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ECONOMIES DE MARCHE: LE COMMERCE DES PERSONNES (1)

Dans le document ENJEUX TION (Page 183-200)

LE COMMERCE DES PERSONNES

V. ECONOMIES DE MARCHE: LE COMMERCE DES PERSONNES (1)

A Carpentras (2) le marché forain envahit tous les vendredis l'espace de la ville ; c'est un lieu ouvert qui accueille le temps d'une matinée une population extrêmement mobile et mélangée. Les marchands qui s'y retrouvent ne constituent pas un groupe homogène, tant du point de vue de leurs rôles commerciaux (clien-tèles et produits vendus), de leur insertion profession-nelle, de l'importance des commerces que des structures et modes de vente. Des forains traditionnels qui font la tournée des marchés de la région avec un stand ru-dimentaire ou dans un camion géant, des commerçants propriétaires de boutiques à Carpentras ou à Avignon côtoient des petits vendeurs, des artisans, marchands de remèdes, rempailleurs ou rétameurs qui maintien-nent des arts de faire traditionnels ; se joigmaintien-nent à eux occasionnellement des forains sans domicile fixe (3), de jeunes néo-ruraux qui profitent de la saison touris-tique pour acheter des objets artisanaux, des immigrés - sénégalais pour la plupart - proposant une marchan-dise dont l'apparence exotique cache mal une fabrica-tion industrielle parfaitement européenne, et des tzi-ganes offrant paniers, aulx et citrons sur un bout de trottoir. Les producteurs de fruits et de légumes écou-lent leurs marchandises sur les marchés de production et sont peu nombreux sur le marché de distribution.

En revanche les petits producteurs de miel ou de fro-mage y sont largement représentés.

La diversité de leurs origines géographiques, de leurs trajectoires sociales et de leurs motivations accroît cette hétérogénéité. Si bon nombre de forains tradition-nels ont pris la succession de leurs parents, d'autres, exerçant par ailleurs une activité de commerçant séden-taire, trouvent là l'occasion de multiplier leurs points de vente ; ceux qui, venant d'horizons et de milieux sodo-professionnels très divers, considèrent leur tra-vail sur le marché comme provisoire sont aujourd'hui de plus en plus nombreux ; contraints par la crise éco-nomique d'abandonner leur rr.étier, ou ayant choisi d'en

changer, ils deviennent revendeurs de marchandises très variées (frippe, brocante, objets soldés, linge de mai-son... ).

Cette disparité professionnelle favorisée par l'accessi-bilité et la souplesse propre au métier de forain - la vente sur les marchés ne nécessite pas d'investissement impor-tant (stocks limités, possibilité de mettre fin facilement au commerce ou d'en modifier la nature) et ne requiert aucune formation professionnelle spécifique - se ma-nifeste dans les modalités d'installation : aux trois cents forains «réguliers» qui bénéficient d'un emplacement fixe se joignent les «passagers» - nouveaux forains en attente, petits artisans, jeures marginaux, revendeurs occasionnels ou saisonniers, immigrés - qui participent au tirage au sort (4) afin de disposer d'une place vacante;

peu nombreux l'hiver, ils sont parfois plus de quatre-vingt en pleine saison touristique. La distinction entre ces deux catégories de forains recoupe généralement, mais pas toujours, celles entre «anciens» et «nouveaux», «gros»

et «petits». Témoignent également de l'hétérogénéité des vendeurs, la gamme étendue des structures de vente -simple toile à même le sol, planches posées sur des tré-teaux, camion-magasins de toutes tailles -, la variété des modes de vente criée, boniment, appels divers -et des produits, que l'on prenne en compte leur nature, leur qualité, leur provenance ou leur degré d'élaboration industrielle (notons à cet égard que de nombreux objets ne font que revêtir une apparence naturelle ou «locale»).

