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Système physiqueHumain Questions/réponses

5.3.3 Dynamique des buts

Le principal avantage de cette approche est la coordination implicite des anticipations au sein de chaque couche. Les deux couches voient les sensations se transformer à chaque instant et s’adaptent à la situation. Des buts dynamiques tels que la modulation propagée entre les deux couches ne posent donc pas problème. A chaque instant, la dynamique de la couche basse s’adapte à l’évolution de la dynamique globale dans la couche haute. Mais il peut en être de même pour la couche haute dont les attracteurs n’ont jusqu’à présent pas été abordés.

Ces attracteurs peuvent être à leur tour des modulations en provenance d’autres couches. Sur l’exemple représenté sur la figure 5.20, les modulations sur le panneau gauche de la figure ont un niveau d’activité variable. On peut les considérer comme deux sources de nutriments dont

Figure 5.20 – Capture de la deuxième version de l’application. L’espace d’interactions possède un nombre réduit de dimensions mais toutes ne peuvent être représentées en 2D. Les anticipations sont donc projetées dans le plan des dimensions x et y. Les deux panneaux correspondent aux deux couches desquelles émergent coordination et régulation à des échelles différentes (navigation haut niveau à gauche et couche motrice bas niveau à droite). Les sensations c’est-à-dire la position de l’agent (points jaunes) et les modulations entre les couches (points verts) évoluent avec les interactions et influencent indirectement l’activité de chaque anticipation (nombre en

rouge).

notre agent à besoin. Si ces nutriments sont différents, celui-ci doit se déplacer d’une source à l’autre : pour satisfaire sa faim et sa soif par exemple. S’il se situe loin d’une source, la mo-dulation associée augmentera ; s’il passe à proximité de la source, celle-ci diminuera. Le réseau d’anticipations considéré a une forme de "8" et ne peut être parcouru que dans une direction, celle définie par la séquence d’anticipations. L’agent devra donc repasser systématiquement par le centre du réseau, suivant des trajectoires quasi-circulaires ou en forme de huit, similaire à celles de l’attracteur étrange de Lorenz.

Selon les dynamiques utilisées pour les modulations, différents comportements peuvent émer-ger. Ces dynamiques décrites ci-dessous sont illustrées dans l’annexeC :

– Si une des modulations reste toujours supérieure à l’autre, l’agent effectuera des cycles d’un seul côté du huit, celui de la modulation la plus forte.

– Si les deux dynamiques sont très proches et synchrones, l’agent "hésitera" au point d’in-tersection central, mais la moindre différence dans le pouvoir attracteur des modulations le conduira d’un côté où il satisfera un des besoins avant de poursuivre sur l’autre,

intro-duisant par la même occasion un déphasage.

– Si les dynamiques sont très différentes, un attracteur sera stable durant plusieurs cycles avant que l’autre n’ait atteint un niveau suffisant et entraîne une "transition de phase".

5.4 Coordination de fonctions physiologiques

Cette dernière application utilise également le modèle complet de cette thèse afin de mon-trer qu’il peut s’appliquer à d’autres types de coordination que celle permettant la navigation spatiale. On s’intéresse ici à la coordination de comportements permettant la satisfaction de besoins physiologiques. Les mécanismes complexes qui interviennent dans la régulation de la quantité d’eau dans le corps et son absorption sont de mieux en mieux connus. De la pression osmotique au niveau des cellules, aux homéostasies maintenant les niveaux de fluide et de sels dans le corps, jusqu’aux neurohormones agissant au cœur du cerveau, tout semble désormais connu sur la physiologie de l’eau chez l’homme [McKinley and Johnson, 2004]. Pourtant, il reste un gouffre dans la littérature : comment ces mécanismes apparus durant l’évolution peuvent-ils conduire à des comportements de préhension d’objets variés pour satisfaire le besoin ? Ces objets, qu’il s’agisse d’un verre, d’une bouteille d’eau ou d’un robinet, n’ont rien d’ancestraux mais leur manipulation se coordonne pourtant sans problème avec les réflexes d’avalement. Même à un niveau plus basique, qu’est-ce qui nous pousse à avaler l’eau déjà présente dans notre bouche ? Il arrive qu’on se rince simplement la bouche et qu’on la recrache, il ne s’agit donc pas seulement d’un réflexe... Enfin, l’avalement perturbe la respiration, nécessaire à notre survie immédiate. Comment ces deux comportements se coordonnent-ils pour que notre vie se poursuive, sans qu’on ait à y penser ?

