mettre en lien les différents domaines, les différentes valeurs et les différentes parties du monde avec leurs situations extrêmement différenciées.

Répondre devant

La dernière dimension de la responsabilité est celle du « répondre devant » qui est assez difficile à observer dans le cadre scolaire : il s’agit de répondre devant les institutions et de prendre un engagement citoyen. Nous avons pu le faire deux fois : lors du débat et lors de travaux de groupes. Dans ce second cas, les élèves ont travail sur une thématique par groupe durant une séance, puis ils ont formés des groupes d’experts dans la deuxième séance. Dans ce cadre, les élèves ont dû rechercher des informations puis les transmettre à d’autres élèves. La topogenèse et la mésogenèse dans ce processus didactiques sont très différentes de celles que l’on a majoritairement trouvées jusqu’à maintenant. Les élèves doivent prendre en charge leur apprentissage : la dévolution est effectuée au début des travaux de groupes, lorsque l’enseignant précise les règles définitoires de l’action et demande aux élèves de déterminer et trier les informations qui leur paraissent pertinentes afin de les transmettre ensuite à leurs pairs. Les élèves sont autonomes relativement à la tâche qu’ils doivent exécuter dans le groupe et l’institutionnalisation se fait par les pairs lorsqu’ils décident ensemble des réponses qu’ils écrivent sur leur fiche. L’enseignant prend un rôle secondaire et répond à des questions ponctuelles. Toutefois, l’institutionnalisation de l’ensemble du travail se fait par l’enseignant lors du retour des travaux effectués par les élèves. À ce moment, une contre- dévolution se produit et le savoir retourne dans les mains de l’enseignant.

Conclusion

L’observation de ces pratiques enseignants a montré que certains énoncés d’élèves adolescents font preuve d’attitudes telles que la pensée critique et la responsabilité qui sont recherchées dans le cadre de l’éducation aux valeurs démocratiques. Les leçons dialoguées, les travaux de groupes et le débat plus particulièrement ont permis de mettre en valeur l’empathie, la

48 sollicitude, la solidarité et la tolérance des élèves. Ce fait est d’autant plus remarquable que ces attitudes ne sont pas toujours très perceptibles dans le cadre scolaire et que, déployée à large échelle, elle permettrait d’espérer que les élèves deviennent toujours plus des citoyens actifs et responsables et soutiennent les principes démocratiques de notre société.

Il est intéressant de noter que le processus didactique le plus souvent utilisé par les enseignants est celui de la leçon magistrale dialoguée où l’enseignant prend une posture de détenteur du savoir qui le transmet aux élèves. Les élèves répondent à ces questions, approfondissent leur pensée et l’enseignant valide les bonnes réponses. Dans ce cas, la topogenèse est celle de l’enseignement frontal ou magistral, elle correspond à la maïeutique philosophique qui cherche à faire se développer la pensée dans l’esprit de l’interlocuteur. Elle comprend deux points faibles : elle ne dit rien de ce qui se passe dans l’esprit des autres élèves et elle est dépendante de l’enseignant puisque l’élève n’a pas pris sa part de responsabilité face à son apprentissage, ou du moins il y a pris une part minime et peu active. On a souligné toutefois quelques exceptions où un élève change de posture et prend un rôle plus actif dans le jeu d’apprentissage, mais cela reste des exceptions.

Lors d’un débat que nous avons observé une seule fois, les élèves qui sont nommés débatteurs mobilisent certaines compétences et utilisent, transforment leurs connaissances, leurs savoir-faire pour dialoguer, répondre et rebondir face à leurs adversaires. Les connaissances amenées par les élèves sont le plus souvent tirées des documents à leur disposition, mais pas seulement : ils tissent des liens entre les différents arguments, ils donnent plus ou moins de force à certains arguments, à certaines de leurs valeurs, ils développent leurs capacités sociales. Or, comme nous l’avons vu, l’enseignant s’intéresse plus à la forme qu’au fond en suivant son cadre méthodologique strict. Il convient alors pour parvenir à une éducation aux valeurs d’assurer que le milieu concerne aussi bien celui de la technique du débat que celui des connaissances qui sont amenées et discutées.

La pensée critique se vérifie aussi par les jugements et des raisonnements moraux pertinents : les élèves mobilisent leur savoir, font preuve de tolérance et de respect à l’égard de leurs pairs, jugent les situations ou les actions de façon rationnelle et en fonction de leurs connaissances. Toutefois, il est impossible de s’assurer que tous les élèves aient pu atteindre ces capacités, ni qu’elles puissent ensuite être réinvesties dans d’autres sphères de la vie courante.