Une extrême diversité caractérise également les acheteurs et leurs pratiques : ménagères de la ville à l'affût d'une affaire ou, au contraire, à la recherche de produits de qualité, paysans des alentours profitant du jour du marché pOlir se rendre en ville, travailleurs immi-grés trouvant l'occasion de se procurer des volailles vi-vantes et de renouer ainsi avec les pratiques culinaires de leur culture d'origine, voire badauds et lycéens s'a-donnant à la flânerie ou touristes en visite.

A) Evolution historique du marché de Carpentras

Une enquête à caractère ethno-historique a mis en évidence le rôle essentiel exercé par ce marché qui jusqu'à la première guerre mondiale organisait de ma-nière à la fois légitime et quasi exclusive les échanges économiques, sociaux et culturels. La place marchande

Economies de marché: le commerce des personnes 185 traditionnelle qui juxtaposait le commerce de gros et de détail, assurait l'approvisionnement de la ville tout en règlant le trafic des biens au niveau régional, et mêlait un commerce de revendeurs itinérants à celui, fonda-mental et prédominant, des producteurs-vendeurs. Mo-ment sérieux du négoce professionnel, le marché se si-tuait dans le même temps au coeur de la vie sociale : une population paysanne relativement isolée profitait de la circonstance pour retrouver amis et connaissances, renouant ainsi avec des pratiques de sociabilité qu'excluait le labeur quotidien. Lieu privilégié des embauches, occa-sion de satisfaire aux obligations civiques, zone frontière où l'on associait le hors groupe, le marché forain orga-nisait les rapports sociaux, régentait de fait les relations internes d'une communauté ou celles qu'elle établissait avec l'extérieur.

Derrière une stabilité apparente, une mutation radicale a affecté le fonctionnement du marché.Le marché d'aujourd'hui et celui d'autrefois renvoient à deux systè-mes économiques différents, l'un ayant succédé à l'autre;

alors que la production artisanale et industrielle a peu à peu emprunté d'autres circuits de distribution et que le commerce de gros des produits agricoles s'est auto-nomisé, le marché de la ville s'est scindé en deux en-sembles distincts : un marché de production péri-urbain et un marché de détail maintenu au centre de la ville où il continue à se tenir dans les mêmes lieux et selon le même calendrier qu'autrefois. Tandis qu'auparavant producteurs-artisans et revendeurs se côtoyaient sur le marché, l'activité marchande se trouve aujourd 'hui essentiellement aux mains des forains, revendeurs des produits agricoles et industriels.

A l'heure actuelle le marché combine le maintien d'un héritage spécifique (inscription spatio-temporelle souple par exemple), avec des innovations liées aux en-jeux actuels, trait original qui contribue à son attrait et à son dynamisme commercial. Mais, réduit à son rôle de distributeur relativement restreint, il n'occupe plus aujourd'hui la position dominante dans la structure mar-chande locale et régionale qui était jadis la sienne. Autre-fois système socio-économique vital et central pour la ville, il n'est plus aujourd'hui le lieu de passage quasi obligé des hommes et des marchandises. Tandis que s'est opérée sa marginalisation économique, son rôle culturel et social s'est trouvé radicalement bouleversé.

Cependant, même s'il n'est plus qu'un maillon parmi d'autres dans la chaîne des circuits commerciaux, s'il reste peu de vestiges du rôle culturel du marché d'au-trefois qui accueillait bateleurs et musiciens et s'il n'or-ganise plus formellement les rapports sociaux d'une communauté, le marché actuel demeure un système marchand original, un événement important et un lieu essentiel dans la vie sociale locale.

B) Le marché comme champ social

Chaque vendredi le paysage urbain est radicalement bouleversé ; un espace extraordinaire subvertit l'ordon-nancement de la cité, modifiant la frontière entre la ville et la campagne, transformant la structure des es-paces habités et des quartiers, créant de nouveaux che-minements, restituant la chaussée aux piétons ; la ville est revêtue de couleurs bigarrées, livrée aux bruits, aux cris et aux odeurs. Cet événement, à la fois insolite et répétitif, casse les rythmes journaliers, brise, en intro-duisant (<un temps vécu socialement» (5), la monotonie de la vie de chaque jour et scande la semaine en ritua-lisant le temps.

