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Effets des pratiques de gestion sur les communautés adventices et leur développement

Introduction générale

3. Effets des pratiques de gestion sur les communautés adventices et leur développement

Les espèces adventices sont caractéristiques des milieux perturbés et les parcelles agricoles sont un de leurs principaux habitats. Cependant, les milieux agricoles sont très divers en ce qui concerne le type et l’intensité des pratiques agricoles mises en place (par ex. système en labour ou semis direct, agriculture biologique ou conventionnelle). Ainsi, la culture, les pratiques mises en place et l’historique de la parcelle vont fortement influencer les communautés adventices en termes de capacité à s’établir et à se maintenir (Fried et al., 2009a). De plus, la parcelle n’est pas un habitat homogène, mais est composée de différentes zones plus ou moins impactées par les pratiques et le paysage environnant (Figure 8). On peut notamment citer l’intérieur de la parcelle (plein champ) et l’interface entre la parcelle et la bordure (Marshall and Moonen, 2002). Cette dernière, correspondant à la bande étroite située entre le premier rang de semis et la bordure herbacée, est généralement caractérisée par des perturbations moins intenses et des interactions plus importantes avec le paysage avoisinant. L’interface abrite donc généralement une communauté adventice différente du plein champ. A l’échelle d’une parcelle cultivée, on trouvera ainsi des communautés différenciées, et cette différenciation sera à considérer dans l’évaluation de la fourniture de services écosystémiques.

Dans cette partie, nous allons présenter comment les communautés adventices et leurs contributions aux services sont influencées par les pratiques de gestion et le contexte pédo-climatique.

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Figure 8 : Localisation de l'interface et du plein champ au sein d'une parcelle agricole.

3.1 Théorie d’assemblage des communautés suivant les valeurs de traits

fonctionnels

Booth et Swanton (2002) ont développé un schéma conceptuel décrivant l’assemblage des espèces au sein des parcelles agricoles à partir de leurs traits de réponse aux conditions locales (Figure 9). Il suppose que les espèces observées au sein des parcelles correspondent à un sous-ensemble d’espèces parmi un pool régional qui serait sélectionné par un ensemble de filtres. Ces filtres correspondent à des facteurs externes à la gestion de la parcelle par l’agriculteur, comme les conditions pédoclimatiques, auxquelles s’ajoutent les pratiques agricoles mises en place sur la parcelle. Une espèce sera d’autant plus abondante et fréquente qu’elle possède des caractéristiques adaptées à l’ensemble des filtres. La sélection des espèces par ces filtres est principalement associée à la sélection de certaines valeurs de traits fonctionnels. Les traits fonctionnels peuvent être définis comme « toute caractéristique morphologique, physiologique ou phénologique mesurable à l’échelle de l’individu, de la cellule à l’organisme entier, sans référence à l’environnement ou à d’autres niveaux d’organisation » (Violle et al., 2009). On appelle ensuite « attribut » la valeur ou la modalité d’un trait en un lieu et un moment donné (Lavorel et al., 1997). Ainsi, au sein d’une espèce, un trait peut prendre différents attributs en fonction du lieu (de l’environnement) et de la date, entraînant une variabilité intraspécifique de ces traits. Les conditions de l’environnement dans lequel les traits ont été mesurés sont donc nécessaires à l’interprétation écologique des attributs (Violle et al., 2009) ainsi qu’à la contribution des espèces au fonctionnement de l’écosystème.

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On distingue généralement :

● les traits de réponse, dont l’attribut varie en réponse aux changements de conditions de l’environnement. Ces traits vont donc déterminer l’assemblage des communautés en fonction des conditions de l’environnement (Lavorel and Garnier, 2002),

● les traits d’effet, dont l’attribut reflète l’effet de la plante sur les conditions de l’environnement ou les propriétés de la communauté ou de l’écosystème. Ces traits vont quant à eux impacter le fonctionnement de l’écosystème (Lavorel and Garnier, 2002).

Figure 9 : Schéma conceptuel simplifié de la théorie d'assemblage des communautés

adventices développée par Booth et Swanton (2002). La communauté d'adventices observée au sein de la parcelle correspond ainsi à un sous-ensemble du pool régional d'espèces filtré par les caractéristiques de l'environnement et les pratiques agricoles. Ces caractéristiques vont sélectionner les espèces suivant leurs valeurs de traits fonctionnels.