De notre analyse, il ressorti que les pratiques enseignantes ont permis l’émergence des attitudes recherchées, mais en partie par des glissements mésogénétiques provoqués par les élèves. Ce sont donc des méthodes qui peuvent permettre de faire émerger chez les élèves des attitudes de pensée critique et de responsabilité mais pour laquelle l’institutionnalisation des savoirs doit impérativement être mise en place pour permettre le développement des savoirs et des compétences visées par les « éducations à ».

Bibliographie

AUDIGIER, F. (1991). Enseigner la société, transmettre des valeurs. Revue française de pédagogie, (94), 37-48. AUDIGIER, F. (2011). Education en vue du développement durable et didactiques. Cahiers de la section des

sciences de l’éducation, (130), 47 71.

AUDIGIER, F., CRAHAY, M., & DOLZ (Éd.). (2006). Curriculum, enseignement et pilotage (1re éd.). Bruxelles: De BOECK.

AUDIGIER, F. (éd. ., Fink, N., Freudiger, N., & Haeberli, P. (2011). L’éducation en vue du développement durable:

sciences sociales et élèves en débats. Genève: Université de Genève, Faculté de psychologie et des

sciences de l’éducation.

AWAIS, N. (2015). Aux valeurs ! Conditions scolaires pour une émergence de la pensée critique et de la

responsabilité pour des adolescents. Paris: Edilivre.

BOURG, D. (2011, novembre). Après le développement durable ?. PPT présenté à Forum EDD, Lausanne. Consulté à l’adresse http://www3.unil.ch/wpmu/forumdd/files/2011/03/VE_D.Bourg_.pdf

49 CHARBONNEAU, J., & ESTÈBE, P. (2001). Entre l’engagement et l’obligation : l’appel à la responsabilité à l’ordre

du jour. Lien social et Politiques, (46), 5 15.

COQ, G. (2004). Valeurs et laïcité. In E. Prairat & B. Andrieu (Éd.), Les valeurs : savoir et éducation à l’école. Nancy: Presses universitaires de Nancy.

FORGES, R., DANIEL, M.-F., & BORGES, C. (2011). Le développement d’une pensée critique chez de futur-e-s enseignant-e-s en éducation physique et à la santé. Revue phénEPS, 3(3).

FORQUIN, J.-C. (2005). Valeurs. In P. Champy, C. Etévé, J.-C. Forquin, & A.-D. Robert (Éd.), Dictionnaire

encyclopédique pour l’éducation et la formation (3e éd., p. 1041 1045). Paris: Retz.

GAGNON, M. (2010). Regards sur les pratiques critiques manifestées par des élèves du secondaire dans le cadre d’une réflexion éthique menée en îlot interdisciplinaire de rationalité. McGill Journal of Education,

45(3), 463. http://doi.org/10.7202/1003573ar

GAGNON, M. (2011). Proposition d’une grille d’analyse des pratiques critiques d’élèves en situation de résolution de problèmes dits complexes. Recherches qualitatives, 30(2), 122 147.

HERTIG, P. (2011). Le développement durable : un projet multidimensionnel, un concept discuté. Formation et

pratiques d’enseignement en question, (13), 17 38.

HERVIEU-LÉGER, D. (2001). Le pèlerin et le converti : la religion en mouvement. Paris: Flammarion. JONAS, H. (2008). Le principe responsabilité : Une éthique pour la civilisation technologique. Flammarion. LANGE, J.-M., TROUVÉ, A., & VICTOR, P. (2007). Expression d’une opinion raisonnée dans les éducation à… :

quels indicateurs ? Actualité de la Recherche en Education et en Formation, 1 11. LEGRAND, L. (2005). Une école pour la justice et la démocratie. Paris: PUF.

LELEUX, C. (2006). Education à la citoyenneté - Tome 1: Les valeurs et les normes de 5 à 14 ans. Editions De Boeck.

LIGOZAT, F., & LEUTENEGGER, F. (2008). Construction de la référence et milieux différentiels dans l’action conjointe du professeur et des élèves. Le cas d’un problème d’agrandissement de distances.

Recherches en DIDACTIQUE DES MATHÉMATIQUES, 28(3), 319 378.