Rassemblant dans une ambiance· festive l.me foule inhabituelle dont les acteurs~sont plus disponibles qu'à l'accoutumée, il constitue le principal pôle d'animation régulière de la cité et assure un rôle essentiel dans l'ex-pression d'une sociabilité locale. La diversité des usagers de cet espace collectif, à la fois ouvert et polyvalent, leur appartenance à des groupes sociaux ayant peu l'ha-bitude de communiquer et dont les comportements sont généralement très différents les uns des autres pro-voque un brassage social tout à fait inhabituel. Des cri-tères économiques tels que la qualité des produits ou leurs prix - peu différen ts de ceux pratiqués ailleurs -ou même des at-outs commerciaux spécifiques comme une multiplicité de propo~itions quant aux vendeurs et aux marchandises, voire l'intérêt d'une formule qui allie les avantages de la vente de masse à ceux d'un com-merce de proximité (gain de temps, facilité d'accès) (6), ne rendent pas compte à eux seuls de la fréquentation du marché, liée très largement à l'attrait du lieu et à la saveur des échanges qui accompagnent les transactions.

L'on se rend plus par goût que par nécessité sur cette

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place marchande particulière, séduit par la diversité et le caractère d'exception des pratiques sociales qui s'y exercent.

D'abord, à cette occasion l'on se rencontre hors de l'espace privé dans une ville qui n'offre plus guère de pôle de sociabilité, on s'y donne rendez-vous, on retrouve famille, voisins et amis, on s'adresse à des

in-·connus, à des individus que l'on ne fréquente pas d'or-dinaire. on noue des relations sans lendemain. Les tra-vailleurs immigrés quittent leur ghetto du nord de la ville, les populations marginales - néo-ruraux, professionnels des petits métiers, tziganes et autres nomades -sont accueillis ce jour-là par la ville et rompent ainsi avec leur isolement ; le paysan abandonne ses champs, le touriste sa résidence secondairè ; le citadin effectue un long parcours qui contraste avec l'exiguité du terri-toire dévolu à l'usage quotidien tandis que les marchands de légumes, en jonchant les rues nobles de détritus, con-tribuent au bouleversement de l'ordre établi. Comme ceux de l'espace, les usages du temps se trouvent mo-difiés : nombreux sont encore les habitants de Carpentras qui organisent différemment leur journée le vendredi, notamment les paysans pour qui «le vendredi, ça fait le dimanche». L'u tilisation du temps même du marché diffère lui aussi : on ne se presse pas, on prend son temps, on le perd, en s'attardant devant les étals, en effectuant des achats plus «aventureux», moins organisés qu'à l'ac-coutumée, en bavardant. Car l'on parle sur le marché (7), une parole fluide et mobile circule en ce lieu singu-lier. évoquant tout et rien, le temps qu'il fait, le temps qui passe. On y pratique une parole plus libre que d'ha-bitude (8), que l'on prenne en compte l'éventail des personnes à qui l'on s'adresse ou les modalités mêmes du discours : on prend part à des conversations qui ne vous sont pas adressées. on met fin sans problème à.

un échange, on s'exprime de manière familière (9).

Les rapports sociaux internes au marché diffèrent non seulement de ceux qui se développent dans des uni-tés sociales constituées sur la base d'activiuni-tés très éloi-gnées, comme l'entreprise ou l'espace de cohabitation, mais également de ceux qui sont mis en oeuvre dans d'autres lie ux d'échanges marchands. Le fonctionne-ment, les processus constitutifs de ces rapports, leurs logiques propres sont liés à la situation particulière du marché. Espace collectif et ludique (l0), partagé par