Il faut noter que les traits de réponse et d’effet ne sont pas indépendants (Gaba et al., 2017). Certains traits peuvent être à la fois des traits de réponse et d’effet. Par exemple, la teneur en lipides des graines détermine la vitesse de germination de l’adventice et donc sa capacité à se maintenir dans un contexte agronomique donné, mais aussi sa valeur pour des organismes granivores (Mézière et al., 2015b). De même, Storkey et al. (2013) suggèrent que le Specific Leaf Area, un trait de réponse important chez les adventices, a aussi une importance pour les invertébrés qui utilisent les adventices. Les conditions de l’environnement local ont donc un impact direct sur les fonctions de l’écosystème et donc sur la fourniture de services.

49 L’ensemble des filtres agissant à l’échelle d’une parcelle ne sont cependant pas totalement indépendants. En effet, le type de sol et le climat peuvent expliquer la mise en place de cultures ou de systèmes de culture particuliers (labour, travail simplifié, semis direct). La culture détermine tout d’abord la période de la majorité des interventions, mais aussi le type d’interventions et leur intensité. Par exemple, la culture de colza a des besoins azotés importants (Rathke et al., 2006), tandis que le soja, ayant la capacité de fixer l’azote de l’air via une symbiose microbienne, ne nécessite pas de fertilisation azotée. Le colza est également plus sensible aux insectes ravageurs (Alford et al., 2003) que le blé. De même, la densité et l’écartement des rangs de semis, ainsi que les molécules herbicides utilisées sont adaptées à chaque culture. Enfin, les pratiques de gestion des adventices sont partiellement substituables ce qui entraîne une non-indépendance entre le niveau des différentes pratiques et l’apparition d’effets confondants. Par exemple, les faibles niveaux d’utilisation d’herbicide sont généralement associés à une augmentation de l’usage du travail du sol ou à des successions diversifiées. Tout ceci suggère qu’il n’est pas pertinent d’étudier indépendamment l’effet des conditions du milieu et des pratiques agricoles sur la variabilité inter et intraspécifique des traits fonctionnels. Il est donc nécessaire de tenir compte des associations pouvant exister entre les différents facteurs et d’étudier les systèmes agricoles sous la forme de combinaisons logiques d’un ensemble de pratiques agricoles.

3.2 Effets des conditions locales sur la composition taxonomique et

fonctionnelle des communautés adventices

3.2.1 Effets des pratiques agricoles

Si les adventices sont généralement caractérisées par des traits de réponse associés aux milieux fortement perturbés (par ex. principalement thérophyte, surface foliaire spécifique élevée, floraison précoce, affinité pour les nutriments, etc.) (Bourgeois et al., 2019), les conditions du milieu peuvent entraîner une importante variabilité de la valeur de ces traits. Ainsi, Fried et al. (2008) ont montré que la culture et le précédent cultural sont parmi les pratiques les plus déterminantes de la composition des communautés. Ceux-ci retranscrivent en effet la combinaison d’un ensemble de pratiques intrinsèquement liées au type de culture. La date de germination des adventices est fortement influencée par la date de semis de la culture (Gunton et al., 2011). Fried et al. (2009a) ont montré que les communautés associées aux cultures de tournesol tendent à se spécialiser vers un « mimétisme » avec cette culture (espèce très nitrophile et héliophile avec un cycle de développement estival rapide). Une tendance

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similaire a été mise en évidence dans les cultures de colza (synchronie de la période de germination des adventices avec la période de semis du colza) (Fried et al., 2015) et dans les cultures de maïs (spécialisation aux interventions réalisées au printemps) (Fried et al., 2019). Les pratiques mises en place sur ces cultures sont aussi déterminantes dans la sélection des valeurs de traits fonctionnels. Les tailles des graines et des plantes sont généralement négativement corrélées à l’intensité du travail du sol (Fried et al., 2012; Gaba et al., 2017). Trichard et al. (2013) ont mis en évidence un impact fort du système de travail du sol en montrant que les communautés associées aux parcelles gérées en semis direct expriment une proportion de graminées et de vivaces plus importante. Un niveau de fertilisation important favorise la présence d’espèces plus nitrophiles (Hawes et al., 2010), tandis que l’application d’une diversité de molécules herbicides a un impact sur la composition des communautés (Markéta et al., 2018). La diversité de la rotation modifie également la richesse et l’abondance en adventices en sélectionnant des communautés plus riches et moins abondantes (Doucet et al., 1999). C’est également un des facteurs expliquant le plus la variation de composition des communautés adventices au sein d’une même culture (Ulber et al., 2009). Ces différentes pratiques agricoles, sélectionnant des espèces adventices présentant des valeurs de traits différentes, pourraient donc entraîner des fournitures différentes de (dis)services.

