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Effets de l’âge sur les dipôles sous-tendant les ondes lentes

Chapitre 4 – Discussion

4.2. Hypothèses sur les mécanismes explicatifs

4.2.2. Effets de l’âge sur les dipôles sous-tendant les ondes lentes

L’amplitude du signal détecté sur l’EEG dépend de deux facteurs principaux : la configuration des sources dipolaires générant ce dernier dans le parenchyme cérébral, et le niveau de synchronie dans l’activité cellulaire. Nous allons maintenant considérer la possibilité que les changements dans la matière grise provoquent aussi des changements dans la configuration des dipôles sous-tendant les OL.

Les OL de l’EEG sont particulièrement intéressantes à étudier du point de vue de l’EEG étant donné qu’elles présentent une relation relativement simple avec la configuration des dipôles dans le tissu cortical. Autant chez l’animal que l’humain, la configuration de ces dipôles est systématiquement semblable entre les différentes OL, se caractérisant par l’émergence d’une source d’ions positifs dans les couches corticales superficielles ainsi que d’un puit dans les couches corticales plus profondes (Amzica & Steriade, 1998a ; Chauvette et al., 2010 ; Contreras & Steriade, 1995 ; Csercsa et al., 2010). Cette organisation électrique récurrente associée aux OL permet alors, même en se fiant uniquement au potentiel extracellulaire détecté depuis la surface chez l’humain, d’inférer avec une justesse appropriée le type d’activité neuronale sous-jacente, sans avoir à considérer la complexité des diverses configurations possible des sources dipolaires (par exemple, des quadripôles, etc.). Ainsi, il suffit de constater qu’une OL est dans sa phase négative sur l’EEG de surface en SL afin déduire que les neurones sous-jacents sont en majorité en train de décharger, cela même chez l’humain (Nir et al., 2011). Il faut noter qu’il n’est pas possible de faire ce genre d’inférences avec tous les types d’évènements oscillatoires. Par exemple, les fuseaux de sommeil sont associés à une plus grande variabilité inter-évènementielle de la configuration « source-puit » produite dans les couches corticales (Contreras & Steriade, 1995). Ainsi, pour ces autres évènements, une onde négative de surface ne signifie pas qu’il y ait un puit d’ions négatifs au niveau des dendrites apicales et une source au niveau des dendrites basales (ce qui serait ici le cas pour un OL). La grande stéréotypie des sources dipôlaires durant l’oscillation lente permet de générer suffisamment de

synchronie pour sommer un signal donnant des OL de grande amplitude. La génération d’un tel champ ouvert, permis par la structure des dipôles (se définissant par la présence d’une orientation claire entre la source et le puit et d’une distance suffisante entre ceux-ci) est nécessaire la génération de ce signal de grande amplitude sur l’EEG.

Dans le cas de l’étude présente, il faut considérer la possibilité qu’une modification dans d’épaisseur corticale pourrait aussi être associée à un changement dans la configuration des dipôles, notamment dans le passage d’un « champ ouvert » (dans lequel les courants extracellulaires se propagent à l’extérieur et forment de grandes différence de potentiel sur le champ extracellulaire) vers un « champ plus fermé » (dans lequel la différence de potentiel demeure contrainte aux neurones eux-mêmes et se propage moins). Ce changement serait susceptible de réduire l’amplitude de l’EEG, sans que ne soit modifiée la synchronie de l’activité cellulaire durant les OL.

Le principal facteur contribuant à la formation des dipôles de types « champ ouvert » auxquelles l’EEG est sensible consiste en l’organisation stéréotypée du cortex : constitué de cellules pyramidales possédant des dendrites à leur base et projetant leurs dendrites apicales en périphérie de la pie-mère à la manière d’une palissade. Si les changements dans l’épaisseur corticale représenteraient une diminution de l’intégrité, de la forme ou de l’étendue des dendrites apicales, ceci impliquerait une diminution drastique de l’amplitude du signal perçu en surface. Dans un tel cas de figure, un individu jeune ayant une épaisseur corticale plus élevée (représentant davantage de dendrites apicales) pourrait avoir un signal de plus grande amplitude qu’une personne âgée ayant une épaisseur corticale plus mince (représentant des dendrites apicales moins intègres) malgré une synchronie équivalente chez les deux. Il convient alors d’investiguer la relation entre l’épaisseur corticale et l’intégrité de ces dendrites.

