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Ce n’eft que depuis peu d’années qu’on a ofé en France produire des tragédies prcphanes fans

Dans le document [Oeuvres de Mr. de Voltaire]. T. [26] (Page 63-81)

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C c i t e m n e s t r e .

Vos foins ont-ils tout préparé ?

A g a m e m n o n .

Calchâs eft prêt, madame, & l’autel eft paré 5 J ’ai fait ce que m’ordonne un devoir légitime,

C l i t e m n e s t r e .

Vous ne me parlez point, feigneur, de la victime.

t Ces m ots, vous ne me parlez point de la vlclimé, ne font pas affurément dans Euripide. O11 fait de quel fublitne eft le relie de la fcène , non pas de ce fublime de déclamation ; non pas de ce fublime de penfées recherchées, ou d’expreflions gigantef- ques , mais de ce qu’une mère au defefpoir a de plus pénétrant & de plus terrible , de ce qu’une jeune princefle qui fent tout fon m alheur, a de plus touchant & de plus noble : après q u o i, Achille dé­ ployé la fierté , l’indignation , les menaces d’un hé­ ros irrité, fans qu’Agamemnon perde rien de fa di­ gnité ; & c’était-là le plus difficile.

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f t Jamais Achille n’a été plus Achille que dans cette tragédie. Les étrangers ne poliront pas dire de lui ce qu’ils difent d’Hippolite , de Xîphares , d’ Antio- chus roi de Comagène, de Bajazet même ; ils les appel­ lent , monfieur Bajazet, monjîeur Antiochus , monjîeur Xiphares, monjîeur Hîppolite ; & , je l’avoue, ils n’ont pas tort. Cette faibleffe de Racine eft un tribut qu’il a payé aux mœurs de fon tem s, à la galanterie de la cour de Louis X I V , au goût des romans qui avaient infedé la nation ; aux exemples même de Corneille qui ne compofa jamais aucune tragédie fans y mettre de l’amour , & qui fit de cette paillon le principal reffort de la tragédie de Po'yeuMe confef- feur & m artyr, & de celle d’Attila roi des H uns, & de Ste. Théodore qu’on proftitue.

Ce n’eft que depuis peu d’années qu’on a ofé en

France produire des tragédies prcphanes fans

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terie. La nation était fi accoutumée à cette fadeur, qu’au commencement du fiécle où nous fommes, on reçut avec applaudilfement une EleBre amoureufe & une partie quarrée de deux amans & de deux maîtreffes dans le fujet le plus terrible de l ’anti­

quité , tandis qu’on fifflait l ’EleBre de Longepierre, non-feulement parce qu’il y avait des déclamations à l’antique , mais parce qu’on n’y parlait point d’amour.

Du tems de Racine, & jufqu’à nos derniers tems, les perfonnages effentiels au théâtre étaient Y amou­ reux & Y amoureufe , comme à la foire Arlequin & Colombine. Un aéteur était reçu pour jouer tous les amoureux.

Achille aime Iphigénie, & il lé doit ; il la regarde comme fa femme , mais il eft beaucoup plus fier, plus violent qu’il n’eft tendre ; il aime comme Achille doit aimer , & il parle comme Homère l ’aurait fait parler s’il avait été Français.

A c t e c i n q u i è m e .

Mr. Luneau de Boisjermain , qui a fait une édi­ tion de Racine avec desj commentaires , voudrait que la cataftrophe d’Iphigénie fût en aètion fur le théâ­ tre. ,, Nous n’avons , dit-il, qu’un regret à former, „ c’eft que Racine n’ait point compofé fa pièce „ dans un tems où le théâtre fût comme

aujour-d’hui , dégagé de la foule des fpeétateurs, qui 3, inondaient autrefois le lieu de la fcène ; ce poète „ n’aurait pas manqué de mettre en action la cataf- 3, trophe , qu’il n’a mife qu’en récit. On eût vu J, d’un côté un père confterné , une mère éperdue, „ vingt rois en fufpens, l’a u te l, le bûcher, le prê- 3, tre , le couteau, la viétime : eh ! quelle viétime ! de „ l’autre , Achille menaçant, l’armée en émeute , le i 3, fang de toutes parts prêt à couler ; Eriphile alors : g . J3 ferait furvenue ; Calchas l’aurait défignée pour l’u- . r

