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3. DEFINITION DES ENONCES AVERBAUX

3.2. EA et modalité assertive

3.2.5. Assertion et prise en charge 140

La question de la prise en charge se pose lors de l’emploi et l’analyse des EA tels que :

(106) Anne enfin mariée, les gens diraient ce qu’ils voudraient. […] C'était entendu entre eux. Pas de divorce ni de séparation officielle ; on inventerait, pour le monde, une raison de santé. TD 137b

TRAD: Once Anne was married, people could say what they liked. […] Everything was arranged between them. There would be no divorce, no legal separation. Some excuse about her health could be trumped up to satisfy the world at large.

Cette occurrence correspond au type de récit où « la phrase nominale devient un vecteur privilégié du style indirect libre », et « pose des problèmes relatifs au statut de l’énonciateur dans l’espace textuel, notamment lorsqu’elle permet des ruptures de point de vue » (Delorme, 2004a : 58).

Le traducteur résout le problème du SIL dans l’exemple (106) en choisissant de traduire l’EA avec un énoncé verbal qui explicite la prise en charge : l’énoncé en langue cible est interprété par le lecteur comme pris en charge par l’énonciateur-narrateur, alors que l’EA en langue source permet d’envisager différentes prises en charge, émanant soit de l’énonciateur-narrateur, soit du personnage d’Anne ou encore de son époux.

Le terme de prise en charge a récemment fait l’objet d’un intérêt particulier de la part de la recherche linguistique. Tout comme l’assertion, la question de la prise en charge fait partie des opérations constitutives de l’énoncé, mais Coltier, Dendale et De Brabanter (2009 : 5) ont observé que :

Bien que la notion de prise en charge fasse partie (de façon essentielle ou accessoire) de l’outillage terminologique et notionnel de nombreuses théories linguistiques, […] elle figure rarement comme entrée dans la nomenclature des dictionnaires usuels de linguistique.

Copy (2008 : 76) a pour sa part constaté qu’assertion et prise en charge « ne sont cependant pas toujours définies de façon précise et stable par les auteurs qui travaillent dans [le] cadre » de la TOE141.

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Nous ne traiterons pas ici de la prise en compte. Pour plus de précisions sur ce concept, voir Laurendeau (2009).

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Cet extrait de Desclès (2009 : 34) atteste du caractère flottant de la définition des termes assertion et prise en charge :

La simple prise en charge d’une relation prédicative est exprimée par un énoncé déclaratif, alors que son assertion est souvent marquée par des marqueurs manifestés dans le discours. L’assertion peut être indiquée par des marqueurs explicites comme j’affirme, c’est certain que, il est vrai que… et également par une prosodie particulière. Ainsi, l’acte d’assertion J’affirme qu’il pleut s’oppose donc à la simple déclaration Il pleut. […] Si une déclaration comme il pleut est le résultat d’une simple prise en charge par un énonciateur, son assertion devient un acte de langage qui exprime l’engagement de l’énonciateur : pour moi, j’affirme qu’il pleut.

109 Copy (2008 : 80-81) établit une distinction entre les deux concepts de la façon suivante :

Ainsi, le repère de l’assertion (au sens strict et au sens large) sera, selon le type de discours, S0d ou S0n. On parlera donc d’assertion pour rendre compte du repérage par rapport aux instances subjectives de prise en charge modale et aspectuelle de la relation prédicative.

Cependant, la prise en charge se trouve partagée entre l’ensemble de ces instances subjectives, auxquelles on peut ajouter S2 le cas échéant, selon les opérations dont elles assument la responsabilité dans la construction référentielle de l’énoncé. De ce fait, nous considérons qu’il y a forcément prise en charge en ce qui concerne l’instance repère de l’opération d’assertion (au sens strict et au sens large) qui, selon les cas, ne se situe pas par rapport au même rang de repérage142.

En nous appuyant sur cet extrait, ainsi que sur la position de Souesme (2008 : 164) selon lequel « un énonciateur peut asserter une relation prédicative sans la prendre en charge » nous proposons de placer l’assertion au niveau de la relation prédicative, alors que la prise en charge concernerait l’énoncé. Cependant, nous avons remarqué que Delorme (2004a) parle aussi bien de prise en charge d’un énoncé143

(2004a : 57 et 140) que de prise en charge de prédication144, de contenu propositionnel (2004a : 64 et 139), mais également de prise en charge de prédicat (2004a : 95). Dans l’extrait suivant :

dans le contexte, la prise en charge du jugement ressortit nécessairement au point de vue (reconstitué par Humbert) de l’interlocutrice, non à l’opinion qu’a Humbert de lui-même. (Delorme, 2004a : 173)

nous pensons que le terme jugement constitue une synecdoque et équivaut au terme énoncé, dans la mesure où le jugement appréciatif en question est forcément véhiculé par un énoncé145, ou plus précisément par l’adjectif évaluatif qui le compose. Hanote et Chuquet (2004 : 128) parlent également de la prise en charge d’un jugement :

Les nombreux marqueurs de modalité, qu’il s’agisse d’auxiliaires modaux […] d’adverbes […] ou encore d’adjectifs apportant des qualifications subjectives (ridiculous, par exemple), sont tous la trace d’une prise en charge des divers jugements par Mrs Simpson en tant qu’asserteur.

Nous appliquerons la même analyse que supra, pour dire que le terme jugement désigne en fait le terme énoncé qui comporte ledit jugement.

Selon nous, Desclès emploie assertion à la place du terme affirmation, et le terme déclaration à la place du terme assertion. En tout état de cause, ce ne sont pas ces définitions que nous adopterons.

