Chapitre Généralités sur les phtalates et les alkylphénols
2. Origines et applications industrielles
3.2. Effets mutagènes et tératogènes
L’exposition aux phtalates pendant la vie intra utérine chez le rat, par administration de BBP dans l’eau de boisson des femelles gestantes (dose = 1 mg/l), provoquant des malformations fœtales affectant l’appareil génital mâle ont été observées (Sharpe et al. 1995). L’administration orale de DnBP chez plusieurs espèces de Mammifères pendant la gestation, conduit à une augmentation de la mortalité embryonnaire, à l’apparition d’anomalies morphologiques et à une réduction du poids corporel de la descendance. L’ingestion de DEHP chez le rat et la souris pendant la gestation provoque des morts embryonnaires, des malformations et des retards de croissance et de développement (Kavlock et al. 2002c). En revanche, le DEP administré par voie orale pendant la gestation du rat, à des doses allant jusqu’à 1,91 g/kg, n’a montré aucune toxicité apparente sur le développement des nouveau nés. La même observation a été constatée lors de l’administration, par voie cutanée, de DEP chez la souris.
Le BBP administré par intubation gastrique chez le rat femelle pendant les premiers jours de la gestation provoque des anomalies osseuses chez les nouveau nés (Ema et al. 1996, Ema et al. 1995). L’administration de DEHP et DnBP chez l’Homme provoque des effets sur les lymphocytes et les cellules des muqueuses (Kleinsasser et al. 2001, Kleinsasser et al. 2000). Enfin, des patients sous dialyse recevant approximativement 150 mg de DEHP par semaine ont été examinés. Au bout d’un mois, aucun changement morphologique n’a été observé, cependant, après un an d’exposition, les peroxisomes ont été rapportés pour être « significativement plus importants en nombre » (NRC 1986). Cependant, il semblerait que les alkylphénols et plus particulièrement le NP ne posséderaient pas d’effets mutagènes et/ou tératogènes sur les organismes vivants. Aussi bien sur les Mammifères que sur les poissons et les microorganismes. En effet, le NP ne montre aucune activité initiale de transformation cellulaire dans les cellules BALB/3T3 chez l’Homme. Cela implique que le NP ne cause
pas d’altération génétique qui se transmettent chez les cellules filles (Sakai 2001). Dans cette même étude, le NP cause toutefois des transformations des cellules prétraitées BALB/3T3 durant la phase de développement mais pas dans la phase d’initiation. Cela implique donc que le NP peut causer une majoration de la cancérogenèse in vivo (Sakai 2001).
3.3. Effets perturbateurs endocriniens
Les phtalates et les alkylphénols sont reconnus pour être des perturbateurs endocriniens et peuvent à ce titre entraîner des troubles de la reproduction, du développement et de l’immunité (Lund 2000, Purdom et al. 1994). Plusieurs phtalates et leurs métabolites sont suspectés d’avoir des effets perturbateurs endocriniens (Bocken 2001, IARC 2000). Des administrations répétées de DnOP à des rats par la nourriture durant 90 jours provoquent des effets sur la fonction thyroïdienne (Kavlock et al. 2002b). De plus, une diminution des taux de circulation des hormones stéroïdiennes chez les rats sous l’influence du DEHP a été montrée dans une étude de Meeker et al. (Meeker et al. 2007). Chez les rongeurs, le DEHP affecte la fertilité des mâles et des femelles, et provoque des altérations testiculaires sévères. Les mâles prépubères et en développement paraissent plus sensibles que les adultes. Contrairement à d’autres phtalates, le DMP ne provoque pas d’atteinte testiculaire chez le rat même après des administrations orales répétées. Chez le rat et la souris traités pendant la période de gestation par voie orale (dose de 3,50 g/kg) et sous cutanée (dose de 2 mg/kg), le DMP n’a pas d’effet sur le développement prénatal et la différenciation sexuelle des descendants mâles (Saillenfait &Laudet Hesbert 2005). L’exposition des poissons aux xénobiotiques, aussi bien les phtalates que les alkylphénols, qui contaminent le milieu aquatique est susceptible d’entraîner une altération de leur régulation endocrine et en conséquence une diminution de leurs performances individuelles. Le DnOP semble avoir une toxicité inférieure sur la physionomie sexuelle. Chez la souris, une administration par la nourriture (dose de 7,50 g/kg/jour) n’a mis en évidence aucun effet ni sur le système reproducteur des adultes, ni sur le développement de la descendance (Kavlock et al. 2002b). Les NP sont connus comme ayant une activité œstrogène, c'est à dire ayant capacité d’imiter les hormones sexuelles naturelles, qui peut entraîner la féminisation des poissons, avec par exemple induction de vitellogénine chez la truite mâle (Jobling et al. 1995, Jobling et al. 1996). Chez l'animal, ils peuvent provoquer une diminution de la fécondité, un ralentissement de la croissance et une diminution de la taille. Chez l'homme, les effets des NP sont encore mal connus par manque d’études. Des effets ont été récemment démontrés sur les fonctions du sperme chez les mammifères (Adeoya Osiguwa et al. 2003, Chitra et al. 2002) et une détérioration de l’ADN dans le sperme humain et les lymphocytes humains (Harréus et al. 2002).Les perturbateurs endocriniens
possèdent trois modes d’action différents. Ils peuvent jouer un rôle mimétique (effet
œstrogène), un rôle de blocage (effet anti œstrogène) ou encore un rôle de perturbation
(effet anti androgène), détaillés ci dessous.