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i ,, nique objet de la colère célefte ; & cette princefle

s’emparant du couteau facré , aurait expiré bien- „ tôt fous les coups qu’elle fe ferait portés. K

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Cette idée paraît plaufible au premier coup d’œil. C’eft en elfet le fujet d’un très beau tableau, parce que dans un tableau on ne peint qu’un inftant ; mais il ferait bien difficile que fur le théâtre, cette action qui doit durer quelques momens, ne devînt froide & ridicule. Il m’a toujours paru évident que le vio­ lent Achille l’épée nue , & ne fe battant p o in t, vingt héros dans la même attitude comme des perfonna- ges de tapifferie , Agamemnon roi des rois n’impo- fant à perfonne , immobile dans le tum ulte, forme­ raient un fpeétacle allez femblable au cercle de la reine en cire colorée par Benoit,

Il eft des objets que l ’art judicieux Doit offrir à l’oreille & reculer des yeux.

Il y a bien plus ; la mort à’Eripbile glacerait les fpeétateurs au-lieu de les émouvoir. S’il eft permis de répandre du fang fur le théâtre , ( c e que j’ai quelque peine à croire ) il ne. faut tuer que les per- fonnages auxquels on s’intéreffe, C’eft alors que le cœur du fpectateur eft véritablement ému , il vole au - devant du coup qu’on va porter, il faigne de la blelfure , on fe plait avec douleur à voir tomber Zaïre fous le poignard d’ Orofmane dont elle eft ido­ lâtrée. T u ez fi vous voulez ce que vous aim ez, mais ne tuez jamais une perfonne indifférente ; le public fera très indifférent à cette mort ; on n’aime point du tout Eriphik. Racine l’a rendue fupporta- ble jufqu’au quatrième acte ; mais dès qu’Iphigénie eft en péril de mort , Eriphik eft oubliée & bientôt haïe : elle ne ferait pas plys d’effet que la biche de Diane,

: On m’a mandé depuis peu , qu’on avait effayé à i : Paris le fpeétacle que Mr. Lune au de Boisjermain

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avait propofé , & qu’il nia point réuffi. Il faut favoir qu’un récit écrit par Racine eft fupérieur à toutes les actions théâtrales.

D’ A T H A L I E.

Je commencerai jwr dire à’Atbalie que c’eft-là que la cataftrophe eft admirablement en adion. C’eft-là que fe fait la reconnaiflancé la plus intéréffante ; chaque acteur y joue un grand rôle. On ne tue point Athalie fur le théâtre ; le fils des rois eft fauve, & eft reconnu roi : tout ce fpedacle tranfporte les fpectateurs.

Je ferais ici l’éloge de cette pièce , le chef-d’œu­ vre de l’efprit humain, fi tous les gens de goût de l’Europe ne s’accordaient pas à lui donner la préfé­ rence fur prefque toutes les autres pièces. On peut condamner le caradère & l’action du grand-prêtre Joad ; fa confpiration , fon fanatifme peuvent être d’un très mauvais exemple ; aucun fouverain , de­ puis le Japon jufqu’à N aples, ne voudrait d’un tel pontife ; il eft fadieux , infolent, enthoufiafte, inflexi­ ble , fanguinaire ; il trompe indignement fa reine , il fait égorger par des prêtres , cette femme âgée de quatre-vingt an s, qui n’en voulait certainement pas à la vie du jeune Joad, qu'elle voulait élever comme fon -propre fils.

J’avoue qu’en réfléchilfant fur cet événement, on peut détefter la perfonne du pontife ; mais on ad­ mire l’auteur, on s’affujettit fans peine à toutes les idées qu’il préfente , on ne p en fe, .on ne fent que d’après lui. Son fujet d’ailleurs refpedable ne per­ met pas les critiques qu’on pourait faire , fi c’était un fujet d’invention. Le fpedateur fuppofe avec Ra­ cine , que Joad eft en droit de faire tout ce qu’il i fait ; & ce principe une fois p o fé, on convient que ; • : la pièce eft ce que nous avons de plus parfaitement j •

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conduit, de plus fimple & de plus fublime. Ce qui ajoute encor au mérite de cet ouvrage, c’eft que de tous les fu jets, c’était le plus difficile à traiter.

