• Aucun résultat trouvé

Partie III : Les champs électriques pulsés

2. Effets sur un tissu en trois dimensions : sphéroïdes et tumeurs

a. Électroperméabilisation en 3D

Bien que le modèle à l’échelle de la cellule unique ait permis de décrire les mécanismes fondamentaux régissant l’EP et le transfert de molécules, ce modèle reste limité pour la prédiction de la réponse d’un tissu. La situation est plus complexe dans les tissus qui sont composés de multiples cellules, en contact les unes avec les autres, et qui présentent une hétérogénéité dans leur composition incluant divers types cellulaires aux conductivités différentes, de la matrice extracellulaire de différentes natures, ainsi qu’un réseau vasculaire. Tous ces facteurs ont une influence sur la densité de courant et la distribution du champ électrique.

L’efficacité de l’EP d’un tissu reposent essentiellement sur la distribution du champ électrique au sein du tissu, dépendante de la géométrie des électrodes utilisée et des propriétés électriques du tissu (Miklavcic et al. , 1998). Un des problèmes majeurs rencontrés est la distribution inhomogène du courant et du champ électrique dû à l’anisotropie du tissu. Des modèles numériques en 3D ont été développés pour prédire la distribution du champ électrique dans les tumeurs (Corovic et al. , 2013; Pavselj et al. , 2005; Šemrov and Miklavcic, 2000). Les valeurs de conductivité spécifique des tissus ainsi que les valeurs de champ électrique seuil, déterminées expérimentalement, sont introduites dans ces modèles. Les données expérimentales obtenues et les données des simulations étaient en accord. Ainsi, afin de prédire au mieux la réponse du tissu et l’influence des grandeurs physiques sur l’efficacité de l’EP, ces simulations numériques peuvent être réalisées et constitue un bon outil de prédiction.

Les études d’EP sur des sphéroïdes de cellules cancéreuses ont montré que toutes les cellules du sphéroïde, même celles présentes au centre, sont efficacement perméabilisées sous l’application d’un champ électrique pulsé (Wasungu et al. , 2009) (Figure 29). Ceci est toutefois dépendant des lignées cellulaires utilisées puisque chaque type cellulaire présente des formes différentes et ne s’organisent pas de manière similaire en trois dimensions. Ainsi les paramètres électriques ne seront sensiblement pas les mêmes d’un type cellulaire à un autre pour obtenir une EP efficace. De plus, la sensibilité vis-à-vis des champs électriques pulsés est également dépendante de la taille des sphéroïdes (Gibot and Rols, 2013a). La croissance des sphéroïdes à un stade assez précoce (300 µm de diamètre) se voit plus affectée par les champs électriques pulsés que pour des sphéroïdes de taille plus avancée (650 µm). Ceci a été expliqué par Canatella et ses collaborateurs (Canatella et al. , 2004), qui ont étudié la répartition du

93

champ électrique au sein de sphéroïde et ont montré que cette dernière était hétérogène dû, entre autres, à l'influence des cellules voisines qui induisent des propriétés électriques différentes au sein du microtissu. Ceci est associé avec un électrotransfert des hétérogène au sein du sphéroïde. L’électrotransfert se limite uniquement aux cellules en périphérie du sphéroïde (Gibot and Rols, 2013b; Wasungu et al. , 2009).

Il a également été montré que les jonctions cellule-cellule ont une influence sur la réponse à l’EP puisque deux cellules en contact se comportent comme une seule grande cellule (Fear and Stuchly, 1998; King, 2001).

Figure 29 : Visualisation des cellules perméabilisées au sein d’un sphéroïde de cellules de fibrosarcome murin (LPB). L’iodure de propidium est utilisé pour marquer et visualiser les cellules perméabilisées (rouge). Les

images de fluorescence représentent une projection 3D de 15 sections optiques (140 µm de profondeur). L’image de gauche représente la projection sur l’axe X–Y, et l’image de droite représente la projection sur l’axe Z. Echelle : 200 µm. Figure adaptée de (Wasungu et al. , 2009) .

b. Microenvironnement tumoral

La matrice extracellulaire (MEC) tumorale représente une barrière physiologique pour l’administration de petites molécules anti-cancéreuses ou de plus grosses molécules tel que des anticorps (Grantab et al. , 2006; Tannock et al. , 2002). Plus particulièrement dans le cas des immunothérapies ou thérapies géniques pour lesquelles le poids moléculaire des molécules à délivrer à la tumeur est élevé.