MORIN, E. (2006). La méthode. 6. Ethique. Paris: Éd. du Seuil.

MOUGIOTTE, A. (1998). Peut-on et à quelles conditions faire des valeurs un objet de savoir ? Revue de

Recherches en Education, 21, 191 197.

PERRENOUD, P. (1993). Curriculum : le formel, le réel, le caché. In J. Houssaye, La pédagogie : une encyclopédie

pour aujourd’hui (p. 61 76). Paris: ESF.

ROKEACH, M. (1979). Understanding human values : individual and societal. New York; London: The Free Press ; Collier Macmillan.

SCHUBAUER-LEONI, M. L., & LEUTENEGGER, F. (2005). Une relecture des phénomènes transpositifs à la lumière de la didactique comparée. Revue suisse des sciences de l’éducation, 27(3), 407 429.

SENSEVY, G. (2006). L’action didactique. Elements de théorisation. Revue suisse des sciences de l’éducation,

28(2), 205 225.

SENSEVY, G. (2011). Le sens du savoir. Eléments pour une théorie de l’action conjointe en didactique. Bruxelles: De Boeck.

SIMONNEAUX, J., TUTIAUX-GUILLON, N., & LEGARDEZ, A. (2012). Editorial : éducations à... et sciences sociales, perspectives des recherches francophones. Journal of Social Science Education, 11(4), 2 16.

50

Education à la biodiversité : finalités

et valeurs

Marco BARROCA-PACCARD, CREN, ESPE académie de la Loire/Université de Nantes.

Résumé

L'émergence du thème de la biodiversité dans le monde éducatif se réalise dans un contexte de tensions entre une biodiversité assimilée à la Nature conduisant à une position de protection naïve et techniciste et l’irruption des problématiques sociétales qui déstabilise les discours naturalistes. Il semble donc intéressant de chercher à réinscrire la biodiversité dans le champ des « éducations à ». Une éducation à la biodiversité nécessite un positionnement moral explicite permettant de construire autour des dimensions scientifiques, affectives et politiques un processus d’apprentissage et d’acculturation. L’analyse des valeurs de la biodiversité fournit un certain nombre de points d’appuis pour prendre en compte l’altérité du vivant et construire ensuite les dimensions scientifiques et sociétales de la protection de la biodiversité.

Mots clefs : biodiversité, nature, valeurs, éducation à Abstract

The emergence of the biodiversity theme in the world of education takes place in a context of tensions between biodiversity assimilated to nature protection leading to a technicist and naive position and the emergence of social issues that destabilizes the naturalistic approach. That’s why it seems interesting to try to register the biodiversity in the field of "éducations à". A biodiversity education requires an explicit moral position to build a process of acculturation with the scientific, political and emotional learning. The analysis of biodiversity’s values provides a number of support to take into account the otherness of living and then to build scientific and public dimensions of biodiversity.

51

Introduction

Depuis 2004, Quatre circulaires6 ont contribué à la généralisation d’une éducation à l’environnement et au développement durable qui est, depuis 2013, mentionné dans l'article L. 312- 19 du code de l'éducation. Cette généralisation s’est accompagnée d’une volonté de développer des méthodes transversales qui encouragent :

« les approches interdisciplinaires permettent la nécessaire prise en compte de la complexité des situations et des problématiques liées au développement durable. (…) Chaque discipline contribue, par ses contenus et ses méthodes, à construire les bases permettant de mettre en place les concepts liés au développement durable dans ses différents volets, environnemental, économique, social et culturel ; le croisement de ces apports disciplinaires permet d'en construire une approche globale.» (Circulaire n° 2015-018 du 4-2-2015).

C’est dans ce cadre de généralisation d’une éducation au développement durable que la biodiversité est apparue dans les dernières réformes des curricula français. Notion complexe et interdisciplinaire, elle a cependant été intégrée quasi-exclusivement dans le champ des sciences de la vie et de la terre (SVT). Une analyse curriculaire nous a permis de montrer les limites actuelles de cette intégration disciplinaire. L’analyse des instructions officielles de SVT montre que la biodiversité est très souvent associée à des savoirs orientés de façon naturaliste vers la classification du vivant, les dynamiques évolutives du vivant, et enfin de façon moindre, la gestion de la biodiversité (Barroca-Paccard, Orange-Ravachol et Gouyon, 2013). Il ressort nettement la coexistence de deux approches : d’un côté, une approche très disciplinaire aboutissant à une vision évolutive de la biodiversité et de l’autre, une vision anthropisée largement centrée sur la notion d’écosystème. Cette juxtaposition peut donner l’impression d’une dichotomie entre des connaissances disciplinaires et des exemples appliqués. Les programmes ainsi construits ne privilégient pas un regard critique sur ces savoirs et sur leur impact social.