On a imprimé avec quelque fondement que Racine avait ÿnité dans cette pièce plufieurs endroits de la tragédie de la Ligue , faite par le confeiller d’état M athieu, hiftoriographe de France fous Henri I V , écrivain qui ne faifait pas mal des vers pour fon tems. Confiance dit dans la tragédie de M athieu,

Je redoute mon Dieu ; c’eft lui feul que je crains.

t On n’eft point délaiffé quand on a Dieu pour père.

Il ouvre à tous la main, il nourrit les corbeaux; Il donne la pâture aux jeunes palïereaux, Aux bêtes des Forêts , des prés & des montagnes ; Tout vit de fa bonté.

Racine d it ,

Je crains Dieu , cher Abner , & n’ai point d’autre ci» inte. Dieu laiiïa-t-il jamais fes enfans au befoin ?

Aux petits des oifeaux il donne leur pâture , Et fa bonté s’étend fur toute la nature.

Le plagiat paraît fenfible, & cependant ce n’en eft point un ; rien n’eft plus naturel que d’avoir les mêmes idées fur le même fujet. D’ailleurs, Racine & Mathieu ne font pas les premiers qui ayent expri­ mé des penfées dont on trouve le fond dans plu­ fieurs endroits de l ’Ecriture.

Des ch efs-dœ u v r e t r a g iq u e s f r a n ç a is.

; Qu’oferait-on placer parmi ces chefs-d’œuvre , re- i connus pour tels en France & dans les autres p ays, après Iphigénie & Athalie ? nous mettrions une grande

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partie de Cinna , les fcènes fupérieures des Horacex , du Cid , de Pompée , de Polymcle ; la fin de Rodo- gune j Ië rôle parfait & inimitable de Phèdre qui l’em­ porte fur tous les rôles, celui d’Acomat auiR beau en fon gen re, les quatre premiers actes de Britanni- cus , Andromaqtte toute entière , à une fcène près de pure coquetterie. Les rôles tout entiers de Roxane & de Monime, admirables l’un & l’autre dans des genres tout oppofés , des morceaux vraiment tragi­ ques dans quelques autres pièces ; mais après vingt bonnes tragédies , fur plus de quatre m ille, qu’avons- nous ? Rien. Tant mieux. Nous avons dit ailleurs, Il faut que le beau foit rare , fans quoi il eefferait d’être beau,

C O M É B I E.

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En parlant de la tragédie, je n’ai point ofé don­ ner de règles ; il y a plus de bonnes differtations que I de bonnes pièces ; & fi un jeune homme qui a du génie veut connaître les règles importantes de cet : a r t , il lui fuffira de lire ce que Boileau en dit dans fon art poétique, & d’en être bien pénétré : j ’en dis autant de la comédie*

J’écarte la théorie , & je n’irai guères aij-deîà de l’hiftorique. Je demanderai feulement pourquoi les Grecs & les Romains firent toutes leurs comédies en v e rs , & pourquoi les modernes ne les font fouvent qu’en profe ? N’eft-ce point que l’un eft beaucoup plus aifé que l’autre , & que les hommes en tout genre veulent réuflir fans beàucoup de travail ? Fe- nelon fit fon Télémaque en profe , parce qu’il ne pou» yait le faire en vers.

L ’abbé d’Aubignac, qui comme prédicateur du roi fe croyait l ’homme le plus éloquent du royaume, & qui pour avoir lu la poétique d’Ariflote , penfait être i.e maître de Corneille, fit une tragédie en profe, dont

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la repréfentation ne put être achevée, & que jamais perfonne n’a lue.

