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Le problème de la non-stationnarité des propriétés hydrodynamiques

Jusqu’ici, nous avons exposé ce qu’étaient les réservoirs géologiques fracturés et d’où ils tiraient leur capacité à stocker et laisser circuler un fluide. Nous avons discuté les facteurs qui en faisaient des milieux complexes, hétérogènes et anisotropes. Puis nous avons évoqué comment il était possible de les examiner à différentes échelles d’espace et de temps. Cepen- dant, il a toujours été implicite qu’une fois la fracturation apparue dans le réservoir, celui-ci se comporte de façon statique et c’est le fluide qui adopte un comportement dynamique. Il

s’agit là bien souvent d’une hypothèse de travail mais dans le cas particulier des réservoirs fracturés, elle peut être trompeuse. Par exemple, les séismes sont la conséquence directe du déplacement soudain de deux blocs de roches délimités par une faille. Ce mouvement peut alors modifier la structure du milieu proche et loin du point de rupture (ou source séis- mique), ainsi qu’engendrer un changement de sa perméabilité [Elkhoury et al., 2006; Manga et al., 2012; Rojstaczer et al., 1995; Tokunaga, 1999]. Ces observations à large échelle ont pu être confirmées à l’échelle d’expériences en laboratoire par Elkhoury et al. [2011]. D’autre part, Rojstaczer et al. [2008] examinent également la possibilité que la perméabilité à large échelle de la croûte continentale puisse être en partie contrôlée par les cycles de recharge et donc par la dynamique du cycle hydrologique.

Plusieurs autres phénomènes sont potentiellement capables de modifier à plus ou moins long terme les propriétés hydrodynamiques (transmissivité Thou perméabilité k et emma-

gasinement S) d’une roche fracturée. Le premier est la variation de la contrainte effectiveσ0. Pour l’illustrer, considérons une fracture planaire horizontale saturée par un fluide (comme illustré précédemment en figure 1.10a). La contrainte normale effective s’écrit [Rutqvist et Stephansson, 2003]

σ0

n= σn− αp (1.10)

où p dénote la pression de fluide,α est un coefficient dit de « Biot-Willis » qui est généra- lement très proche de 1 etσnest la contrainte normale, que l’on peut en statique désigner

comme le poids de la roche par unité de surface. D’après des expériences en laboratoire, Bandis et al. [1983] ont proposé un modèle hyperbolique pour relier la contrainte normale effective à la fermeture d’une fractureδa tel que (c.f. figure1.17)

δa= σ0 n kn0+ σ 0 n δmax (1.11)

où kn0est la raideur initiale de la fracture, c’est-à-dire le déplacement normal des parois de

fractures engendré par unité de changement de contrainte en Pa/m, etδmaxest la fermerture

maximale de la fracture. Par conséquent, on s’aperçoit d’après les équations1.8,1.10et1.11

qu’une variation de la pression de fluide dans la fracture peut résulter en un changement de sa perméabilité. D’autre part, on peut exprimer le coefficient d’emmagasinement d’une

fracture Sf comme suit d’après Rutqvist et al. [1998] : Sf = ρfg µ ba Kf + 1 kn ¶ (1.12)

où baest le volume disponible pour la circulation du fluide par unité de surface de fracture,

Kf le module d’élasticité du fluide et kn la raideur normale qui est quelque sorte la pente

de la courbe en figure 1.17. Il en découle donc que si la pression augmente, le coefficient d’emmagasinement aura tendance à décroître du fait de la diminution de la raideur avec l’ouverture progressive de la fracture. La variation de k et Sf en fonction de la pression de

fluide a une conséquence importante pour toutes les méthodes de caractérisation des ré- servoirs fracturés reposant sur l’application d’une perturbation hydraulique au milieu. Bien que les paramètres estimés reposent sur l’hypothèse d’un milieu statique, k et Sf sont intrin-

sèquement sujets à des variations lors de ces tests, particulièrement sur des fractures (voir par exemple Murdoch et Germanovich [2012]).

FIGURE1.17 – Echelles d’investigation des méthodes de caractérisation en milieu fracturé, modifié d’après Rutqvist et Stephansson [2003].