chacun mais n'appartenant en propre à personne, ne pouvant être revendiqué par quiconque - individu, grou-pe, particulier ou collectivité - dispositif commercial occupant une position périphérique dans le système commercial - en particulier en raison de l'aspect mar-ginal des achats que l'on y effectue -, champ de pro-positions multiples, à la fois économiques, sociales et culturelles, lieu public, carrefour accueillant dans un relatif anonymat des populations diversifiées. la place marchande est le théâtre de pratiques et de représen-tations spécifiques. Les opérations qui s'y effectuent relèvent de la tactique, du corps à corps, du jeu. Elles se fondent sur un imaginaire commun : support d'un désir de subversion de l'ordre établi, d'un besoin d'éva-sion, d'une 'nostalgie dù passé et d'un fantasme de re-tour aux sources, le marché est édifié comme représen-tation d'un espace de liberté, perçu comme une survi-vance archaïque, un exotisme dans la cité, la trace d'une .. autre époque et d'un autre système économique (ll) et social (12)' (représentation que renforce la pérennité de ses formes, le maintien de son inscription spatiale et temporelle, la situation de parole de l'échange (13)).

Chaque vendredi se produit un jeu entre le passé et le présent, le local et le national, .la camragne et la ville, le public et le privé. Les pratiques qui s'instaurent sur cet espace du quotidien et les activités ordinaires se caractérisent aussi par une extrême diversité et une complexité peu commune. En effet, si sa finalité pre-mière est la transaction. le marché à la fois «institution sociale, forme économique et entité culturelle» (14) organise d'autres types d'opérations qui relèvent d'une logiq ue multiple et qui combinent par exemple la consom-mation, la promenade, le spectacle, l'aventure... Souli-gnons que dans un monde dominé par un souci de ren-tabilité et de rationalité où les usages tendent de plus en plus à être canalisés, cette spécificité des pratiques concourtàfaire du marché un lieu d'exception.

Cet espace social singulier n'est pas le lieu où se construisent des stratégies identitaires ; les échanges qui s'y effectuent, les relations qui s'y nouent ne pren-nent pas appui sur des statuts établis, 'positions sociales ou liens de parenté : ce lieu qui n'impose pas une règle du jeu stricte, univoque, reste avant tout la conjugaison des singularités qui le compose. Les rapports sociaux ne s'y fondent pas sur l'affirmation d'une position mais

Economies de marché: le commerce des personnes 189 s'organisent plutôt autour d'un jeu avec l'identité. Le jeu a en effet une fonction essentielle dans la négocia-tion de l'identité des clients mais aussi dans une certaine mesure des vendeurs (15), que ceux-ci mettent en scène leur propre rôle ou qu'ils jouent sur la diversité des sta-tuts mobilisés dans l'échange (ou est tout à la fois et successivement jeune, marginal, originaire de Carpentras, fils d'un commerçant de la ville ... par exemple). Pour-tant le marché n'est pas totalement coupé de l'organi-sation sociale globale : un bourgeois y reste un bour-geois et il en est de même pour le paysan ou l'immigré et chacun fait le marché à sa manière : simplement dans ce champ social dominé par le jeu avec l'identité, les·

stratifications sociales apparaissent brouillées et même masquées.

Notons enfin que c'est la nature éphémère du mar-ché qui l'autorise à être ce lieu particulier que chacun, quelque soit son statut, peut fréquenter, et où l'on peut affirmer des positions différentes. Moment d'une cassure qui ne dure pas, scène transitoire ouverte aux effets du temps, le marché pel't être alors cet espace peu marqué socialement.

C) Quelles identités?