L’analyse des manuels scolaires de collège et de lycée vient globalement confirmer cette analyse en mettant évidence une posture prudente et disciplinaire (Barroca-Paccard, 2015). La perception de l’action de l'Homme passe par des collections d’exemples qui centrent le discours dans la pratique ou l’action et développe une vision très fonctionnaliste où l'Homme est présenté comme gestionnaire.

Ainsi, l’étude des programmes et des manuels scolaires de collège et de lycée révèle un positionnement qui relève moins de la recomposition disciplinaire que d’un ajustement qui ne modifie pas l’approche disciplinaire de la diversité biologique. Pourtant

« (…) la prise d’importance des « Éducations à » dans les instructions officielles oblige à repenser les visées et le fonctionnement des enseignements disciplinaires, entre éducation et instruction d’une part, entre objectivation et subjectivisation des savoirs d’autre part. »

(Orange Ravachol, 2014).

Cette position n’est pas uniquement celle des chercheurs, la position institutionnelle qui a largement été

6

- MEN (2004). Généralisation d’une éducation à l’environnement pour un développement durable (EEDD) -

rentrée 2004. Circulaire n° 2004-110 du 8-7-2004 (disponible sur :

http://www.education.gouv.fr/bo/2004/28/MENE0400752C.htm).

- MEN (2007). Seconde phase de généralisation de l’éducation au développement durable (EDD). Circulaire n° 2007-077 du 29-3-2007 (disponible sur : http://www.education.gouv.fr/bo/2007/14/MENE0700821C.htm)

- MEN (2011). Troisième phase de généralisation de l’éducation au développement durable. Circulaire n° 2011- 186 du 24-10-2011 (disponible sur : http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=58234).

- MEN (2015). Instruction relative au déploiement de l'éducation au développement durable dans l'ensemble des écoles et établissements scolaires pour la période 2015-2018. Circulaire n° 2015-018 du 4-2-2015 (disponible sur :

52 celle de la neutralité7 commence à évoluer. Le rapport «l’enseignement de la biodiversité dans l’enseignement scolaire» remis en 2013 lors de la Conférence environnementale témoigne des limites de cette neutralité et précise qu’il faut « faire entrer la biodiversité dans les questions de morale (…) et donc modifier les rapports à la Nature chez les citoyens de demain » (Moret, 2013, p. 15).

Il semble donc intéressant de chercher à réinscrire la biodiversité dans le champ des « éducations à ». Mais avant d’aborder ce point, il est nécessaire de définir ce qu’est la biodiversité.

La notion de biodiversité

Le terme de biodiversité a connu depuis son apparition il y a plus de vingt ans un fort succès scientifique et médiatique. « "biodiversité" sonne maintenant comme un mot usuel, facile à utiliser, plein de sens pour tout un chacun, quel que soit son âge ou sa culture, bref, un mot simple, qui permet de parler de manière non équivoque de l'ensemble de la "diversité biologique" » (Le Guyader, 2008). Mais derrière l’apparente évidence de la biodiversité, se cache une réalité beaucoup plus complexe.

Quelques aspects essentiels de la notion de biodiversité

De nombreux auteurs ont souligné la difficulté voir l’impossibilité de définir la biodiversité de manière univoque (Aubertin, Boisvert et Vivien, 1998; Le Guyader, 2008...). Il apparaît donc qu’il y a plus d'une façon de considérer ce concept ou de le définir et que la biodiversité n’est pas la somme de tous les êtres vivants sur Terre. Au delà des aspects scientifiques, le concept de biodiversité conduit à porter un certain regard sur la diversité du vivant. Comme le souligne Yves Meinard « (…) s'intéresser à la biodiversité, ce n'est pas s'intéresser au tout de la réalité biologique, (…) La biodiversité est bien plutôt une part seulement de la réalité biologique, appréhendée sous un certain aspect. » (Meinard, 2010, p.21).

