2.1. Effet délétère ou protecteur du régime maternel hyperlipidique ?
Dans la première partie de ce travail de thèse, nous sommes intéressées à
l’impact du régime hyperlipidique sur la fonction hippocampique. Nous avons observé
que les descendants adultes exposés au régime maternel hyperlipidique présentent, au
niveau de l’hippocampe, des modifications d’expression de certains gènes comme la
doublecortine, le transporteur de glucose 3 et le récepteur à l’insuline. Ceci suggère que
l’exposition précoce à un régime hyperlipidique entraine, de façon durable, une
altération du profil d’expression génique dans l’hippocampe. Ces altérations ne sont,
cependant, pas associées à des perturbations de la mémoire spatiale, ce qui indique
qu’elles ne sont pas drastiques au point de moduler les performances mnésiques
dépendantes de l’hippocampe.
Dans les travaux présentés en troisième partie, nous avons observé que le régime
maternel hyperlipidique entraine des altérations similaires à celles induites par le stress
précoce. En effet, comme dans le cas de rats soumis à la séparation maternelle, les rats
exposés au régime maternel hyperlipidique ont des perturbations de la réponse
neuroendocrine au stress ainsi qu’une hypersensibilité viscérale. Ces résultats sont en
accord avec d’autres études qui montrent qu’un régime périnatal hyperlipidique induit
des dysfonctionnements de l’activité de l’axe corticotrope (Trottier et al., 1998; Walker
et al., 2008). De manière intéressante, nous retrouvons aussi que le régime maternel per
se entraine des modifications de l’expression de certains marqueurs dans le cortex
préfrontal des ratons de 11 jours. En effet, l’exposition précoce à ce régime diminue
l’expression de Bdnf et tend à diminuer l’expression de Crh, induisant ainsi un profil
d’expression des gènes semblable à celui des ratons exposés à la séparation maternelle.
Du fait du rôle du BDNF et de la CRH dans le développement neuronal, des altérations de
ces marqueurs pourraient être associées à des perturbations de la mise en place des
circuits neuronaux dans le cortex préfrontal. Or, le cortex préfrontal joue un rôle
important dans la modulation de l’activité de l’axe corticotrope et des comportements
émotionnels (Arnsten, 2009; Ulrich-Lai et Herman, 2009). Il nous apparait alors
155
important de noter que des altérations des comportements émotionnels auraient pu
être observés si les animaux avaient été testés plus jeune, et donc peu de temps après
l’arrêt de l’exposition au régime hyperlipidique. Certains résultats de ce travail
suggèrent néanmoins que le régime maternel hyperlipidique perturbe, de manière
transitoire, certains comportements. En effet, dans la deuxième partie de notre travail,
nous avons mis en évidence que le régime maternel hyperlipidique est associé à une
augmentation de la motivation pour des aliments palatables au cours de l’adolescence,
qui disparait ensuite à l’âge adulte. Ce résultat peut s’expliquer par la plus grande
sensibilité aux stimuli récompensants lors de l’adolescence mais peut aussi être lié au
fait que le temps entre l’arrêt de l’exposition au régime hyperlipidique (sevrage) et le
moment d’évaluation (adolescence tardive) était relativement court. En effet, nous
pouvons supposer que les effets liés à l’exposition précoce au régime hyperlipidique
s’atténuent avec le temps, notamment quand les animaux sont nourris avec un régime
témoin après le sevrage. Par ailleurs, certaines études montrent que les effets du régime
maternel sur le poids (Mitra et al., 2009) ou sur la mémoire spatiale (Tozuka et al., 2010)
ne sont que transitoires et disparaissent ensuite à l’âge adulte. Ainsi, la transition du
régime hyperlipidique vers un régime témoin au sevrage pourrait permettre de
restaurer certaines altérations induites par l’exposition au régime hyperlipidique
pendant la période précoce. Cette supposition est renforcée par les résultats obtenus
dans notre première étude. En effet, les animaux exposés au régime hyperlipidique en
période périnatale, puis placés sous régime témoin ne présentent aucun déficit de
mémoire. En revanche, nous avons mis en évidence que des rats exposés au régime
maternel hyperlipidique et maintenus sous ce même régime à l’âge adulte ont des
déficits de mémoire spatiale dans la tâche du labyrinthe aquatique, ainsi qu’une
diminution de la production de néo-neurones dans l’hippocampe et des altérations de
l’expression de certains marqueurs impliqués dans la transmission synaptique. De
telles perturbations ne sont pas retrouvées chez des animaux exposés au régime après le
sevrage, ce qui suggère un rôle de la période périnatale dans les déficits observés dans le
groupe exposé au régime hyperlipidique de la conception jusqu’à l’âge adulte.
En résumé, le régime maternel hyperlipidique entraine des modifications moléculaires
subtiles qui n’ont pas d’impact direct sur le comportement à l’âge adulte, mais qui
favoriseraient l’émergence de troubles comportementaux dans le cas d’une exposition
future à un régime hyperlipidique. Ainsi, l’exposition à un régime précoce hyperlipidique
156
représenterait un facteur de vulnérabilité dans le cas d’expositions futures à des
situations de challenge environnementales.
De façon intéressante, dans la troisième partie de ce travail, nous avons mis en évidence,
pour la première fois, que le régime maternel hyperlipidique pendant la période
périnatale protège contre les conséquences délétères à long terme induites par un stress
précoce. Ainsi, les descendants exposés à la combinaison séparation maternelle/régime
maternel hyperlipidique, ne présentent aucun déficit comportemental et aucune
modification de la réactivité au stress, à l’âge adulte. Par ailleurs, l’exposition au régime
maternel hyperlipidique restaure les altérations d’expression génique dues au stress
dans le cortex préfrontal des ratons. Ceci suggère, de manière surprenante, que dans
certaines situations, le régime maternel hyperlipidique peut être « bénéfique ».