Si la résidence et la production sont des lieux essen-tiels où s'actualisent les hiérarchies sociales, le marché se présente comme une structure matérielle et imagi-naire de leur effacement passager. En son sein s'opère en quelque sorte une réduction phénoménologique des signes de distinction dans les pratiq ues d'achat. L'affir-mation des rôles et des identités s'y dissipe et s'y estom-pe au profit d'une intersubjectivité fugace d'autant plus appréciée qt.:'elle est interdite dans la résidence et dans la production où les acteurs sont prisonniers d'enjeux sociaux qui fondent leur existence sociale. Ainsi dans la cité H.L.M. du Clos Saint-Lazare (cf. supra), les fa-milles sépharades, que la structure sociale interne à leur résidence refoulait dans la position négative d'«étranger»

et qui se trouvaient dans l'impossibilité de réaliser une unification endogène sur la base d'une app,lrtenance culturelle commune, édifiaient le marché hebdomadaire communal en lieu préférentiel et quasi exclusif des re-lations avec leurs voisins de même origine. Si les rap-ports avec ces derniers étaient pénalisés dans les cages

d'escalier, ils participaient à cette occasion de la réacti-vation d'une communauté imaginaire prohibée tant dans le champ résidentiel que dans les entreprises.

Les pratiques d'achat dans le quartier dégradé de Sevrin (16) à Amiens confirment par la négative ces hypothèses. Deux marchés se tiennent non loin du quar-tier, mais les habitants ne les fréquentent guère, préfé-rant faire leurs courses chez des petits commerçants dans une rue frontalic:'re. Leur appartenance à un sys-tème social périphérique les exclut de fait de toute sé-duction à l'égard d'un champ social dont ils ne sont en aucun lieu les partenaires.

Concurrents immédiats des marchés, les super-marchés proliférant à la périphérie des villes et au voi-sinage des zones industrielles appellent, dans une optique comparative, une investigation qui permettrait de les situer dans un réseau local d'articulations.

D'autres espaces marchands

Au-delà de la connaissance du fonctionnement interne des marchés, l'enquête ethnologique permet une nouvelle approche de la consommation; alors qu'elle avait été souvent saisie comme un élément de la repro-duction de la force de travail, qu'elle avait encore été appréhendée comme signe du statut social par certains sociologues (Bourdieu. Beaudrillard), elle apparaît ici comme un des facteurs constitutifs des modes de pro-duction des identités. s'intégrant dans un univers par-ticulier qui se situe à l'interaction de champs de rap-ports sociaux géographiquement définis.

Aussi serait-il intéressant d'analyser dans cette opti-que d'autres types d'espaces marchands, la Salle des Ventes de l'Hôtel Drouot par exemple où des popula-tions très diversifiées se retrouvent quotidiennement pour procéder à des échanges selon des modalités très spécifiques (ventes aux enchères) ou encore les super-marchés.

Ces derniers prolifèrent aujourd 'hui à la périphé-rie des villes ou au voisinage des zones industpériphé-rielles ; ils se situent même au coeur de tissu urbain (As Eco.).

La place importante qu'ils occupent dans la vie quo-tidienne s'explique par les changements intervenus depuis la dernière guerre dans la consommation, en particulier son accroissement, et également par les modifications

Economies de marché: le commerce des personnes 191 qui ont globalement affecté les modes de vie: les femmes, de plus en plus nombreuses à travailler, ne peuvent se rendre en semaine au marché et regroupent leurs achats qu'elles effectuent souvent en corrpagnie de leur mari.

Le super-marché a été souvent décrit, à l'instar des grands ensembles, comme un espace de vide social, un de ces nouveaux temples de la consommation régi par l'anonymat. Aussi, au-delà de ce type d'analyse, qui doit beaucoup à l'absence de relations existant entre clients et vendeurs, il serait intéressant d'étudier de plus près les rapports sociaux qui se jouent d~ns les grandes surfaces et qui diffèrent profondément de ceux qui se développent sur les marchés ou dans les commerces de détail.

Une rapide investigation menée à Auchan, dans la banlieue d'Avignon, en contrepoint de l'enquête effec-tuée sur les marchés de Carpentras, nous fournit quelques indications que nous évoquerons succinctement.