La. Motte s’étant laide perfuader que fon efprit était infiniment au-deffus de fon talent pour la poëfie, demanda pardon au public de s’être abaiffé jufqu’à faire des vers. Il donna une ode en profe, & une tragédie en profe ; & on fe moqua de lui. Il n’en a pas été de même de la comédie, Molière avait écrit fon Avare en profe , pour le mettre enfuite en vers ; mais il parut fi bon que les comédiens voulurent le jouer tel qu’il était , & que perfonne n’bfa depuis y toucher.

Au contraire, le Convive de Pierre , qu’on a fi mal­ à-propos appellé le FejHn de Pierre, fut verfifié après la mort de Molière par Thomas Corneille , & eft tou­ jours joué de cette façon.

Je penfe que perfonne ne s’avilira de verftfier le George Dandin. La diction en eft fi naïve, fi plai- fante, tant de traits de cette pièce, font devenus pro­ verbes , qu’il femble qu’on les gâterait fi on voulait les mettre en vers.

Ce n’efi pas peut-être une idée fàufïe de penfer qu’il y a des plaifanteries de profe & des plaifante- ries de vers. Tel bon co n te, dans la converfatïon , deviendrait infipide s’il était rimé ; & tel autre ne réul- lira bien qu’en rimes. Je penfe que monfieur & ma­ dame de Sottenvîlle, & madame la comteffe â’Efmr- bagnas , ne feraient point fi plaifans s’ils rimaient, Mais dans les grandes pièces remplies de portraits, de maximes, de récits, & dont les perfonnages ont des caractères fortement delfinés, tel que le Mifan- trope , le Tartuffe , VEcole des femmes , celle des ma­ ris , les Femmes favantes , le Joueur, les vers me paraiffent abfblument néceflâires ; & j ’ai toujours été de l’avis de Michel M ontagne, qui d it, que la fey-

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tence , prejjee aux pieds nombreux^ de la poefîe , enlève fon ame d’une plus rapide fecoujfe.

Ne répétons point ici ce qu’on a tant dit de Mo- Hère ; on fait allez que dans fes bonnes p iè ce s,il eft au-deflus des comiques de toutes les nations ancien­ nes & modernes. Defpréaux a d it ,

AuEB-tôt que d’un trait de fes fatales mains , La parque l’eut rayé du nombre des humains, On reconnut le prix de fa mufe éclipfée. L’aimable comédie , avec lui terraflee , En vain d’un coup fx rude efpéra revenir, Et fur fes brodequins ne put plus fe tenir.

Put p lu s, eft un peu rude à l ’oreille, mais Boileau avait raifon.

Depuis 16 7 5 , année dans laquelle la France perdit Molière , on ne vit pas une feule pièce fupportable jufqu’au Joueur du tréforier de France Regnard, qui fut joué en 1697 ; & il faut avouer qu’il n’y a eu que lui fe u l, après Molière , qui ait fait de bonnes comé­ dies en vers. La feule pièce de caractère qu’on ait eue depuis l u i , a été le Glorieux de Dejloucbes , dans laquelle tous les perfonnages ont été généralement ap­ plaudis , excepté malheureufement celui du glorieux, qui eft le fujet de la pièce.

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Rien n’étant fi difficile que de Faire rire les hon­ nêtes gen s, on fe réduifit enfin à donner des comé­ dies romanefques,quî étaient moins la peinture fidelle des ridicules que des effais de tragédie bourgeoife ; ce fut une efpèce bâtarde qui n’étant ni comique ni tragique , manifeftait l’impuiffance de faire des tra­ gédies & des comédies. Cette efpèce cependant avait un mérite , celui d’intéreffer ; & dès qu’on intéreffe on eft fur du fuccès. Quelques auteurs joignirent aux talens que ce genre exige , celui de femer leurs

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ces de vers heureux. Voici comme ce genre s’intro, duifit.

Quelques perfonnes s’amufaient à jouer dans un châ­ teau de petites comédies , qui tenaient de ces farces qu’on appelle parade! : on en fit une en l’année 1752 , dont le principal perfonnage était le fils d’un négo­ ciant de Bordeaux , très bon homme & marin fort gruilier, lequel croyant avoir perdu fa femme & fon fils, venait fe remarier à Paris, après un long voyage dans l’Inde.