Les études concernant la couche moléculaire (couche I), où les dendrites apicales sont localisées, en relation avec la densité synaptique, la morphologie des dendrites ou l’épaisseur de cette couche sont peu nombreuses, et leurs résultats plutôt ambigus. Par exemple, certains auteurs observent que, dans le cadre du vieillissement, la densité synaptique de la couche I des régions frontales chez l’humain diminuerait sans que l’épaisseur de cette même couche ne change (Adams, 1987). En revanche, d’autres études ont trouvé

d’épines dendritiques (Cupp & Uemura, 1980 ; Uemura, 1980). Plus précisément, une étude s’intéressant spécifiquement à la microstructure de la couche I dans le vieillissement montre qu’il y a une diminution de la densité synaptique de l’ordre de 30-60% sur la couche moléculaire des régions précentrales de singes âgés par rapport à des singes plus jeunes, et que cette diminution corrèlerait avec une diminution d’épaisseur de cette même couche, diminuant d’environ 0.02 mm chez des âgés par rapport à des jeunes (Peters, Sethares, & Moss, 1998). Dans notre échantillon, nous observons, une diminution d’épaisseur corticale de 0.42 mm entre sujets jeunes et âgés dans la région précentrale, région associée à l’amplitude des OL. Il faut noter qu’une étude comparant l’humain à l’animal rapporte, qu’en échelle millimétrique, l’amincissement cortical lié à l’âge des régions frontales est semblable entre humains et singes rhésus jeune et âgés (de 6.1 à 26 ans) (Koo et al., 2012). Il semble alors peu probable que la relation que nous observons dans notre échantillon entre l’épaisseur corticale et l’amplitude des OL puisse s’expliquer par des changements dans la couche I. La relation solide que nous observons entre l’épaisseur corticale globale et les OL devrait plutôt s’expliquer par la variabilité dans les couches III/IV et V (voir table I en page 13 de l’introduction). Ces constats laissent plutôt penser que même si des changements dans la force des dipôles se produisaient avec l’âge (dû aux modifications morphologiques en couche I), celles-ci n’expliqueraient pas la relation que nous observons entre l’épaisseur corticale et l’amplitude des OL, puisque les modifications de cette couche contribueraient peu à la variabilité de l’épaisseur corticale globale.

Cependant, des changements dans d’autres couches pourraient à la fois modifier la configuration des dipôles générant les OL et aussi influer sur l’épaisseur corticale. Par exemple, l’atrophie des dendrites des couches III/IV/V (se présentant comme des changements d’épaisseur corticale) pourrait rapprocher le puit (habituellement dans les couches profondes, où les neurones sont excités) de la source (normalement au niveau des dendrites apicales) durant les OL, ce qui atténuerait la ligne de champ se propageant en surface. De tels changements affecteraient effectivement l’amplitude du signal EEG associée aux OL sans

que ne soit modifié l’activité cellulaire et se présenteraient comme des différences d’épaisseur corticale. Des études en current-source density devront alors caractériser les effets du vieillissement sur la structure dipolaire générée dans le cortex durant les OL. Aussi, il serait possible de modéliser par un modèle computationnel les effets du vieillissement sur les dipôles génératifs des OL en tenant compte des changements morphologiques se produisant lors de la prise en âge. Un tel modèle permettrait de quantifier la proportion de l’atténuation de l’amplitude de l’EEG qui soit due à une diminution de l’intensité des dipôles lié à des changements morphologiques dans le cortex.