De la même façon, il a été montré que les propriétés histologiques des tumeurs (MEC, densité cellulaire et organisation des cellules) modulent l’efficacité de l’électrotransfert de gène. Mesojednik et ses collaborateurs ont montré que les tumeurs (dites molles) composées de larges cellules rondes, et dont la MEC contient peu de protéoglycanes et de collagènes sont plus

94

efficacement transfectées que des tumeurs plus rigides au contenu cellulaire dense (petites cellules plus allongées), riche en protéoglycanes et collagène (Mesojednik et al. , 2007). Zaharoff et al ont corrélé l’électromobilité de l’ADN plasmidique dans différents types de tumeurs avec le contenu en collagène : le plasmide était 4 fois plus mobile pour le mélanome B16 F10 que pour le sarcome 4T1 contenant huit fois plus de collagène (Zaharoff et al. , 2002). Ainsi, une bonne connaissance des propriétés histologiques des tumeurs est donc requise pour planifier au mieux la transfection de molécules médiées par l’EP.

c. Perméabilité des vaisseaux sanguins

Les effets des champs électriques sur les vaisseaux sanguins ont été mis en évidence chez la souris, dans la tumeur et dans la patte (Gehl et al. , 2002; Serŝa et al. , 1998). Le modèle de la chambre dorsale combiné à la microscopie intravitale pour l’observation du système vasculaire in vivo (Baron et al. ; Palmer et al. , 2011) a permis une meilleure compréhension de l’effet de l’EP sur les vaisseaux. Une réduction du diamètre des vaisseaux sanguins, c’est-à- dire un phénomène de vasoconstriction, est notable dans les secondes suivant l’application du champ et qui perdure pendant quelques minutes (~8 minutes après l’EP) (Markelc et al. , 2018). Ceci provoque alors une diminution de l’écoulement sanguin aussi appelée le « vascular lock » (Sersa et al. , 2008). Une augmentation de la perméabilité des vaisseaux est également engendrée par l’EP, ceci a été mis en évidence en suivant le devenir de molécules fluorescentes (dextran couplé au FITC, 70 kDa) dans les vaisseaux (Bellard et al. , 2012; Corovic et al. , 2015). Une fuite de ces molécules est observable dans les minutes suivant l’EP (Figure 30). Ce phénomène est réversible mais peut tout de même durer jusqu’à une heure après l’application du champ. La restauration du flux sanguin se fait plus lentement pour les vaisseaux sanguins tumoraux que pour les vaisseaux normaux (Gehl et al. , 2002).

95

Figure 30 :Suivi après EP du flux de molécules fluorescentes injectées en intra-veineux dans les vaisseaux sanguins. Barre d’échelle : 1 mm. Figure issue (Bellard et al. , 2012).

La modification de la perméabilité des vaisseaux sanguins induites par l’EP est directement contrôlée par des changements dans la contractilité cellulaire et les jonctions cellule-cellule. En effet, une étude in vivo a montré que la vasoconstriction des vaisseaux après l’application du champ électrique est corrélée avec un changement dans la forme des cellules endothéliales des vaisseaux (Markelc et al. , 2018). De même l’augmentation de perméabilité des vaisseaux qui s’en suit s’accompagne d’une disruption des protéines PECAM-1 ou CD31 impliquées dans les jonctions des cellules endothéliales. Un retour à l’état initial du marquage de CD31 a été observé dans 50% des cas, et requiert 90 minutes après le traitement (Figure 31). De plus, la restauration de la perméabilité fait intervenir les plaquettes aux endroits les plus perméabilisés.

Figure 31 : Changement induit par l’EP sur les jonctions cellulaires CD31 dans les différents types de vaisseaux. CD31 est marqué en rouge ici. Le volume de CD31 a été mesuré pendant les 90 minutes suivant le

96

traitement. Les volumes obtenus sont normalisés avec le contrôle (ligne pointillé). Le groupe « EP_return » représente les souris pour lesquels une restauration du marquage de CD31 s’est mise en place à partir de 30 minutes et jusqu’à 90 minutes (restauration complète pour les veinules et les capillaires). Le groupe « EP_no return » représente les souris qui n’ont pas eu de restauration (50% des cas). Barre d’échelle : 50μm. Moyenne ± SEM. P<0.05. Figure adaptée de (Bellard et al. , 2012).

La perméabilisation, réversible ou irréversible, des membranes ; les effets sur la cellule et sur les tissus médiés par l’application des champs électriques pulsés que nous venons de décrire sont des phénomènes qui ont été exploités pour le développement de thérapies basées sur l’EP. Ces stratégies thérapeutiques comprenant l’électrochimiothérapie, l’électrogénothérapie et l’ablation tumorale seront décrites dans la section suivante.