Sa femme était une impertinente qui était venue faire la grande dame dans la capitale, manger une grande partie du bien acquis par fon m ari, & marier fon fils à une demoifelle de condition. Le fils, beau- : coup plus impertinent que la m ère, fe donnait des j , airs de feigneur ; & fon plus grand air était de mé- 1 i prifer beaucoup fa femme, laquelle était un modèle

de vertu & de raifon. Cette jeune femme l’accablait ^ de bons procédés fans fe plaindre , payait fes dettes fecrétement quand il avait joué & perdu fur fa pa­ role ; & lui faifait tenir des petits préfens très galans fous des noms fuppofés. Cette conduite rendait notre jeune homme encor plus fat ; le marin revenait à lq fin de la p iè c e , & mettait ordre à tout,

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Une aétrice de P aris, fille dp beaucoup d’ efp rit, nommée Mlle. Q iiinault, ayant vu cette farce , con­ nut qu'on en pourait faire une comédie très intérêt fante, & d’un genre tout nouveau pour les Français, en expofant fur le théâtre le contrafte d’un jeune homme qui croirait en effet que c’eft un ridiçule d’ai­ mer fa femme ; & une époufe refpeftable , qui for­ cerait enfin fon mari à l’aimer publiquement. FUe preffa l’auteur d’en faire une pièce régulière , noble­ ment écrite ; mais ayant été refufée , elle demande permiffion de donner ce fujet à Mr. de la. Chauffée , jeune homme qui faifait fort bien des vers , & qui

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avait de la correétion dans le ftile. Ce fut ce qui valut au public le Préjugé à la mode.

Cette pièce était bien froide après celles de Molière & de Regnard ; elle reffemblait à un homme un peu pefant qui danfe avec plus de jufteffe que de grâce. L’auteur voulut mêler la plaifanterie aux beaux fen- timens ; il introduifit deux marquis qu’il crut comi­ ques , & qui r.e furent que forcés & infipides. L ’un dit à l’autre :

Si la même maîtrefie eft l’objet de nos vœux, L’embarras de choifir la rendra plus perplexe. Ma fo i, marquis, îl faut prendre pitié du fexe.

Ce n’eft pas ainfi que Mo'ière fait parler fes per- fonnages. Dès-lors le comique fut banni de la comé­ die. On y fubftitua le patétique ; on difait que c’était par bon goû t, mais c’était par fterilité.

Ce n’eft pas que deux ou trois fcènes patétiques ne puiffent faire un très bon effet. Il y en a des exem­ ples dans Tevence ; il y en a dans Molière i mais il faut après cela revenir à la peinture naïve & plaifante des mœurs.

On ne travaille dans le goût de la comédie lar­ moyante que parce que ce genre eft plus aifé , mais cette facilité même le dégrade ; en un mot les Fran­ çais ne furent plus rire.

Quand la comédie fut ainfi défigurée, la tragédie le fut auffi : on donna des pièces barbares , & le théâ­ tre tomba ; mais il peut fe relever.

D e l’ o p É R A.

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C’eft à deux cardinaux que la tragédie & l’opéra doivent leur établiffement en France ; car ce fut fous Richelieu que Corneille fit fon apprentiffage , parmi les

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cinq auteurs que ce miniftre faifaîc travailler comme des commis aux drames , dont il Formule le plan , & où il glifiait fouvent nombre de très mauvais vers de Fi F qon : & ce Fut lui encor qui ayant perFecuté le CAi, eut le bonheur d ’infpirer à Corne;'lk ce noble dépit & cette génereufe opiniâtreté qui lui fit compo- fer les admirables Fcènes des Borates & de Cmna.

Le cardinal M xzxrhi fit connaître aux Français l’o­ péra, qui ne Fut d’abord que ridicule, quoique le miniC- tre n’y travaillât point.

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Ce Fut en 1647 fiu’îl fit venir pour la première Fois une troupe entière de muficiens Italiens , des déco­ rateurs & un orcheftre ; on repréfenta au Louvre la tragi-comédie d'Orphée en vers italiens & en mufi-

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