L’un de ces aspects les plus évidents est que la biodiversité naît en réaction à la prise de conscience de la crise environnementale. Le terme biodiversité est né lors de la préparation de la Convention on Biological Diversity (1992). Les différents événements internationaux comme le Millenium Ecosystems Assessment (2005) et la Décennie pour la biodiversité (mise en place par l'ONU pour la période 2011-2020) ont largement contribué à la médiatisation des menaces actuelles sur la biodiversité. Ils ont également produit des réflexions et des recommandations pour la protéger. Au-delà des enjeux scientifiques, la biodiversité porte donc en elle des dimensions politiques, économiques... Elle peut ainsi être considérée comme un concept hybride entre science et gouvernance (Girault et Alpe 2011).

Dans le même temps, le terme biodiversité est en lui-même lié à une prise de conscience de sa fragilité qui s’accompagne de l’émergence d’une inquiétude. Dès le début des années 80, destravaux ont mis en avant une crise de la biodiversité (Myers, 1979 ; Ehrlich and Ehrlich, 1981 cités par Mauz, 2011). Cette crise a été présentée comme une sixième extinction par analogie avec les 5 grandes crises paléontologiques majeures (Leakey et Lewin, 1995). Ainsi «La diversité biologique désigne, de façon neutre, une propriété du monde vivant, alors que le terme « biodiversité » problématise cette propriété. La biodiversité, c’est la diversité biologique menacée, qui s’offre à l’humanité comme objet de souci et de protection » (Maris 2010, p. 11).

Il en résulte que la biodiversité est un concept hybride né dans un contexte de prise de conscience d’une crise environnementale majeure. Ceci réinterroge le rapport Homme/Nature et en ce sens, il convient de préciser les valeurs que véhicule plus ou moins explicitement la biodiversité.

53

Les valeurs de la biodiversité

La protection de la biodiversité, par son polysémisme et son succès médiatique vient bien souvent remplacer dans les discours la protection de la nature (Raffin Jean-Pierre, 2005). Elle porte donc en elle la très longue histoire du rapport de l’Homme à la nature et son évolution dans le cadre du développement durable. Les racines philosophiques du paradigme actuel du développement durable se structurent autour de deux courants : le courant conservationniste et le courant préservationniste (Bergandi et Galangau-Quérat, 2008).

D’un côté, le courant conservationniste défendu par Gifford Pinchot qui considère la nature en terme de ressources naturelles qu’il faut gérer. La biodiversité a alors une valeur instrumentale c’est à dire qu’elle est « un moyen, au service d’une fin » (Larrere, 2002, p71). L’ensemble des traités internationaux se positionne clairement dans cette perspective(Bergandi et Galangau-Quérat, 2008) notamment via le développement de la notion de services écosystémiques. Bien que défini dès les années 1970 comme « les bénéfices que les êtres humains tirent des écosystèmes », les services écosystémiques se sont développés récemment dans une approche utilitariste qui a ouvert la voie à l’émergence d’une logique financière visant à faire payer les coûts liés à l’utilisation de la biodiversité en fonction des services qu’elle rend (ceci est notamment développé dans le Millenium Ecosystems Assessment de 2005) (Serpantié, Méral et Bidaud, 2012).

De l’autre, le courant préservationniste, porté par John Muir, qui correspond à une vision romantique et non-utilitariste de la nature, ainsi qu’à une relation plus équilibrée entre les hommes et la nature. Dans ce cadre, on peut considérer que la biodiversité porte une véritable valeur intrinsèque en ce sens qu’elle est « une fin en soi » (Larrere, 2002, p.71). Si cette approche permet d’échapper à l'utilitarisme économique, la valeur intrinsèque porte parfois à confusion aboutissant alors à une vision naïve où la biodiversité apparaît comme quelque chose de totalement positif que l’Homme menace par la destruction des habitats, l’introduction d'espèces nouvelles…

En plus de ces valeurs instrumentales et intrinsèques, il est possible de définir une valeur esthétique à la biodiversité. Cette valeur esthétique est relationnelle car elle n’existe que par le regard d’un observateur et elle est largement subjective. Ce qui est esthétique n'est pas tant l'objet en soi, mais la relation subjective que l'on entretient avec cet objet (Schaeffer, 1996). Selon le philosophe Allen Carlson (2007/2015), l’expérience de la nature peut être émotionnelle (comme le sentiment de bien être que procure le chant des oiseaux au petit matin) mais aussi cognitive. En effet, si l’on considère