3.2.2 Effets de la localisation au sein de la parcelle

Les communautés adventices peuvent aussi varier en fonction de leur localisation au sein de la parcelle. Les communautés situées au niveau de l’interface des parcelles sont généralement plus diverses et davantage influencées par le paysage environnant (José-María et al., 2010), du fait de la plus grande proximité des interfaces avec les éléments semi-naturels et les parcelles voisines (Metcalfe et al., 2019; Poggio et al., 2013). Cette zone d’interface se caractérise par la présence de perturbations fréquentes (mécaniques et chimiques) mais une compétition de la culture probablement plus faible (Perronne et al., 2014; Seifert et al., 2014). Les perturbations y sont généralement décrites comme étant moins intenses que dans le plein champ (Pinke et al., 2012), notamment parce que l’interface se trouve à une extrémité des matériels agricoles lors de leurs passages. L’intensité modérée des pratiques agricoles, la compétition pour la culture plus faible, ainsi que l’effet du paysage plus marqué, pourraient expliquer la biodiversité floristique plus importante observée dans cette zone (Alignier et al., 2012; Kleijn and van der Voort, 1997). C’est ce que suggère l’étude de Fried et al. (2009b) en démontrant que les interfaces contenaient aujourd’hui encore des espèces qui étaient présentes dans les parcelles dans les années 1970, mais qui ont aujourd’hui disparu dû à l’intensification

51 des pratiques. Ainsi, de par leurs caractéristiques, les interfaces peuvent être considérées comme des refuges pour des espèces en régression au sein des parcelles agricoles (José-María et al., 2013, 2010). De plus, les interfaces semblent également abriter des espèces végétales généralement observées dans les bordures herbacées (Cordeau et al., 2012a; Metcalfe et al., 2019). Par leur richesse et leur abondance plus importante, les communautés d’interface pourraient jouer un rôle important dans la fourniture de services écosystémiques à l’échelle de la parcelle ou d’un ensemble de parcelles. Cependant, les différences taxonomiques et fonctionnelles entre communautés d’interface et de plein champ ont été peu étudiées et méritent donc d’être analysées plus précisément.

3.3 Effets des conditions locales sur la variabilité intraspécifique des

valeurs de traits fonctionnels

Au-delà des modifications de la distribution des valeurs de traits liées aux changements dans l’assemblage des espèces, les conditions locales peuvent également impacter la distribution des valeurs de traits de réponse au sein d’une espèce(Kazakou et al., 2014). Cette variabilité intraspécifique peut avoir des conséquences importantes sur les interactions écologiques (Bolnick et al., 2011). Ainsi, plusieurs auteurs recommandent d’utiliser des valeurs de traits mesurées dans des conditions proches du contexte de l’étude (Cornelissen et al., 2003; Lavorel and Garnier, 2002). En effet, Perronne et al. (2014) ont montré que les valeurs de trois traits fonctionnels (surface foliaire spécifique, hauteur et biomasse aérienne) de sept espèces adventices étaient différentes entre les individus situés au centre de la parcelle ou au niveau de l’interface. Borgy et al. (2016) ont également mis en évidence l’importance de la prise en compte de la variabilité intraspécifique des traits fonctionnels dans l’étude de l’effet de successions culturales. Les traits d’effet des adventices peuvent également varier en fonction des conditions locales, ce qui peut impacter la fourniture de (dis)services. Par exemple, Fumanal et al. (2007) ont montré que la production de pollen et de graines par l’ambroisie à feuilles d’armoise était très variable et dépendante des conditions de croissance. Il est également connu que la synchronie de germination de l’adventice avec la culture a un impact important sur la compétition de l’adventice et sur sa production de graines (Awan and Chauhan, 2016). Ainsi, plus l’adventice germera tard par rapport à la culture, plus son cycle de développement sera court, sa biomasse a priori faible et donc sa production de graines faible. La localisation au sein de la parcelle impacte également la variabilité intraspécifique des traits fonctionnels, comme l’ont mis en évidence Rotchés‐Ribalta et al. (2020a) concernant la biomasse reproductive. En effet, ils ont montré que la densité de blé avait un impact négatif sur la taille et la biomasse des

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adventices et que la croissance est plus rapide en l’absence de culture. La quantité et la qualité de lumière et d’azote disponible ont un effet sur le développement phénologique des adventices, pouvant impacter leur survie, comme l’ont montré Mahoney et Swanton (2008) sur le chénopode blanc. Enfin, la période de floraison d’une espèce adventice peut être modulée par la qualité de la lumière reçue (Cerdán and Chory, 2003), elle-même dépendante du type de culture et de la localisation au sein de la parcelle.

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