2.2. Théories pouvant expliquer l’effet différentiel du régime maternel hyperlipidique
sur la sphère cognitivo-émotionnelle
Le régime maternel hyperlipidique serait « néfaste » si l’animal se trouve dans un
environnement précoce « normal » mais serait, bénéfique dans des situations où les
pressions environnementales sont élevées, comme dans le cas d’un stress précoce.
Etant donné les effets du régime hyperlipidique à l’âge adulte, il a été suggéré que le
régime hyperlipidique pourrait être considéré comme un « stresseur » (Legendre et
Harris, 2006; Tannenbaum et al., 1997). Nous proposons donc que le régime maternel
hyperlipidique peut être apparenté à un stress précoce. Dans notre cas, le régime
maternel hyperlipidique pendant la gestation et la lactation représente sans doute une
combinaison d’un « stress » prénatal et postnatal. Il serait d’ailleurs intéressant de
comparer les effets du régime maternel hyperlipidique en restreignant l’exposition au
régime à une seule de ces deux périodes.
Il existe deux théories dans le cas d’une exposition à de multiples « stresseurs » au cours
de la vie, l’hypothèse cumulative ou l’hypothèse de discordance (Figure 7) (Nederhof
et Schmidt, 2012).
157
L’hypothèse de la « discordance » postule que la discordance entre les pressions
environnementales pendant la période précoce et celles à l’âge adulte, aboutit à
l’émergence de troubles. Dans cette dernière, il est proposé qu’un environnement
précoce « délétère » permette une adaptation dans le cas d’une exposition future à un
environnement « délétère ». Dès lors, le fait d’expérimenter des situations stressantes
pendant la période précoce fournirait des capacités d’adaptation permettant de lutter
contre le stress à l’âge adulte. Cette théorie de la discordance peut être utilisée dans le
cas d’une combinaison entre un stress prénatal et postnatal. Ainsi, l’exposition à un
environnement prénatal délétère permettrait d’être « adapté » dans le cas d’une
exposition à un stress postnatal.
Cette théorie est appuyée par des travaux de la littérature. En effet, il a été montré qu’un
stress prénatal diminue les vocalisations émises par des petits séparés de leur mère
pendant la lactation, suggérant ainsi que le stress prénatal atténue les effets d’un stress
postnatal (Morgan et al., 1999). Des résultats similaires ont été obtenus dans le cas d’un
« stress prénatal nutritionnel ». Il a été montré qu’une carence en protéines pendant la
gestation contrecarre la diminution de prolifération cellulaire dans le gyrus dentelé de
l’hippocampe induite par une séparation maternelle de 30min chez des ratons de 7 jours
(King et al., 2004). Un environnement prénatal « délétère » apparait alors comme
protecteur contre les effets néfastes d’un stress postnatal.
Ainsi, nous proposons que l’exposition au régime maternel hyperlipidique pendant la
période périnatale représenterait un « stresseur » pour le petit en développement, qui
entrainerait des modifications physiologiques ou moléculaires, permettant de modeler
et d’adapter l’organisme à une exposition future au stress de séparation maternelle (voir
158
partie III). En revanche, ces modifications induites par l’exposition précoce au régime
hyperlipidique seraient délétères chez les ratons témoins, où les pressions
environnementales sont absentes.
A contrario, l’hypothèse est du stress cumulé (« cumulative »), postule que la
combinaison d’un stress précoce et d’un stress adulte amène à l’émergence de troubles.
Nous proposons d’appliquer cette hypothèse dans notre cas d’exposition à un régime
maternel hyperlipidique pendant la période précoce suivie d’une exposition à ce même
régime en post sevrage. Ainsi, cette hypothèse cumulative expliquerait la présence de
déficits mnésiques chez les animaux exposés au régime hyperlipidique tout au long de la
vie, ainsi que l’absence de déficit chez les animaux exposés au régime seulement
pendant la période précoce.
En résumé, nous proposons que les deux hypothèses (de la discordance et
cumulative) interviennent mais à différents moments de la vie. En effet, pendant
la période périnatale, qui est une période de haute plasticité et donc de
vulnérabilité aux facteurs environnementaux, l’hypothèse appliquée serait en
faveur de celle de la discordance. Ainsi, l’exposition au régime maternel
hyperlipidique pendant la gestation et la lactation serait considérée comme une
pression environnementale élevée, et serait donc 1) prédictive d’une adaptation
dans le cas d’une exposition future à l’adversité, comme un stress de séparation
maternelle ou 2) au contraire associée à une mal-adaptation dans le cas d’une
faible pression environnementale.
Cependant, à l’âge adulte, l’hypothèse adoptée serait celle de l’hypothèse
cumulative. A savoir, le régime hyperlipidique en post sevrage combinée à
l’exposition au régime maternel hyperlipidique pendant la période précoce,
aboutirait à l’émergence d’altérations cognitives.
Ces deux hypothèses appliquées à notre travail sont représentées dans le schéma de la
Figure 8.
160
III- Mécanismes potentiels sous-tendant l’effet protecteur du régime
Dans le document
Impact d’un régime maternel hyperlipidique et d’un stress précoce sur la programmation du phénotype adulte
(Page 155-161)