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Notre soulignement 143

Nous citerons par exemple (Delorme, 2004a : 57) « la prise en charge des énoncés est quasi systématiquement attribuable au dernier personnage mentionné dans le contexte à gauche » ou encore « […] la prise en charge d’énoncés attributifs n’est pas l’apanage du seul héros. » (2004a : 144)

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D’un autre coté, Delorme (2004a : 95) parle de « la non prise en charge de la prédication par l’énonciateur ». Il en va de même en (2004a : 138, 148, ou encore 274), où l’auteur évoque « la prise en charge de la prédication ».

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110 En revanche, parler de prise en charge d’un prédicat ou d’une prédication nous semble plus problématique, sauf si l’on considère qu’il s’agit également de synecdoque pour le terme énoncé. Nous pensons que c’est ce qui se produit dans les travaux de Hanote et Chuquet (2004) quand les auteurs parlent de prise en charge de la modalité interrogative pour un énoncé au DIL146 (2004 : 18) ou d’une « assertion prise en charge par l’énonciateur origine » (2004 : 55). Si l’on suit notre positionnement sur le fait que la prise en charge concerne un énoncé147, il convient de reformuler en ne parlant pas d’assertion mais d’énoncé assertif pris en charge par l’énonciateur origine.

La synthèse des écrits de Culioli sur la prise en charge que font Coltier, Dendale et De Brabanter (2009 : 11) va dans le même sens que notre idée selon laquelle l’assertion porte sur une relation prédicative alors que la prise en charge s’applique à un énoncé :

La prise en charge est une catégorie ; l’assertion un élément de cette catégorie. […] Rien donc n’interdit de penser qu’une assertion au sens large, une interrogation, par exemple, puisse être catégorisée « prise en charge ». […] s’il est clair que l’assertion stricte est une prise en charge, il est clair aussi que prendre en charge ne concerne pas uniquement l’assertion stricte.

Nous comprenons que la prise en charge s’applique à tous les types d’énoncés. De ce fait, quand Coltier, Dendale et De Brabanter (2009 : 13) utilisent la prise en charge « pour décrire deux choses : l’assertion au sens strict et le simple fait de dire »148, c’est cette deuxième chose que nous associons à la prise en charge.

Dans le cadre de notre étude des EA, le paramètre de la prise en charge n’aura d’importance que dans les occurrences d’EA en récit, dans la mesure où l’origine de cette prise en charge pourra être ambiguë, selon que l’EA relèvera du récit ou alors du DIL, comme c’est le cas

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A savoir She pinched the skin on the back of her hand. Could she be dreaming all this? 147

L’emploi des guillemets dans le discours journalistique nous amène à ajouter que la prise en charge peut également porter sur un seul mot au sein d’un énoncé entier. A propos de It showed the decadence and cynicism

of the “international community” […] The genocide exposed in tragic relief the fallacies on which our global “order” is still based, nous suivons Hanote et Chuquet (2004 : 101) qui signalent que dans ce cas là :

Les guillemets sont les marqueurs de propos rapportés sans que l’origine de ces propos soit identifiée : la source assertive/énonciative reste indéterminée. Il s’agit alors d’une mise à distance, d’un refus de prise en charge de ces termes entre guillemets par le journaliste.

Cela dit, l’assimilation des termes désengagement et désassertion dans la suite de l’analyse faite par les auteurs nous pose problème dans la mesure où nous considérons que les termes assertion/désassertion concernent une relation prédicative. Pour Hanote et Chuquet, les guillemets indiquent que :

[…] il y a désengagement, désassertion du journaliste sur les termes entre guillemets qu’il refuse de prendre à son compte. Les termes de international community ou de global order sont signalés, par des guillemets, comme étant empruntés au discours dominant, et en même temps comme étant rejetés par l’énonciateur origine.

Dans un tel usage des guillemets, ce sont les concepts de désengagement et de rejet qui nous paraissent le mieux définir la démarche du journaliste. Selon nous, on ne peut pas parler de désassertion lorsqu’un seul terme est concerné au sein d’un énoncé plus long.

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111 dans l’exemple (106) et dans les exemples ci-dessous, où à nouveau le traducteur prend parti pour le récit en ayant recours à un énoncé verbal :

(107) Il n'y avait pas de discussion possible. C'était les parents qui possédaient la nourriture, les lits et les voitures. Pas moyen de désobéir. SA 101

TRAD : There was no room for discussion. Food, beds, and cars were all in adult hands. There was no way we could disobey.

(108) Elle traversa à tâtons le jardin du chef de gare, sentit les chrysanthèmes sans les voir.

Personne dans le compartiment de première, où d'ailleurs le lumignon n'eût pas suffi à éclairer son visage149. TD 35c

TRAD : She tiptoed across the station-master’s garden, smelling the chrysanthemums although she could not see them. There was no one in the first class compartment

which she entered, and, in any case, the light from the lamp would have been too dim to show her face.

Concernant les EA employés en dialogue et en situation d’interlocution, la question de la prise en charge ne se posera pas, puisque le locuteur sera forcément à l’origine des repérages qui se feront au moyen des paramètres de la situation d’énonciation, c'est-à-dire hic et nunc. Par ailleurs, notre corpus comporte d’autres types d’EA qui ont une valeur générique. C’est ce critère (la généricité vs les paramètres hic et nunc) que nous suivrons pour établir une classification des occurrences qui figurent dans notre corpus, classification que nous présentons dans la sous-partie qui suit.