Certains mécanismes déjà vaguement abordés à la fin du chapitre intitulé Propriétés du

mo-dèle et coordination généralisée sont détaillés ici. Tout d’abord, le manque d’eau dans les cellules

n’est pas directement perceptible. Les seules informations dont on peut consciemment attester sont l’effet de la déshydratation sur le corps (dans les cas extrêmes) ou plus communément l’afflux d’angiotensine II dans le système nerveux central (sensation de soif). Dans le deuxième cas, il n’y a pas urgence, mais cette sensation guide néanmoins nos comportements. Dans notre modèle, il ne s’agit que d’une sensation commune mais continûment présente, stimulant les com-portements qui l’impliquent. Chez l’humain, la soif semble en effet étanchée sitôt que l’eau passe dans la gorge. Or ce passage est la conséquence du réflexe permettant à l’eau de passer dans l’œsophage sans faire de fausse route. Celui-là même est déclenché par le mouvement volontaire de la langue autorisant le passage de l’eau à l’arrière de la cavité buccale. On se ramène ainsi à une chaîne d’interactions plus ou moins contrôlables, mais toutes anticipables.

La figure5.21 illustre cette séquence, par le biais de captures d’écran de la simulation infor-matique réalisée. Le descriptif des étapes de la figure est le suivant :

1. La présence d’eau est ressentie à l’avant de la bouche (fermée ou obstruée par la langue). Le passage de la cavité buccale à la gorge est fermé par la langue en appui sur le palais mou.

2. La langue descend et laisse passer l’eau qui remplit la bouche sans pour autant couler dans la gorge.

3. La langue remonte une fois la bouche suffisamment pleine afin d’arrêter l’écoulement. 4. La langue avance et libère le passage vers la gorge. Ce mouvement est en réalité bien

gorge ouverte bouche ouverte bouche pleine 5 4 3 2 1 5 4 3 2 1 air eau besoin d'eau besoin d'air l'air ne passe plus

l'eau coule

Figure 5.21 – Représentation de la trajectoire d’avalement dans un espace 3D et ses principales étapes (numérotées de à1 ). Deux actions sont possibles (contracter la langue pour fermer la5 bouche et/ou la gorge), une perception seulement est visible (la quantité d’eau dans la bouche).

particulier lorsqu’il s’agit de faire passer un bolus alimentaire plus compact. L’eau s’écoule alors dans le pharynx (oropharynx pour être plus précis), et ferme l’épiglotte (action combinée d’un réflexe et de l’écoulement), évitant le passage du liquide dans le larynx. 5. La langue referme l’accès à la gorge et un peu de liquide reste éventuellement dans la

bouche. L’oropharynx de nouveau isolé s’assèche et l’épiglotte remonte.

On va simplifier ici le problème complet de la coordination de comportements permettant de saisir un récipient contenant de l’eau, de le porter à la bouche et d’en boire le contenu. Les principes de propagation d’activité et d’assimilation restant toujours les mêmes, on ne va garder que l’essence du problème, une fois que l’eau est présente à l’entrée de la bouche et qu’il ne reste plus qu’à l’ingurgiter. On ne modélise donc "que" le processus décrit ci-dessus.

Néanmoins, ce processus cyclique en apparence simple n’est pas le seul à utiliser les voies du larynx. En effet, la respiration nécessite le passage de l’air par le larynx puis sous l’épiglotte pour atteindre pharynx, trachée et poumons. L’étape est donc incompatible avec la respiration4 et l’inspiration ne doit donc pas chevaucher temporellement cette étape. Les actions impliquées dans la respiration ne seront pas intégrées dans cette application et la respiration sera considérée comme un processus passif, non influençable mais périodique.

5.4.1 Modèle

Afin de modéliser la coopération des deux processus (avalement et respiration), un modèle simplifié des voix respiratoires et digestives a été réalisé. Son rendu graphique a été utilisé pour les captures de la figure5.21, même si l’eau y est mal représentée et traduit seulement la quantité de liquide. L’écoulement entre les différentes parties de la bouche et de la gorge est calculé par intégration du débit immédiat entre plusieurs segments arbitraires, en fonction de la configura-tion de la langue et de l’épiglotte. La langue est très simplement modélisée par deux muscles unidirectionnels, orthogonaux et indépendants : l’un permettant d’obstruer le passage de l’exté-rieur vers la bouche par application de la langue contre le palais dur, l’autre fermant le passage de la bouche vers la gorge par pression sur le palais mou.