Par ailleurs, des études de faisabilité de l’enfouissement des déchets nucléaires dans des massifs cristallins ont révélé l’influence d’une augmentation de la température sur les varia- tions d’ouverture des fractures [Barton, 2007; Rutqvist, 2015]. Ainsi, une fracture soumise à une contrainte et qui aura par conséquent tendance à se fermer, le fera d’autant plus facile- ment que la température de la roche est élevée. Pour des contraintes maximales similaires appliquées à une fracture en laboratoire, Makurat et al. [1990] trouvent que celle-ci se ferme

environ 3 fois plus à 80◦C qu’à 60◦C. Ces auteurs ont donc observés une forte sensibilité de la souplesse16d’une fracture à la température. Il est intéressant de noter que les températures auxquelles la roche a été amenée au cours de ces tests sont du même ordre de grandeur que celles de certains traceurs thermiques employés pour caractériser les propriétés in situ des fractures (voir par exemple Read et al. [2013]). Enfin, on notera que des phénomènes chi- miques tels que les dissolutions ou précipitations de minéraux peuvent avoir lieu dans les fractures en altérant également ses propriétés [Rutqvist, 2015].

L’ensemble de ces considérations montrent que le milieu rocheux n’est pas statique, car il réagit aux forçages hydrologiques aussi bien qu’il est capable d’induire des changements dans les écoulements, que ce soit sur des processus à court terme ou à long terme. Ce constat est l’un des fondements de l’hydrogéodésie, discipline à laquelle cette thèse est une contri- bution. Il convient donc maintenant de présenter les concepts et les méthodes qui la consti- tuent.

16. Compliance en anglais. C’est le rapport de la variation d’ouverture d’une fracture sur la contrainte appli- quée. Il peut être assimilé à l’inverse de la raideur.

1.2.3 De l’émergence de l’hydrogéodésie

Naissance et concepts

Selon le géodésien prusse Friedriech Robert Helmert (1843–1917), « la géodésie est la science qui mesure et cartographie la surface de la Terre » [Torge et Müller, 2012]. Cette dé- finition qui a encore sa valeur aujourd’hui bien qu’elle ne soit pas tout-à-fait complète, té- moigne d’un sentiment double porté par les philosophes et scientifiques depuis au moins l’Antiquité : la frustration mêlée à l’ambition. La frustration de ne pas pouvoir dessiner ou se représenter de manière certaine la vaste maison monde sur laquelle nous habitons, et l’am- bition de vouloir mettre un terme à cette même frustration en entreprenant un dimension- nement de celle-ci. La première question fut la détermination de la forme globale de la Terre. C’est une vieille histoire qui remonte à l’époque des philosophes grecs17. AuVIesiècle avant J.-C., les grecs représentaient la Terre comme un disque plat entouré d’un fleuve étendu ap- pelé Océan (figure 1.18A). D’abord soutenue par un pilier colossal, ils ont imaginé que ce pouvait être sur de l’eau que reposait ce disque et que les mouvements de l’eau provoquaient les tremblements de terre, comme le pensait Thalès (VIesiècle avant J.-C.) [Deparis et Legros, 2000]. Il aura fallu deux siècles auprès de ces même grecs pour que surgissent les premiers arguments rationnels sur la forme de la Terre, basés sur des observations et leur analyse. Platon (∼ 428–348 av. J.-C.) réfléchit sur la course des étoiles ainsi que la forme en arc de l’ombre de la Terre projetée sur la Lune lors des éclipses pour conclure que la Terre devait être sphérique (figure1.18B). Aristote (∼ 384–322 av. J.-C.) ajouta que puisque tous les ob- jets sont attirés vers un même point, ce qui provoque une agglomération et un écrasement de toute part de la matière, l’épaisseur de terre autour de ce point devait être équivalente dans toutes les directions et donc, il fallait que la Terre soit nécessairement sphérique pour satisfaire ce constat. De plus, « le fait de voir disparaître la coque d’un bateau avant son mat lorsque celui-ci s’éloigne vers l’horizon ne suggérerait-il pas que la Terre soit ronde ? » s’in- terrogea Strabon (∼ 58 av. J.-C.– 23 apr. J.-C.) [Deparis et Legros, 2000].

Malgré ces découvertes pleines de bon sens, nous savons aujourd’hui qu’elles ne sont pas exactes. La Terre n’est pas une sphère parfaite. L’abbé Picard (1620–1682) qui est l’un des pionniers de la triangulation géodésique, a mené le calcul de la distance équivalent à un degré de méridien soit environ 110 km selon ses estimations. En comparant ses résul- tats avec ceux obtenus par d’autres à différents endroits sur Terre, il commence à émettre de

17. Peut-être même avant eux, mais il est probable que les penseurs précédents n’aient pas laissé autant de traces de leur réflexion que les grecs, particulièrement prolifiques.

FIGURE 1.18 – La vision de la forme de la Terre à travers les âges. A) Reproduction de la vision du