Le samedi après-midi il est fréquent, pour les re-présentants des couches moyennes traditionnelles, agricul-teurs, artisans ..., de se rendre en famille à Auchan. On y conduit la grand-mère, les visiteurs de passage après le déjeüner familial. On y retrouve des voisins, des amis;

on y découvre les dernières nouveautés (matériel de pho-tos. de micro-informatique ... ). Les jeunes ont abandonné depuis longtemps les places marchandes. C'est à Auchan qu'ils se retrouvent, prétextant l'achat de pièces de re-change pour leur moto. Le dimanche. Auchan est fermé ; c'est pourtant sur son parvis ou dans sa Cafétéria (Flunch) qu'ils se rassemblent. Le no man's land où il est situé favorise la venue de jeunes de communes différentes, soucieux de ne pas se rendre «les uns chez les autres».

L'investigation des grandes surfaces pour être effec-tuée en profondeur demanderait un dispositif de recher-che spécifique ; en effet pour des raisons méthodologi-ques (J'établissement de relations avec la population étudiée) et épistémologiques, il apparaît nécessaire d'é-tudier le super-marché en liaison avec d'autres champs sociaux. Une enquête menée dans l'espace interne de la grande surface n'est pas suffisante pour comprendre des processus qui sont en étroite relation avec les autres sphères d'insertion des acteurs. L'investigation devrait se mettre en place corrélativement à l'étude d'un groupe social abordé à partir de son lieu de résidence ou de travail, ou mieux encore des deux simultanément. En

effet, chaque groupe en raison de sa cohérence propre a une pratique singulière de cet espace.

La mise en rapport des fonctionnements en jeu dans l'habitat, la production et les espaces marchands pennettraient de mettre en lumière le rôle particulier que tient, dans la vie des individus, l'espace marchand; en retour, la connaissance de la position des gens dans les autres champs sociaux se trouverait affinée. De surcroît, la cohérence de l'existence quotidienne pourrait ainsi être mieux appréhendée.

Par ailleurs le super-marché constitue une petite entreprise, qui en tant que telle mérite une étude spé-cifique. Celle-ci fournirait un complément précieux aux analyses précédentes.

NOTES

(1) Une étude du marché de Carpentras, l'un des plus anciens de France, a été entreprise par G.P. Azemar et M. de La Pradelle dans le cadre d'un contrat de recherche de la délégation générale à la Recherche Scien·

tifique et Technique (DGRST). Le texte ci-dessus rend compte d'une par-tie des travaux effectués en .:ommun ; il prend sa source dans des textes écrits ensemble et s'inspire en particulier très largement d'un article publié dans les Annales de la Recherche Urbaine (G.P. Azemar et M. de La Pradelle, 1981 b.).

(2) Carpentras est situé au sud de la France, en Provence, à 25 kms d'Avignon (Vaucluse).

(3) On entend par «forains sans domicile fixe» les commerçants non sédentaires qui n'exercent pas leurs activités dans une région de manière régulière, mais travaiUent sur des marchés répartis sur l'ensemble du terri·

toire, sans organiser leur tournée en fonction d'un lieu d'habitation.

(4) Le nombre de places fixes sur le marché est limité. Les forains qui ne disposent pas d'un emplacement de ce type participent à un tirage au sort à l'issue duquel ils se voient attribués quelques dizaines d'empla-cements de valeur commerciale très aléatoire, quelques places laissées va-cantes par des forains absents, ou doivent repartir sans déballer, à moins qu'à l'insu du placier ils ne s'installent entre deux étals ou partagent l'espace d'un ami.

(5)Cf. D.Bonniel,1981, p. 59.

(6) Cf. A. Metton, 1978:

(7) F. Kerleroux montre que ce recours à la parole, comme la forme des énoncés jouent un rôle constitutif de la situation (Kerleroux, 1981, p.68).

(8) L'impression de liberté tient au sentiment de transgresser, de distordre la quotidienneté que l'on éprouve en se livrant à ce type d 'opé·

rations. J. Lindenfeld (1. Lindenfeld, 1982) montre très bien qu'eUe se ma·

nifeste alors que des règles très strictes organisent les échanges verbaux.

(9) F. Kerleroux (op. cité, p. 66) définit le marché comme un «speech eventll, caractérisé par l'emploi du langage familier.

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