Même si de nombreuses variables sont manipulées pour mettre à jour le modèle (approximer les écoulements, évaluer les besoins en eau et en air avec des délais temporels, la position des muscles en fonction des forces appliquées...), seules quelques dimensions sont accessibles à l’agent. L’espace d’interaction utilisé pour représenter le système est formé des dimensions suivantes :

– lv : position verticale de la langue permettant l’occlusion de la bouche (fermé = valeur haute)

– lh : position horizontale de la langue contrôlant l’ouverture du larynx (ouvert = valeur basse)

– e : quantité d’eau dans la bouche

– av : contraction verticale de la langue (repos en position basse = valeur faible) – ah : contraction horizontale de la langue (contraction en arrière = valeur élevée)

Les anticipations associées sont représentées sur le repère 3D de la figure et sont synthétisées ici. Elles forment un cycle définissant le comportement d’avalement. On note x une valeur basse ou négative de la variable x et x une valeur élevée ou positive :

2. [lv, lh, e] → [lv, lh, e] (la bouche se remplit) 3. [lv, lh, e] → [lv, lh, e] (la bouche se ferme) 4. [lv, lh, e] → [lv, lh, e] (la gorge s’ouvre)

5. [lv, lh, e] → [lv, lh, e] (la bouche se vide) 6. [lv, lh, e] → [lv, lh, e] (la gorge se ferme)

La neurohormone de la soif peut agir de deux façons différentes :

– Soit elle agit comme une modulation sur la couche haute, augmentant le pouvoir attracteur de l’anticipation 5, la seule conduisant au passage de l’eau dans la gorge et à la baisse de l’hormone. Il peut très bien exister un processus inné assimilant le niveau d’hormone et tentant à chaque instant de le stabiliser à une valeur basse, ce processus influençant l’agent sans avoir été appris et faisant en quelque sorte partie de son environnement interne. – Soit elle fait partie intégrante de l’anticipation de la baisse de l’hormone (nh) lors du

passage d’eau dans la gorge associé à un capteur spécifique (eg) : [nh, eg] → [nh] (c’est

le cas sur la figure 5.22). Cette anticipation est alors plus fortement activée par la pré-sence de la neurohormone (angiotensine 2), et par propagation de son activité, elle peut orienter les comportements pour sa satisfaction. Celle-ci peut ainsi être apprise, mais un tel apprentissage semble dangereux pour un être vivant naissant, susceptible de mourir de soif.

Quoiqu’il en soit, tous les éléments des processus n’ont pas à être maîtrisés, contrôlés ou même conscientisés. Il suffit à la coordination implicite de lier le métabolisme aux mouvements de la langue pour que le comportement d’avalement se fasse correctement et soit régulé.

Le déroulement même de l’avalement étant le fruit de régulations complexes et permanentes, on introduit une deuxième couche pour réguler les contractions des muscles et donc le dépla-cement de la langue. En effet, tout muscle est sujet à la fatigue, à des crampes et n’a pas une réponse linéaire. De même, l’écoulement du fluide selon les mouvements de la langue dépend de sa viscosité et de la quantité de liquide présent dans la bouche. C’est encore plus flagrant lorsque l’on considère la mastication de la nourriture, non modélisée car trop complexe. La gorge elle-même, en cas d’angine par exemple, ne se comportera pas de la façon habituelle, et on adaptera ou plutôt perturbera le comportement pour que la douleur soit minimale lors du passage des aliments ou liquides.

Cette couche de régulation fine est caractérisée, comme dans l’application précédente, par des anticipations spatialement et temporellement plus réduites. Pour une contraction de la langue vers le haut pour la coller au palais, on aura une anticipation du type : [lv, av] → [lv + ∆lv, av], ∀lv ∈ [lv; lv] avec un pas discret, av = f (lv) et ∆lv dépendants de la dynamique du système mécanique (musculaire). Cette dynamique peut être quelconque, puisque simplement approximée ici à la manière de la surface dans l’application du pendule/charriot. Rien n’interdit donc un couplage entre les contractions orthogonales.