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INTERPRETATION EN CONTEXTE

4. EA ET CONTEXTES SPECIFICIQUES

4.1. EA et texte muséal

4.1.3. EA bi-segmentaux dans le discours muséal

Les exemples qui suivent présentent un paradigme plus fourni que celui des œuvres que nous avons mentionnées jusqu'ici. En effet, certains titres sont composés d'un nom propre désignant

136 la personne représentée sur le tableau, puis d'un élément juxtaposé précisant la qualité ou encore le statut de l'individu, comme dans :

(149) Ecole française, début du XVIIIe siècle

Portrait d’un échevin, membre de la famille Chauvin

Legs de Mme Chauvin à la Ville de Paris, avant 1879

Cet exemple a en plus la particularité d'évoquer un genre pictural, ce qui entraîne l'emploi de l'article zéro, comme nous l'avons vu plus haut. Dans ce type de titre, il est possible d’avancer que le deuxième segment constitue le prédicat et que le premier terme fonctionne comme sujet. De tels titres sont donc analysables comme prédicat averbaux attributifs à deux termes, mais nécessite toutefois l’utilisation d’un déictique dans la paraphrase :

(149’) Cet échevin est membre de la famille Chauvin.

Le déictique cet s’interprète alors grâce à l’extralinguistique : on parlerait en termes culioliens de fléchage situationnel étroit, ce qui met à nouveau l’accent sur le rôle de la situation d’énonciation et l’environnement immédiat du lecteur de l’EA pour que ce dernier fasse sens pour le lecteur.

Il serait aussi possible de considérer que le titre dans son ensemble (c'est-à-dire Portrait d’un

échevin, membre de la famille Chauvin) est prédicat du sujet implicite que représente le

tableau. Dans ce cas là, c’est grâce à l’extralinguistique (nous pourrions également parler de la phénoménalité des objets dans la sphère énonciative du visiteur du musée) que l’interprétation de l’EA peut se faire, en établissant un corrélat entre l’EA à un terme et son sujet implicite, présent dans l’extralinguistique et perçu, identifié par le lecteur du cartel. C’est un autre travail interprétatif qui intervient lors de la lecture de certains cartels du Carnavalet qui ont la particularité d'être composés d’un autre EA en-dessous du titre en caractères gras. Ce second EA précise de quel genre pictural il s'agit, comme dans le cartel suivant, où l’on trouve le mot portrait180

: (150) Louis Mercier, échevin en 1761

Portait individuel tiré du portrait collectif commandé par la ville en 1763 Achat, 1892

Portrait individuel tiré du portrait collectif commandé par la ville en 1763 peut alors être

analysé comme prédicat par rapport au sujet que constitue dans ce cas le titre en gras du

180

Autres exemples de petits textes qui figurent en dessous des titres en gras et qui précisent le genre pictural du tableau :

Etude pour la partie droite du portrait collectif commandé par la ville en 1763, aujourd'hui au musée de Versailles.

137 tableau. Une glose verbale du cartel ci-dessus pourrait donc être, sous réserve de l’utilisation de guillemets à l’écrit et de l’intonation appropriée à l’oral :

(150’) « Louis Mercier, echevin en 1761 » est un portrait individuel tiré du portrait collectif commandé par la ville en 1763

Dans le cartel suivant, le titre en gras est composé de deux segments séparés par un deux

points, auquel cas le deuxième segment peut être vu comme un prédicat attributif du premier,

qui aurait alors le statut de sujet.

(151) Minerve présentant la paix à la Ville de Paris : allégorie au traité de Paris de

1763. Esquisse du portrait collectif commandé par la Ville en 1763. L'œuvre définitive

fut réalisée par Hallé181.

(151’) « Minerve présentant la paix à la Ville de Paris » est une allégorie au traité de Paris de 1763.

Par ailleurs, la glose que nous proposions en (150’) pour expliciter le statut attributif de l’EA faisant état du genre pictural fonctionne aussi pour (151’’) :

(151’’) « Minerve présentant la paix à la Ville de Paris : allégorie au traité de Paris de 1763 »

est une esquisse du portrait collectif commandé par la Ville en 1763.

Cependant, tous les titres bi-segmentaux avec deux-points182 ne peuvent se voir appliquer cette interprétation. Nous avons trouvé, en consultant le site que le Musée du Louvre a consacré à l'exposition des œuvres de Hogarth et Rembrandt183 que Hogarth utilise les deux points dans les titres de ses peintures et que l'analyse en Sujet + Prédicat ne peut s'y appliquer. Dans la série suivante, le premier terme jour le rôle d’un localisateur, ce qui entraine que ces EA se sont pas paraphrasables avec be, ce qui est le cas ici :

(152) Four times of the day : Morning Four times of the day : Noon Four times of the day : Evening Four times of the day : Night

Les paraphrases suivantes ne feraient pas sens : (152’) * Four times of the day is Morning

181 Concernant l’énoncé verbal dans l’exemple (151), à savoir L'œuvre définitive fut réalisée par Hallé, nous expliquons sa présence sur le cartel par le fait que son sujet (l’œuvre définitive) ne corresponde pas au sujet implicite que constitue le tableau. Cette œuvre définitive n’est pas présente dans l’extralinguistique est a donc besoin d’être nommée en tant que telle. Si l’on avait eu sur le cartel Œuvre définitive réalisée par Hallé, le visiteur du musée aurait été amené à penser que le tableau qu’il a sous les yeux est l’œuvre définitive en question, ce qui aurait été source de confusion puisque le tableau est préalablement désigné par le terme

esquisse.