3.3.1. Effets œstrogènes
L’effet œstrogène des phtalates et des alkylphénols se traduit par l’action de ces molécules en lieu et place des hormones sexuelles habituelles en mimant leurs actions sur l’organisme. L’administration de DEHP (1 500 mg/kg) chez une population juvénile de saumon de l’Atlantique (Salmo salar) a provoqué une augmentation significative du nombre de phénotype femelles, 64% contre 49% pour le groupe témoin (Norrgren et al. 1999). Harris et al., (Harris et al. 1997) ont rapporté des activités oestrogéniques sur des fœtus mâles de rat telle que l’hypotrophie du tractus génital, lorsque les mères recevaient du BBP dans l’eau de boisson à 1 mg/l. En revanche, les activités du DnBP et du DEP, pour une même dose, ont révélé des effets moindres sur ces populations. Cependant, il est important de noter que l’activité estrogénique du BBP est 100 fois moins importante que celle du 17β oestradiol. L’administration de DnBP (750 mg/kg) pendant la gestation du rat femelle conduit à
des hypotrophies du tractus génital chez ses juvéniles mâles. Cette hypotrophie affectait principalement les testicules, l’épididyme, la prostate et les canaux déférents. Les effets toxiques du DnBP sont principalement dus à l’action de son métabolite primaire, le MBuP (Mylchreest et al. 1998).
3.3.2. Effets anti œstrogènes
L’effet anti œstrogène des phtalates et des alkylphénols se traduit par le blocage des hormones sexuelles par ces contaminants. Une activité anti œstrogène du DEHP a été décrite par diminution de l’activité aromatase dans les cellules de la granulosa qui intervient dans la synthèse du 17β oestradiol, entraînant une rupture du cycle ovarien chez le rat. Une diminution de la taille des follicules pré ovulatoires a également été observée chez cette espèce (Davis et al. 1994). Enfin, une réduction de la fécondité chez le rat a été rapportée : défaut d’implantation des ovocytes fécondés pour une dose de 750 mg/kg de BBP et de DnBP (Ema et al. 1995). Le 4 nonylphénol diminue la fertilité. Il n’est pas toxique pour le développement, en revanche, lors de l’exposition pendant la lactation et/ou après la naissance, il agit, par son effet oestrogénomimétique, sur le développement des organes reproducteurs des deux sexes et sur le nombre de spermatozoïdes. Chez le rat femelle adulte, il augmente légèrement la durée du cycle ovarien (dose de 100 mg/kg/jour pendant 25 jours) et diminue le poids relatif des ovaires sans modification du nombre de follicules. Chez la femelle prépubère (dose de 50 à 200 mg/kg/jour entre le 21ème et le 40ème jour après la naissance), il
augmente le poids de l’utérus, raccourcit le délai avant l’ouverture vaginale et modifie la durée du cycle (Kim et al. 2002). Chez la souris, le 4 nonylphénol a un effet sur les organes reproducteurs (liaisons dégénératives) et sur la qualité du sperme des parents et des petits de la 1ère génération
sans modification du nombre de spermatozoïdes et de naissances (Kyselova et al. 2003).
3.3.3. Effets anti androgènes
L’effet anti androgène des phtalates et des alkylphénols se traduit par la diminution de la libido et de la spermatogenèse des espèces par l’action de ces molécules à la place des hormones sexuelles. Pendant la gestation chez le rat, l’ingestion de DEHP provoque chez les descendants mâles, des malformations de l’appareil reproducteur (atrophie des testicules) et des altérations de la différenciation sexuelle par diminution de la concentration en testostérone (Kavlock et al. 2002c). Chez les rongeurs, il a été rapporté une augmentation importante de l’apoptose (processus par lequel des cellules déclenchent leur autodestruction en réponse à un signal) des cellules germinatives par l’action du MEHP, entraînant une atrophie testiculaire (Richburg et al. 2002). Enfin, au niveau des tubes séminifères, les phtalates, notamment le BBP, sont toxiques sur les cellules de Sertoli qui possèdent une fonction nourricière et protectrice et qui sont indispensables à la maturation des spermatozoïdes (Richburg &Boekelheide 1996). Une diminution de la concentration spermatique a également été enregistrée chez les Mammifères, notamment le rat, pour le BBP pour une dose de 1 g/kg/jour (Moore et al. 2002), chez la panthère (Hoyer 2001) et chez l’Homme (Jegou 1996). Chez le rat mâle adulte, l’administration de nonylphénol a montré une toxicité testiculaire (vacuolisation et réduction du diamètre des tubes séminifères, nécrose cellulaire) après exposition répétée par gavage à des doses létales (doses allant de 250 à 400 mg/kg). L’exposition par voie orale dans la nourriture (650 à 2 000 ppm pendant 3 générations), qui ne provoque pas de modifications des index spermatiques, a un effet toxique moins prononcé que l’administration par gavage (Kim et al. 2002). De plus, chez le rat mâle immature (dose de 100 mg/kg/jour du 21ème au 53ème jour après la
naissance), il provoque un retard de séparation prépuciale, ainsi qu’une baisse du comptage spermatique et du pourcentage de spermatozoïdes mobiles dans l’épididyme (Kyselova et al. 2003).