182

Pour une présentation détaillée des deux points, voir Demanuelli (1987), Popin (1998) et Rossette (2007). 183

Exposition du 5 octobre 2006 au 8 janvier 2007, Hall Napoléon, http://mini-site.louvre.fr/hogarth-rembrandt/ (url toujours valide en août 2014)

138 * Four times of the day is Noon

* Four times of the day is Evening * Four times of the day is Night

Ces difficultés d’interprétation ne sont pas l’apanage des titres de tableaux : on en trouve également sur les cartels apposés à côté d'objets : les segments reliés par deux points dans le cartel suivant ne fonctionnent pas facilement comme sujet et prédicat :

(153) Table de nuit

Bâti : chêne

Placage de bois de violette, bronze doré Paris, vers 1745

Legs Henriette Bouvier, 1965

Ici, deux termes sont séparés par un deux points pour former l’EA Bâti : chêne. Nous nous interrogeons sur la possibilité d’une analyse en tant qu’EA, car si on peut paraphraser cette ligne du cartel avec être, et donc obtenir l’énoncé canonique :

(153’) Le bâti est fabriqué en chêne

Il serait sans doute plus concis et idiomatique de dire : (153’’) Ce bâti est en chêne

De même, l’interprétation attributive fonctionne pour les segments du cartel suivant : (154) Vase cornet

Porcelaine chinoise

Epoque Kieng-Long (XVIIIe siècle) Legs Henriette Bouvier, 1965

mais uniquement si l’on ajoute la préposition en : (154’) Ce vase cornet est en porcelaine chinoise

Indépendamment de la présence des deux points, il est difficile de considérer que le nom de l'objet et le nom du matériau utilisé puissent être associés pour former les S et P d’un EA, puisque la paraphrase fait intervenir la préposition en qui signifie qu’il y a une sorte de relation qualitative entre les termes. Pour que l’interprétation attributive soit possible, il faut une relation d’identification sémantique184

entre les termes, ce qui n’est pas strictement le cas des occurrences ci-dessus185. Le problème ne se pose cependant pas en anglais, où la

184

C’est l’absence d’identification sémantique entre le titre de l’objet exposé et son origine qui rend l’linterprétation attributive impossible dans

(126’) *This feathered head is Hawaiian Islands.

185 Quand il y a plutôt une relation d’identification entre deux segments, la paraphrase fait apparaître la préposition comme, qui illustre le lien métaphorique entre les deux termes, si bien que l’interprétation attributive redevient possible, comme dans l’exemple suivant,

L’enfance de Thérèse : de la neige à la source du fleuve le plus sali. Au lycée, elle avait paru vivre

139 paraphrase attributive entre l’objet et la matière fonctionne sans recours à une préposition lorsque le nom qui constitue l’EA a un fonctionnement en continu dense :

(132’) This Study of Tree Trunks is Ø oil on paper

(147’) These Betel box and stand are Ø gold, with filigree work, rubies and imitation emeralds

(148’) Mrs Jane Small is Ø watercolour on vellum

Ces paraphrases en anglais nous incitent à proposer leur équivalent en français avec l’article partitif du / de la /des.

(153’’’) Ce bâti est du chêne

(154’’) Ce vase cornet est de la porcelaine chinoise

La distribution de en et de de nous permet dans une certaine mesure de valider l’interprétation attributive avec l’EA qui exprime le matériau dans le discours muséal en français. Il n’en reste pas moins qu’aucun subterfuge ne nous permet d’appliquer cette interprétation aux EA qui informent le lecteur du cartel sur la date où l’objet a été fabriqué.

(129’) * Le Bon Samaritain est 1853

(130’) * Ce grand vase d'ornement est vers 1867 (146’’) * This figure of Shiva Nataraja is about 1100

(154’’’) *Ce vase cornet est époque Kieng-Long (XVIIIe siècle)

Si les exemples (129’) et (154’’’) pourraient devenir grammaticalement acceptables avec l’intervention d’une préposition (de), ce n’est pas le cas pour (130’) et (146’’), où l’emploi d’un verbe indiquant la rupture temporelle avec To s’avère nécessaire pour obtenir un énoncé correct.

(130’’) Ce grand vase d'ornement a été créé / a été produit vers 1867. (146’’’)This figure of Shiva Nataraja was created / was built about 1100.

Les pages qui précèdent montrent donc que les EA qui sont employés dans le discours muséal ont leurs spécificités. Leur étude nous a permis de mettre en avant le rôle joué par la situation extralinguistique : c’est l’objet exposé qui sert de sujet implicite quand les EA du cartel

qui constitue un A2T dans l'ordre S-P avec deux points et peut être paraphrasé avec être si on ajoute comme : L’enfance de Thérèse était comme de la neige à la source du fleuve le plus sali.

Toutefois, Pierrard (2002 : 72) a constaté « le caractère facultatif de comme » et le fait que « comme est en effet parfois effaçable ». C’est ce que montre en effet un énoncé tel que Il le considère (comme) très intelligent. Il nous semble possible d’envisager pour cet EA extrait de Thérese Desqueyroux une paraphrase où comme serait élidé, et l’on obtient ainsi :

140 fonctionnement comme prédicat. Une approche pragmatique permet d’étudier les EA sous un nouvel éclairage.